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Opération Barkhane : partir du Mali pour mieux rester dans le Sahel 

Reportage 

La base aérienne projetée de Niamey est le porte-avions de l’opération Barkhane dans le Sahel. Depuis la capitale du Niger, les Français surveillent l’ensemble du théâtre où ils interviennent, frappent les groupes djihadistes, tout en protégeant le repli des troupes et du matériel du Mali.

  • Laurent Larcher, envoyé spécial à Niamey (Niger), 
Opération Barkhane : partir du Mali pour mieux rester dans le Sahel
 
Un militaire francais dans la salle de commandement de drone Reaper de la base aérienne projetée de Niamey, au Niger, le 6 janvier 2022.RAFAEL YAGHOBZADEH/HANSLUCAS
       

Ils cherchent et frappent l’ennemi dans l’immensité du désert, le regard fixé pendant des heures sur un large écran. Dans ce voyage immobile qui caractérise le pilotage d’un avion à distance, l’équipage d’un drone Reaper engagé dans la guerre menée par la France dans le Sahel vole à 20 000 pieds (6 096 m), ausculte la surface minérale pendant des heures, épie silencieusement les villes et les villages sous l’œil précis des optiques sophistiquées de l’engin autonome. Le voici concentré sur un mouvement suspect, étudiant les habitudes d’une katiba (une unité de combattants djihadistes), analysant ici les images d’un rassemblement, surveillant là un déplacement, se renseignant ailleurs sur un attroupement.

Les quatre pilotes sans nom (tout juste des prénoms) de ce Reaper en vol sont, en quelque sorte, les anges gardiens des convois et des interventions au sol, semant le feu et l’effroi parmi les terroristes. Ils sont enfermés dans des caissons blindés et insonorisés de la base française de Niamey.

Dans la capitale du Niger où près d’un millier de militaires tricolores sont positionnés, le quartier réservé aux drones de la force Barkhane – cinq Reaper achetés aux Américains – ne paie pas de mine. Des hangars, des abris en kit se succèdent et se mélangent derrière des murs de protection et des sacs de sable sous un soleil à la verticale et une température extérieure de 45 °C. Rien n’indique que ce quartier est devenu, au fil des années, le lieu le plus redouté de la lutte anti-djihadiste conduite par Paris dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Avec ses Reaper et ses cinq Mirage 2000, la « composante chasse » de Niamey est bien le bouclier et le glaive de Barkhane.

Des dangers qui hantent les militaires

Pressée par l’Élysée de quitter au plus vite le Mali, chassée par Bamako de ce pays qu’elle a libéré en 2013 de l’emprise djihadiste, l’armée française plie bagage en veillant à assurer la sécurité de ses troupes. Ce repli – une simple « réarticulation » dans la langue des communicants – doit s’achever d’ici à la fin du mois d’août.

Le calendrier est très court, les militaires le savent mais ne le disent pas. Du moins, pas publiquement : « Nous aurions préféré plus de temps, une planification moins serrée. Mais le politique fixe les objectifs, nous nous mettons en ordre pour les atteindre », confie un officier supérieur dans la base française.

Or, rien de plus vulnérable et de plus exposé pour une armée que de se retirer, qui plus est dans un environnement aussi hostile que le Sahel, où les distances sont considérables, le climat impitoyable, le soutien de la population aléatoire et les groupes armés déterminés. Ces derniers, eux, sont parfaitement adaptés à cet environnement exigeant.

La liste des dangers encourus par les Français lors de cette « réarticulation » ne cesse de hanter les militaires de la BSS : explosifs disséminés le long des voies empruntées par les convois, embuscades préparées ou opportunes, instrumentalisation de la foule pour pousser les Français à la faute. Comme à Tera (dans le sud-ouest du Niger), en novembre 2021.

« C’est un épisode sensible », convient un militaire : une manifestation organisée pour s’opposer au passage d’un convoi de Barkhane a conduit les soldats français à ouvrir le feu. Bilan : trois Nigériens tués, des dizaines de blessés. Des tirs de sommation qui ont ricoché ? Des tirs directs ? La tragédie de Tera n’a pas fini d’empoisonner la présence française au Niger, où exceptionnellement, aucun drapeau tricolore ne flotte sur les emprises militaires de Barkhane.

Ses soldats doivent-ils craindre d’autres épisodes de ce type ? Plus d’une quarantaine de convois sont prévus pour acheminer à Niamey le matériel issu des deux dernières bases françaises au Mali, à Gao et Ménaka. Les plus importants convois comptent jusqu’à cent véhicules : un tiers assurant la protection et deux tiers le fret des marchandises.

Le Tchad, un pilier qui s’effrite

Depuis leur engagement en 2013, jamais les Français n’ont été dans une position aussi délicate et explosive dans cette région en pleine mutation. Leur divorce d’avec Bamako en annonce-t-il d’autres ? Tout le monde y pense, beaucoup le craignent au sein de l’opération Barkhane. Les manifestations antifrançaises ne cessent de se multiplier dans le Sahel jusqu’au Tchad, le pilier historique sur lequel repose sa présence militaire.

Or, la base de ce pilier s’effrite elle-même depuis la mort d’Idriss Déby, l’homme que Paris a contribué à installer au pouvoir en 1990, tué sur le front en avril 2021. Elle vacille sous les coups répétés des mercenaires de la société russe Wagner, dont l’un des objectifs est de chasser la France de ce qui lui reste de son ancien « pré carré africain ».

Éviter un effet Saïgon et Kaboul

Les forces tricolores sont contraintes de s’adapter à la nouvelle donne géopolitique du Sahel avec un méta-objectif fixé par l’Élysée, jamais dit mais toujours présent à l’esprit : tout faire pour éviter l’effet Saïgon et, depuis le 15 août 2021, l’effet Kaboul. Autrement dit, pas de retrait catastrophique, comme ceux de l’armée américaine du Vietnam dans les années 1970 et, plus récemment, d’Afghanistan.

À bien écouter l’exécutif français, il n’envisage pas de quitter militairement le Sahel. Et encore moins l’Afrique de l’Ouest dans ce moment où la région paraît rongée par l’hydre djihadiste et mafieuse (narcotrafiquants, commerce illégal, trafic des humains). La doxa gaullienne est toujours en vigueur à l’Élysée : sans l’Afrique, la France perdrait son rang sur la scène internationale.

Rester donc, mais comment ? « Les gens n’imaginent pas à quel point nous avons l’intention de changer notre façon de faire, répond le général Laurent Michon, le commandant de Barkhane de passage à Niamey. Nous nous mettons en position de soutenir les différentes capitales africaines qui le souhaitent à travers la coopération et la formation, en y engageant 2 500 hommes.Et nous ouvrons la porte à tous les pays européens qui souhaitent s’engager dans ce soutien» Autrement dit, il ne s’agit plus d’être le fer de lance ni la tête de pont de la lutte anti-djihadiste, mais d’être, à l’image des Reaper pour Barkhane, les anges gardiens des forces africaines.

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94 sorties de drones Reaper en mai

La base aérienne projetée de l’opération Barkhane est située depuis 2013 à l’aéroport international Diori Hamani de Niamey, la capitale du Niger.

Les drones Reaper de la force Barkhane sont armés depuis 2019.

Pour le seul mois mai 2022, le détachement Reaper de la base de Niamey a assuré 94 sorties. Les avions de chasse ont effectué 110 sorties, et le détachement d’avions ravitailleurs et de transport, 316 sorties.

Lors de la dernière semaine de mai, les soldats de Barkhane ont tué une dizaine de djihadistes.

Côte d’Ivoire : Fidèle Sarassoro, l’homme de confiance du président

Directeur de cabinet du président Alassane Ouattara depuis cinq ans, Fidèle Sarassoro est une pièce centrale du dispositif présidentiel. Ce technocrate à la longue carrière onusienne, élu député en 2021 dans le nord du pays, est maintenant cité comme un potentiel successeur au chef de l’État.

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 2 juin 2022 à 14:55

 

Fidèle Sarassoro, directeur de cabinet du président Alassane Ouattara, le 16 février 2022. © LUDOVIC MARIN/AFP

 

Dans le mécanisme présidentiel ivoirien, il est un rouage central et essentiel. On le sait influent, il est aussi connu pour sa discrétion et son flegme. « Il n’a rien d’exubérant », résume un observateur politique. Fidèle Sarassoro, 62 ans, occupe depuis janvier 2017 le poste de directeur de cabinet d’Alassane Ouattara après avoir été pendant près de deux ans son conseiller spécial et chef de cabinet chargé de l’agenda présidentiel. « À ce degré de responsabilité, la discrétion est un critère important, voire une grande qualité », note un proche.

Lui le technocrate, l’homme de dossiers élevé au rang de ministre qui, dans une première vie a occupé de hautes fonctions à l’ONU, a aussi récemment endossé les habits d’élu de terrain, poussé dans ce sens par plusieurs cadres du nord du RHDP, le parti présidentiel, et encouragé par le chef de l’État. Chez lui, dans la région du Poro, à la frontière avec le Burkina Faso, il a été très confortablement élu député de la circonscription de Sinématiali lors des législatives de mars 2021, avec un score sans appel : plus de 99% des suffrages exprimés.

Une victoire facilitée par le retrait à son profit du député RHDP sortant, Souleymane Dogoni. « Avant d’être député, il faisait déjà beaucoup pour sa région natale. Il le fait désormais de manière officielle », estime une personnalité du Poro. Doyen des cadres de la région, son père, Hyacinthe Sarassoro, est une figure politique et intellectuelle majeure de Côte d’Ivoire, membre-fondateur du RDR et professeur de droit reconnu, qu’Alassane Ouattara avait nommé conseiller au Conseil constitutionnel en 2011, pour une durée de six ans.

« Une confiance absolue »

À cette époque, Fidèle Sarassoro est en mission en RDC, où il a été nommé représentant spécial adjoint des Nations unies. Alassane Ouattara a suivi la carrière de ce brillant étudiant, titulaire d’un doctorat en économie d’une université américaine et d’une licence en sciences économiques obtenue à Abidjan, qui avant la RDC était en poste en Éthiopie et au Togo comme coordonnateur résident de l’ONU et représentant de son programme de développement, le PNUD. « Déjà, à l’époque de la RDC, les deux hommes étaient en contact. Alassane Ouattara avait conscience de son très haut niveau de compétences, de la valeur de son expérience à l’ONU sur des terrains compliqués. Il appréciait son profil de pur technocrate, apolitique », explique une source.

Le chef de l’État lui propose de le rejoindre. Il lui confie la supervision de l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (ADDR) des ex-combattants de la crise politico-militaire. Une mission risquée : en juillet 2013, il réchappe à une attaque à main armée visant son convoi, entre les villes de Ferkessédougou et de Kong, pendant laquelle un des gendarmes de sa garde sera tué. Sa mission, achevée en 2015, sera globalement saluée. Cependant, la persistance de la circulation de milliers d’armes dans le pays, acquises du temps de la rébellion, et la découverte de plusieurs caches les années suivantes viendront ternir ce bilan.  « Il a accompli un travail remarquable, estime malgré tout un proche du chef de l’État. C’est quelqu’un de très apprécié. La confiance que lui accorde Alassane Ouattara est absolue. »

Cette confiance lui vaut de cumuler sa fonction de directeur de cabinet avec celle de secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité (CNS). Pendant la crise sanitaire, c’est à Fidèle Sarassoro qu’Alassane Ouattara confie l’exécution de son plan de riposte après s’être agacé de lenteurs dans différents ministères. Ces derniers auront ordre de transférer tous les contrats et commandes liés au Covid-19 au CNS. En étroite collaboration avec le ministre de la Défense et frère du président Téné Birahima Ouattara, Fidèle Sarassoro s’attèle aussi à la gestion du dossier sensible de la lutte contre le terrorisme.

Sur le terrain

Fin février, le néo-député a rejoint le directoire du RHDP, en septième position dans l’ordre protocolaire, lui qui jusque-là n’apparaissait nulle part dans l’organigramme du parti présidentiel. Il lui arrive d’échanger quelques balles de tennis avec le secrétaire exécutif de la formation, Adama Bictogo. Son nom avait un temps circulé pour occuper la vice-présidence. Alassane Ouattara a finalement choisi d’y placer Tiémoko Meyliet Koné, dont le profil n’est pas sans rappeler celui de Fidèle Sarassoro. Comme lui, il est originaire du Nord sénoufo (Ferkessédougou), jouit d’une solide formation d’économiste, présente un profil de technocrate et une réputation d’homme discret. Seule différence notable : les dix années qui les séparent. Tiémoko Meyliet Koné a 72 ans. Depuis le décès de l’ancien Premier ministre Amadou Gon Coulibaly en juillet 2020, originaire de Korhogo, le président ne cache pas son désir de faire émerger de nouvelles personnalités politiques issues du septentrion.

Depuis son élection, Fidèle Sarassoro multiplie les déplacements dans sa circonscription et affiche ses ambitions pour Sinématiali, qu’il promet à ses habitants de développer pour en faire « un centre de développement agricole, un centre culturel, un centre de formation et surtout un centre numérique ». Fin mai, il a parrainé l’un des événements culturels les plus importants de la région voisine du Tchologo. Après trois mois passés dans les bois sacrés, les jeunes hommes des villages retrouvent leurs foyers. La fin d’un parcours initiatique ancestral qui donne lieu à deux journées de festivités, en présence d’autorités locales et nationales. L’occasion, pour le parrain de cette édition 2022, d’une plaidoirie en faveur de la préservation et la promotion de la culture. « L’initiation nous apprend entre autres la discipline, l’honnêteté, la rigueur, les valeurs du travail bien fait, l’humilité et la solidarité », a-t-il lancé aux jeunes « initiés », comme un écho à son propre parcours.

Si son nom revient comme celui d’un potentiel successeur à Alassane Ouattara, à trois ans d’un nouveau scrutin présidentiel, rien n’est fait. « Ce que l’on peut dire pour le moment, c’est que c’est un cadre dynamique du Nord. L’avenir nous le dira », tempère un haut cadre. « Évidemment, le fait qu’il devienne député n’est pas anecdotique. Cela veut dire quelque chose. Mais quoi, et surtout quand ? », s’interroge un autre. Avant de faire remarquer : « la politique s’apprend en la pratiquant. Regardez Alassane Ouattara. »

À la Une: le Mali, un an après la prise de pouvoir d’Assimi Goïta

 

« Que retenir d’un an de gestion ? », s’interroge L’Alternance à Bamako. « Le Mali a célébré, mardi dernier, le premier anniversaire de la mise à l’écart de la première équipe de la transition dirigée par le président Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane. »

Eh bien un an après, tout va bien, estime le journal malien : « le colonel Assimi Goïta a marqué des points, malgré des conditions difficiles antérieures à son accession à Koulouba. (…) Il a consacré la libération du Mali vis-à-vis de la domination impérialiste. Il a fait de l’équipement de l’Armée une priorité. Il a œuvré pour la cohésion sociale et la paix en organisant les Assises Nationales de la Refondation. (…) En un an seulement, le bilan des colonels est satisfaisant, affirme encore L’Alternance, et il sera plus glorieux quand ils auront plus de temps. »

L’armée malienne au top ?

L’Aube, toujours à Bamako, insiste sur « la montée en puissance de l’armée malienne » : « Dans le domaine de la défense et de la sécurité, les nouvelles autorités se sont fixées pour objectifs fondamentaux la reconquête du territoire national avec l’intensification des opérations miliaires, notamment au centre du pays. L’équipement de l’armée, par la diversification du partenariat entre le Mali et d’autres pays, particulièrement la Russie, le recrutement massif au sein des différents corps, l’amélioration des conditions des hommes… ce sont là les priorités des nouvelles autorités. Objectif : reconquérir le territoire national et sécuriser les populations. »

Quelques ratés ?

Le Témoin , autre publication malienne, se permet quelques nuances… Si on note « une amélioration évidente au plan sécuritaire, due au changement drastique d’orientation en matière de coopération militaire, reste que bon nombre d’incertitudes demeurent, relève le journal malien. La lutte implacable contre la corruption et le népotisme du début du règne d’Assimi Goïta s’est décrédibilisée par la colonelisation à grande échelle de l’administration, les scandales liés à l’attribution des logements sociaux et de certains recrutements, etc. A ces déconvenues, poursuit Le Témoin, s’ajoutent celles en rapport avec la violation de la charte de la transition ainsi des procédures judiciaires controversées, notamment le cas très parlant de l’ex-feu Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Toutes choses qui prouvent que les questions de justice et d’équité sociale, de conformité à la légalité, de lutte contre la corruption, entre autres, ne viendront pas d’un coup de baguette magique ou par des discours démagogues et populistes mais plutôt par une sincère conjonction d’efforts entre gouvernants et gouvernés pour l’intérêt suprême de la patrie. »

Propagande ?

Voilà pour la presse malienne. Un discours de propagande ? Oui, largement, répond Le Pays au Burkina Faso.

« Toutes les voix discordantes ont été étouffées aujourd’hui à Bamako », affirme le quotidien burkinabé. Toutes, sauf une, peut-être, celle de l’imam Dicko : récemment, rapporte Le Pays, « le leader religieux n’a pas eu besoin de porter des gants pour qualifier publiquement d’ 'arrogantes' les autorités de la transition. Embouchant la même trompette, l’un de ses proches a martelé ceci : 'Nous avons constaté, ces derniers temps, l’installation d’une atmosphère défavorable à la liberté d’expression'. Il n’en fallait pas plus pour que les activistes aux ordres de la junte leur tombent dessus à bras raccourcis. Sur la toile en effet, le guide religieux a été traité de tous les noms d’oiseaux. »

Par ailleurs, les succès militaires annoncés par Bamako sont à relativiser… Plus de 800 cas de violations et atteintes aux droits de l’homme et au droit international humanitaire ont été recensées lors des trois premiers mois de cette année, selon un dernier rapport de la mission des Nations unies au Mali. C’est ce que détaille WakatSéra. Et le site burkinabé constate que l’armée malienne est particulièrement pointée du doigt.

Objectif : se maintenir au pouvoir ?

Enfin, ce point de vue de l’écrivain guinéen Tierno Monénembo publié dans Le Point Afrique : il met dans le même sac les dirigeants en treillis du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso… « Tout comme leurs prédécesseurs, ces putschistes ne visent qu’un seul but, écrit-il : régner le plus longtemps possible et dans les conditions les plus opaques. Je crains que nous ne soyons devant des dictatures militaires en gestation, s’exclame encore Tierno Monénembo, et qui, devenues bientôt pures et dures, feront encore pire que Bokassa et Mobutu réunis. D’évidence, ces gens ne sont pas pressés d’organiser des élections et aucun des arguments qu’ils soulèvent ne réussira à convaincre. »

Mali : un projet de loi électorale et déjà des tensions

Des consultations sont menées par le Conseil national de transition (CNT) au sujet d’un projet de loi électorale. Plusieurs points suscitent déjà des crispations.

Mis à jour le 30 mai 2022 à 15:36
 

 

Les Maliens se sont rendus aux urnes le 29 mars 2020 pour des élections législatives. © MICHELE CATTANI/AFP

 

« La majorité des acteurs politiques et de la société civile souhaite que l’Autorité indépendante de gestion des élections proclame les résultats définitifs. Voilà le genre de réforme dont on a besoin ». Samedi 21 mai, la Mission d’observation des élections au Mali (Modele-Mali) a réuni la presse à Bamako pour faire part de ses observations sur le projet de loi électorale et saluer ce qu’elle considère comme étant des avancées.

Mise en place par la Synergie 22, un coalition d’organisations de la société civile, cette mission a pris part aux consultations menées le 12 mai par le Conseil national de transition (CNT) à ce sujet. Elle réclame l’adoption d’une « loi électorale réaliste » pour conjurer les vieux démons des crises post-électorales.

Méfiance

« Aucun Malien ne connait le contenu du chronogramme de 24 mois proposé [par les autorités maliennes] à la Cedeao », déplore Ibrahima Sangho, le chef de la mission. Des mots révélateurs de la méfiance qui s’est installée entre les acteurs politiques, la société civile et le pouvoir malien au sujet de l’organisation des prochaines élections. Prévues officiellement en février 2022, les scrutins présidentiel et législatif n’ont pas eu lieu, et la transition a été prorogée pour une durée de cinq ans maximum à l’issue des Assises nationales de la refondation (ANR) en décembre dernier.

Une décision qui a renforcé l’ire de la Cedeao qui a infligé des sanctions économiques et financières au Mali en janvier. Mais un compromis pourrait enfin se dégager lors d’un nouveau sommet extraordinaire de l’organisation sous-régionale qui doit se tenir début juin.

Autorité indépendante

Parmi les conditions à réunir pour organiser des élections, les acteurs maliens sont unanimes sur un point : la nécessité de réformer le système électoral. Pour ce faire, un projet de loi a été initié par la ministre déléguée en charge des réformes politiques et institutionnelles, Fatoumata Sékou Dicko et déposé sur la table du Conseil national de transition (CNT). Depuis avril, la commission des lois de cet organe législatif mène des consultations afin d’obtenir un consensus sur la réforme à mener.

Selon le professeur de droit public Souleymane De qui préside la commission, « plus de 200 entités ont été écoutées par le CNT, avec en moyenne 7 à 8 entités par jour, alors qu’on visait au début 40 ». « Nous écoutons tous les acteurs pour les rassurer, prendre en compte leurs préoccupations. Si le texte présente des insuffisances notoires qui ne peuvent être corrigées par la commission, on le renvoie au gouvernement. Pour l’instant, nous sommes dans la dynamique d’un texte consensuel », ajoute-t-il.

Le document à l’étude contient entre autres la possibilité du vote électronique, le renforcement de la représentation des femmes, l’instauration du mode de scrutin proportionnel, la prise en compte des Maliens de l’extérieur ou encore le plafonnement et le contrôle des dépenses de campagne. Mais la plus importante réside en la mise en place d’une « Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE). »

Cet organe, dont la création est au cœur du débat sur les élections depuis la présidence d’Amadou Toumani Touré [2002-2012], devrait être chargé d’organiser les élections et de proclamer les résultats provisoires. Un rôle-clé qui concentre les attentions… et les crispations.

Interrogations…

Au sein de la classe politique, réunie notamment dans le Cadre des regroupements et partis politiques, des voix s’élèvent pour dénoncer un projet qui n’est pas consensuel.  Le Cadre remet en cause l’indépendance de la commission en charge de choisir les membres de l’organe délibérant de l’Autorité indépendante : « Cette commission sera composée de sept membres dont quatre seraient désignés par le Premier ministre et trois par le président du CNT. Si Choguel Maïga est toujours Premier ministre, ses représentants auront donc la majorité absolue. Les partis politiques s’interrogent en outre sur la mise en place du vote électronique, un choix jugé « hasardeux » pour Amadou Aya, « dans un pays en crise, où il n’y a pas de réseau partout ».

… et réticences

Du côté de la Mission d’observation électorale au Mali, c’est la répartition des tâches qui interroge. Elle souhaite que la Cour constitutionnelle soit dépossédée de la proclamation des résultats définitifs, alors que cela fut l’un des éléments déclencheurs du coup d’État du 18 août 2020.  « Il faut régler ce problème définitivement, afin qu’elle n’apparaisse plus comme juge et partie », estime Ibrahima Sangho. Plus généralement, beaucoup s’inquiètent du manque de dialogue en amont d’une loi aussi capitale.

Au Conseil national de transition (CNT), les auditions sur le projet ont pris fin le vendredi 27 mai, selon la commission loi. Son président, Souleymane De, annonce que la prochaine étape consistera à « aller à la rencontre des Maliens sur le terrain pour des auditions citoyennes qui permettront de  proposer un texte fédérateur». « L’enjeu c’est d’avoir une loi pour éviter à notre pays de tomber dans ses anciens travers. On est en train de prendre en compte ces inquiétudes tant sur le plan scientifique que politique. » Nul ne sait pour l’instant combien de temps prendra ce processus.

L’EIGS, branche sahélienne du groupe État islamique, se renforce dans le nord-est du Mali

 

Depuis début mars, la branche sahélienne du groupe État islamique mène des attaques dans la région de Ménaka, où plusieurs centaines de civils ont été tués et plusieurs milliers ont été contraints de fuir.

Au Mali, l’EIGS renforce ses positions dans le nord-est. Plusieurs attaques ont causé la mort de centaines de civils depuis le début du mois dernier. Et le nombre de déplacés atteint les plusieurs milliers. Ils fuient notamment vers Gao ou Kidal mais aussi de l’autre côté de la frontière nigérienne. Ils ont été accueillis dans de vastes camps de déplacés.

Dans cette région, l’EIGS affronte les jihadistes rivaux du Jnim, liés à al-Qaïda, mais aussi des groupes armés maliens signataires de l’accord de paix de 2015, à savoir le MSA et le Gatia, qui tentent de protéger les populations.

Cette percée de la branche sahélienne de l’État islamique est à mettre en contexte avec le retrait du Mali de l’armée française et la fin de l’opération Barkhane. « Il faut rappeler aussi que le Jnim [Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans] a également multiplié les attaques récemment. Donc, l’attaque de l'État islamique au Grand Sahara [EIGS] va se passer dans cette perspective, c’est-à-dire que chacun maintenant cherche à renforcer ses positions », explique Djallil Lounnas est professeur associé de relations internationales à l'université al-Akhawayn, au Maroc. Il est l'auteur de l'ouvrage Le jihad en Afrique du Nord et au Sahel : d’Aqmi à Daech.

« L’État islamique veut jouer un rôle au Mali »

Ces derniers jours, l’EIGS a mené de nouvelles offensives dans les localités d’Emis-Emis et d’Inekar par exemple. Là encore des sources locales rapportent des dizaines de civils tués. « L’État islamique veut jouer un rôle au Mali et renforce ses positions dans les zones de Ménaka », détaille le spécialiste qui rappelle que le groupe détient une arrière base au Niger.

Le groupe jihadiste peut-il s’implanter durablement à Ménaka ? Après la mort de Walid al-Sahrawi et les multiples opérations de Barkhane contre l’EI qui avait mené à la mort de plusieurs dizaines de ses combattants, notamment de son chef, l’armée française a annoncé que l’État islamique était considérablement affaibli. « En réalité, l’EIGS s’est renforcé et il envoie un message à tout le monde : non seulement on est là, mais on est fort », estime de son côté M. Lounnas.

Et si l’EIGS trouve face à lui les jihadistes rivaux du Jnim, les groupes armés signataires de l’accord de paix, l’armée malienne est silencieuse. « Vous remarquez le silence de Bamako. Tout le monde en parle. Par contre, il n’y a eu aucune réaction de Bamako. Ça dure depuis longtemps. Ça fait partie du Mali, donc normalement, ils devraient être là-bas », conclut l’expert.