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Mines : projets, transactions, technologies… Qu’attendre de 2023 ?

Un nouveau pacte d’actionnaires pour le Simandou, de la cryptomonnaie pour sécuriser les transactions autour de l’uranium de Namibie, l’accélération de l’exploitation des ressources algériennes… Jeune Afrique passe en revue les grands sujets miniers de 2023.

Mis à jour le 25 janvier 2023 à 08:39
 

 

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Dans la mine de Mufulira, opérée par Mopani Copper Mines Plc, en Zambie. © Zinyange Auntony/Bloomberg via Getty Images.

 

Cuivre, lithium, graphite, cobalt… La transition énergétique mondiale a entraîné une augmentation des besoins en minerais. Or, si l’Afrique possède, selon les estimations, 30 % des réserves minérales mondiales, de nombreuses régions restent sous-explorées. Même le cuivre, pour lequel les perspectives à court terme sont mitigées en raison du ralentissement de l’économie mondiale, devrait renouer avec des perspectives solides à moyen terme : la transition énergétique induira 50 % de la croissance de la demande mondiale du minerai au cours des cinq prochaines années, notamment pour l’énergie éolienne et l’amélioration des réseaux nationaux africains, selon les analystes de Fitch Ratings.

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L’or, quant à lui, conserve son rang de valeur refuge, et son exploitation reste particulièrement attractive. L’exploration, en revanche, est devenue beaucoup plus précaire, les grandes sociétés minières ayant de plus en plus tendance à confier les travaux à de petites sociétés extérieures, ce qui augmente les risques, déjà considérables, pour les investisseurs. Les exploitants doivent avoir le courage de se retirer rapidement d’une licence si elle ne fonctionne pas, juge Tim Livesey, directeur général de la société d’exploration aurifère Oriole Resources, active notamment au Cameroun. « Trop de petits projets d’exploration ne réussiront jamais vraiment, mais ils continuent à dépenser parce que c’est plus facile que d’assumer son échec », assure-t-il.

• Carburants lourds et énergie solaire pour la plus grande mine d’or de Guinée

L’or est au cœur des ambitions d’Andrew Pardey, directeur général de Predictive Discovery, qui compte soumettre une étude d’opportunité au gouvernement guinéen d’ici à la fin de 2023, ce qui permettrait à l’entreprise de demander un permis d’exploitation minière pour son projet d’extraction d’or à Bankan, dans le bassin de Siguiri, la région la moins explorée de la ceinture de roches vertes birmiennes (riches en minerai) d’Afrique de l’Ouest. Les réserves y sont estimées à 4,2 millions d’onces. Des chiffres qui reposent en grande partie sur des mines à ciel ouvert doivent être réévalués d’ici au début de février, précise Andrew Pardey, lequel argue que les forages souterrains devraient permettre de revoir à la hausse les estimations, faisant de Bankan la plus grande mine d’or de Guinée et l’une des plus importantes en Afrique de l’Ouest.

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Pour Predictive Discovery, coté en Bourse en Australie et qui compte BlackRock parmi ses investisseurs, se posera aussi la question de l’énergie. Selon Andrew Pardey, la solution la plus probable sera une combinaison de diesel et de carburants lourds, avec un peu d’énergie solaire. Le manque de puissance des batteries solaires signifie que le diesel et les carburants lourds continuent de dominer en Afrique de l’Ouest, estime en effet Andrew Pardey, anciennement PDG de Centamin, exploitant de la seule mine d’or d’Égypte. « Un camion sur deux roule au diesel ou au carburant lourd », constate-t-il, ajoutant que « le solaire ne fonctionne que lorsque le soleil brille ».

• Un nouveau pacte d’actionnaires pour le fer du Simandou

Le 22 décembre 2022, toutes les parties prenantes au mégaprojet guinéen de Simandou étaient réunies à Conakry pour faire un pas, peut-être décisif, vers l’exploitation du gisement de fer que la Guinée espère lancer depuis plus d’un quart de siècle.

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À l’issue de plusieurs mois de travail, l’anglo-australien Rio Tinto et le chinois Winning International Group ont acté avec les autorités guinéennes l’arrivée dans le projet d’un nouvel actionnaire, le chinois Baowu Steel.S’il semble acquis que ce dernier rachète la majorité des blocs détenus par Winning Consortium Simandou (qui réunit Winning, China Hongqiao Group et UMS) et entre au capital de la Compagnie du Transguinéen (CTG, codétenue par WCS, Rio Tinto et l’État guinéen), le détail des prises de participations n’a pas encore été donné. Et pour cause : selon une source de Jeune Afrique impliquée dans ce dossier, les discussions se poursuivent pour définir le pacte d’actionnaires, qui ne devrait pas être arrêté avant plusieurs mois. Selon les termes du contrat signé par le représentant de Baowu Steel, Gongyang Jiang, qui a obtenu l’aval de Pékin, le groupe chinois s’est notamment engagé avec ses nouveaux partenaires à apporter les 15 milliards de dollars de financement nécessaires à la construction d’un chemin de fer de 657 km, ainsi qu’à celle d’un port en eau profonde.


>>> À lire sur Africa Business+ : Baowu Steel prend 51 % de Simandou (blocs 1&2) et 21 % des infrastructures avec Thiam & Associés et Hogan Lovells comme conseils <<<


Totalement enlisé, le projet Simandou a redémarré après l’obligation, faite le 25 mars 2022 par le colonel Mamadi Doumbouya, chef de la junte guinéenne, à Rio Tinto et WCS d’unir leurs efforts pour financer les infrastructures indispensables à l’évacuation du minerai. Dans le même temps, Conakry avait imposé aux groupes miniers de détenir une part gratuite de 15 % dans CTG, finalement créé le 27 juillet.

L’exploitation du gisement, qui contient 8 milliards de tonnes de fer, pourrait démarrer en 2025, selon le calendrier du gouvernement guinée, et représenterait plus de 8 % de la production mondiale de ce minerai pendant plusieurs décennies.

• Technologie CIL pour la mine d’or de Séguéla, en Côte d’Ivoire

En attendant sa convention minière, le canadien Fortuna Silver Mines, qui a acquis en 2021 son compatriote Roxgold, se prépare à démarrer dès cette année la production de sa mine d’or de Séguéla, dans le nordest de la Côte d’Ivoire. Cette dernière devrait être opérationnelle mi-2023 et atteindre sa pleine puissance au cours du troisième trimestre. Selon les premières études, la société minière produira 133 000 onces d’or par an pendant les six premières années, et devrait rester active durant huit ans et demi, le temps d’exploiter un peu plus de 1 million d’onces.

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Les travaux de construction de l’usine se poursuivent sur le site, où Fortuna Silver a déclaré investir plus de 173,5 millions de dollars. Pour l’extraction de l’or, l’entreprise a annoncé son intention de déployer le procédé de carbone en lixiviat (CIL, pour carbon in leach), qu’elle assure être plus protecteur pour 146 l’environnement que la méthode traditionnelle, car elle évite un contact direct entre le cyanure et le sol.

• Accélération de la mise en valeur du potentiel algérien

En Algérie, on suivra notamment le mégaprojet de la mine de fer Gara Djebilet (Tindouf), relancé en 2022, qui permettra la production de 2 à 3 millions de tonnes de minerai de fer dans une première phase puis de 40 à 50 millions de tonnes par an à partir de 2026. Le pays attend également beaucoup du Projet de phosphate intégré (PPI) de Tebessa. Fruit d’un investissement de près de 7 milliards de dollars, ce projet doit permettre au pays de devenir l’un des principaux exportateurs d’engrais et de fertilisants, avec une production annuelle prévisionnelle de plus de 6 millions de tonnes de produits phosphatés.

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Cette année devrait également voir l’entrée en exploitation du gisement de zinc et de plomb de Oued Amizour (Béjaïa), dont le potentiel minier exploitable est estimé à 34 millions de tonnes, pour une production annuelle de 170 000 tonnes de concentré de zinc. Outre les gisements aurifères du Hoggar, de nombreux projets miniers sont en cours de lancement : bentonite à Hammam Bougrara (Tlemcen), dolomite à Teioualt (Oum El Bouaghi), carbonate de calcium et diatomite à Sig (Mascara), feldspath à Aïn Barbar (Annaba) et baryte à Koudia Safia (Médéa).

Terres rares, fer, potasse, nickel, cuivre, vanadium, lithium, or, diamants… Selon Ali Kefaifi, directeur du complexe pétrochimique de Skikda, et conseiller et directeur stratégie au ministère de l’Énergie sur le dossier pétrole et mines, l’Algérie dispose d’un potentiel exceptionnel, estimé entre 10 % et 20 % des ressources minières mondiales. Des ressources confirmées notamment grâce à des technologies modernes comme la télédétection, l’intelligence artificielle (IA), la modélisation et le calcul économique, assure l’expert, régulièrement cité par la presse algérienne.

• Négociations fiscales entre Rio Tinto et l’État malgache

QMM, filiale de Rio Tinto qui produit de l’ilménite, et l’État malgache doivent renégocier leur convention fiscale avant la fin de février, sous peine de revenir à la fiscalité du code minier, moins avantageuse – et qui pourrait encore augmenter, selon une version intermédiaire d’un nouveau texte de loi.

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Ces négociations se déroulent sur fond de conflit social. En décembre 2022, des riverains ont bloqué la route vers la mine. Ils réclament plus d’indemnisations foncières. QMM a déclaré la « force majeure » le 13 décembre, et a baissé sa production électrique pour la grande ville voisine de FortDauphin (Tôlanaro), avant qu’un accord de sortie de crise temporaire soit trouvé, le 18.

L’entreprise, dont le projet approche le milliard de dollars d’investissements, comprend un port et une centrale électrique et génère environ 2 000 emplois, a déjà affronté des manifestations de quelques centaines de personnes en 2022, ainsi qu’en novembre 2021 et en 2018. Mais il est impossible de savoir quelle part de la population soutient ces mouvements.

• En RDC, des attentes dans le cuivre-cobalt et le zinc

Sont notamment attendues par Kinshasa, l’accélération de la production du projet Kamoa-Kakula et le lancement du projet cuivre-cobalt de Kisanfu (KGM), développé par China Molybdenum (CMOC), le grand actionnaire chinois de Tenke Fungurume Mining (TFM). Se prépare aussi la remise en service de la production du gisement de zinc de Kipushi, coentreprise du canadien Ivanhoe Mines et de la Gécamines, après trente ans d’arrêt.

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• First Quantum de nouveau à l’offensive en Zambie

Après plusieurs années difficiles entre les autorités zambiennes et les miniers, l’arrivée du président Hakainde Hichilema, élu en août 2021, a été un soulagement pour les industriels du secteur. Au point que Tristan Pascall, directeur général depuis mai 2022 de First Quantum Minerals, le plus grand producteur de cuivre du pays, se dit prêt à demander de nouvelles licences d’exploration.

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La société a ainsi annoncé un projet d’expansion de 1,25 milliard de dollars pour sa mine de Kansanshi, qui produit plus de cuivre que tout autre site africain. First Quantum exploite également la mine de cuivre à ciel ouvert Sentinel, à 150 km à l’ouest de Solwezi, dans la province du NordOuest, et le gisement de sulfure de nickel Enterprise à 12 km de là, ce qui lui permet de mutualiser les infrastructures. Enterprise, qui doit commencer à produire du nickel en ce début d’année, est voué à devenir la plus grande mine d’Afrique de ce minerai, avec un potentiel de production annuelle de plus de 30 000 tonnes. De quoi inscrire la société canadienne, déjà sixième producteur mondial de cuivre (816 000 tonnes en 2021), parmi les dix premiers producteurs mondiaux de nickel.

• En Éthiopie, une première depuis 1994

La production à Segele, dans le sud-ouest de l’Éthiopie, près de la frontière avec le Soudan du Sud, commencera au premier trimestre de cette année, a confié à Jeune Afrique et à The Africa Report Jørgen Evjen, directeur général du norvégien Akobo Minerals, qui a mené les travaux d’exploration. Ce sera la première fois depuis 1994 qu’un nouveau gisement est exploité en Éthiopie.

Les ressources minérales sont estimées à 41 000 onces d’or. Présent dans le pays depuis 2010 et sur un permis d’exploration qui couvre 182 km2, Akobo compte utiliser les liquidités générées par la future production pour poursuivre l’exploration, dans l’or et éventuellement dans d’autres minéraux. L’Éthiopie souhaite attirer des entreprises étrangères pour lancer des projets d’exploration de ses ressources : l’or, qui domine l’industrie – le minerai a généré 560 millions de dollars en exportations au cours de l’année fiscale qui s’est terminée le 7 juillet 2022 –, mais aussi la potasse et le tantale. Le gouvernement offre notamment des incitations fiscales dans l’objectif de faire passer la contribution de l’industrie minière au PIB d’un taux pré-Covid de 3 % à 10 % d’ici à 2030.

• De la crypto pour l’uranium de Namibie

Madison Metals, coté en Bourse au Canada, a conclu en septembre 2022 un accord inédit de fourniture exclusive d’oxyde d’uranium U308 pour cinq ans avec l’opérateur blockchain Lux Partners, par lequel il s’engage à livrer jusqu’à 20 millions de livres de minerai provenant de ses gisements en Namibie en échange de jetons non fongibles (NFT), mis à disposition sur toutes les principales blockchains.

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Son PDG, Duane Parnham, espère tirer de leur vente « un financement à un prix supérieur aux évaluations de la société par les analystes ». Contrairement aux autres matières premières, l’uranium ne s’échange pas sur un marché ouvert, mais les prix sont négociés directement. Les NFT peuvent donc créer une plus grande transparence du marché, estime Parnham.

Face à Macky Sall, Ousmane Sonko prêt au combat

L’opposant a défié le chef de l’État sénégalais lors d’un meeting tenu à Keur Massar ce 22 janvier. Plus tôt dans la semaine, son dossier pour viols avait été renvoyé devant un tribunal criminel.

Par  - à Dakar
Mis à jour le 23 janvier 2023 à 14:47
 
 
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Ousmane Sonko à Keur Massar, le 22 janvier 2023. © Twitter Ousmane Sonko

 

Ousmane Sonko avait annoncé la couleur, dès le lendemain de la décision du juge qui avait renvoyé son dossier judiciaire devant une chambre criminelle, le 17 janvier : il entrait en « résistance ». C’est donc tout naturellement vêtu d’un treillis militaire qu’il a tenu, dimanche 22 janvier, son « méga-meeting » dans la banlieue dakaroise de Keur Massar, déjà rebaptisée Keur Sonko » (« maison Sonko ») par ses partisans.

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Écharpe aux couleurs du Sénégal sur les épaules, le leader de l’opposition s’est exprimé à 20 heures, en présence d’une foule nombreuse. Et quand le courant électrique a été coupé dans la zone − un acte de « sabotage », ont accusé ses soutiens -, ces derniers ont éclairé la scène avec leurs téléphones portables, donnant au rassemblement un air étrange de concert.

Face à la foule, Ousmane Sonko est revenu sur l’affaire qui tient le Sénégal en haleine depuis bientôt deux ans et qui pourrait se solder par un procès en pleine année électorale. Comme à son habitude, il a réaffirmé que la plainte pour viols déposée contre lui en février 2021 faisait partie d’un complot destiné à l’écarter du jeu politique, en amont du scrutin présidentiel de février 2024.

Rompant avec la posture d’apaisement qui avait été la sienne lors de son audition par le juge d’instruction, en novembre dernier, il a livré un discours particulièrement virulent et prévenu qu’il ne se rendrait pas au procès. « Nous avons atteint le terminus. J’ai fini de rédiger mon testament », a lancé l’opposant, enjoignant ses soutiens de se « tenir prêts », où qu’ils se trouvent. « Ce qui se passe ne peut plus continuer. Si cela continue, Macky Sall nous tuera ou nous le tuerons, a-t-il ajouté dans un style très offensif. Rien ni personne ne peut empêcher le peuple sénégalais de marcher vers sa destinée et sa souveraineté. »

Vers un procès ?

Le 17 janvier, le juge chargé de l’instruction de son dossier pour « viols et menaces de mort » a renvoyé l’affaire qui l’oppose à Adji Sarr, ex-employée d’un salon de massage dakarois, devant un tribunal criminel, ouvrant la voie à un procès. Toujours sous contrôle judiciaire, Ousmane Sonko a annoncé qu’il allait malgré tout reprendre sa tournée électorale, débutée en octobre dernier. « Le seul candidat du Pastef pour 2024, c’est Ousmane Sonko », a-t-il insisté.

Quelques jours auparavant, dans une déclaration qu’il avait pris soin de débuter en français, l’opposant avait cité ceux qu’il estime être les artisans de ce complot, en particulier l’ancien procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, et le juge d’instruction Oumar Maham Diallo. Il a accusé ce dernier d’avoir « mis à l’écart » le rapport de gendarmerie rédigé après le dépôt de plainte d’Adji Sarr, le 2 février 2021, mais aussi de l’avoir « délibérément compromis » et d’en avoir « retranché des passages à décharge ». « Le PV qui a servi à instruire le dossier est un faux », a assené le président du Pastef.

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Il a fait appel à son « droit légitime et constitutionnel à la résistance », un concept qu’il avait utilisé en mars 2021, avant de répondre pour la première fois à la convocation du juge d’instruction. Ce jour-là, il avait été arrêté pour « troubles à l’ordre public » et l’épisode avait entraîné plusieurs jours de violences au Sénégal, faisant au moins quatorze morts.

Refus de test ADN

Le 17 janvier, le juge d’instruction a donc décidé de suivre les recommandations du procureur de la République. Dans son réquisitoire du 9 janvier 2022, consulté par JA, le parquet estime en effet que « malgré la précision et la constance des déclarations de Adji Sarr, Ousmane Sonko se borne à adopter un silence éloquent sur les questions liées aux circonstances des viols » et que « le silence adopté par l’inculpé ne fait qu’accréditer les accusations de la victime ».

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Le procureur a notamment insisté sur le refus d’Ousmane Sonko de comparer son ADN à celui du sperme trouvé lors du prélèvement sur la victime, qui « sonne comme un aveu de culpabilité », selon le procureur. Le réquisitoire estime que l’opposant a fait preuve, lors de sa confrontation avec Adji Sarr le 6 décembre 2021, d’un « silence coupable […] sur des questions qui auraient pu le mettre hors de cause si tant est qu’il était innocent ».

L’opposant, qui dit n’avoir aucune confiance en la justice, refuse catégoriquement de se soumettre à un test ADN et de se prononcer sur la nature de ses relations avec Adji Sarr. Son entourage dénonce un dossier « vide » et insiste sur le fait que différents témoignages à décharge n’auraient pas été pris en compte par le juge, comme celui du médecin qui a reçu Adji Sarr et qui a affirmé avoir été menacé.

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L’avocat de cette dernière, El Hadj Diouf, a quant à lui réclamé la retransmission du procès en direct  à la télévision. « Personne n’est plus pressé qu’Adji Sarr de voir cette affaire déboucher sur un procès », avait-il déjà déclaré par le passé. La date du procès devrait être fixée par le parquet, mais l’entourage de Sonko s’attend à ce que cela soit rapide.

« La période des parrainages débutera à partir de fin juin. Ils savent que plus le temps passe, plus les candidats sont intouchables. Ils accélèrent pour anticiper le combat », accuse l’un de ses proches, qui assure lui aussi que Ousmane Sonko participera « coûte que coûte » au scrutin de 2024. « S’il est vivant, il n’y aura aucun moyen de l’en empêcher. »

Ouattara, Bédié, Gbagbo : leurs plans secrets pour la présidentielle de 2025

Les élections régionales et municipales se tiendront à la fin de l’année en Côte d’Ivoire. Un test grandeur nature pour les principaux partis politiques et leurs leaders, qui ont déjà tous la prochaine présidentielle en tête.

Mis à jour le 19 janvier 2023 à 13:08
 
 
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Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. © Montage JA ; AFP ; Twitter

 

 

« L’année 2023 sera marquée par la tenue, aux mois d’octobre et de novembre, des élections locales, c’est-à-dire régionales et municipales, les dernières ayant eu lieu en octobre 2018 et le mandat des conseillers régionaux et municipaux étant de cinq ans. » Le 5 janvier, devant le corps diplomatique accrédité en Côte d’Ivoire rassemblé pour la cérémonie des vœux organisée à la présidence, le chef de l’État, Alassane Ouattara (ADO), a résumé en peu de mots le principal enjeu politique des douze mois à venir. Auquel on peut ajouter celui des sénatoriales, qui devraient se dérouler début 2024.

Année charnière donc, tant pour le parti au pouvoir que pour l’opposition, et dernier grand test électoral avant la présidentielle de 2025, à laquelle tout le monde pense déjà. De l’issue de ces scrutins réputés mineurs dépendra beaucoup plus qu’on ne peut l’imaginer.

Ouattara tient les rênes du RHDP…

Du côté du président et de sa formation, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), l’heure est à la grande offensive. Objectif : prendre de l’avance sur la concurrence et occuper le terrain le plus longtemps possible. Tous les barons du parti sont déjà mobilisés pour remporter les 201 communes ou les 31 régions du pays. Le Premier ministre, Patrick Achi, tentera de se faire réélire à la tête du conseil régional de la Mé (Sud-Ouest). Dans son sillage, plusieurs autres ministres seront candidats : Fidèle Sarrasoro (ministre directeur de cabinet d’ADO) brigue la région du Poro (Nord), Anne Désirée Ouloto (ministre de la Fonction publique) le Cavally (Ouest), Kobenan Kouassi Adjoumani (Agriculture) le Gontougo (Nord-Est), Mamadou Touré (Promotion de la jeunesse) le Haut-Sassandra (Centre-Ouest), Bruno Koné (Logement) la Bagoué (Nord), Amédée Kouakou (Équipement) le Lôh-Djiboua (Centre)…

Pour les municipales, idem. Adama Bictogo, le président de l’Assemblée nationale, se lance à l’assaut de la commune abidjanaise, réputée pro-Gbagbo, de Yopougon – pas franchement une sinécure. Kandia Camara, la ministre des Affaires étrangères, entend être reconduite à Abobo, glanée auparavant par feu Hamed Bakayoko. Amadou Koné (Transports) vise Bouaké, Souleymane Diarrassouba (Commerce) se lance sur les terres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) à Yamoussoukro, et Laurent Bogui Tchagba (Eaux et Forêts) à Marcory. Sans oublier l’homme d’affaires proche du couple présidentiel, Fabrice Sawegnon au Plateau, et le conseiller du chef de l’État Lacina Ouattara à Korhogo, ou encore son directeur du protocole Éric Taba à Cocody.

NE LAISSER QUE DES MIETTES À L’OPPOSITION

Depuis de longs mois maintenant, Alassane Ouattara s’attelle à mettre en place un parti fort, stable et incontestable qui ne laisserait que des miettes à son opposition. « Le président a repris personnellement et très directement les rênes du RHDP, a consacré l’essentiel de son énergie à constituer méticuleusement ce puzzle, pièce par pièce, explique un de ses visiteurs du soir. Cela a commencé par la tête, le directoire, puis les candidatures sur les listes aux locales et régionales. Il a tout supervisé, a mis la main à la pâte pour arbitrer, expliquer, calmer les déçus. »

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Cette implication est à la fois voulue et subie. Car autour de lui, il n’y a plus les pivots d’antan. Ses deux plus proches collaborateurs sur le plan politique, au Rassemblement des républicains (RDR) hier, puis au RHDP aujourd’hui, Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko, ne sont plus de ce monde et ont laissé un vide immense. Et si Gilbert Koné Kafana, ministre d’État et numéro deux du RHDP, a pris du galon, si ADO a nommé un vice-président pour remplacer Daniel Kablan Duncan, en la personne de l’ancien gouverneur de la Beceao, Tiémoko Meyliet Koné, et si, enfin, Patrick Achi donne entière satisfaction à la tête du gouvernement, rien ne sera plus comme avant. On ne remplace pas le « Lion de Korhogo » et « Hambak » facilement…

Au sein du parti, tout le monde sait qu’il a intérêt à répondre aux attentes du chef de l’État, que ce dernier observe méticuleusement les performances des uns et des autres et que cela influera sur l’échéance présidentielle de 2025, qu’il décide de rempiler ou de désigner un successeur – ou plutôt une équipe amenée à prendre sa suite, tant l’ampleur de la tâche semble insurmontable pour un seul homme. Malheur à celui ou celle qui ne gagnera pas son élection.

… et Bédié celles du PDCI

Du côté de l’opposition, la situation est moins claire. Dans les rangs du PDCI d’Henri Konan Bédié (HKB), d’abord. Après l’ubuesque annulation du congrès extraordinaire qui devait se dérouler le 14 décembre, une semaine seulement avant l’événement, et les communiqués contradictoires annonçant ou infirmant son report dans la même journée, c’est peu dire que le flou artistique règne. Ce congrès, dont personne ne sait précisément quand il se tiendra, devait surtout servir à mettre les textes du parti en conformité avec ses règlements et à asseoir la légitimité du “Sphinx de Daoukro”.

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Depuis la présidentielle de 2020 boycottée par l’ensemble de l’opposition, le parti dirigé par Henri Konan Bédié est en proie à des luttes intestines, entre rivalités de personnes – notamment Maurice Kakou Guikaoué et Niamien N’Goran, tous deux très proches de HKB – et désaccords sur la stratégie à adopter en vue des prochaines échéances électorales : les locales de 2023 et surtout, la présidentielle de 2025.

IL S’AGIT DE RÉINVENTER LE PARTI

« Tout cela est le signe d’une fin de cycle, explique un de ses cadres influents. Bédié a repris en main le parti qui a longtemps été géré au quotidien par d’autres. Mais il ne peut aller plus loin. Contrairement à ce que certains pensent, il se préoccupe de l’avenir. Sans doute compte-t-il présenter un autre candidat que lui en 2025 tout en restant le patron du PDCI. Ce peut être Jean-Louis Billon, Tidjane Thiam, Niamien N’Goran ou un autre : peu importe, car notre principal défi n’est pas là. Nous devons retrouver nos racines, c’est-à-dire enfin nous préoccuper du bien-être des Ivoiriens, proposer des idées nouvelles, parvenir à nous déployer dans tout le pays ce qui n’est plus le cas. Bref, il ne s’agit pas de faire renaître notre parti, mais de le réinventer ! » Une gageure, tant le débat se cristallise aujourd’hui sur les personnes, et non sur le fond. Quant à la question de la succession de Bédié, elle n’est toujours pas d’actualité.

Gbagbo discret

Chez Laurent Gbagbo, l’heure n’est guère plus à la sérénité. Un peu plus d’un an après le lancement du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), le souffle porteur du renouveau et de l’ambition de l’époque est quelque peu retombé. Depuis son retour à Abidjan le 17 juin 2021 – quelques mois après son acquittement définitif par la Cour pénale internationale (CPI) où il était jugé pour crimes contre l’humanité –, et alors que de très nombreux militants en transe l’avaient accueilli à l’aéroport, Laurent Gbagbo a fait beaucoup moins de sorties publiques qu’escompté. On ne l’entend guère, on le voit encore moins. Y compris, d’ailleurs, pour certains cadres qui ont œuvré à son retour, dont beaucoup se plaignent de la difficulté à trouver leur place, que ce soit dans le parti ou auprès de l’ancien président qu’ils disent corseté par sa seconde épouse, Nady Bamba, et son entourage.

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Le positionnement idéologique, lui, n’est plus très clair. Le champ de compétences des différentes structures mises en place non plus : Assoa Adou, un vieux de la vieille de l’entourage du « camarade Laurent », a été nommé président du mystérieux Conseil stratégique et politique (CSP), épaulé par Sébastien Dano Djédjé et le porte-parole du parti, Justin Koné Katinan. Il semble marcher sur les plates-bandes de la direction exécutive confiée à Hubert Oulaye, qui serait elle-même parfois en conflit avec le secrétariat général, attribué à Damana Pickass.

L’inconnue 2025

Pas simple, d’autant que la concurrence directe, à force de scissions, joue son va-tout. Simone Gbagbo a lancé son propre parti, le Mouvement des générations capables (MGC) ; Pascal Affi Nguessan, qui a récupéré depuis longtemps déjà le Front populaire ivoirien (FPI), creuse son sillon de son côté ; et Charles Blé Goudé, de retour lui aussi en Côte d’Ivoire, a rompu avec son ancien mentor et compagnon de prison aux Pays-Bas. Gbagbo, dont on dit la santé fragile, n’est-il plus que l’ombre du leader charismatique et du tribun hors pair qu’il fut jadis ? Pour l’instant, difficile de dire le contraire. Il n’en demeure pas moins un animal politique rare qu’il convient de ne pas « enterrer ». Tout comme Bédié d’ailleurs, dont les silences sont loin de signifier perte d’influence ou absence de stratégie.

LES SÉQUELLES DE 2020 INQUIÈTENT ADO

Ouattara, Bédié, Gbagbo… La Côte d’Ivoire se résume-t-elle encore et toujours à ces trois-là ? Pour l’instant, oui. Et le premier cité, en position de force, demeure le maître du jeu, et du temps. Il a aujourd’hui toutes les cartes en main pour 2025. Que fera-t-il lors de cette échéance ? Personne ne le sait, et l’intéressé lui-même n’a sans doute pas encore pris sa décision. « Il n’a à l’évidence pas encore fait son choix, ni de se représenter coûte que coûte ni de passer la main, confirme un de ses très proches. Même si c’était le cas, il ne s’en ouvrirait d’ailleurs à personne, histoire de garder tout le monde “focus”. Mais il est très préoccupé. Par le contexte régional d’abord, mais aussi par la stabilité de la Côte d’Ivoire. Les séquelles de 2020 – le retour de l’ivoirité et le fait que les Dioulas ont tendance à se braquer – l’inquiètent au plus haut point. »

Le choix de Ouattara

De fait, ADO s’est évertué ces derniers mois à pacifier le pays, politiquement comme socialement : le retour de Gbagbo et son amnistie, celui de Blé Goudé, la réforme de la Commission électorale indépendante, la hausse des salaires des fonctionnaires et du salaire minimum garanti, le recrutement de 25 000 nouveaux agents publics en 2023, la maîtrise de l’inflation malgré le coût énorme pour le budget de l’État qui augmentera tout de même de près de 20 % cette année… Fort heureusement, malgré une conjoncture mondiale particulièrement délicate, la Côte d’Ivoire devrait maintenir un rythme de croissance enviable, autour de 7 % en moyenne sur la période 2023-2025. De quoi le rassurer ?

« Ne vous y trompez pas, poursuit notre source, Alassane Ouattara voulait réellement partir en 2020 et il est tout à fait capable de le faire en 2025. Ce sont les circonstances qui dicteront son choix. S’il pense que, par devoir, il doit rempiler, il n’hésitera pas une seconde. Il se fiche désormais de son image, largement écornée en 2020 alors qu’il ne le méritait pas, ce qu’il a très mal vécu. Mais s’il trouve une solution convenable pour s’en aller, il le fera aussi, sans hésitation. C’est d’ailleurs pour cela qu’il veut un RHDP fort et stable, afin que le choix d’un éventuel candidat puisse se faire sans heurts. La différence, aujourd’hui, c’est que Gon Coulibaly et, dans une moindre mesure, Bakayoko, ne sont plus là. Ceux sur qui il s’appuie le plus pour gérer l’État – Patrick Achi, Tiémoko Meyliet Koné, Fidèle Sarrasoro, Abdou Cissé ou son frère Ibrahim – ne sont pas des monstres sacrés du parti. Personne ne s’impose politiquement comme les deux anciens Premiers ministres. Quant à ceux qui s’imaginent pouvoir prendre sa suite, ils devront prouver qu’ils en ont l’étoffe, le convaincre et le rassurer, ce qui ne sera pas une mince affaire tant l’homme construit ses relations et accorde sa confiance sur la durée. » Il faut un début à tout. Et cela commence par gagner les élections d’octobre et novembre prochains.

Au Burkina Faso, « quatre mines fermées, c’est 30 milliards de F CFA de perdus »

Orpaillage, insécurité, mauvaise perception… Adama Soro, président de la Chambre des mines du pays, fait le point sur le secteur, important contributeur à l’économie burkinabè.

Par  - à Ouagadougou
Mis à jour le 16 janvier 2023 à 15:26
 
 

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Adama Soro, président de la Chambre des mines du Burkina Faso, à Ouagadougou, le 10 janvier 2023. © Leonard Bazie pour JA.

 

Pour le président du principal syndicat corporatiste minier du Burkina Faso, le secteur qui pèse 2 021 milliards de F CFA (3,09 milliards d’euros) de recettes d’exportations et jusqu’à 20 % des recettes fiscales de l’État fait grise mine. Également vice-président affaires publiques chargé du Burkina chez Endeavour, Adama Soro anticipe ainsi pour 2022 une baisse d’au moins 15 % de la production annuelle d’or, comparé aux 66,8 tonnes extraites en 2021 (en hausse de 7,6% par rapport à 2020). Entretien.

Jeune Afrique : Quelles sont les attentes du secteur minier dans le contexte de tensions avec les partenaires extérieurs, dont la France ?

Adama Soro : Nous suivons avec attention l’évolution des rapports entre le gouvernement de la transition et ses partenaires. Lors de sa première sortie médiatique, le Premier ministre [Kyélem Apollinaire de Tambèla] avait donné les grandes lignes de son mandat : sécurité, pouvoir d’achat des burkinabè et enfin, gouvernance. Le secteur minier ne peut que partager ces priorités. Nous sommes évidemment sensibles à la dimension sécuritaire et attendons que des efforts soient consentis pour protéger les investissements.

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En ce moment, des voix s’élèvent pour demander la révision du code minier [déjà révisé en 2015]. Nous appelons au contraire à ne pas stigmatiser les investisseurs miniers : il est excessif d’affirmer que l’or n’apporte rien au pays, alors que les 16 sociétés actives dans le secteur mobilisent 20 % des recettes fiscales. En comparaison, le secteur informel, qui représente près de 80 % du tissu économique national, n’apporte que 0,96 % de celles-ci…

Perkoa, l’unique mine de zinc du pays, détenue par Trevali Mining, a fermé ses portes en novembre 2022. Est-ce un mauvais signal pour vous ?

Quand on préside la Chambre des mines, assister à la fermeture de quatre mines – Taparko, Karma, Youga et Perkoa – en six mois est particulièrement difficile. Nous estimons la perte de recettes à au moins 30 milliards de F CFA, à laquelle il faut ajouter le gel des contrats de fournisseurs locaux et plus de 700 emplois perdus rien que pour Perkoa, ainsi que l’arrêt des taxes que percevaient les communautés locales… Si nous n’avons pas encore les chiffres de production de 2022, nous anticipons une baisse drastique des volumes, de l’ordre de 15 %.

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Or, les mines apportent de la résilience au pays. En 2020, malgré la pandémie, la production minière a fait un bond au Burkina, avec 62 tonnes extraites [contre 50 tonnes en 2019].

Comment l’insécurité se répercute-t-elle sur les charges d’exploitation des miniers ?

L’insécurité génère un surcoût, notamment logistique : pour acheminer les biens et les personnes, nombre d’acteurs optent pour la voie aérienne, engendrant des dépenses qui se chiffrent en millions de dollars. Il faut aussi sécuriser les lieux d’opération. Mais il y a aussi des frais moins évidents, par exemple les primes d’assurances, qui se sont accrues au fur et à mesure que le risque pays s’élevait.

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Tout cela, ajouté à l’environnement sociopolitique [deux coups d’État en huit mois], entame la compétitivité du secteur, même si le pays demeure attractif au sens du potentiel minier. Pour rassurer les investisseurs et permettre de continuer les opérations, nous plaidons pour la mise en place d’un plan incluant deux ensembles de mesures, sécuritaire d’un côté, économique et fiscal de l’autre.

Comment relancer l’exploration, actuellement au ralenti ?

Malgré l’onde de choc causé par la mort du géologue canadien Kirk Woodman et la chute des dépenses d’exploration – de 10 millions de dollars à moins de 3 millions par an présentement –, les sociétés minières continuent d’investir. Elles ont en revanche restreint les périmètres de recherche pour concentrer leurs efforts sur les zones à fort potentiel. Malheureusement, les délais de délivrance des autorisations administratives pénalisent les demandeurs.

Que préconise la Chambre pour encadrer l’orpaillage ?

L’orpaillage est une question cruciale. Nos membres ont produit 62 et 66,8 tonnes d’or respectivement en 2020 et 2021. L’initiative pour la transparence de l’industrie extractive [Itie] chiffre à 270 kg l’or extrait par les orpailleurs, mais les enquêtes statistiques nationales estimaient à 10 tonnes la production artisanale en 2016 [l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées, qui dépend du ministère des Mines, avance même le chiffre de 20 tonnes pour 2020].

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Avec la crise sécuritaire qui a provoqué un déplacement des populations des régions d’orpaillage du Sahel ou de l’Est, nous assistons en outre à des conflits de cohabitation des orpailleurs avec les mines. Cela génère de l’inquiétude et nous appelons l’État à organiser ce secteur. Des réformes sont en cours, comme l’instauration d’une carte de l’artisan minier ou l’organisation des orpailleurs en coopératives, pour une meilleure collaboration avec les industriels.

Barnabé Okouda : « Le PIB de la Côte d’Ivoire pourrait devenir deux fois plus élevé que celui du Cameroun »

Pour le patron du think tank Camercap-Parc, sans « rupture » dans la conduite des politiques publiques, l’avance prise par Abidjan depuis une décennie pourrait s’accentuer radicalement d’ici 2030.

Par  - à Yaoundé
Mis à jour le 12 janvier 2023 à 08:38
 
 
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     Barnabe Okouda (Cameroun), dans son bureau a Yaounde, le 19 decembre 2022. © Maboup pour JA

  
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      LA GRANDE DIVERGENCE (3/3) – D’environ 5 milliards de dollars en 2011, au sortir de la crise postélectorale ivoirienne, la différence entre le PIB de la Côte d’Ivoire et celui du Cameroun a atteint 25 milliards de dollars courants en 2021, selon les données du FMI. L’institution multilatérale prévoit que cet écart va se creuser durant les années à venir. À l’horizon 2027, le PIB ivoirien devrait ainsi franchir la barre des 100 milliards de dollars, contre 62 milliards pour le Cameroun.

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Comment expliquer cette divergence, alors que les deux locomotives de l’Afrique subsaharienne francophone s’étaient embarquées en même temps dans des programmes « d’émergence » à l’horizon des années 2030 ? Le pays des Lions indomptables a-t-il raté le coche ? Peut-il redresser la barre ? Pour répondre à ces questions, Jeune Afrique a interrogé Barnabé Okouda, directeur exécutif du Centre d’analyse et de recherche sur les politiques économiques et sociales du Cameroun (Camercap-Parc), think tank soutenu par la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF, instance de l’Union africaine) et l’État du Cameroun.

Jeune Afrique : Qu’est-ce qui explique l’écart constaté depuis une décennie dans l’évolution économique des deux pays ?

Barnabé Okouda : Sur la base des indicateurs utilisés par le FMI tels que le PIB nominal, le PIB par tête et le budget national entre 2010 et 2022, l’écart de développement entre le Cameroun et la Côte d’Ivoire se creuse d’année en année. Et ce, au point d’entrevoir un doublement de la taille de l’économie ivoirienne par rapport à celle du Cameroun durant la décennie à venir.

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De 2012 à 2020, le taux de croissance moyen du PIB réel se situe autour de 7,5 % par an en Côte d’Ivoire, contre à peine 4 % pour le Cameroun. Alors que les ambitions du Cameroun dans son Document de stratégie et de croissance pour l’emploi (DSCE 2010-2019) étaient du même ordre (7 % en moyenne). Toutefois, si nous prenons en compte certains indicateurs concernant les inégalités, le développement durable infraterritorial, voire la propriété du capital selon la nationalité, la situation serait plus nuancée entre les deux pays.

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Taux de croissance du PIB (Cameroun-Côte d'Ivoire). © Source donnees.banquemondiale.org

Restons un moment sur les différences de dynamique observées durant la décennie écoulée. Comment les analysez-vous ?

Quatre facteurs ont été déterminants : la gouvernance publique et institutionnelle, la structure inadéquate voire inadaptée de l’économie, la faible intégration sous-régionale et la situation sécuritaire du Cameroun depuis près d’une décennie.

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La gouvernance est et reste le ventre mou des politiques publiques et des institutions au Cameroun. La faible attractivité des investissements directs étrangers tient, en partie, au nombre très élevé d’intervenants et d’institutions impliqués, ce qui plombe le climat des affaires. De plus, le peu d’attention portée au suivi-évaluation des politiques publiques fait qu’après leur formulation, la machine se grippe généralement dans la mise en œuvre, aggravée par une faible réactivité au moment de procéder aux réajustements requis en temps réel ou opportun.

Qu’entendez-vous par manque de réactivité ?

Le DSCE 2010-2019, première phase de la Vision à long terme sur 25 ans, avait par exemple programmé de grands projets d’infrastructures (énergie, routes, ports et aéroports, logements sociaux, communications, etc.). À l’heure du bilan, la plupart de ces projets ne sont pas bouclés. Cela engendre non seulement des coûts d’opportunité financiers énormes, mais le service de la dette extérieure souscrite pour financer ces projets court déjà. Ce qui oblige le pays à s’endetter à nouveau, pour les mêmes projets.

Cette inefficacité dans la gestion des finances publiques fait d’ailleurs le lit des malversations, comme le démontre le rapport de la Commission nationale anti-corruption (Conac) publié en novembre dernier [PDF].

En quoi la structure économique du Cameroun est-elle inadaptée ? Et comment cette différence se manifeste-t-elle dans la divergence constatée avec la Côte d’Ivoire ?

Les statistiques officielles montrent que, d’une part, l’économie ivoirienne se diversifie davantage et, d’autre part, elle prend de l’avance dans la transformation de ses produits primaires. Cela rend le pays plus résilient que le Cameroun aux chocs extérieurs. Ainsi, la chute des cours du cacao en 2016-2017 a pu être compensée en Côte d’Ivoire par la bonne tenue de l’huile de palme, de l’hévéa et de l’anacarde.

La mutation industrielle amorcée par la Côte d’Ivoire se lit clairement dans l’indice d’industrialisation 2022 de la BAD, qui classe le Cameroun au 24e rang sur 52 pays africains [contre la 15e place en 2011, ndlr], alors que la Côte d’Ivoire est classée 13e [21e en 2011]. L’inversion des tendances est visible !

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Par ailleurs, la faible intégration sous-régionale en Afrique centrale par rapport à l’Afrique de l’Ouest a aussi joué dans le décalage observé. Car, outre la circulation des personnes, une meilleure imbrication des économies densifie les échanges (importations et exportations) entre les pays.

Vous évoquez le contexte régional. Dans le cas du Cameroun et de l’Afrique centrale, pensez-vous que la situation sécuritaire a aggravé ces éléments de divergence économique par rapport à la Côte d’Ivoire?

Certainement et cela dure depuis bientôt dix ans sur trois fronts. Le phénomène Boko Haram crée une forte insécurité dans les trois régions du septentrion (Extrême Nord, Nord et Adamaoua), générant des pertes importantes en vies humaines, de nombreux déplacés internes et le ralentissement des activités économiques. Cela a fortement perturbé les échanges avec les pays voisins comme le Nigeria et le Tchad. Entre 2015 et 2019, le volume des échanges commerciaux entre le Cameroun et le Nigeria a reculé en moyenne de 70 %.

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Dans l’Est, les assauts des rebelles centrafricains et un afflux de réfugiés provoqué par le conflit interne ont eu un impact sur le commerce de marchandises avec ce pays desservi par les ports de Douala et de Kribi, avec des conséquences non négligeables sur les économies de la République centrafricaine, du Cameroun et même du Tchad.

Enfin, un autre foyer d’insécurité – le plus violent – est localisé dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO), toutes deux limitrophes du Nigeria. À la suite de velléités sécessionnistes de certains citoyens de la partie majoritairement anglophone du pays, cette zone agroécologique, très fertile, connait un conflit qui a déjà généré d’énormes pertes en vies humaines, ainsi que la destruction de plusieurs infrastructures économiques et sociales.

Pour rappel, cette zone abrite les principales entreprises agro-industrielles du pays, dont Pamol Plantations Plc et Cameroon Development Corporation – CDC. Cette dernière, qui était jusque-là le deuxième employeur du pays après l’État, a quasiment fermé ses portes depuis 2016-2017, avec des conséquences sur le plan économique et social. Selon les estimations du gouvernement, les pertes cumulées atteignent près de 450 milliards de F CFA (686 millions d’euros) entre 2017 et 2020. Sans compter le coût de gestion et de mobilisation des forces de défense et de sécurité, ce qui a un effet d’éviction sur les investissements publics.

Les autorités camerounaises sont-elles conscientes des faiblesses que vous avez identifiées ?

Tout à fait, elles les reconnaissent. Mais il faudrait aller au-delà de la prise de conscience et poser des actions capables de nous faire retrouver le sentier d’émergence prévu. C’est ce que nous appelons dans nos travaux « la rupture ».

Le pays est déjà à mi-chemin des vingt-cinq ans prévus pour atteindre l’émergence. Il est temps de procéder à une relecture des objectifs et des résultats pour mesurer si le pays reste sur les rails ou est déjà sorti de piste afin d’ajuster la méthode. De la même façon, 2022 marque la troisième année de mise en œuvre de sa Stratégie nationale de développement (SND 2020-30). Il nous paraît urgent de tirer les leçons des résultats de l’évaluation intermédiaire prévue à cette échéance.

Le Cameroun a son propre agenda, qu’il doit suivre de manière rigoureuse. Le pays dispose des ressources, des capacités et des compétences nécessaires. C’est la combinaison optimale de ces ingrédients qui fait défaut pour libérer les énergies et atteindre le vrai décollage de ce pays considéré comme « l’Afrique en miniature ».


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