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Scrutin clé pour Patrice Talon : cinq questions pour comprendre les législatives au Bénin

À trois ans de la prochaine présidentielle et alors que le président a assuré qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat, ces élections s’annoncent comme un véritable test. D’autant que l’opposition pourra pleinement y participer.

Mis à jour le 27 décembre 2022 à 17:55
 
 

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Jeune Afrique – Bénin © MONTAGE JA : Yanick Folly / AFP ; SLON PICS/FREEPIC

Le décryptage de JA – À l’heure où est sifflée la mi-temps du second et dernier mandat de Patrice Talon, débuté en 2021, ces législatives s’annoncent comme un test pour les principales formations politiques béninoises. Tant la mouvance présidentielle que l’opposition s’apprêtent à opérer une vaste redistribution des cartes à trois ans de la présidentielle de 2026.

Le 8 janvier prochain, 6,6 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire la nouvelle Assemblée nationale. Quatre ans après les législatives de 2019, marquées par des violences électorales, des appels au boycott et un très fort taux d’abstention, le premier enjeu de ce scrutin sera la participation.

L’abstention devrait cependant être en net recul : pour la première fois depuis 2015 en effet, le scrutin sera « ouvert », et les Béninois pourront glisser dans l’urne un bulletin frappé du nom de l’un des opposants en lice. Ces derniers ont cependant un obstacle de taille à lever. Pour obtenir des sièges, la liste sur laquelle ils figureront devra impérativement dépasser le seuil de 10 % de voix.

1. Pourquoi les députés n’auront-ils qu’un mandat de trois ans ?

Si les députés sortants s’apprêtent à clore un mandat de quatre années, l’Assemblée nationale issue du scrutin du 8 janvier prochain ne siègera que trois années. Un « Parlement de transition » dû à la réforme du système politique lancée par le président dès son premier mandat. Le but est de parvenir à organiser des élections générales au Bénin en regroupant les scrutins locaux, législatif et présidentiel, à l’image de ce que fait son voisin nigérian en une seule et même année.

Le calendrier fixé prévoit donc que les prochaines élections législatives et communales se tiennent le même jour, en janvier 2026, quelques semaines avant la présidentielle qui doit se dérouler en avril.

Autre nouveauté : le nombre de députés va passer de 83 à 109 et 24 sièges seront exclusivement réservés aux femmes, à raison d’un par circonscription.

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Cette refonte du calendrier a été menée par étapes, en parallèle de la réforme du système partisan qui a conduit à la limitation drastique du nombre de formations, avec pour philosophie affichée la simplification et la clarification du jeu politique.

En faisant précéder la présidentielle par des législatives, la réforme conduite par le chef de l’État aura aussi pour conséquence de renforcer le rôle du Parlement vis-à-vis de l’exécutif. Un paradoxe pour Patrice Talon, adepte d’une gouvernance verticale – que l’on a pu qualifier sous d’autres latitudes de « pouvoir jupitérien ».

Les partisans de cette réforme soulignaient que des économies allaient être réalisées grâce à la quasi-concomitance des scrutins et que ce calendrier permettrait de mettre fin à la « campagne électorale permanente » qui mobilisait auparavant le Bénin.

2. S’agit-il des premières élections législatives inclusives de l’ère Patrice Talon ?

Oui. L’Assemblée nationale sortante a été qualifiée de « Parlement monocolore » par ses détracteurs. En cause, les conditions dans lesquelles s’est tenu le scrutin législatif de 2019, qui ont provoqué une grave crise politique.

Le gouvernement avait en effet renforcé de manière drastique les conditions permettant à un parti de se présenter aux élections. D’une part, il fallait justifier de la présence de candidats dans l’intégralité des circonscriptions – un moyen d’éviter les micropartis « régionalistes », voire « ethnicistes », selon les avocats de la réforme. D’autre part, chaque formation devait obtenir des récépissés pour obtenir sa reconnaissance légale, ce qui a créé une âpre bataille politique, administrative et judiciaire.

Tout cela, doublé de l’intransigeance du ministère de l’Intérieur, a conduit à une élection en forme de match amical. Seuls l’Union progressiste et le Bloc républicain, les deux partis appartenant à la mouvance présidentielle, ont été autorisés à présenter des candidats en 2019.

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Cette fois, sept formations sont en lice. D’un côté, l’Union progressiste pour le renouveau (UP-R), le Bloc républicain (BR), le Mouvement des élites engagées pour l’émancipation du Bénin (MOELE-Bénin) et l’Union démocratique pour un Bénin nouveau (UDBN), qui se réclament de la mouvance présidentielle. De l’autre, une opposition représentée par les Force cauris pour un Bénin émergent (FCBE), le Mouvement populaire de libération (MPL) et le parti Les Démocrates (LD).

Ce dernier, créé par Thomas Boni Yayi après que l’ancien président avait claqué la porte des FCBE, a bien failli ne pas pouvoir présenter de candidats à nouveau. Le 16 novembre, la Commission électorale nationale autonome (Cena) n’avait en effet pas retenu sa liste, arguant notamment d’un défaut de documents des impôts pour certains des candidats présentés par LD. La Cour constitutionnelle a cependant tranché en sa faveur dès le lendemain, en soulignant que l’erreur était imputable à l’administration fiscale, et non aux candidats.

3. Quel est l’objectif de l’opposition dans ce scrutin ?

Sauf surprise, aucune des listes de l’opposition ne semble en capacité d’arriver en tête au niveau national. Pour les FCBE comme pour Les Démocrates, les deux principaux partis d’opposition en lice – en concurrence frontale tant ils se partagent le même électorat –, l’objectif est donc avant tout d’engranger suffisamment de voix pour obtenir le statut de chef de file de l’opposition.

Une position avant tout symbolique. Paul Hounkpè, secrétaire exécutif national des FCBE, a été le premier à se voir attribuer ce rôle, au lendemain des élections locales de 2021, auxquelles son parti avait été le seul issu de l’opposition à avoir été autorisé à participer. Mais force est de constater qu’il n’aura eu qu’un poids modéré dans les débats législatifs et qu’il s’est montré relativement discret sur le plan médiatique.

Une marginalisation de fait que le leader des FCBE espère voir prendre fin au lendemain de l’annonce des résultats. Les députés FCBE se donnent pour mission « de réexaminer toutes les lois “crisogènes” votées avec facilité et dans la précipitation au cours de la mandature qui s’achève », a lancé Paul Hounkpè lors du lancement de la campagne de son parti.

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Pour Les Démocrates, le pari est équivalent, à une différence majeure : le parti a tout à prouver sur le plan électoral. Éric Houndété, le patron des LD, se trouve dans une position compliquée. Thomas Boni Yayi, fondateur et président d’honneur de la formation, est invisible sur la scène politique intérieure.

L’ancien chef de l’État, vent debout contre Patrice Talon il y a encore quelques mois, semble avoir mis de l’eau dans son vin. Après s’être rapproché de son successeur au fil de rencontres très médiatisées, Thomas Boni Yayi a été nommé médiateur de la Cedeao dans la crise guinéenne. Un rôle qui l’a tenu loin du marigot politique de Cotonou, au sein duquel son positionnement semble de plus en plus difficile à cerner.

Les Démocrates peuvent en tout cas compter sur le soutien d’une partie de l’opposition en exil. « Nous avons le devoir d’exhorter le peuple tout entier à se rendre aux urnes, quelles que soient les inquiétudes et interrogations », écrivent ainsi, dans un texte rendu public en fin de semaine dernière, Léhady Soglo, ancien maire de Cotonou et fils de l’ex-président Nicéphore Soglo, Amissetou Affo Djobo, ancienne députée des FCBE, et Yacoubou Bio Sawè, ancien directeur de cabinet de Boni Yayi, qui s’était porté candidat à la dernière présidentielle aux côtés de Mathieu Kérékou.

4. Les partis de la mouvance sont-ils réellement en concurrence ?

L’Union progressiste – qui s’est adjoint le terme de « renouveau » au cours de la mandature qui s’achève – et le Bloc républicain ont beau avoir fait campagne commune derrière Patrice Talon lors de la dernière présidentielle, l’heure des duels entre barons locaux a sonné. Au-delà d’offrir aux caciques des deux partis l’occasion de préserver leurs fiefs respectifs, le scrutin de ce 8 janvier doit aussi départager les deux mastodontes de la majorité.

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L’UP, avec 47 élus au sein de l’Assemblée sortante, part en position de force. Mais le Bloc républicain, qui domine dans une large partie du nord du pays, espère renverser la tendance à la sortie des urnes. Dans la ligne de mire des deux frères ennemis, gagner un poids électoral suffisant pour prétendre aux meilleurs postes au sein du futur gouvernement.

Dans le cas de l’Union progressiste, l’enjeu est plus crucial encore. D’abord parce que le parti, leader de fait, ne peut se permettre de se retrouver en seconde position. Ensuite parce qu’après les importants changements effectués à sa tête ces derniers mois, elle doit prouver que sa stratégie est la bonne dans la perspective de la présidentielle de 2026.

5. Ces élections permettront-elles d’en savoir plus sur le successeur de Patrice Talon en 2026 ?

C’est le non-dit de ce scrutin, et il occupe pourtant tous les esprits. Patrice Talon, qui a fait inscrire dans le marbre de la Constitution la limitation à deux mandats présidentiels « à vie », ne devrait pas se représenter en 2026. « Il s’y est engagé, il n’y a aucune raison qu’il revienne sur sa parole. C’est un homme d’honneur », assène un proche du chef de l’État lorsqu’on se risque à émettre l’hypothèse d’un troisième mandat.

Le président n’a, pour l’heure, pas désigné de dauphin. Pas plus qu’il ne s’étend sur la question de sa succession, de peur de réveiller les rivalités au sein de son propre camp, alors qu’il n’est encore qu’à mi-mandat. Les ambitions, affichées plus ou moins ouvertement, n’en commencent pas moins à se faire jour. Et dans cette perspective, chaque mouvement au sein des organigrammes des partis de la mouvance est scruté avec une attention redoublée. Comme lorsque Joseph Djogbenou a été choisi pour diriger la liste de l’Union progressiste.

Avocat de Patrice Talon quand celui-ci n’avait pas encore accédé à la magistrature suprême, Djogbénou a été nommé à la tête de la Cour constitutionnelle par le chef de l’État. Une décision qui avait, en son temps, provoqué une vive polémique.

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Fidèle parmi les fidèle du président, Djogbénou a démissionné de la plus haute juridiction du pays, en juillet dernier, pour se (re)lancer sur la scène politique. Son retour y a été tonitruant : en quelques semaines, il a pris la présidence de l’Union progressiste, où il a succédé à l’incontournable Bruno Amoussou et est devenu une personnalité montante. Le fait que, dans la foulée de sa prise de contrôle de l’UP, Romuald Wadagni, ministre des Finances à qui beaucoup prêtent des ambitions politiques, et Benjamin Hounkpatin, ministre de la Santé, ait été évincés du bureau politique n’est pas anodin. D’aucuns ne manquent d’y voir les premiers signes d’une recomposition de la majorité. Voire l’émergence d’un potentiel successeur de Patrice Talon.

Niger : à Zinder, les murs parlent aux passants

Dans le centre ancien de Zinder, la deuxième ville du pays, les très expressives maisons haoussas se reconnaissent à leurs façades décorées. Un signe extérieur de richesse avant tout conçu pour transmettre un message social, religieux, économique ou même politique. Reportage.

Mis à jour le 22 décembre 2022 à 16:14

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Le palais du sultanat du Damagaram, dans le quartier fortifié de Birni, à Zinder. © HomoCosmicos/Getty Images

 

Siège du palais du sultan du Damagaram, le quartier fortifié de Birni, construit autour d’énormes massifs granitiques, reste un monde à part. Marcher dans le centre ancien – et toujours bien vivant – de Zinder donne l’impression de déambuler dans un musée à ciel ouvert, où le dédale des rues par endroits sableuses rappelle que le désert n’est pas loin.

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Autour du palais du sultanat de Damagaram, lui-même richement décoré, certaines façades sont encore ornées de dizaines de symboles géométriques aux couleurs primaires – jaune, bleu, rouge –, verts ou blancs. Beaucoup ont été effacés ou abîmés par les intempéries, mais d’autres semblent avoir été récemment repeints, replâtrés ou restaurés. « Le blanc symbolise les qualités du clan, ainsi que la joie. Le rouge représente le pouvoir mystique, le vert l’islam, et le jaune évoque le pouvoir politique, la royauté, c’est une couleur rare et chère », précise Moussa Garba, économiste et spécialiste des Haoussas.

Marques d’identité et d’influence

À l’origine, les quartiers d’habitation s’appelaient zangṑ, ou zongṑterme haoussa qui désigne toute construction provisoire ou campement de nouveaux venus. Avec l’arrivée de marchands et de savants wangarawa, à partir du milieu du XVIe siècle, l’islam s’est imposé chez les Haoussas et, au fil des siècles, ils se sont sédentarisés et concentrés dans les villes, tout particulièrement à Zinder, carrefour commerçant entre Sahara et Sahel, qui abritait de nombreux artisans travaillant le fer, le cuivre et la laine (teinture et tissage).

À une centaine de kilomètres de la frontière avec le Nigeria, la cité est depuis restée un grand marché, longtemps dirigé par les Haoussas, qui se sont enrichis du commerce du sel de Bilma, des graines de kola, des bijoux sénégalais et soudanais, etc.

ON IDENTIFIE MIEUX L’HOMME QUAND ON REGARDE LA FAÇON DONT SA MAISON EST DÉCORÉE

L’architecture haoussa se compose traditionnellement d’une structure à deux étages constituée de murs en adobe, de petites briquettes d’argile et de paille séchées. La plupart de ces constructions ont peu de fenêtres, parfois juste une porte principale, cernée de décorations – et plus une personne est aisée, plus l’entrée de sa maison est grande. Autrefois, l’ornement d’une maison haoussa montrait l’opulence, la richesse de la famille, attestant que ses propriétaires – principalement des commerçants, des chefs religieux ou des marabouts – possédaient un certain niveau de vie. Plus cette villa était couverte de symboles, plus elle prenait de la valeur.

 

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Façade d’une maison haoussa dans le centre ancien de Zinder. © Roland/CreativeCommons

 

« Ces ornementations sont uniques en Afrique. Les symboles sont des signes parfois secrets, propres à la famille. Ce sont d’abord des marques d’identité : on identifie mieux l’homme quand on regarde la façon dont sa maison est décorée, explique Moussa Garba… Une autre raison majeure est que les Haoussas aiment impressionner les visiteurs. »

Messages et mystères

Au milieu du XXe siècle, les symboles tels que le sabre, le serpent, l’étoile ou le croissant ornaient encore la plupart des murs des villes du sud du Niger. Le dagin arewa (« sceau du Nord ») est le symbole le plus répandu, la marque de fabrique du peuple haoussa. « Il y a une dimension magique et internationale dans la culture haoussa, qui aurait plus de 9 000 ans, explique le journaliste Salissou Issa, spécialiste du sujet. C’est donc un très vieil héritage, qui serait venu du Yemen, en transitant par l’Égypte, et s’est imposé comme une langue et une culture de tout premier plan dans la sous-région. Le premier journal en haoussa, Gaskiya Taxi Kwabo (« La Vérité vaut plus que l’argent »), date de 1930. »

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Aujourd’hui, on retrouve ces symboles un peu partout à Zinder, ainsi que, parfois, certaines lettres de l’alphabet haoussa. Réalisés et conçus par des artisans – essentiellement haoussas –, ces décors portent un message social, religieux, économique ou politique. « Ces messages sur les maisons sont apparus très tôt, peut-être même dès l’apparition des premiers royaumes haoussas [au XIe siècle, NDLR]. La maison traditionnelle pouvait contenir toutes les branches de la famille, chaque enfant possédant une partie ou un étage. Autrefois, les Haoussas croyaient au soleil, aux esprits : c’était le magizanci… Les symboles peuvent attester de cette étrangeté », ajoute Moussa Garba.

La persistance d’un style

En 2005, de nombreuses villas en mauvais état du centre de Zinder ont été restaurées, dans le cadre d’un programme du ministère nigérien de la Culture. L’années suivante, le district de Birni et le palais du sultanat du Damagaram ont été ajoutés sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

LES HAOUSSAS AIMENT IMPRESSIONNER LES VISITEURS

À Zinder, comme un peu partout au Niger ou au Nigeria, la tradition haoussa n’a pas totalement disparu et a évolué… Si, pendant longtemps, ces constructions en terre argileuse, avec leurs ornementations, n’étaient qu’une architecture de luxe réservée aux chefs et aux notables, depuis les années 1970, l’usage du ciment a vu apparaître, ici et là, des décorations haoussa sur des murs de crépi.

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Aujourd’hui, les Haoussas sont l’un des plus grands groupes ethniques d’Afrique de l’Ouest, avec une population de plus de 30 millions de personnes, principalement établies au Nigeria (plus de 20 % de la population) et au Niger (environ 55 % de la population), où leur influence linguistique et culturelle irradie. Au Niger, on les trouve désormais dispersés aux quatre coins du pays et dans les principales grandes agglomérations.

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Sans surprise, les façades décorées sont apparues dans d’autres villes, y compris dans la capitale, Niamey. Et même si la maison moderne, avec garage et climatisation, est devenue le nouveau symbole d’un statut social privilégié, l’ornementation des façades revient en force. Chacun veut marquer la société de son empreinte, car, comme le dit le proverbe haoussa : « Mai ɗaki chi ya san inda ke michi ruwa » (« Il n’y a que le propriétaire pour décrire sa maison »).

Mali: les groupes armés suspendent leur participation aux instances de suivi de l'accord d'Alger

 

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Signature officielle de l'accord de paix d'Alger à Bamako, le 15 mai 2015. (Image d'achives) AFP PHOTO / HABIBOU KOUYATE

La décision a été annoncée ce jeudi 22 décembre dans un communiqué du Cadre stratégique permanent (CSP) qui rassemble la totalité des groupes armés du Nord signataires de l'accord d'Alger en 2015. Ces groupes dénoncent « l'absence persistante de volonté politique des autorités de transition » à appliquer un accord qui semble plus menacé que jamais. Ils suspendent leur participation aux instances de suivi de l'accord tant qu'une réunion d'urgence avec le gouvernement malien « en terrain neutre » n'est pas organisée.

Depuis 2015, la mise en œuvre de l'accord de paix a connu de nombreux blocages, mais cette suspension en forme d'ultimatum de la part des groupes armés signataires marque une nouvelle étape, et peut-être cruciale.

Les ex-rebelles indépendantistes de la CMA demandent depuis deux semaines une réunion d'urgence « en terrain neutre », comprendre en Algérie où cet accord avait été négocié, ou ailleurs, mais pas au Mali. Ils sont à présent rejoints par les groupes dits « loyalistes » de la Plateforme, qui ont toujours défendu l'unité du Mali.

Dégradation des relations avec Bamako

Tous estiment que les autorités maliennes de transition ne sont pas suffisamment engagées dans l'application de l'accord de paix et attendent des actes concrets de Bamako sur le processus de désarmement des groupes signataires et l'intégration de leurs cadres militaires dans la hiérarchie de l'armée malienne reconstituée, pour ne citer que la dernière pierre d'achoppement.

Plus globalement, les groupes armés déplorent la dégradation de leurs relations, depuis deux ans, avec les autorités maliennes de transition et questionnent clairement la volonté réelle de Bamako de maintenir l'accord de paix en vie. D'où cette demande de réunion d'urgence, censée mettre toutes les parties devant leurs responsabilités.

Il y a une semaine, par communiqué, la médiation internationale n'avait pas exclu la possibilité d'une telle réunion, sans non plus l'encourager. Il revient à l'Algérie, son chef de file, de « prendre les initiatives nécessaires. »

« Mise en œuvre intelligente »

L'impasse actuelle pourrait-elle conduire à une reprise des armes ? C'est évidemment la conséquence, à terme, la plus concrète à redouter.  

Malgré les sollicitations de RFI auprès du ministère de la Réconciliation nationale et du porte-parole du gouvernement, Bamako n'a pas souhaité réagir, ni à la demande de réunion en terrain neutre, ni à cette suspension de la participation des groupes armés aux mécanismes de suivi de l'accord.

Les autorités maliennes de transition ont toujours officiellement affirmé leur implication dans l'accord, quitte à envisager une « relecture » ou une « mise en œuvre intelligente. »

 

Gambie: un coup d’État déjoué qui illustre une réforme difficile de l’armée

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La Cédéao a fermement condamné la tentative de putsch annoncée mercredi 21 décembre en Gambie. Selon le gouvernement, « certains soldats complotaient » pour renverser le président Adama Barrow, réélu en décembre 2021. Depuis son arrivée à la tête de l’État en 2017, après 22 de pouvoir de Yahya Jammeh, le président Barrow a fait de la réforme des services de sécurité une priorité. Une réforme difficile.

 

Avec notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac

Quatre militaires ont été arrêtés, trois « complices » sont recherchés. La situation est calme à Banjul, selon des habitants. Le gouvernement gambien a publié les noms de sept militaires soupçonnés. Le caporal Sanna Fadera de la marine « est le meneur présumé » selon le communiqué officiel. Les autres soldats arrêtés sont un caporal du premier bataillon d’infanterie, un caporal de la police militaire et un sergent de la marine.

L’ombre de Yahya Jammeh

Ce n’est pas la première fois qu’Adama Barrow fait face à une tentative de coup d’État : en 2017, juste après le départ forcé de Yahya Jammeh, 12 militaires avaient été arrêtés pour complot contre le nouveau président. « Il y a toujours une méfiance entre Adama Barrow et l’armée », souligne un bon connaisseur du pays. Depuis son arrivée au pouvoir, les institutions sont protégées par une mission de la Cédéao, prolongée plusieurs fois à la demande du chef de l’État. Ce sont des soldats sénégalais qui sécurisent la présidence. Et « cela génère une frustration chez les militaires et dans l’opinion » poursuit notre interlocuteur.

Cette tentative de coup pourrait-elle avoir un lien avec Yahya Jammeh, en exil en Guinée équatoriale, et dont l’ombre plane toujours en Gambie ? En tout cas, la police a arrêté Momodou Sabally, ancien ministre sous le régime de Jammeh, après la diffusion d’une vidéo qui suggère qu’Adama Barrow sera renversé avant les prochaines élections locales, prévues en 2023. Son parti, l’UDP, demande sa « libération immédiate ».

Quand l’ombre de Wagner plane sur le Burkina Faso

Les signaux d’un rapprochement entre Ouagadougou et Moscou se multiplient ces dernières semaines. Si bien que certains voient déjà les mercenaires de la société militaire privée russe sur les terres burkinabè.

Mis à jour le 22 décembre 2022 à 12:22
 

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Le chef de la junte burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, à Ouagadougou le 2 octobre 2022 dans un véhicule armé. © VINCENT BADO/REUTERS.

 

Il souhaitait « attirer l’attention » sur le sujet. Et il ne s’est pas loupé. Le 14 décembre, lors d’un entretien avec Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain, en marge du sommet États-Unis – Afrique à Washington, Nana Akufo-Addo a publiquement accusé les autorités burkinabè d’avoir « conclu un accord » avec la société militaire privée russe Wagner.

« Aujourd’hui, des mercenaires russes sont à notre frontière nord, a déclaré le président ghanéen. Le Burkina Faso a conclu un accord pour employer des forces de Wagner et faire comme le Mali. Je crois qu’une mine leur a été allouée dans le sud du Burkina comme paiement pour leurs services. Le Premier ministre burkinabè était à Moscou ces dix derniers jours. Avoir ces hommes qui opèrent à notre frontière nord est particulièrement préoccupant pour nous, au Ghana. »

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Pour la première fois, un chef d’État – voisin du Burkina Faso – évoque ouvertement le scénario que certains responsables ouest-africains et occidentaux redoutent depuis quelques semaines : l’arrivée des mercenaires du groupe Wagner à Ouagadougou. Une telle déclaration, depuis Washington, ne laisse que peu de doutes sur la source des informations avancées par Nana Akufo-Addo. « Cela vient forcément des services de renseignement américains », estime une source militaire française.

Avertissement américain

Selon notre source, l’objectif recherché serait le même qu’aux prémices de la guerre en Ukraine, au début de 2022 : en dévoilant des informations classifiées obtenues par leurs services, les responsables américains essaieraient d’exercer un maximum de pression sur leurs partenaires. Une stratégie d’influence dans laquelle rentrerait l’interview accordée par l’ambassadrice des États-Unis au Burkina Faso au site d’information lefaso.net, le lendemain de la déclaration d’Akufo-Addo, dans laquelle elle estime qu’« un partenariat avec le groupe Wagner n’est dans l’intérêt d’un quelconque pays ». « Le jeu des Américains apparaît assez simple à décrypter, estime un diplomate français. Ils adressent une sorte d’ultime avertissement aux Burkinabè, en sous-entendant qu’aller plus loin avec Wagner, c’est franchir le Rubicon. »

À LIREÉtats-Unis – Afrique : « Les rumeurs sur le déploiement de Wagner au Burkina Faso nous préoccupent »

Les intéressés ont, eux, rapidement réagi. Le 16 décembre, le ministre burkinabè des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur du Ghana à Ouagadougou. Il lui a indiqué que son pays était « profondément affecté » par les propos « très graves » du président Akufo-Addo « sur une prétendue passation de marché entre le gouvernement de la transition et une société privée russe ».

Le Premier ministre à Moscou

En revanche, aucun commentaire officiel des autorités burkinabè n’a encore été fait sur le voyage du Premier ministre à Moscou du 7 au 15 décembre. Cinq jours après son retour à Ouagadougou, ni le gouvernement ni la présidence ne se sont exprimés sur les motifs de ce déplacement en catimini de Kyélem Apollinaire de Tambèla en Russie, révélé par Jeune Afrique et dont les modalités soulèvent bien des questions.

Accompagné d’une délégation d’une dizaine de personnes, dont des ministres et des militaires, le chef du gouvernement avait en effet quitté secrètement Ouagadougou le 7 décembre à bord d’un C295 de l’armée de l’air malienne qui l’a emmené à Bamako, d’où il s’est ensuite envolé pour Moscou. Pourquoi avoir transité par le Mali et ne pas être allé en Russie directement et officiellement ? Contacté par JA à plusieurs reprises, le porte-parole du gouvernement n’a pas souhaité répondre à nos questions.

« Renforcer » les relations avec la Russie

Malgré le silence des autorités burkinabè, les informations émergent au compte-gouttes sur ce voyage. Le 20 décembre, Russia Today a diffusé une interview du Premier ministre burkinabè enregistrée le 13 décembre à Moscou. Dans un extrait qui circule sur les réseaux sociaux, il y explique que la raison de sa présence sur les bords de la Moskova est de « renforcer davantage les relations » entre le Burkina Faso et la Russie. « La Russie est une grande nation. Mais elle est pratiquement inexistante au Burkina Faso. Nous aimerions qu’elle prenne la place qui lui revient en tant que grande nation dans notre pays », déclare-t-il.

Quant à son programme sur place, Kyélem Apollinaire de Tambèla évoque des rencontres avec des « personnalités » dans des « ministères et des services », sans plus de précisions. Selon des sources officielles russes, il a notamment été reçu le 12 décembre par Mikhaïl Bogdanov, le vice-ministre russe des Affaires étrangères en charge de l’Afrique. Le reste de son agenda ressemble à un trou noir.

PARIS N’A POUR L’INSTANT, « AUCUNE PREUVE TANGIBLE » DE LA PRÉSENCE DE WAGNER SUR LE TERRITOIRE BURKINABÈ

D’après un ministre d’un pays voisin, le Premier ministre était à Moscou pour acquérir du matériel militaire. Certaines sources françaises, elles, estiment qu’il y était surtout pour rencontrer des cadres de Wagner. « Le Premier ministre a été cornaqué de A à Z par Evgueni Prigojine [le patron de Wagner] durant son séjour en Russie », croit savoir l’une d’entre elles. Côté français, pas question, pour autant, d’affirmer que des mercenaires russes sont déjà au Burkina Faso, comme l’a fait Nana Akufo-Addo. « Nous n’avons, pour l’instant, aucune preuve tangible de leur présence sur le territoire burkinabè », affirme-t-on à Paris.

Facilitation malienne

Si Wagner devait un jour débarquer à Ouagadougou, les autorités de transition maliennes y seraient pour beaucoup. Quand le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba était au pouvoir, Assimi Goïta avait essayé de le convaincre de lui emboîter le pas et de basculer dans la sphère russe. Mais l’ex-président de transition burkinabè s’y était toujours refusé.

TRAORÉ A RENDU VISITE À GOÏTA À BAMAKO POUR SON PREMIER VOYAGE À L’ÉTRANGER

Une fois Damiba renversé par le capitaine Ibrahim Traoré et ses hommes, le 2 octobre, les autorités maliennes sont revenues à la charge auprès des nouveaux maîtres de Ouaga. Avec cette fois plus de succès : ces dernières semaines, les échanges se sont multipliés entre les deux voisins. Le 2 novembre, Traoré a rendu visite à Goïta à Bamako pour son premier voyage à l’étranger. Dix jours plus tard, une délégation de l’état-major malien, conduite par Sadio Camara, ministre malien de la Défense et artisan de l’arrivée de Wagner dans son pays, était à son tour reçue par Traoré à Ouagadougou. À chaque fois, il a été question de partenariat avec la Russie.

À LIREMali – Burkina Faso : ce que Goïta et Damiba ont décidé

« Les Maliens jouent un rôle central dans le rapprochement en cours avec Moscou », souffle un officier burkinabè. « Ils poussent fort pour que Wagner arrive au Burkina, pour montrer qu’ils ne sont pas isolés et qu’ils ont été des précurseurs dans la région », abonde un haut responsable français. En bref, un rôle de facilitateur, qui ira jusqu’à l’envoi d’un avion le 7 décembre pour permettre au Premier ministre burkinabè de voyager jusqu’à Moscou.

À Traoré de trancher

Reste maintenant à savoir ce qu’Ibrahim Traoré a en tête. « In fine, c’est lui et lui seul qui tranchera et qui devra rendre des comptes sur ce choix », estime un ancien ministre burkinabè. Prudent, le capitaine de 34 ans, devenu le plus jeune chef d’État du monde, ne serait pas forcément partant pour ouvrir les portes de son pays aux mercenaires de Wagner. Il sait parfaitement que certains officiers de l’armée ne veulent pas en entendre parler et qu’ils pourraient rapidement lui faire payer un tel retournement stratégique.

À LIREBurkina : la colère très calculée du capitaine Traoré

Mais certains de ses frères d’armes font tout pour le convaincre de choisir l’option russe. « Ils savent très bien que cela ne changerait pas grand-chose dans la lutte contre les jihadistes. Mais cela permettrait à Traoré d’accroitre encore sa côte de popularité auprès d’une opinion assez anti-française et, surtout, de protéger son pouvoir déjà très fragilisé », conclut notre ex-ministre.