Vu au Sud - Vu du Sud

En Tunisie, le quotidien de plus en plus dur des Subsahariens

Si beaucoup de Tunisiens protestent contre les propos anti-migrants de leur président et affichent leur solidarité avec les Subsahariens, d’autres tiennent un discours ouvertement raciste et multiplient les actes d’hostilité.

Par  - à Tunis
Mis à jour le 2 mars 2023 à 17:25
 
 

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Des ressortissants ivoiriens campant devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis, le 28 février 2023. © FETHI BELAID / AFP

 

La « tolérance zéro » annoncée par le président Kaïs Saïed à l’égard des migrants subsahariens en situation irrégulière n’a pas tardé à se concrétiser, parfois de façon violente. Employeurs ou propriétaires, tout d’abord, ont compris qu’ils étaient passibles de poursuites et d’amendes s’ils hébergeaient ou donnaient du travail à un étranger non déclaré à la police, a fortiori à un clandestin.

La réaction a été immédiate : les bailleurs, souvent de petits marchands de sommeil profitant de la situation des migrants, ont aussitôt expulsé leurs locataires, et les employeurs se sont résolus à se séparer d’une main-d’œuvre qui leur était d’une aide précieuse.

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« Va trouver un Tunisien qui fasse la plonge ou donne un coup de main en cuisine sans renâcler », se lamente un gérant dans la restauration rapide, qui confie qu’il aurait pu ne pas renvoyer les deux Ivoiriens qui travaillaient en cuisine en pariant que les contrôles policiers ne seraient pas systématiques, mais a préféré la prudence car « nul n’est à l’abri d’une délation ».

« Des lois protectionnistes d’un autre temps »

Certains expriment leur solidarité, jouent même la bravade en publiant sur les réseaux sociaux des offres d’hébergement ou d’emploi destinées aux migrants en difficulté. « Ce sont des lois protectionnistes d’un autre temps, témoigne l’un d’eux. Les Tunisiens, en tant que migrants, ont aussi fait l’expérience de l’ostracisme. Il est temps d’évoluer et d’être conséquents avec notre volonté affichée de devenir un hub africain. »

Mariame, une femme de ménage venue de Conakry, est loin de ces considérations. Elle cherche un toit et surtout un moyen de quitter la Tunisie tant elle a peur. Elle louait avec trois de ses compatriotes, dans la périphérie de l’Ariana, un deux pièces que trois individus ont vandalisé après avoir dérobé un peu d’argent et des babioles sans valeur. Elle a reconnu des jeunes du quartier, des petits voyous qui trainent au café et l’interpellent régulièrement en l’appelant « Blanche neige ». Des chômeurs en quête de revenus faciles ou de menus larcins, et qui font preuve de violence « surtout envers des femmes ». Mariame n’a pas porté plainte de crainte d’envenimer une situation déjà tendue. Elle considère que ces jeunes sont dangereux car imprévisibles : « Ils agissent seuls sous l’effet de ce que dit leur entourage ou peut-être même de la drogue. »

En attendant, dans les rues ou dans les cafés, les esprits s’échauffent. À Sfax, dans un quartier populaire, des consommateurs ont pris à partie des ressortissants subsahariens sous prétexte que ceux-ci « allaient les attaquer ». Clandestins, les victimes étaient sorties ensemble par sécurité pour chercher de quoi manger. Ils ont évité l’affrontement en prenant la fuite. Un type d’incident devenu quotidien, contre lequel peu de voix s’élèvent dans le voisinage.

Agressions et effet de groupe

« À cela s’ajoute l’effet de groupe : faire cause commune donne un sentiment d’appartenance et d’être dans son bon droit, une impression de courage. La haine devient fédératrice, incite à la virulence et à la violence… Les débordements sont alors incontournables », analyse un sociologue qui fait un parallèle avec l’agressivité observée lors des rassemblements de supporteurs de football.

« Cette fois hélas, poursuit-il, on ne court pas après un ballon mais après des êtres humains. Et si beaucoup d’agresseurs se sentent libres d’agir, c’est qu’ils savent qu’ils ne seront pas poursuivis. » Ils profitent effectivement d’une faible réactivité des forces de l’ordre… elles-mêmes occupées à contrôler et à arrêter les migrants irréguliers. Plusieurs témoignages rapportent qu’elles n’interviennent que tardivement lorsqu’il y a des rixes. Dans ce climat d’impunité, des groupuscules spontanés s’activent, alimentant à leur manière le fantasme de milices qui « assureraient la sécurité » dans les quartiers, ce qui rappelle le discours tenu par Ennahdha au lendemain de la révolution.

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Si ce n’est qu’aujourd’hui ces groupes sont justement les agresseurs. Ils répandent la haine et participent à l’explosion des voies de fait et des brutalités dont sont victimes les personnes noires. « Ils voudraient juste que ceux qu’ils traquent ne réagissent pas. Hier, ils s’en prenaient aux chiens errants, maintenant aux Noirs. Et demain ? » s’alarme un riverain de l’un de ces quartiers qui estime que le discours des autorités est responsable de cette situation qu’il donne l’impression de cautionner.

« C’est sûr, on est plus courageux quand on est quatre ou cinq pour agresser une petite famille », témoigne avec ironie le passager d’un bus dont le conducteur a fait descendre un père et ses deux enfants en cours de route sous la pression des voyageurs. Les plus éduqués penseront à Rosa Parks, les plus optimistes parieront que si la situation a pris des proportions imprévues et démesurées, tout va rentrer dans l’ordre rapidement. « C’est une manière de refouler un problème qui va tôt ou tard se représenter », estime pourtant un ethnologue, qui conseille aux autorités de revoir leur communication en la matière. Car « asséner que la Tunisie ne s’excusera pas, comme l’a déclaré le ministre des Affaires étrangères, est très significatif et sera retenu contre la Tunisie ».

Arguments économiques

D’autres encore, se voulant plus rationnels, estiment qu’il n’est pas question de discrimination mais de patriotisme, mettant en avant des arguments économiques pour réfuter tout racisme. C’est la souveraineté nationale qui est menacée, assurent-ils, la patrie est en danger.

Mais la violence de certains messages et fake news publiés en ligne semble aussi constituer un exutoire à la colère accumulée par un peuple abreuvé de promesses jamais tenues et dont la haine pour les nantis s’étend maintenant à une nouvelle catégorie, celle des Noirs. « Le drame, commentait une militante des droits humains lors de la manifestation du 25 février contre le racisme, c’est qu’ils ciblent uniquement la teinte de la peau, alors que la communauté noire est importante en Tunisie. Le raciste ne demande pas les papiers d’identité, il est en mode viscéral. »

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Les amalgames s’accumulent et le Parti nationaliste tunisien en joue, stigmatisant les Subsahariens, mais aussi tout ce qui n’est pas tunisien. Les militants de ce micro parti qui n’avait jusqu’alors aucune visibilité seraient pourtant bien en peine de définir ce que signifie « être tunisien ». Sans doute faudrait-il leur rappeler que la population de ce pays est le fruit d’un brassage de populations d’origines diverses qui s’est poursuivi tout au long de son histoire. Mais l’histoire les intéresse-t-elle vraiment ?

Présidentielle au Nigeria: Bola Tinubu déclaré vainqueur par la Commission électorale

Bola Tinubu, le candidat de l'APC, le parti au pouvoir au Nigeria, va succéder à Muhammadu Buhari en tant que président. Après quatre jours de décompte, il a obtenu, ce mercredi 1er mars, le plus grand nombre de voix à la présidentielle. La Commission électorale nationale (Inec) a confirmé sa victoire, le candidat ayant également obtenu 25% des voix dans au moins deux tiers des 36 États de la Fédération, ainsi que le territoire de la capitale, Abuja.

Avec nos correspondants Liza Fabbian et Moïse Gomis et notre envoyée spéciale, Amélie Tulet

La victoire est pour Asiwaju Bola Ahmed Tinubu, le candidat du Congrès des progressistes (APC) à la présidentielle nigériane. « Le Parrain », ainsi qu'il est surnommé, a remporté le plus grand nombre de voix, selon les résultats officiels.

Bola Tinubu qui briguait la succession de Muhammadu Buhari à la tête du pays le plus peuplé d'Afrique, a obtenu 8,8 millions de voix. Il devance ses principaux rivaux Atiku Abubakar du PDP (6,9 millions de voix) et Peter Obi du Parti travailliste (6,1 millions de voix), selon une compilation des suffrages État par État.

La Commission électorale nationale (Inec), à pied d'œuvre une large partie de la nuit du 28 février à ce mercredi 1er mars, a confirmé sa victoire. Bola Tinubu a obtenu 25% des voix dans au moins deux tiers des 36 États de la fédération, ainsi que le territoire de la capitale Abuja. Il remporte ainsi l'une des élections les plus disputées de l'histoire démocratique du Nigeria.

La victoire de Bola Tinubu a été proclamée cette nuit alors que mardi, à la mi-journée, les deux principaux partis d’opposition, PDP et LP, sans attendre l’intégralité des résultats, ont conjointement demandé l’annulation du scrutin dénonçant des fraudes et des manipulations des chiffres à grande échelle.

« C'est un homme politique connu de tous. Finalement, ce n’est pas une grande surprise », analyse Vincent Hiribaren, maître assistant au Kings College de Londres. Et d'ajouter, en référence au candidat arrivé troisième, Peter Obi : « C’est la surprise de voir un troisième candidat faire une concurrence réelle aux deux partis qui sont là depuis 1999 ».

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Un faiseur de roi

À bientôt 71 ans, Bola Tinubu devient le cinquième président de la quatrième République. Il succède à Olusegun Obasanjo (1999-2007), Umaru Yar'Adua (2007-2010), Goodluck Jonathan (2010-2015) et Muhammadu Buhari. Le prochain président nigérian réalise enfin le rêve de toute une vie.

Grand favori de cette élection présidentielle 2023, l'ex-gouverneur de la province de Lagos a confirmé son rang en terminant largement en tête au nombre de suffrages cumulés, même s'il a perdu à Lagos et à Kano, mais aussi dans la capitale Abuja.

Yoruba, musulman, Bola Tinubu est un vieux routier de la vie politique nigériane. Il a la réputation d'être un faiseur de roi et on lui attribue l'élection de son prédécesseur Muhammadu Buhari à la présidence en 2015. D'ailleurs durant la campagne électorale, il n'a pas caché que c'était son tour d'accéder aux plus hautes fonctions après avoir aidé d'autres personnes à satisfaire leurs ambitions politiques : E Mi Lon Kan, « c'est mon tour » en yoruba, un slogan que Bola Tinubu a répété sans cesse depuis l'annonce de sa candidature. Il a fait campagne aussi sur son bilan économique en tant que gouverneur, promettant de répondre aux revendications sociales des Nigérians.

D'immenses défis attendent le nouveau président

Il s'est dit lui-même victime des pénuries monétaires pendant sa campagne. Ses opposants lui reprochent d'avoir fait fortune en captant les finances publiques quand il était gouverneur. Il a été accusé plusieurs fois de corruption et de blanchiment d'argent, affaires dans lesquelles il a toujours été innocenté. 

Pour le poste de vice-président, Bola Tinubu a choisi un autre musulman, l'ancien gouverneur de l'État de Borno, Kashim Shettima, âgé de 55 ans. Enfin, l'ancien sénateur a su s'imposer sans être comptable du bilan de son camarade de parti, Muhammadu Buhari, le président sortant. Les défis auxquels Bola Tinubu va être confronté sont multiples : crise sécuritaire, crise monétaire, crise énergétique, des inégalités sociales immenses...

Mais Bola Tinubu devient aussi le chef d'État d'un pays de plus de 220 millions d'habitants, avec une majorité de moins de 40 ans, et pays de créateurs et d'entrepreneurs aux grands talents.

« En Tunisie, il y a 21 000 Subsahariens en situation irrégulière, pas 1 million ! »

Ancien député des Tunisiens vivant en Italie et spécialiste des phénomènes migratoires, Majdi Karbai dénonce à la fois les propos brutaux de Kaïs Saïed, les contre-vérités sur les migrants en Tunisie et le cynisme des Européens. Et appelle à un vrai dialogue Sud-Nord sur la question migratoire.

Par  - à Tunis
Mis à jour le 28 février 2023 à 16:37

 

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Des migrants réclamant leur évacuation vers d’autres pays, devant les bureaux du HCR, à Tunis, le 22 avril 2022. © Shutterstock/SIPA

 

Pour les Subsahariens en Tunisie, il y a désormais un avant et un après-21 février 2023. Ce jour-là, lors d’une réunion du Conseil national de sécurité, et sans raison majeure justifiant une quelconque urgence, le président tunisien Kaïs Saïed annonce que les migrants irréguliers – tolérés depuis de nombreuses années sur le territoire – sont désormais indésirables. Immédiatement, ces propos provoquent un tollé dans une large partie de la population tunisienne, très attachée à la défense des droits de l’homme, mais aussi des manifestations d’adhésion de la part d’une autre frange, qui n’hésite plus à exprimer son racisme et sa xénophobie.

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Une situation douloureuse mais aussi inédite en Tunisie, où les nuances de brun n’ont jamais été un délit et où certain font le parallèle avec le sort réservé aux migrants clandestins en Europe. Majdi Karbai, ancien député représentant les Tunisiens de l’étranger (en l’occurrence ceux vivant en Italie) et dirigeant du Courant démocrate. Habitué à se pencher sur les affaires de migration clandestine de Tunisiens vers l’Italie, il traque la vérité sur les disparitions et les naufrages, et s’interroge régulièrement sur la volonté réelle des États de résoudre le problème. Pour Jeune Afrique, il revient sur la migration irrégulière et la façon dont elle est vécue sur les rives Sud et Nord de la Méditerranée.

Jeune Afrique : On avance parfois le nombre de 1 million ou plus de Subsahariens vivant en Tunisie, ce qui accrédite la thèse de Kaïs Saïed sur un « complot » visant à modifier la composition démographique de la Tunisie. Ce chiffre reflète-t-il la réalité ?

Majdi Karbai : Ces déclarations sont irresponsables. Si on avait été dans un pays comme le Liban, il y aurait eu immédiatement un conflit. Remettons un peu les curseurs en place : il y a près de 1,2 million d’immigrés tunisiens à travers le monde, essentiellement en Europe. Une partie d’entre eux est en situation irrégulière sans que le gouvernement tunisien s’en émeuve. Quant aux Subsahariens en situation irrégulière en Tunisie, ils seraient autour de 21 000. Alors pourquoi tant de crispation et de hâte à s’en débarrasser brutalement ? Il est aussi étonnant que l’on ressorte des idées d’un autre temps aux relents hitlériens, ces histoires de changements démographiques… Sérieusement ?

Cette affaire est risible tant elle relève d’une profonde ignorance sur l’Afrique. Sommes-nous tous des Blancs ? N’avons-nous pas une communauté, ainsi que des conseillers et des ministres noirs ? On est loin de l’ouverture et de la jeune démocratie dont les Tunisiens étaient si fiers. Cette décision d’en finir avec les migrants irréguliers fait reculer la Tunisie, qui jusque-là bénéficiait d’un capital de sympathie en Afrique du fait de son pacifisme et de ses liens anciens avec le continent.

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Les autorités se défendent en expliquant qu’il ne s’agit que de faire respecter la loi sur l’immigration…

Dans ce cas, les choses auraient pu être dites autrement, avec pondération et sans déchaînement de haine. La réflexion aurait dû être conduite depuis 2011 dans la sérénité. Le président aurait pu expliquer la situation de précarité de la Tunisie pour justifier sa décision, sans faire référence à des complots ou évoquer la religion. Il aurait pu aussi donner un délai de six mois aux migrants pour régulariser leur situation, au-delà duquel ils auraient pu être reconduits à la frontière. Il faut retenir que pour la plupart des Subsahariens, la Tunisie est une terre de transit et non d’accueil. Leur objectif est d’aller en Europe. Ils n’ont pas choisi d’être en Tunisie.

Mais la présence de migrants en Tunisie est néanmoins une réalité…

Il faut savoir que les tentatives de traversée depuis la Libye se déroulent dans la zone dite « Assar » qui est gérée par une coordination entre l’Italie, Malte, la Tunisie et la Libye. Les Italiens effectuent des balayages de la zone et informent les autorités sur la position des embarcations, puis les migrants se retrouvent en Tunisie. Ces clandestins, qui ont tout donné au passeur en Libye, sont alors piégés et doivent trouver les moyens de rejoindre l’Europe. Ils s’insèrent alors en Tunisie, travaillent et économisent, ou reçoivent de l’argent de leurs cousins en France ou en Belgique pour repartir.

Il faut comprendre et retenir que la Tunisie n’est pas leur destination finale, ils ne veulent pas y rester. Personne ne migre dans de telles conditions pour rester en Tunisie. C’est comme si des Tunisiens entreprenaient des traversées risquées pour aller au Kosovo. La migration n’est pas une mince affaire, elle dure des années avant d’atteindre la destination choisie. La Tunisie n’est qu’à 17 heures de Lampedusa.

Leur présence semble impacter l’économie tunisienne et plus particulièrement le marché de l’emploi, qu’en est-il ?

Les Subsahariens sont une main-d’œuvre précieuse puisqu’ils occupent des emplois pénibles dont les Tunisiens ne veulent plus, notamment dans l’agriculture ou la restauration. Reste que les lois ne sont pas claires et que les mises à jour nécessaires du corpus juridique n’ont pas eu lieu. L’autre aspect moins connu, c’est l’importance des fonds en devises qui parviennent en Tunisie par le biais de systèmes type Western Union. On parle d’environ 2 milliards de dollars. Or cet argent n’est pas seulement envoyé par la communauté tunisienne vivant à l’étranger, mais aussi par des Subsahariens. La Banque centrale de Tunisie ne communique pas sur ces chiffres. Ils sont pourtant édifiants.

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Et pour continuer dans les chiffres, rappelons aussi que les Subsahariens sont victimes d’une politique européenne qui veut externaliser les frontières. L’État tunisien en est le complice : il encaisse, aux termes des accords passés avec l’Italie, 8 millions d’euros pour les arrestations qu’il effectue dans le cadre d’une coopération sécuritaire entre l’Italie, Malte et la Tunisie.

Qui sont les personnes qui migrent vers l’Italie depuis le territoire tunisien ? 

Les chiffres suffisent tant ils sont éloquents : en 2022, 18 000 Tunisiens sont arrivés dans la péninsule, 15 000 en 2021, 13 000 en 2020. Faites les comptes, et comparez avec les 20 000 Subsahariens en situation irrégulière présents en Tunisie, selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux [FTDES]. Les Tunisiens sont les champions de la migration. Sans compter que derrière ce trafic humain, des mafias sont à l’œuvre. Il faut d’ailleurs constater que le flux actuellement observé n’est pas normal : il est très étonnant qu’en trois jours 5 000 personnes aient tenté la traversée vers l’Italie depuis Sfax. Il y a forcément des complicités.

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Quelle est la solution et d’où peut-elle venir ?

Il faut d’abord se mettre dans la tête que la migration n’est pas un caprice mais une contrainte, et que le phénomène va s’amplifier avec les changements climatiques et les pénuries d’eau, dont la responsabilité incombe en grande partie aux pays occidentaux. Il faut parler avec l’Europe de la question migratoire. Je suis prêt à m’impliquer pour proposer des programmes. Il ne faut pas répéter les erreurs commises par la France, par exemple, qui a loupé l’intégration au profit de la création de ghettos et de fissures identitaires dont on ne se remet pas.

Il faut aussi penser l’intégration en Tunisie et envisager une insertion, même temporaire, des migrants dans le développement au moins local. Ne surtout pas exclure les enfants des écoles car tout le monde à droit à l’éducation. Le plus urgent est de lancer une véritable collaboration interafricaine pour un dialogue avec l’Europe.

En Côte d’Ivoire, quand le Conseil café-cacao ferme les vannes

Le CCC, régulateur de l’industrie de l’or brun ivoirien, restreint les achats de fèves pour certains acteurs, dont les mastodontes du secteur, pour éviter une crise.

Mis à jour le 24 février 2023 à 17:35
 
 
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Yves Brahima Koné, directeur général du conseil café-cacao, lors des journées nationales du cacao et du chocolat le 29 septembre 2017, à Abidjan. © SIA KAMBOU/AFP

 

 

Il avait prévenu qu’il prendrait les mesures qui s’imposeraient. En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial d’or brun, le Conseil café-cacao (CCC), organe régulateur du secteur dirigé par Yves Brahima Koné, vient de fermer l’accès à l’achat des fèves à une vingtaine d’acteurs, dont les multinationales Cargill, Barry Callebaut et Olam.

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Cette fermeture est entrée en vigueur le 21 février, a indiqué Kadoko Bamba, le directeur de la commercialisation extérieure du CCC. « Elle devrait durer quelques jours », a-t-il précisé, ajoutant qu’elle concerne « les exportateurs ayant couvert leurs contrats de déblocage par du stock physique ».

Alors qu’un haut niveau de récolte était annoncé pour la grande campagne du cacao, qui se tient chaque année de septembre à mars, les opérateurs de la filière – clé pour l’économie ivoirienne – sont confrontés à une pénurie de fèves.

Risque de défaut

« L’affaire est sérieuse car il y a réellement un déficit, ce qui fait peser un risque de défaut sur certains contrats de fourniture de fèves », confie un acteur du secteur.

Conscient des difficultés, le CCC a organisé début février une réunion avec la filière. À son issue, il a publié un communiqué très rassurant mais qui évoquait déjà la solution finalement déployée cette semaine. « Pour permettre aux exportateurs d’honorer leurs contrats, le CCC prendra les mesures nécessaires pour limiter aux achats tous les exportateurs qui seront à l’équilibre afin que ceux qui ne le sont pas aient la possibilité de s’approvisionner », avait-il indiqué, précisant qu’il n’admettrait pas « la constitution de stocks par certains opérateurs alors que d’autres ne sont pas couverts ».

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Concrètement, le CCC, en coupant les vannes pour les acteurs dont les contrats sont déjà couverts, à savoir les leaders du secteur, entend permettre aux autres, principalement les négociants et exportateurs locaux de taille modeste, d’acquérir les fèves pour pouvoir honorer eux aussi leurs contrats.

Résultat, la mesure concerne une vingtaine d’acheteurs de fèves sur les quelque 90 que compte le pays mais il s’agit d’une minorité qui achète la majeure partie de la récolte.

À titre d’illustration, selon nos informations, sur les huit broyeurs installés en Côte d’Ivoire, seul un, à savoir la Compagnie cacaoyère du Bandama du groupe Eurofind fondé par Moustapha Khalil, décédé en mars 2014, est autorisé à acquérir des fèves actuellement.

Flux tendus

« La limitation des exportateurs aux achats est une mesure opérationnelle qui s’applique systématiquement lorsque les contrats de déblocage de l’exportateur sont couverts par des stocks physiques avec une marge de + 3 % », a indiqué Carine-Laure Poe, directrice chargée des délégations régionales et de la commercialisation intérieure.

Assurant que le CCC dispose d’une « bonne estimation des stocks des opérateurs dans les zones de production et les zones portuaires », elle a ajouté que « les opérateurs du bord champ disposant de stock sont orientés vers les exportateurs dont les contrats ne sont pas couverts par des stocks pour permettre à tous d’atteindre l’équilibre au 31 mars 2023 ».

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Reste que la mesure est accueillie avec des grincements de dents par les opérateurs bloqués à l’achat, et notamment les broyeurs, car ils vont devoir utiliser leurs stocks pour faire tourner leur usine sans pouvoir, dans l’immédiat, les reconstituer.

« On va devoir fonctionner à flux tendus sans avoir la garantie, par ailleurs, que la mesure permettra effectivement aux autres acteurs de s’approvisionner, pointe un acteur concerné. Les acteurs nationaux auront-ils les moyens d’acheter des fèves dont le prix grimpe en raison de la pénurie actuelle ? »

Au Burkina Faso, Ibrahim Traoré poursuit la mobilisation générale avec les corps paramilitaires

Le gouvernement burkinabè a annoncé le recrutement de 4 000 agents des Eaux et Forêts pour participer à la lutte contre le terrorisme aux côtés des VDP et des forces armées. Les gardes de sécurité pénitentiaire vont également être mobilisés.

Mis à jour le 22 février 2023 à 16:18
 

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Lors du conseil des ministres du 15 février, le gouvernement burkinabè a approuvé la création de 4 000 postes d’agents des Eaux et Forêts. © Présidence du Faso

 

Depuis son arrivée au pouvoir, le 2 octobre, jamais le capitaine Ibrahim Traoré n’avait été confronté à une telle crise. Le 17 février, au moins 51 militaires – selon un bilan toujours provisoire – ont été tués dans une embuscade entre Déou et Oursi, dans le nord du Burkina Faso. Trois jours plus tard, une autre attaque, cette fois à Tin Akoff, toujours dans le Nord, coûtait la vie à 19 autres soldats.

Face à cette situation alarmante, le jeune président de transition entend poursuivre sa mobilisation générale. Après l’enregistrement de 90 000 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils de l’armée, le gouvernement a annoncé l’augmentation des effectifs des Eaux et Forêts, corps paramilitaire du ministère de l’Environnement, de 4 000 agents d’ici à 2025. À l’issue du conseil des ministres, le 15 février, Augustin Kaboré, le ministre de l’Environnement, s’est félicité de ce recrutement qui va, selon lui, « permettre d’être plus efficient […] dans le cadre de la reconquête de notre pays. »

Déployés dans les réserves et parcs nationaux

« L’armée ne peut pas être la seule à être mobilisée. La question est : de quelles ressources disposons-nous aujourd’hui ? », confie une source gouvernementale. Le recrutement de ces 4 000 agents – 2 000 pour l’année 2023, 1 000 pour 2024 et 1 000 pour 2025 – vient s’inscrire dans le « plan d’action de la transition pour la lutte contre le terrorisme ». Fin 2022, le capitaine Ibrahim Traoré avait annoncé le début du « combat pour l’indépendance totale » du Burkina Faso, demandant « plus de sacrifices » à ses compatriotes.

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Une fois recrutés, les futurs agents des Eaux et Forêts rejoindront l’École nationale des Eaux et Forêts (ENEF) pour une formation de dix-huit à vingt-quatre mois, avant d’être déployés dans les différentes réserves et parc nationaux du pays.

« Ce recrutement obéit à une vision globale de lutte contre le terrorisme », poursuit notre interlocuteur. Avec ses grandes forêts difficiles d’accès, la région de l’est du Burkina Faso constitue un sanctuaire stratégique pour les groupes jihadistes. Les aires protégées font office de zones refuges pour les groupes armés qui y établissent leurs camps et bénéficient d’un accès aux ressources naturelles qu’ils utilisent pour financer leurs actions.

« Mal équipés et mal formés »

Le parc d’Arly, à l’est du Burkina Faso, qui fait partie du complexe tri-national du W-Arly-Pendjari (WAP) transfrontalier avec le Bénin et le Togo, est réputé pour être hors de contrôle et aux mains des groupes jihadistes. Plusieurs zones de chasse ont aussi été visées par des attaques, y compris les réserves de Singou et Pama, toujours à l’est du pays, empêchant les écogardes de mener à bien leur mission. En juin 2022, deux agents ont été enlevés par des membres d’un groupe armé lors d’une patrouille dans la forêt classée du Tuy, dans la région des Hauts-Bassins. Ils n’ont jamais été retrouvés.

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Connu pour être « mal équipé et mal formé à la situation d’insécurité grave », comme le soulignait un représentant de l’Union européenne (UE) lors d’une réunion de coordination régionale sur la question, en mai 2022, le corps des Eaux et Forêts burkinabè a subi plusieurs défections ces derniers mois. Incapable de faire face à la pression des groupes jihadistes, y parviendra-t-il davantage avec ses nouvelles recrues ? Contacté, le ministère de l’Environnement n’a pas souhaité apporter plus d’éléments sur la formation ou les moyens mis à disposition des nouveaux agents paramilitaires.

La sécurité pénitentiaire également concernée

Pour tenter de reconquérir les 40 % du territoire national contrôlés par les groupes jihadistes, « chaque corps de l’État va devoir jouer sa part », souligne-t-on au gouvernement. Ainsi, outre celui des Eaux et Forêts, le corps paramilitaire de la Garde de sécurité pénitentiaire, rattaché au ministère de la Justice, va également être mobilisé dans la lutte contre le terrorisme afin de permettre un meilleur maillage du territoire.

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Plusieurs catégories de la population ont déjà été mises à contribution par les autorités de transition. Après le recrutement des VDP, le gouvernement avait annoncé, fin 2022, la création d’un fonds de soutien à la guerre impliquant le prélèvement de 1% sur les salaires nets des travailleurs du public et du privé. Puis, face aux difficultés d’approvisionnement des villes sous blocus, les Burkinabè propriétaires de camions avaient été appelés à les mettre gratuitement à disposition de l’administration. Enfin, dernière annonce en date, le pagne du 8 mars ne sera pas édité cette année par souci de sobriété.