Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

À la Une : la violence repart de plus belle dans le centre du Mali

Audio 04:09
                                         Le site de Bandiagara au centre du Mali, paysage de falaises et de plateaux sablonneux avec des établissements humains traditionnels, représentatif de la culture Dogon.(Image d'illustration)
                                           
                                 Le site de Bandiagara au centre du Mali, paysage de falaises et de plateaux sablonneux avec des établissements humains traditionnels,                  représentatif de la culture Dogon.(Image d'illustration)
 AFP / FRANCOIS XAVIER MARIT

« Les cercles de Bankass et de Bandiagara ont été pris pour cible dans la nuit de lundi à mardi par des individus armés non identifiés, causant la mort de 11 militaires et quelques 13 civils, relève le quotidien L’Indépendant à Bamako. C’est le plus lourd bilan enregistré depuis plusieurs mois au centre du pays en moins de 24 heures. (…) Ces attaques simultanées sont intervenues après des semaines d’accalmie au centre du pays. Et surviennent aussi, rappelle encore le journal, quelques jours après l’élargissement de plusieurs dizaines de djihadistes comme monnaie d’échange pour la libération de Soumaïla Cissé et des trois otages européens. »

« On comprend dès lors la colère, la circonspection, voire le silence réprobateur des uns et des autres face à ce troc, soupire Aujourd’hui à Ouagadougou, un troc dont les conséquences pourraient annihiler le tort qu’on a voulu réparer. Si le 'festin' organisé à l’occasion du retour des enfants prodigues qui aurait été célébré vendredi dernier, sous le ciel festonné de Tessalit, si ce 'festin' est avéré, il ne faut pas s’étonner de ce qui s’est passé, dans la nuit de lundi à mardi, et qui va encore se répéter ailleurs. Les terroristes, que ce soit un territoire qu’ils revendiquent, une santé financière, des armes qu’ils veulent se procurer, n’ont plus d’autre job que ça, pointe encore Aujourd’hui, et il sera illusoire et puéril de croire que du jour au lendemain au détour d’un échange de prisonniers, leurs activités mafieuses au Sahel cesseront. »

Un prix trop élevé ?

« Sanglante amertume », renchérit L’Observateur Paalga, toujours au Burkina Faso : « ces récentes boucheries successives arrivent, en effet, quelques jours seulement après le troc humain de la semaine dernière (…). Un prix trop élevé pour certains qui estiment que cette remise en liberté des affreux contribue à alimenter le terrorisme, surtout quand on sait que parmi les relâchés, certains ont un pedigree de chiens enragés qui ont déjà planté leurs crocs assassins à Bamako, Ouagadougou et Grand-Bassam. Certes, remarque L’Observateur Paalga, ils n’ont pas eu le temps nécessaire pour renouer avec leurs habitudes criminelles ; certes encore, ce ne sont sans doute pas les mêmes katibas qui viennent d’ensanglanter le Mali, mais cette récente mare de sang apporte de l’eau au moulin de ceux qui ont toujours pensé que cet échange était une mauvaise affaire. Et ils n’ont pas si tort que ça. »

Une autre doctrine ?

Du coup, ne faudrait-il pas changer les règles du jeu ? Oui, estime Le quotidien en ligne Malikilé : « le temps n’est-il pas venu pour le Mali et au-delà pour les pays du Sahel à définir une doctrine commune et partagée sur l’attitude à observer sur les prises d’otages et les contreparties à consentir pour leur libération ? La règle doit désormais être claire et uniforme, estime le quotidien malien : ne pas médiatiser les prises d’otages, ne pas libérer de prisonniers aux mains tâchées de sang, ne jamais payer un kopeck de rançon et ne plus servir d’intermédiaires. Une telle démarche est sans doute plus facile à énoncer qu’à mettre en application. Mais c’est la seule façon de mettre un terme à une pratique assassine et à mieux assurer la sécurité de tous. »

Que faire désormais au Sahel ?

Plus largement, d’autres voix s’élèvent pour changer de doctrine au Sahel. Comme celle du général français Bruno Clément-Bollée, consultant international sur la sécurité en Afrique. Dans une tribune publiée par Le Monde Afrique, il s’interroge : avec « plus de 200 islamistes relâchés… comment poursuivre la lutte contre le terrorisme au Mali ? (…) La nouvelle a dû laisser pantois notre force (Barkhane) et ses alliés. (…) Il faut s’expliquer, estime le général Clément-Bollée. Avec les Maliens, il convient de savoir ce qu’ils veulent et redéfinir les règles du jeu. Avec nos alliés, il faut redéfinir les buts de cette guerre, l’effet final recherché. Que faire désormais au Sahel ? Contre qui nous battons-nous ? (…) Dans les conditions actuelles, mourir pour le Mali a-t-il encore un sens ?, s’interroge encore le général français (…) Peut-être faudra-t-il revoir notre posture, accompagnement d’une solution locale plutôt qu’imposition de la nôtre, avant d’imaginer la suite. Et en poussant un peu la réflexion, avec l’idée qu’une grande réconciliation est possible, ne se dessine-t-il pas en creux, conclut-il, les prémices d’une possible stratégie de sortie de crise pour Barkhane ? »

Violences sexuelles en Algérie : la société est-elle complice ?

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Des marches contre les violences sexuelles ont eu lieu le 10 octobre à Alger, Béjaïa, Oran ou encore Constantine, rassemblant des centaines de manifestants.

Des marches contre les violences sexuelles ont eu lieu le 10 octobre à Alger, Béjaïa, Oran
ou encore Constantine, rassemblant des centaines de manifestants. © © RYAD KRAMDI/AFP

L’assassinat de Chaïma, jeune femme de 19 ans violée puis brûlée vive, secoue le pays depuis plusieurs jours.

Les cheveux châtains, de grands yeux en amandes et un léger sourire. La photo de Chaïma circule depuis quelques jours dans la presse algérienne et sur les réseaux sociaux, où le hashtag #JusticePourChaïma a été partagé des milliers de fois. La jeune femme de 19 ans a été violée, frappée, puis brûlée vive par un homme de son âge. Son cadavre est retrouvé le 2 octobre dans la commune de Thénia, à l’est d’Alger. Selon la mère de la victime, le bourreau est un proche de la famille contre qui Chaïma avait déjà porté plainte pour viol en 2016.

Cette affaire est loin d’être un cas isolé. « Il y a deux mois, une fille de 15 ans a été violée par son voisin de 45 ans à Tipaza [ville côtière située à 61 kilomètres à l’ouest d’Alger]. Il l’a ensuite découpée puis jetée dans des sacs. Personne n’en a parlé », s’indigne Lina Farah Cheboub, créatrice de TBD Algeria, la seule plateforme algérienne exclusivement dédiée à la sensibilisation aux violences sexuelles.

Silence, on viole…

« À la même période à Oran, un enfant de 8 ans a été violé par quatre adultes. Pareil. Silence complet. » De là à parler d’un phénomène de société ? Par l’intermédiaire de sa plateforme et de la page Facebook Child Protection Algeria qu’elle modère avec une quarantaine de personnes, la militante de 27 ans raconte en tout cas avoir recueilli « plus de 25 000 témoignages de survivantes et survivants d’abus sexuel depuis juin dernier ».

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L’ABSENCE TOTALE D’ÉDUCATION SEXUELLE EXPLIQUERAIT L’ENRACINEMENT D’UNE « CULTURE DU VIOL » EN ALGÉRIE

Pour elle, « l’absence totale d’éducation sexuelle dans le pays » explique pour beaucoup l’enracinement d’une « culture du viol » en Algérie. Pour pallier cette carence, elle publie des vidéos où elle fait de la pédagogie sur les violences sexuelles en évoquant des sujets tabous comme le viol conjugal ou le consentement. « Le tout en arabe pour toucher l’ensemble de la société algérienne. »

Mais même avec beaucoup de volonté, il est compliqué d’aborder ce sujet sans s’attirer les foudres de ses concitoyens. « J’ai reçu énormément d’insultes et de messages privés agressifs après la publication d’une interview vidéo où je parlais de TBD Algeria », se remémore la jeune femme. Elle poursuit : « Je parlais d’un sujet grave et les gens commentaient ma tenue vestimentaire, me demandaient de me couvrir, disaient que j’étais la main étrangère… J’en ai fait des captures d’écrans et je les ai utilisés comme support pour parler de la culture du viol et illustrer mes propos. »

Difficile de donner accès à l’information sur les violences sexuelles quand aucun chiffre fiable n’existe. Les seules données communiquées sont celles de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). En 2019, sur un total de 7 083 plaintes enregistrés pour des violences faites aux femmes, l’organisme d’État déclare que seules huit d’entre elles portent sur des violences sexuelles. Un chiffre bien en-deçà de la réalité.

« Rien que dans mon cabinet, j’ai traité dix affaires de violences sexuelles en 2019 », assure Me Abdelhak Brahimi, avocat spécialisé en droit pénal à Blida. « Puis au tribunal, il y a au moins un cas par semaine », renchérit-il.

Faire reconnaître les souffrances

L’arsenal législatif existe pourtant bel et bien. En 2015, l’Algérie commence à moderniser ses textes pour punir les violeurs et permettre aux victimes de faire reconnaître leurs souffrances. Le pays amende alors son Code pénal et criminalise les violences sexuelles contre les femmes. Avec des peines allant de cinq à dix ans pour « quiconque a commis le crime de viol ».  Et de dix à vingt ans si la victime est mineure.

Mais la loi reste floue sur la définition du viol. « Par exemple, il n’est pas précisé si le viol conjugal est puni par la loi », commente Fadila Boumendjel-Chitour, présidente du réseau Wassila qui regroupe une vingtaine d’associations féministes depuis octobre 2000. « Et les victimes ne sont pas forcément conscientes d’avoir été violées. Pour elles, toute relation sexuelle dans le mariage est un devoir, on a un mal fou à les faire aller jusqu’au dépôt de plainte. Et surtout, à l’aboutissement de la plainte », déplore-t-elle.

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LES RARES VICTIMES QUI OSENT BRISER LE TABOU SUBISSENT DES VIOLENCES SUPPLÉMENTAIRES

Résultat, les rares victimes qui osent briser le tabou subissent des violences supplémentaires. « Oser rendre publique la situation les met encore plus en danger », constate Fadila Boumendjel Chitour lorsqu’elle accompagne les femmes dans leur démarche. Selon cette professeure en médecine engagée depuis plus de vingt ans, les remarques culpabilisantes viennent aussi de la police ou des magistrats.

« Dès le dépôt de plainte, la victime reçoit des commentaires : « Si tu continues, ça va briser la sécurité familiale », « pense à tes enfants », « comment vas-tu apporter la preuve que ce que tu racontes est vrai ? » La pression est d’autant plus forte si la femme est précaire, sans revenus, qu’elle n’a pas où se réfugier. »

Un système à réformer

« C’est l’ensemble du système qui est à réformer, réagit Hassina Oussedik, la directrice d’Amnesty International Algérie. Il faut certes agir sur les textes de loi, mais aussi et surtout sur les mentalités. » Pour elle, il est urgent de lancer des campagnes nationales de sensibilisation aux violences sexuelles. « Il y a eu des réformes en 2015, c’est très bien, mais sur le territoire national, combien de femmes sont au courant de la législation ? » Elle invite l’État à communiquer davantage là-dessus.

« Chaque année, il y a des campagnes de sensibilisation sur les accidents de voiture car ils conduisent à la mort. Mais sur les violences sexuelles, c’est le silence », tempête Hassina Oussedik. « Il faut mettre en place des campagnes pour susciter un changement de comportement. Que les témoins réagissent, ne considèrent pas que ça relève de la sphère privée et qu’on ne doit pas s’en mêler. »

La directrice d’Amnesty International Algérie voit dans la nouvelle génération de féministes une bonne raison d’espérer que la situation s’améliore. « Elles osent briser le silence. Elles s’emparent de cette question dans plusieurs villes d’Algérie et la médiatisent par l’intermédiaire des réseaux sociaux. », confie-t-elle. À l’initiative de ces jeunes militantes, des marches contre les violences sexuelles ont eu lieu la semaine dernière à Alger, Béjaïa, Oran ou encore Constantine, rassemblant des centaines de manifestants. Une première dans l’histoire de l’Algérie.

Les pancartes et les slogans dénoncent « le laxisme de l’État », « le silence de la société », et « la complicité de ceux qui incitent les victimes à se taire ». La diaspora algérienne en France a, elle, manifesté samedi et dimanche devant le consulat d’Algérie à Paris et place de la République.

« Tous frères », le cri du cœur du pape François
Dans sa troisième encyclique, publiée dimanche 4 octobre, le pape François propose une réflexion puissante et très concrète
sur la fraternité et l’amitié sociale.
Un appel au dialogue qui n’a jamais semblé aussi urgent, dans un monde fracturé par les conflits et les crises.

Mis à jour le 8 octobre 2020 à 6:20

Publié le 6 octobre 2020 à 2:36

 

© AFP PHOTO /VATICAN MEDIA / HANDOUT

En signant son encyclique à Assise (Italie), sur la tombe du « Poverello », samedi 3 octobre, le pape François a voulu marquer les esprits. Après Lumen fidei (en partie écrite par Benoît XVI) et Laudato si’son appel vibrant à préserver la « maison commune », Fratelli tutti peut se lire comme une forme de testament spirituel.

Avec force, le pape propose une boussole à une humanité désorientée. Si ce texte de 216 pages résonne comme un constat implacable sur l’état de notre monde fracturé par les guerres et les crises, c’est avant tout un appel urgent, adressé à tous, à vivre la fraternité. Non seulement à l’échelle de nos existences mais aussi de façon plus globale, entre les peuples, entre les cultures, les États.

À l’heure où la pandémie de Covid-19 paralyse le monde, où les populismes gagnent du terrain, où de nouveaux conflits éclatent et où les  inégalités se creusent, Fratelli tutti unifie les grandes causes qui ont marqué le pontificat du pape François depuis 2013. Migrations, guerres, pauvreté, incompréhensions entre les religions, crise du politique, dérives du capitalisme… Avec gravité et sans détours, le pape met le doigt sur la racine de tous ces maux : l’oubli de notre humanité commune.

Et nous invite à vivre en réponse une véritable révolution fraternelle.

Défenseur des migrants

Pour lui, la crise sanitaire mondiale, qui a éclaté alors qu’il rédigeait ce texte, a « mis à nu nos fausses certitudes » et révélé notre « incapacité d’agir ensemble », au point d’avoir parfois abandonné à leur sort les personnes âgées. D’une manière générale, « l’Histoire est en train de donner des signes de recul », met en garde François.

Il cite ainsi le racisme « qui se cache et réapparaît sans cesse », comme en écho aux tensions raciales qui secouent l’Amérique de Trump et tant d’autres pays. « Que signifient aujourd’hui des termes comme démocratie, liberté, justice, unité ? » s’interroge le pape, qui dénonce la tentation de vider de leur sens ou d’instrumentaliser « les mots importants », ce qui aboutit à «  liquéfier la conscience historique ».

Comme il n’a de cesse de le faire depuis sa visite sur l’île de Lampedusa, au sud de l’Italie, au début de son pontificat, François se fait le défenseur des migrants. Il débusque les discours cyniques qui les visent, en des termes très explicites : « On ne dira jamais qu’ils ne sont pas des êtres humains, mais dans la pratique, par les décisions et la manière de les traiter, on montre qu’ils sont considérés comme des personnes ayant moins de valeur, moins d’importance, dotées de moins d’humanité », dénonce le pape. « Il est inacceptable que les chrétiens partagent cette mentalité et ces attitudes », insiste-t-il, alors que l’accueil des migrants divise les catholiques.

Après l’incendie d’un camp de migrants sur Lesbos, une île grecque, qui a révélé l’incapacité des États européens à apporter une réponse commune à ce drame, François avertit l’Europe qui risque, selon lui, de perdre « le sens de la responsabilité fraternelle ».

La fraternité, seul antitode

Dans un monde malade, son diagnostic est sans appel. « Les sentiments d’appartenance à la même humanité s’affaiblissent et le rêve de construire ensemble la justice ainsi que la paix semble être une utopie d’un autre temps », constate-t-il. Ce rêve, le pape argentin n’y a pourtant pas renoncé. Avec Fratelli tutti, il apparaît plus que jamais comme l’un des seuls dirigeants mondiaux capables de proposer une autre voie. C’est même le cœur de son message : la fraternité est le seul antidote possible. Il n’y a pas de fatalisme. En pasteur attentif, avec douceur et pédagogie, il nous prend la main et nous propose de relire la parabole du bon Samaritain, comme un remède à notre indifférence. Ce faisant, il nous invite à agir concrètement, à notre niveau : « Chaque jour, nous sommes confrontés au choix d’être de bons Samaritains ou des voyageurs indifférents qui passent outre. »

>>> À lire sur Lepelerin.com Fratelli tutti, le texte complet de l’encyclique du pape François sur la fraternité.

Dans cette époque où le débat vire souvent au pugilat et au lynchage, en particulier sur les réseaux sociaux, dont il fustige « les messages rapides et anxieux », François invite à retrouver le sens du dialogue. C’est l’un des fils rouges de l’encyclique et le leitmotiv de son pontificat. Le pape nous exhorte à considérer les êtres différents non comme des « ennemis contre lesquels il faudrait se protéger », mais comme « des reflets divers de la richesse inépuisable de la vie humaine ». Pour lui, « une ouverture saine ne porte jamais atteinte à l’identité ». Bien au contraire : elle suscite une synthèse féconde, indispensable à l’équilibre des peuples.

Loin d’être une réflexion mièvre sur l’amour et l’altérité, Fratelli tutti est un plaidoyer ardent pour un nouvel ordre mondial, enraciné dans le respect de la dignité inaliénable de chaque personne. Sans être un programme politique, son texte donne des balises concrètes, dans la droite ligne de ses prédécesseurs.

Le pape puise aussi dans ses propres prises de parole qui ont jalonné son pontificat pour en livrer une vision unifiée. Appel à réformer l’Organisation des Nations unies – qui fête cette année ses 75 ans – au respect des engagements internationaux, au multilatéralisme… Tous les grands enjeux de notre temps sont là. Rappelant que « la politique ne doit pas se soumettre à l’économie », il étrille une nouvelle fois le néolibéralisme, la spéculation financière et la théorie du « ruissellement », « source de nouvelles formes de violence qui menacent le tissu social ».

C’est dans sa condamnation radicale des conflits que sa voix se fait la plus puissante, face à ce qu’il appelle une « troisième guerre mondiale par morceaux ». « Toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé, assène François. La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal. » Il récuse clairement le concept de « guerre juste », forgé par saint Augustin au V siècle, et fixe comme objectif « l’élimination totale des armes nucléaires ». Il rappelle enfin la détermination de l’Église à lutter pour l’abolition de la peine de mort partout dans le monde.

En guise d’envoi, le pape inscrit ses pas dans ceux de Martin Luther King, Gandhi, Desmond Tutu et Charles de Foucauld. Héritier de leurs intuitions, le pape François s’impose, avec Fratelli tutti, comme l’une des grandes consciences de ce temps.

Agnès Chareton, Christophe Chaland et François-Xavier Maigre

Pourquoi Allianz délaisse l’Afrique de l’Ouest

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Mis à jour le 09 octobre 2020 à 17h00
Le géant allemand Allianz conserve sa filiale sénégalaise (ici, son siège à Dakar).

Le géant allemand Allianz conserve sa filiale sénégalaise (ici, son siège à Dakar). © Youri Lenquette pour JA

En concluant un partenariat stratégique à 100 millions de dollars avec Jubilee Holdings, le géant allemand des assurances expose clairement sa stratégie : la priorité est désormais donnée à l’est du continent.

C’est un poids lourd des assurances particulièrement aminci qui repart en campagne d’acquisitions en Afrique. Après avoir cédé en mars 2019 ses parts dans ses filiales au Bénin, au Mali, au Togo et au Burkina Faso au sénégalais Sunu, puis fusionné ses activités en décembre de la même année avec Sunu Centrafrique Assurances, Allianz ressort le carnet de chèque.

L’assureur allemand vient en effet de conclure un partenariat stratégique avec Jubilee Holdings Limited  le plus grand groupe d’assurance d’Afrique de l’Est, fondé par le réseau Aga Khan , qui vise les cinq pays africains où Jubilee Insurance opère actuellement. L’accord couvre en effet les activités non-vie de Jubilee au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, et le segment des assurances à court terme au Burundi et à Maurice, dont le contrôle sera transféré à Allianz moyennant 10,8 milliards de shillings kényans (100 millions de dollars).

De son côté, Jubilee Insurance conservera ses activités vie et pensions, ainsi que ses activités d’assurance médicale au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. La transaction devrait être réalisée au premier trimestre 2021, après l’aval des autorités réglementaires des pays concernés.

En zone Cima, une réglementation qui ne passe pas

Un ancrage à l’Est, donc, pour celui qui se dispute des parts de marché avec un autre géant mondial, le français Axa, positionné, lui, en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest (avec des filiales au Maroc, en Algérie, en Égypte, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Cameroun et au Gabon). Choix qui s’explique d’autant plus que le cadre réglementaire ne lui est plus favorable à l’Ouest du continent.

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CE CADRE REND DIFFICILE LE MAINTIEN DE NIVEAUX DE RENTABILITÉ CONFORMES À NOS ATTENTES

« Cette opération est conforme à la stratégie du groupe car elle permet d’atteindre certains objectifs de rendement de capitaux propres et de rentabilité. Lors des dernières années, Allianz a continué d’enregistrer une rentabilité satisfaisante sur l’ensemble de la zone Cima (Conférence interafricaine des marchés d’assurance), y compris dans les entités cédées. Cependant, la nouvelle réglementation Cima impose un capital social minimum de 5 milliards de F CFA d’ici à la mi-2021 », explique à Jeune Afrique Nandini Wilcke, directrice régionale des fusions, acquisitions et de la transformation chez Allianz Africa.

Et de poursuivre : « compte tenu de la taille de ces marchés, les projections d’Allianz suggèrent que l’augmentation du capital réglementaire rendrait difficile le maintien de niveaux de rentabilité conformes aux attentes du groupe ».

Le Cameroun et la Côte d’Ivoire, toujours une priorité

Décidée en 2016, la réforme de la réglementation des fonds propres des assureurs de la zone Cima a porté le niveau de capital social des compagnies de la zone de 1 milliard à 3 milliards de F CFA (sous trois ans), puis à 5 milliards en 2021.

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NOUS AVONS INJECTÉ DES CAPITAUX LÀ OÙ CELA ÉTAIT NÉCESSAIRE

Une réforme censée renforcer le secteur et permettre l’émergence d’acteurs plus solides, capables de réaliser les investissements en produits, innovations techniques et canaux de distributions jugés nécessaires à la croissance du secteur. Le coût de cette réforme a toutefois suscité de nombreuses inquiétudes au sein des acteurs locaux. Contexte de pandémie de Covid-19 oblige, elle interroge également les géants du secteur.

Toutefois, Allianz l’assure, il a poursuivi ses investissements dans les marchés Cima où  il occupe actuellement des positions fortes, notamment en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Cameroun. « Nous avons injecté des capitaux là où cela était nécessaire pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires, et nous continuons de développer nos réseaux de distribution pour offrir le meilleur des solutions Allianz à nos clients », indique Nandini Wilcke.

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LE GROUPE EST DÉSORMAIS IMPLANTÉ DANS DOUZE PAYS DU CONTINENT

Le groupe allemand, qui a affiché un chiffre d’affaires global de 142 milliards d’euros en 2019, dont 663 millions d’euros pour le continent africain, termine ainsi le recentrage de ses activités vers les marchés les plus performants. Et il espère désormais atteindre une position de leader également à l’Est du continent.

>>> À lire sur Jeune Afrique Business+ : Allianz Africa change de pilotes au Cameroun et en Côte d’Ivoire <<<

En attendant, avec son incursion dans quatre nouveaux pays (Allianz Partners est déjà implanté à Maurice), le groupe piloté par Olivier Bäte depuis 2015 dispose d’une empreinte dans douze pays du continent. Neuf, au titre de sa branche Allianz Africa.

France: Quel bilan pour les mesures administratives de lutte contre le terrorisme? The Conversation

 Depuis l’adoption le 9 septembre 1986 de la première loi se donnant pour objet d’apporter une réponse pénale spécifique à la criminalité dite « terroriste », l’arsenal répressif en la matière n’a cessé de se durcir et de s’étoffer.

Vincent SizaireUniversité Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Une résurgence d’une répression purement administrative

C’est dans ce contexte que l’on assiste, depuis le début des années 2010, à la résurgence d’une répression purement administrative du terrorisme qui, sans offrir aux personnes mises en cause les mêmes garanties qu’en matière judiciaire, se traduit par des mesures restrictives de liberté particulièrement coercitives.

Une coercition qui s’est notamment donnée à voir durant la mise en œuvre de l’état d’urgence entre novembre 2015 et septembre 2017, en application duquel des milliers de personnes ont été perquisitionnées ou assignées à résidence sur simple ordre du préfet ou du ministre de l’Intérieur, sans aucun contrôle de l’autorité judiciaire.

De nombreux observateurs ont alors pointé le caractère arbitraire et discriminatoire de ces mesures, montrées en outre comme particulièrement peu efficientes dans la lutte contre la criminalité terroriste : les perquisitions conduites sur le fondement de l’état d’urgence n’ont révélé aucune infraction dans près de 88 % des cas et, lorsqu’elles ont été fructueuses, elles ont essentiellement permis la découverte de stupéfiants, d’armes ou d’infractions au droit du travail ou au droit des étrangers.

C’est pourtant leur pérennisation qu’a souhaité le gouvernement en faisant adopter, le 30 octobre 2017, une loi inscrivant les perquisitions et assignations à résidence administratives dans le droit commun.

Alors que le Parlement est prochainement appelé à se prononcer sur la prorogation de ces mesures au-delà du 31 décembre 2020 – limite initialement prévue à leur application – leur efficacité mérite plus que jamais questionnée. Ces mesures permettent-elles réellement de prévenir, constater, élucider et le cas échéant sanctionner les infractions terroristes ?

Une inefficacité manifeste

L’analyse des deux premières années de leur mise en œuvre met en exergue leur inefficacité manifeste à cet égard. Il ressort en effet des rapports de contrôle parlementaire de ces mesures que plus de 90 % des perquisitions domiciliaires, pudiquement renommées « visites et saisies » n’ont mise en évidence aucune infraction terroriste.

Et, lorsque tel a été le cas, il s’agissait en réalité, dans la très grande majorité des cas, du délit d’apologie du terrorisme soit une infraction provoquée par la mesure elle-même, lorsque les personnes perquisitionnées auront été suffisamment stupides – ou suffisamment bouleversées – pour afficher leur soutien à telle ou telle organisation criminelle devant les services de police.

Au final, seules deux personnes sur les 167 perquisitionnées auront été poursuivies du chef d’associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste – étant observé que leur mise en cause aurait tout aussi bien pu intervenir dans le cadre d’une procédure pénale.

Quelle efficacité des assignations à résidence ?

L’efficacité des assignations à résidence administratives, renommées « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance » en ce qu’elles ne permettent pas d’assigner une personne dans un périmètre géographique inférieur au territoire de la commune, est en théorie plus difficile à mesurer.

L’absence de commission d’infractions terroristes par les personnes qui y sont soumises peut s’analyser tout aussi bien comme la preuve de leur efficacité que comme celle de leur inutilité, tant il est vrai que la seule interdiction faite à la personne de quitter sa commune ne l’empêche en rien de commettre un délit. Il également difficile d’objectiver à quel point, en la dévoilant, la mesure affecte l’efficacité de la surveillance policière des individus soupçonnés de préparer la commission d’attentats.

Il est revanche un risque que le bilan de leur mise en application met en exergue : celui de l’enfermement dans la délinquance des personnes assignées.

De Howard Becker à Laurent Mucchielli, la sociologie de la délinquance nous enseigne en effet que la stigmatisation par les autorités répressives de certaines catégories de citoyens en raison des infractions qu’on leur prête a paradoxalement pour effet d’accroître leur propension à les commettre.

Or c’est majoritairement à l’égard des personnes sortant de prisons – pour plus de 63 % des cas – que les mesures de surveillance administrative sont ordonnées.

Des critères trop imprécis

Au reste, l’inefficacité des mesures administratives de répression du terrorisme s’explique aisément par leur nature juridique et le cadre légal de leur mise en œuvre. D’une part, il s’agit officiellement de mesures de police administrative, lesquelles n’ont ni pour effet ni pour objet de concourir à l’élucidation des infractions. D’autre part et surtout, les critères permettant de les ordonner sont beaucoup trop imprécis et extensifs pour permettre une réponse suffisamment ciblée pour être efficace.

Elles peuvent en effet être prises à l’encontre de

« toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui, soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».

Or, loin de borner l’action des autorités, la référence au terrorisme permet d’étendre très largement le filet répressif.

Cette catégorie juridique est en effet des plus malléables puisque la seule chose qui permet de qualifier une infraction de terroriste est le fait qu’elle soit commise « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Une définition on ne peut plus imprécise, qui fait que le basculement d’un acte délictueux dans la catégorie du terrorisme résulte en dernière analyse du fait du prince.

À l’heure où chaque nouvel attentat est prétexte à la surenchère répressive, le bilan des mesures administratives de répression du terrorisme nous invite au contraire à rechercher dans un meilleur encadrement de l’action du pouvoir répressif l’efficacité bien comprise de la lutte contre la criminalité terroriste.

Loin de la répression aveugle et contre-productive héritée de l’état d’urgence, et ainsi que nous y engagent les instances internationales, c’est à une réponse pénale plus ciblée et plus proportionnée que nous devons travailler.

Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

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