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G7: cinq pays africains présents, la sécurité du Sahel au menu

Le Burkina Faso de Roch Marc Christian Kaboré ( 2e au centre), sera présent au G7 comme président du G5 Sahel (photo d'illustration).
© SIA KAMBOU/AFP

Cinq pays africains sont invités au G7 de Biarritz. L’Égypte, l’Afrique du Sud et le Rwanda, la « troïka » de l’Union africaine, de même que le Sénégal et le Burkina Faso, qui président respectivement le Nepad et le G5 Sahel. Le thème général du sommet est la lutte contre les inégalités, sujet qui concerne l’Afrique au premier plan. Mais plusieurs autres thèmes abordés concerneront aussi le continent, à commencer par l’insécurité au Sahel.

Ce n’est pas parce que le G7 réunit les démocraties libérales les plus avancées que sa présidence française entend faire l’impasse sur l’Afrique. Au contraire. À Biarritz, Paris souhaite notamment faire débloquer le financement des forces de sécurité des États sahéliens, qui luttent contre les jihadistes.

Il a longtemps été question de transformer le G5 Sahel en mission des Nations unies, mais cela ne fait pas l’unanimité. Washington, surtout, hésite à financer une énième mission onusienne en Afrique, parce que trop chère, trop compliquée à ses yeux. Les États-Unis ont préféré jusqu’à maintenant négocier des accords militaires bilatéraux avec des États considérés comme fiables, à commencer par le Niger et le Burkina.

Sécurité au Sahel

A Biarritz, la France espère rallier tout le monde avec ce qu’on décrit, de source diplomatique, comme un nouveau « partenariat » pour la sécurité au Sahel. Concrètement, il s’agirait d’épauler les forces armées des pays membres du G5 Sahel, mais également leurs policiers et douaniers. Reste à savoir si la formule séduira le président Trump.

Les participants africains au sommet ne manqueront pas, quant à eux, de soulever deux questions qui restent en suspens. Les sommes allouées par les pays du G7 et la zone d’intervention exacte de ce partenariat, qui pourrait s’étendre jusqu’aux rives du lac Tchad.

Algérie: après 6 mois de contestation, l'Algérie à la croisée des chemins

Depuis le 22 février dernier, la mobilisation ne faiblit pas en Algérie mais elle doit faire face à un pouvoir inflexible.
© RYAD KRAMDI / AFP

En Algérie, depuis le 22 février dernier, les Algériens descendent inlassablement dans les rues notamment à Alger où toute manifestation était pourtant interdite depuis 18 ans. Six mois après cette contestation inédite, ce mouvement ne faiblit pas, mais fait face à un pouvoir inflexible.

Six mois après cette contestation inédite, l'heure est au bilan. La première victoire des Algériens a été la démission le mardi 2 avril dernier du président Abdelaziz Bouteflika au pouvoir depuis 20 ans et briguant un inéluctable 5e mandat. C'est cette humiliation ultime qui a mis le feu aux poudres.

Un « système » toujours en place

Depuis cette démission, le Hirak (le mouvement ndlr) n'a pas obtenu d'avancée vers le changement de régime qu'il réclame. Quelques figures, hommes d'affaires et politiques jusque-là intouchables accusés de corruption, ont bien été mis sous les verrous.

Louisa Dris-Aït Hamadouche, professeure de Sciences politiques à l'Université d'Alger, liste quelques acquis de cette mobilisation, « la prise de conscience de ce qui est désormais politiquement inacceptable, l'élévation des aspirations à un niveau inédit (...) et la conscience du pouvoir de mobilisation .»

Mais le « système » est toujours en place. Le haut-commandement de l'armée, plus discret sous Bouteflika, est de nouveau le détenteur du pouvoir réel.

Au-delà de l'impasse politique, beaucoup a changé pour les Algériens en six mois. La peur de manifester est tombée, la jeunesse que beaucoup croyait incapable de se mobiliser s'est réapproprié la politique et le mardi et vendredi, les rues ne désemplissent pas malgré les mois qui passent, le ramadan et les vacances d'été.

« Aujourd'hui, plus rien ne peut se faire contre les Algériens »

Ce mouvement inédit a créé un rapport de force avec le pouvoir, inexistant il y a encore six mois. Mais ce dernier qui ne veut rien lâcher, ne peut plus ignorer son peuple. Pour preuve, la présidentielle du 4 juillet a été annulée grâce à ce pays mobilisé.

« Le principal acquis est psychologique. Les Algériens ont dépassé la peur. Les Algériens se sont rendu compte qu'ils acceptaient leurs différences. Le drapeau algérien a flotté à côté du drapeau amazigh dans tout le pays, sans que cela pose un problème dans des villes à majorité arabophone », souligne Ihsane El Kadi, directeur du site d’infos économiques Maghreb Emergent.

Pour lui, la démission d'Abdelaziz Bouteflika n'est pas l'essentiel de la mobilisation. C'est surtout la réappropriation de la politique par les Algériens.

« Le caractère pacifique de la mobilisation est essentiellement dû à la forte présence féminine qui, dans l’espace public, a changé la relation. Les Algériens se sont donc mélangés, y compris socialement. C’est un soulèvement transclasses, il y a des professions libérales, des riches, des milieux populaires, des jeunes supporters de clubs de football qui viennent de milieux populaires qui se fréquentent dans les manifestations », explique Ihsane El Kadi.

Le pouvoir est désormais confronté à une société qui a pris conscience de sa force collective et qui a retrouvé sa liberté d'expression. « Les Algériens se sont rendu compte qu’ils étaient puissants quand ils se remettaient ensemble à s’intéresser à leur destin. Ils sont les maîtres de la situation. Aujourd’hui, plus rien ne peut se faire contre les Algériens », poursuit le directeur du site d'infos économiques.

                                                     
«Le caractère pacifique de la mobilisation est essentiellement dû à la forte présence féminine.
     Les Algériens se sont donc mélangés, y compris socialement», explique Ihsane El Kadi,
directeur du site d’infos économiques Maghreb Emergent. © RYAD KRAMDI / AFP

Aucune avancée démocratique

Si la parole s'est libérée dans la rue, du point de vue des institutions, aucune avancée démocratique n'est à relever. « Il n’y aucun progrès démocratique depuis le 22 février sur le plan institutionnel. Je suis dans des organisations de la société civile, je suis dans le Syndicat algérien des éditeurs de la presse électronique et il est impossible d’avoir un lieu pour se réunir. Il n’y a rien qui a bougé », continue d'expliquer Ihsane El Kadi.

En Algérie, les médias publics sont sous la main de Gaïd Salah après avoir été sous la main d'Abdelaziz Bouteflika. Les médias privés proches des oligarques soutiennent Gaïd Salah. « Internet est réprimé, les médias électroniques ne sont pas reconnus, la radio en Algérie est strictement publique. Les activistes sont arrêtés, interpellés. Il y a des détenus d’opinion par dizaines », s'indigne le directeur de Maghreb Emergent.

« Il ne faut pas qu’on se trompe. Un rapport de force a été créé entre le peuple et le pouvoir depuis le 22 février, qui fait que le peuple n’a plus peur, qu’il sort et qu’il affiche sa façon de voir l’avenir. Mais autrement, sur le plan institutionnel, on pourrait même dire que d’une certaine façon, il y a quand même une régression », conclut Ihsane El Kadi.

 

Burkina: émotions et critiques après l'attaque meurtrière de Koutougou

Le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré.
© LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

L’attaque de Koutougou - dans laquelle, selon un dernier bilan, 24 soldats ont été tués, cinq sont portés disparus et sept autres ont été blessés - est considérée comme la plus meurtrière jamais perpétrée contre les forces armées burkinabè depuis le début des attaques terroristes en 2015.

« C’est un bilan qui est lourd, c’est un bilan qui nous interpelle », a déclaré le président Roch Marc Christian Kaboré dans un message à la nation après l'attaque lundi du détachement de Koutougou, dans la province du Soum, au nord du Burkina Faso. « Le 19 août est une tache noire dans la vie de notre armée nationale », a admis le chef de l’État burkinabè.

« Mais au-delà de l’émotion, a-t-il souligné, ce qui est important, c'est que nous devons réaffirmer notre solidarité, notre accompagnement, notre soutien, aux forces de défense et de sécurité ».

L'opposition demande la démission du gouvernement

Pour l’Union pour le progrès et le changement (UPC), la condamnation seule ne suffit pas. « Il faut dire la vérité et soigner le mal à la racine », réagit le parti du chef de file de l’opposition. L’UPC accuse le gouvernement d’avoir échoué dans sa mission de sécurisation du pays. « C’est une équipe dépassée par la tournure des événements », affirment les responsables du parti.

L’UPC demande la démission pure et simple du gouvernement en place et la nomination par le président Roch Marc Christian Kaboré d’une nouvelle équipe qui aura pour mission première, la défense de l’intégrité territoriale et la sécurité des Burkinabè.

Le CDP, l’ex-parti au pouvoir se dit quant à lui « consterné » par le lourd bilan de l’attaque. Il exhorte le gouvernement à prendre des mesures adaptées et à renforcer les équipements militaires pour la protection des populations.

La réaction du parti au pouvoir ne s’est pas fait attendre. Dans une déclaration, Simon Compaoré, le président intérimaire du Mouvement du peuple pour le progrès indique que « l’heure doit être impérativement au rassemblement et toute autre attitude doit être condamnée avec une extrême vigueur ».

Tchad : état d’urgence déclaré dans l’est du pays

| Par Jeune Afrique avec AFP

En visite dans deux provinces à l'est du Tchad, le président Idriss Déby Itno a déclaré dimanche l'état d'urgence après une vague d'affrontements communautaires qui ont fait des dizaines de morts en août.

L’état d’urgence est déclaré pour trois mois dans les provinces du Sila et du Ouaddaï, à la frontière entre le Tchad et le Soudan. Des affrontements entre cultivateurs et éleveurs y ont fait plus de 50 morts depuis le 9 août, selon la présidence qui ne dresse pas de bilan plus précis.

Depuis plusieurs dizaines d’années, la province du Ouaddaï, zone de transhumance, est en proie à des conflits entre éleveurs nomades arabes et cultivateurs autochtones ouaddaïens.

« Dès maintenant, nous allons déployer des forces militaires qui vont assurer la sécurité de la population dans la zone », a assuré dimanche le président Déby, en déplacement dans le Sila pour cette annonce.

« Dès que je quitte la province de Sila, il faut désarmer tous les civils de la zone qui ont des armes entre les mains », a-t-il ordonné.

Outre la saisie des armes et la présence de forces militaires, le président tchadien a annoncé l’interdiction de circuler à moto dans les deux régions, ainsi que la suspension des chefs des deux cantons à l’origine des affrontements.

Les violences avaient éclaté après la découverte des corps de deux jeunes éleveurs dans ces villages. « C’est une guerre totale que nous devons engager contre ceux qui portent des armes et sont à l’origine des morts d’hommes », avait dit le président Déby le 9 août lors d’une conférence de presse.

Armes en provenance du Soudan

A l’origine de ces éruptions de violences, on retrouve souvent les mêmes scénarios ou presque : un troupeau de dromadaires piétine le champ d’un agriculteur ou un jardin cultivé par une famille, déclenchant immédiatement la confrontation entre les hommes des deux communautés, la plupart du temps avec des armes à feu.

Le président tchadien a plus particulièrement incriminé l’afflux d’armes venues des pays frontaliers du Tchad en proie à de graves conflits comme la Libye, la Centrafrique ou le Soudan.

« La cause principale de ce conflit intercommunautaire est lié au désordre qui dégénère au Soudan », a-t-il insisté dimanche.

Russie-Afrique : la stratégie de Vladimir Poutine
pour reconquérir le continent

| Par

Au sud du Sahara et au Maghreb, Vladimir Poutine veut voir son pays jouer un rôle de premier plan, comme au temps de la guerre froide. Du 22 au 24 octobre, Sotchi, au bord de la mer Noire, accueillera le tout premier sommet Russie-Afrique.

Lorsque, en septembre 2006, il offrit à Vladimir Poutine du lait et des dattes en guise d’offrande de bienvenue, Mohammed VI savait que l’événement était exceptionnel à plus d’un titre.

Non seulement il s’agissait de la première visite d’un président russe au Maroc depuis la chute de l’URSS, en 1991 (la précédente, celle de Leonid Brejnev, remontait à 1961), mais l’homme aux cheveux clairs et au regard opaque que le souverain chérifien recevait avec tous les honneurs n’avait presque jamais mis les pieds dans un pays africain, à l’exception de l’Algérie, six mois plus tôt, et de l’Égypte, l’année précédente.

Faible intérêt pour le sud de l’Afrique

Certes, Poutine s’est depuis rendu en Libye (2008) et deux autres fois au Caire (2015 et 2017). Mais de l’Afrique subsaharienne, le président russe ne connaît à ce jour que l’Afrique du Sud. C’est dire le peu d’intérêt que le sud du continent lui inspire, du moins sur le plan personnel. Et pourtant… C’est justement à Johannesburg, lors du sommet des Brics – ce bloc de cinq pays émergents censé faire contrepoids aux Occidentaux –, qu’en juillet 2018 il a lancé « sa » grande idée : organiser un sommet Russie-Afrique.

Une première dans l’histoire de son pays, alors que s’effaçait le souvenir des relations privilégiées qui, dans les années 1970, unirent un continent en pleine décolonisation à une URSS en plein trip tiers-mondiste.

Sotchi, un sommet historique

Du 22 au 24 octobre, Sotchi, au bord de la mer Noire, accueillera ce grand raout diplomatique, qui sera précédé d’un forum d’affaires. Avec son climat méditerranéen, la ville fut longtemps un havre pour les tuberculeux (parmi lesquels le dramaturge Anton Tchekhov), traînant sous les palmiers leurs espoirs de guérison. Elle est aussi réputée pour ses eaux soufrées aux vertus antirhumatismales, dans lesquelles Staline trempait son pied bot, et où toute sa cour, terrifiée, était sommée de l’accompagner en villégiature.

Totalement remodelée en vue des Jeux olympiques d’hiver de 2014 – pour le meilleur et pour le pire ! –, elle subit un nouveau lifting de ses infrastructures et de ses centres de conférences en prévision de l’événement. Car le gouvernorat de Krasnodar et la Roscongress Foundation, qui assurent la logistique du sommet Russie-Afrique, n’attendent pas moins de dix mille personnes, parmi lesquelles une pléiade d’hommes d’affaires. Trente-cinq pays ont déjà confirmé leur participation, et nul doute que de nombreux dirigeants feront le déplacement.

Parmi ceux qui sont annoncés, l’Angolais João Lourenço, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, l’Ivoirien Alassane Ouattara, le Malien Ibrahim Boubacar Keïta, le Congolais Félix Tshisekedi, le Malgache Andry Rajoelina et l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui, en sa qualité de président en exercice de l’Union africaine, jouera les maîtres de cérémonie au côté de Poutine. Cela tombe bien : l’ancien colonel du KGB et le maréchal cairote s’apprécient. Comment pourrait-il en être autrement, dès lors que le premier n’a rien trouvé à redire à la manière dont le second est parvenu au pouvoir et châtie ses opposants ?

Enthousiasme

À en croire Mikhaïl Bogdanov, l’envoyé spécial de Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique, l’enthousiasme est tel que ce sommet, loin de rester une expérience unique, aura lieu à l’avenir « tous les deux ou trois ans ». Ni lui ni Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, n’ont ménagé leurs efforts, multipliant depuis le début de l’année les déplacements sur le continent pour préparer le terrain diplomatique et commercial.

On a vu Bogdanov en Égypte, au Kenya, en Tanzanie, en Centrafrique, au Soudan (où les relations sont à reconstruire, le camarade El-Béchir ayant été entre-temps renversé), à l’investiture de Rajoelina et d’Ould Ghazouani. Lavrov a fait une tournée au Maghreb, au cours de laquelle il a été reçu en audience par Mohammed VI.

D’autres responsables sont à la manœuvre. À son conseiller diplomatique Iouri Ouchakov, qui n’est pas un spécialiste de l’Afrique mais un fidèle parmi les fidèles, Poutine a confié les préparatifs du sommet. Autre pièce maîtresse du dispositif : Andreï Kemarski, le « Monsieur Afrique subsaharienne » au ministère des Affaires étrangères, qui, en janvier, a participé à la conférence de Khartoum sur le conflit en Centrafrique.

Également réquisitionnés, un certain nombre d’ambassadeurs (anciens ou actuels), maîtres dans l’art de parler à toutes les factions, fussent-elles irréductiblement opposées ; Andreï Slepnev, le patron du Centre russe des exportations ; enfin, les membres de l’Institut des études africaines de la prestigieuse Académie des sciences de Russie.

poutine

Vladimir Poutine reçu par Mohammed VI à Casablanca, en 2006. © MIKHAIL METZEL/AP/SIPA

Convaincue du « potentiel des ressources de l’Afrique dans l’économie mondiale du XXIe siècle », titre de la thèse qu’elle soutint en 2011, Irina Abramova, la directrice de cet institut, participe à des réunions préparatoires au sommet et milite depuis longtemps pour que son pays ne se laisse pas (trop) distancer par la Chine. Les africanistes Alexeï Vassiliev, Evgueni Korendyasov et Andreï Maslov figurent parmi les coordinateurs du rapport « Russie-Afrique. Une vision commune à l’horizon 2030 », qui sera présenté à Sotchi et servira de base aux discussions futures.

Moscou, « the place to be » ?

Ce sommet et le forum d’affaires qui lui est associé auront été précédés, en juin et juillet, d’une série d’événements où les Africains ont eu la part belle : le Forum économique international de Saint-Pétersbourg (Spief), dont l’invité d’honneur, en 2018, fut le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra ; l’assemblée annuelle de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), dont la Russie est devenue actionnaire il y a deux ans ; une réunion interparlementaire Russie-Afrique, à Moscou.

Est-ce à dire que le continent, qui, dans le document « Conception de politique étrangère » (2016), ne figurait qu’à l’article 99, autrement dit bon dernier, est désormais une priorité pour Moscou ? Et que la place Rouge est devenue « the place to be » pour les chefs d’État africains ?

Depuis 2015, leurs voyages en Russie se font plus fréquents : Robert Mugabe (2015), Mohammed VI (2016), Omar el-Béchir, Alpha Condé (2017), Ali Bongo Ondimba, F.-A. Touadéra, Macky Sall, Abdel Fattah al-Sissi (2018), Emmerson Mnangagwa, João Lourenço, Denis Sassou Nguesso (2019) se sont ainsi succédé auprès de Vladimir Poutine.

Eaux troubles

Touadéra s’en est tellement rapproché que Paris s’en alarme. L’installation d’experts militaires russes en Centrafrique et, au sein même de la présidence, du « conseiller à la sécurité » Valery Zakharov a conduit Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, à déplorer la « présence active de la Russie, récente, significative, antifrançaise ».

Diamants, or et uranium en échange d’un soutien militaire (et de la sécurité du président centrafricain)… Le deal scellé en octobre 2017 à Sotchi (décidément !) entre les Russes et Touadéra est la partie la plus visible d’un iceberg que les Occidentaux voient avec inquiétude dériver au-delà des eaux troubles du Chari.

Depuis les théâtres de guerre ukrainien et syrien, les mercenaires de la milice Wagner, que l’on dit dirigée en sous-main par le mystérieux Evgueni Prigojine, ont aussi, selon le Moscow Times, essaimé au Soudan, en Libye, en RD Congo, à Madagascar, en Angola, au Mozambique, au Zimbabwe, en Guinée et en Guinée-Bissau, où ils proposent leurs services en matière de sécurité contre des concessions pétrolières ou minières. Officiellement sans lien avec le Kremlin, ils n’en ont pas moins « le droit », dixit Poutine, « de défendre leurs intérêts commerciaux aux quatre coins de la planète ».

Rangers

De fait, après des décennies d’absence, les Russes ont remis les rangers sur le continent. Ils envisagent avec l’Érythrée de construire une plateforme logistique dans l’un des ports de ce pays, à laquelle leurs navires de guerre auront accès. Ces quatre dernières années, une vingtaine d’accords de coopération militaire ont été signés, et le mouvement s’accélère : Guinée et Centrafrique en 2017 ; Égypte, Burkina et RD Congo en 2018 ; Soudan, Mali et Congo en 2019.

Un mémorandum a même été signé avec la SADC (seize pays d’Afrique australe), incluant des sessions d’entraînement. Des conseillers pointent leur nez en Guinée-Bissau. La visite à Moscou de deux ministres ivoiriens – Hamed Bakayoko (Défense), en août 2018, et Marcel Amon-Tanoh (Affaires étrangères), en juillet 2019 – signifie-t-elle que leur pays pourrait à son tour conclure un accord de ce type ?

Premiers fournisseurs d’armes du continent

Les ventes d’armes se portent comme un charme grâce à la guerre en Syrie, lors de laquelle les Russes ont fait la démonstration de leur efficacité. Selon l’institut Sipri, à Stockholm, ils sont les premiers fournisseurs de l’Afrique (35 %), devant la Chine (17 %), les États-Unis (9,6 %) et la France (6,9 %). Si l’Algérie reste leur terre d’élection, le Maroc, l’Égypte et le Nigeria deviennent des clients non négligeables.

La guerre en Tchétchénie a, elle, doté la Russie d’une expérience en matière de lutte contre le terrorisme, qu’elle fait valoir auprès des nations exposées à ce péril (pays du Maghreb ou du Sahel, Nigeria). Images satellitaires, coopération sécuritaire, échange de renseignements sont autant de nouveaux instruments sur lesquels Moscou s’appuie pour renforcer son influence. Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité nationale et farouche antiaméricain, joue les émissaires de Poutine auprès de certains chefs d’État, organise des forums sur le terrorisme et reçoit des chefs de services de renseignements, comme récemment celui de Madagascar.

Cet activisme n’est, on s’en doute, pas du goût des États-Unis. En décembre 2018, John Bolton, le conseiller à la Sécurité nationale, puis, en mars, le général Waldhauser, commandant d’Africom (la force américaine en Afrique), ont fait part de leur inquiétude, relayée par la presse anglo-saxonne.

The Guardian, notamment, a divulgué en juin des documents russes « ultra-secrets » mentionnant les pays que Moscou (via les « activités » d’Evgueni Prigojine) est parvenu à infiltrer : le Soudan, Madagascar, la Centrafrique (niveau 5, le plus élevé) ; l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, la Libye (4) ; le Soudan du Sud (3) ; le Tchad, la RD Congo et la Zambie (2). Également mentionnés comme cibles : le Mali, l’Ouganda, la Guinée équatoriale et l’Égypte (1).

Problème : ces fuites émanent du Dossier Center, que dirige Mikhaïl Khodorkovski, l’oligarque que Poutine jeta en prison et qui, aujourd’hui en exil à Londres, lui voue une haine inexpiable.

Fantasmes et « intox »

Propagande, contre-propagande… Comme au temps de la guerre froide, difficile de faire la part entre les fantasmes et les « intox » de l’un et l’autre camp. La presse anglo-saxonne accuse par exemple les Russes d’avoir favorisé la victoire de Rajoelina à la présidentielle malgache et celle de l’ANC aux législatives en Afrique du Sud en achetant des journalistes locaux ou en influençant les électeurs via les réseaux sociaux. Un peu de la même manière qu’ils auraient aidé Donald Trump à battre Hillary Clinton.

Il est en revanche certain que les 54 pays d’Afrique, qui représentent près d’un tiers des voix à l’Assemblée générale de l’ONU, constituent pour la Russie un réservoir de votes fort utile : en 2014, 58 pays s’étaient abstenus lors du vote de la résolution condamnant l’annexion de la Crimée. Parmi eux, l’Égypte, l’Algérie, l’Afrique du Sud, le Mali, le Rwanda, le Sénégal, le Gabon…

De même que les sanctions économiques infligées par les Occidentaux à la suite de l’annexion de la Crimée et du conflit larvé avec l’Ukraine poussent Moscou à s’intéresser à l’Afrique, celle-ci n’est pas insensible à la petite musique que lui fredonne le gentil nounours russe.

D’abord, ne l’ayant jamais colonisée, il n’a pu la décevoir. Ensuite, il s’abstient de toute ingérence moralisatrice. Poutine ne s’était-il pas élevé contre l’élimination de Kadhafi, qui a traumatisé plus d’un leader africain ? Qu’il soutienne le Vénézuélien Maduro ou le Syrien Assad, qu’il ait reçu, avant leur chute, Robert Mugabe ou Omar el-Béchir, a quelque chose de rassurant pour ceux qui ne sont pas de vertueux démocrates.

La stratégie de Poutine serait-elle la victoire posthume d’Evgueni Primakov ? Ministre des Affaires étrangères et Premier ministre à la fin des années 1990, cet arabisant aux sourcils broussailleux s’était attelé après la chute de l’URSS à reconstruire des relations avec l’Afrique dans l’objectif de constituer un bloc antioccidental et de faire émerger un monde multipolaire dans lequel la Russie pourrait renaître de ses cendres.

Terres et métaux rares

Et le business, dans tout ça ? Il en sera question à Sotchi dans le cadre du forum d’affaires, où les Russes espèrent signer de nombreux contrats. Terres et métaux rares sont dans leur viseur. Et pourtant… En Afrique, le pays de Poutine reste un nain économique. Le volume de ses échanges commerciaux avec le continent n’est que de 17 milliards de dollars par an, contre plus de 200 milliards pour la Chine.

Et puis, l’ours russe est pataud. Ses PME sont peu présentes et il n’a pas de biens de consommation à vendre. Restent les bonnes vieilles recettes : effacer de la dette en échange de la signature d’accords militaires bilatéraux ou du droit d’exploiter des ressources naturelles ; miser sur les gros investissements portés par l’État ; s’appuyer sur les géants Gazprom, Rosneft et Lukoil (hydrocarbures), Alrosa (diamants), Rusal (aluminium), Rosatom (nucléaire), Uralkali et Uralchem (engrais), Rosoboronexport (armement) dans la conquête de nouveaux marchés.

Bref, avec des moyens réduits, la Russie s’efforce de faire croire qu’elle a retrouvé sa splendeur d’antan. Cela s’appelle faire de la politique.