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Franc CFA : quatre pistes de réflexion pour réformer une monnaie controversée

| Par - avec Omer Mbadi et Léa Masseguin

Les uns souhaitent abolir ce qu’ils présentent comme un anachronique symbole de la colonisation. Les autres redoutent de déstabiliser les économies de la zone par des initiatives précipitées. Pour enfin sortir de ce débat stérile autour du franc CFA, JA propose des pistes de réflexion.

« Nous ne voulons plus du franc CFA, nous n’en voulons plus ! » La scène se passe au début de mars sur le grand marché de Lomé, capitale du Togo. Et la femme qui s’exprime avec une telle véhémence est une commerçante dont le client prétend régler ses achats avec des billets de la BCEAO flambant neufs, et qui, selon lui, ont davantage de valeur et de prestige que d’autres monnaies africaines. Autour d’elle, ses collègues s’attroupent et acquiescent.

Dans ce fief des célèbres Nana Benz (vendeuses de tissus wax), à des milliers de kilomètres de Rome, les récentes déclarations de Luigi Di Maio, le vice-président du Conseil italien, accusant la France d’« appauvrir » l’Afrique par le biais du franc CFA, ont fait mouche. Dans les quatorze pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest utilisant cette monnaie (dont la convertibilité est garantie par la France), l’opinion est de plus en plus sensible aux diatribes populistes des activistes anti-CFA.

Des détracteurs nombreux

Cette offensive sans précédent a été déclenchée il y a trois ou quatre ans. On se souvient de Kémi Séba, fondateur du mouvement Urgences panafricanistes, brûlant un billet de 5 000 F CFA, à Dakar, en août 2017… Depuis, ce même Séba tente de rallier à sa cause les foules africaines… Avec un succès relatif.

Les populistes ne sont pas seuls à se dresser contre cette « monnaie coloniale » qu’est, selon eux, le franc CFA. C’est également le cas de spécialistes reconnus, comme le Togolais Kako Nubukpo (universitaire et ancien ministre), le Sénégalais Abdourahmane Sarr (ancien du FMI), le Bissau-Guinéen Carlos Lopes (ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique), ou le Français Dominique Strauss-Kahn (ancien ministre et ancien patron du FMI). Sans être forcément d’accord sur tout, les uns et les autres stigmatisent un « système qui freine le développement », un « mécanisme désuet », des « rigidités pénalisantes » ou encore des « symboles peu défendables ».

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>>> À LIRE – Franc CFA : Carlos Lopes et Abdourahmane Sarr réagissent aux propositions de DSK


Enfin, comment ne pas évoquer le rassemblement planifié, en février à Bamako, par des responsables d’organisations de la société civile, des altermondialistes, des responsables politiques et des patrons d’ONG pour appeler à la tenue d’états généraux du franc CFA…

La France attend de ses partenaires des propositions qui ne viennent pas

La France face à la diaspora africaine

Dans ce contexte, les chefs d’État et les dirigeants de la zone franc peuvent-ils continuer de soutenir que le franc CFA, dans sa forme actuelle, est bon pour les économies de leurs pays respectifs, et de rejeter en bloc toutes les critiques, fruit, selon eux, de la mauvaise foi et de l’ignorance ? À l’évidence, la réponse est non. La France elle-même se déclare prête à accompagner toute réforme du système souhaitée par les dirigeants africains. Celle-ci pourrait aller au-delà d’un simple changement de nom. Selon nos informations, c’est en substance ce message d’Emmanuel Macron que Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie, a transmis à Mahamadou Issoufou, lors de la dernière réunion de la zone franc, le 28 mars, à Niamey.

Quant à Rémi Maréchaux, le directeur Afrique et océan Indien du ministère des Affaires étrangères, il est de plus en plus actif dans les réunions consacrées à l’Afrique qui se tiennent dans l’Hexagone. Son objectif ? Rencontrer beaucoup de détracteurs du franc CFA, tel Kako Nubukpo, et défendre la position de son pays face à la diaspora africaine : « La France attend de ses partenaires des propositions qui ne viennent pas. Et elle commence à en avoir marre d’être insultée », s’est-il impatienté lors d’une récente réunion d’un think tank parisien.

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>>> À LIRE – À qui profite vraiment le franc CFA ?


Statu quo

Il faut dire que le dialogue de sourds entre pro- et anti-CFA débouche sur un statu quo mortifère qui n’arrange personne. La question n’est plus de savoir si le système monétaire de l’Uemoa et de la Cemac est avantageux pour les pays qui en sont membres. Comme le déclarait Abdourahmane Sarr dans nos colonnes, en 2018 : « Toute personne raisonnable considère que modifier le fonctionnement de la zone CFA est nécessaire. » Il s’agit donc de définir et de mettre progressivement en œuvre des réformes permettant aux pays de la zone d’affronter les défis économiques et sociaux auxquels ils seront inévitablement confrontés au cours des prochaines années. Le tout sur fond d’explosion démographique et de contestation transfrontalière d’une jeunesse de plus en plus connectée et attachée à sa souveraineté.

Que faire des unions monétaires existantes ? Faut-il les quitter et partir chacun de son côté ? Revenir à des monnaies nationales ?

Au-delà de la suppression de symboles rappelant un peu trop la colonisation, une question fondamentale se pose aux chefs d’État : que faire des unions monétaires existantes ? Faut-il les quitter et partir chacun de son côté ? Revenir à des monnaies nationales ? L’opération présenterait de sérieux risques pour de nombreux pays, qui seraient vite confrontés à des situations de change dramatiques.

D’ailleurs, telle n’est pas forcément la revendication des détracteurs du franc CFA. Dans une note confidentielle rédigée en 2011 à l’intention des huit chefs d’État de la zone Uemoa, Kako Nubukpo et Jean-Michel Debrat (un ancien numéro deux de l’Agence française de développement) proposaient certes de réformer le système monétaire, mais en insistant sur la nécessité de préserver un acquis majeur : « la centralisation des réserves, qui suppose et traduit une grande solidarité politique entre les États de l’Union ».

S’il advenait que les unions monétaires soient maintenues, de nombreuses questions ne manqueraient pas de se poser. Quelles seraient leur identité et leur vision du développement ? De quels moyens disposeraient-elles ? Devraient-elles être rattachées à une grande monnaie internationale stable ? Autrement dit : quel régime de change faudrait-il mettre en place ? Voici les réformes graduelles suggérées par JA.

• Trouver un nouveau nom, forger une nouvelle identité

Pour ses défenseurs, inutile de changer le nom du franc CFA. Ce qui compte, selon eux, c’est sa valeur, sa stabilité et sa convertibilité. Ils soutiennent que la dénomination de cette monnaie est un « label de crédibilité » auprès des investisseurs dont il serait dommage de se priver. Soit. Reste que la monnaie n’est pas seulement une affaire économique et technique. Elle est aussi éminemment politique : la confiance qu’elle inspire – ou non – à ses utilisateurs est essentielle. Son nom doit inciter ces derniers à se l’approprier, ce qui est loin d’être le cas avec le CFA.

Ce sigle a aujourd’hui deux sens : « Communauté financière africaine », en Afrique de l’Ouest ; « Coopération financière en Afrique », en Afrique centrale. Mais personne n’a oublié sa signification originelle : « Colonies françaises d’Afrique ». Auprès des intellectuels et d’une large fraction de la jeunesse, ça ne passe pas. Davantage encore que le mot « franc » (auquel l’ancienne puissance coloniale a elle-même renoncé), c’est surtout le sigle CFA qui pose donc problème.


>>> À LIRE – De quoi le franc CFA est-il le nom ?


Alors que la plupart des membres de la zone franc fêteront en 2020 le soixantième anniversaire de leur indépendance, il serait sans doute judicieux de saisir l’occasion pour refaire ce que les Ghanéens firent dès 1965 : créer une nouvelle monnaie, en l’occurrence le cedi (cauri, en langue akan), en lieu et place de la Ghana Pound, qui, cinq ans plus tôt, avait elle-même remplacé la British West African Pound. Ce geste aurait évidemment une portée symbolique forte – plusieurs chefs d’État de la zone franc n’y sont d’ailleurs pas opposés – et ouvrirait la voie à d’autres réformes, à commencer par la disparition des deux zones CFA. L’existence de deux monnaies – le franc CFA d’Afrique de l’Ouest et celui d’Afrique centrale, portant le même nom, ayant une parité fixe par rapport à l’euro mais n’étant pas interchangeables – est en effet une aberration.

Le changement de nom présenterait, selon les spécialistes, l’avantage de faciliter la lutte contre le blanchiment et le commerce informel

Les dirigeants africains auraient alors le choix entre deux solutions : soit séparer définitivement les deux zones et laisser l’une et l’autre se forger leur propre identité, soit renforcer l’intégration régionale en fusionnant les deux zones et en créant une nouvelle monnaie commune, pourvue naturellement d’un nouveau nom. Dans les deux cas, le changement de nom présenterait, selon les spécialistes, l’avantage de faciliter la lutte contre le blanchiment et le commerce informel, puisqu’il contraindrait ceux qui ont accumulé et dissimulé plus ou moins légalement des sommes colossales à les remettre en circulation. En raison de sa stabilité et de sa convertibilité, le CFA est en effet utilisé comme une monnaie refuge par nombre d’hommes d’affaires et de commerçants originaires de pays comme le Ghana et le Nigeria, dont les monnaies sont un peu plus volatiles…

Pour le reste, il appartiendra aux Africains de désigner des commissions constituées de citoyens représentatifs de la diversité sociale de chaque pays, afin de choisir le nom et l’emblème de la nouvelle monnaie. Cela ne devrait pas être trop difficile, tant l’histoire monétaire africaine est riche. En Afrique de l’Ouest, « kauri » et « wari » ont la cote chez les utilisateurs des réseaux sociaux. De même, l’actuel symbole du franc CFA de cette région – qui représente un poisson-scie, animal pouvant peser jusqu’à 2,5 tonnes et que les peuples akans utilisaient autrefois comme valeur d’échange – ne fait l’objet d’aucun rejet dans la population, bien au contraire.

• Ouvrir l’impression des billets à la concurrence

Il s’agit, bien sûr, de mettre fin au monopole de la Banque de France sur la fabrication des billets libellés en CFA. Comme pour le nom, c’est un symbole très politique, dont l’abolition contribuerait à renforcer l’adhésion des populations utilisatrices. Les États africains ne disposent assurément pas des technologies (souvent très onéreuses) qui leur permettraient de battre leurs propres monnaies. Mais la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), par exemple, a déjà amorcé le processus en confiant la sécurisation de ses billets à l’entreprise allemande Giesecke & Devrient, l’usine de la Banque de France à Chamalières n’étant plus chargée que de la finition. Il est aussi vrai que la BCEAO a obtenu de son imprimeur qu’il utilise exclusivement du coton produit par ses États membres pour la fabrication des billets. Mais tout cela reste insuffisant.


>>> À LIRE – Impression des francs CFA : la fierté l’emporte sur la raison


Une petite dizaine de pays (parmi lesquels l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc et l’Algérie) impriment déjà leur monnaie localement. Il n’est donc nullement farfelu d’imaginer que les banques centrales de la zone puissent leur emboîter le pas. Ce n’est pas seulement une question de fierté nationale, d’affirmation de soi et d’émancipation vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. C’est aussi, et surtout, un enjeu économique. La fabrication des billets de banque est un marché public qui coûte cher aux banques centrales. Pourquoi celles-ci ne pourraient-elles procéder à des appels d’offres afin de faire jouer la concurrence ? C’est ce que font déjà la plupart de leurs consœurs africaines.

Par ailleurs, les institutions émettrices des deux zones CFA pourraient mettre à profit le transfert de technologies pour développer leur propre expertise. Cela passe par la création de coentreprises locales, comme l’ont montré les Kényans avec le britannique De La Rue, ou les Marocains avec l’américain Crane Currency.

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• Supprimer les comptes d’opérations

Créés en 1962, les comptes d’opérations sont au cœur du mécanisme grâce auquel le Trésor français garantit la convertibilité du franc CFA. Ils sont aussi à l’origine des plus vives critiques. Concrètement, c’est la France qui, en lieu et place des deux banques centrales, défend la parité fixe du franc CFA par rapport à l’euro. Et, en théorie, elle le fait même quand la BCEAO et la BEAC ne disposent plus de réserves en devises suffisantes pour justifier cet arrimage.

En échange, les deux banques centrales déposent 50 % de leurs réserves sur des comptes rémunérés (0,75 %) ouverts à leur nom dans les livres du Trésor français. Pour les détracteurs du système, c’est autant d’argent que les banques centrales n’injectent pas dans les économies locales pour financer la croissance et créer des emplois.

En près de soixante ans, ces comptes d’opérations ont rarement été débiteurs

En près de soixante ans, ces comptes d’opérations ont rarement été débiteurs. Au début des années 1990, la très forte baisse du niveau des réserves avait conduit à la brutale dévaluation de 1994. Cela signifie que la garantie française n’a été que très peu sollicitée. Et que la BCEAO ou la BEAC ont globalement bien géré, d’un point de vue comptable, les avoirs extérieurs des deux zones. Au fil des ans, elles ont acquis une certaine expertise en la matière.

Il paraît donc évident que cette garantie française n’est plus vraiment indispensable et qu’une alternative pourrait aisément être trouvée. Pourquoi ne pas, comme le suggèrent nombre de spécialistes, lancer un appel d’offres pour désigner un établissement financier international chargé d’héberger les réserves des deux banques centrales et de mener à bien leurs opérations avec le reste du monde ? Il va de soi que renoncer à la garantie française conférerait aux banques centrales une plus grande autonomie et obligerait celles-ci à davantage de discipline. « Pour mieux assurer cette nouvelle gestion des réserves de change, la garantie de la France pourrait être maintenue pour une période transitoire de cinq ans », suggèrent Kako Nubukpo et Jean-Michel Debrat.

Restera alors une question essentielle : s’assurer avec le nouveau partenaire que les réserves continuent de produire des intérêts. Car c’est cette rémunération qui permet de couvrir les dépenses de fonctionnement des banques centrales, lesquelles emploient quelque trois mille salariés chacune.

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• Changer le régime des changes

Les experts sont presque unanimes : il n’existe pas de régime de change idéal. Mais ils sont aussi très nombreux à estimer que le taux de change fixe défini entre le franc CFA et l’euro n’est pas vraiment optimal et qu’il crée une rigidité contraignante pour les économies africaines concernées. Et ce point de vue est largement partagé – fût-ce à demi-mot – au sein des banques centrales des deux zones. « Nous n’avons aucune marge de manœuvre. Même lorsque la conjoncture impose des ajustements, nous ne pouvons y procéder parce qu’il nous faut avant tout défendre notre parité fixe par rapport à l’euro », confie un cadre dirigeant.

Explication : les banques centrales ne peuvent décider seules d’ajuster le taux de change. La décision ne peut être prise que par les chefs d’État, à l’unanimité. Un processus que Dominique Strauss-Kahn, dans son étude intitulée « Zone franc. Pour une émancipation au bénéfice de tous » (2018), juge « peu réaliste ». « Pour bien fonctionner, écrit-il, des changes fixes doivent être, en cas de nécessité durable et avérée, ajustables. » Dans le cas de la Cemac, engluée depuis plusieurs années dans une sévère crise financière, « une dévaluation du franc CFA, dès 2014, aurait pu aider les économies à s’ajuster à une baisse durable du prix du pétrole », estimait pour sa part, l’an dernier dans JA, Abdourahmane Sarr, l’ex-économiste du FMI.

Il faut savoir que les pays de la zone CFA sont essentiellement exportateurs de matières premières, lesquelles sont pour la plupart cotées en dollars. Et que, leurs monnaies étant arrimées à l’euro, une baisse des prix des matières premières couplée à une baisse du dollar par rapport à l’euro les pénalisent lourdement : perte de recettes d’exportations, perte de compétitivité et donc handicap à l’exportation pour les produits transformés. Quel régime de change faudrait-il mettre en place pour réduire ces risques et mieux faire face à la conjoncture internationale ? Plusieurs solutions sont envisageables. Elles vont de l’instauration du change flexible sans garantie extérieure (qui autoriserait la fluctuation temporaire de la monnaie) à l’arrimage à un panier de devises comprenant l’euro, le dollar et, pourquoi pas, le yuan. Il reviendra aux dirigeants africains de choisir. Un seul régime est à proscrire absolument : le change flottant soumis aux seules lois du marché.

Présidentielle en Mauritanie:
Mohamed Ould Maouloud en campagne à Atar

L’opposant et candidat Mohamed Ould Maouloud en campagne à Atar, le 10 juin 2019, avant la présidentielle en Mauritanie.
© RFI/Edouard Dropsy

La campagne électorale pour la présidentielle du 22 juin est bien lancée en Mauritanie. Les six présidentiables sillonnent le pays pour rencontrer et convaincre les électeurs. À Atar, ce lundi, Mohamed Ould Maouloud, le candidat de l’opposition historique, a donné un meeting devant 500 personnes et a vivement critiqué le pouvoir en place.

« Le docteur Mohamed Ould Maouloud est la clef pour le développement », voici en substance le ton de la chanson qui tournait en boucle lundi soir avant son meeting, à Atar.

Pour Habouz, un militaire à la retraite, c’est désormais lui qu’il faut au pays pour un réel changement : « Il propose une démocratie, de quitter ce que l’on appelle le régionalisme, le racisme, le tribalisme. C’est un nationaliste ! C’est l’honnêteté, on peut dire qu’il est blanc. »

Durant son discours, il a d’ailleurs été offensif envers le président Abdel Aziz, et celui qui est présenté comme son dauphin, le général Ghazouani : « Le pouvoir actuel oblige les gens à les suivre par la force. Les fonctionnaires, les hommes d’affaires ou les paysans qui s’opposent à eux sont directement sanctionnés et ce sont les plus pauvres qui en souffrent. C’est un pouvoir de terroristes. »

« Si la santé et l’éducation s’améliorent, c’est tout le pays qui va avancer »

À la fin du meeting, Yasmina s’est dite convaincue par le discours de cet intellectuel et particulièrement sur les questions sociales : « En Mauritanie, il y a deux secteurs en crise : la santé et l’éducation. Les autres partis disent qu’ils vont arranger ça, mais ils ne font rien depuis des années. Si la santé et l’éducation s’améliorent, c’est tout le pays qui va avancer. »

Ce soir à Atar, ce sera au tour de Biram Dah Abeïd, le militant antiesclavagiste, de tenter de convaincre les électeurs.

[Tribune] Comment l’Afrique doit intégrer
l’intelligence artificielle

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Administratrice générale chez Dux / Aspiring Minds

L'adaptation au nouveau monde de l’économie de l’intelligence requiert une stratégie continentale, basée notamment sur la refonte des systèmes éducatifs nationaux, estime Fatim Cissé, qui commercialise des plateformes d'intelligence artificielle.

Il ne s’agit pas de s’autoflageller : peu de nations, pays européens inclus, ont vu venir l’intelligence artificielle (IA). Celle-ci va d’ici dix à trente ans engendrer une révolution majeure et, tel un tsunami, bouleverser les écosystèmes politiques, sociaux et économiques du monde entier. Elle sera présente dans tous les domaines et secteurs d’activité, du primaire au tertiaire.

Stagnant depuis trente ans, les recherches sur l’IA ont connu un développement fulgurant grâce à sa principale source d’énergie, les data, dont les inépuisables réserves constituées par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) aux États-Unis et les BATX (Baidou, Alibaba, Tencent, Xiaomi) en Asie sont dotées d’une capacité d’autorégénération.

Seules à détenir la quasi-totalité des réserves de data, ces entreprises principalement installées aux États-Unis et en Chine sont les plus grosses productrices d’IA : leur domination mondiale est inéluctable. L’Europe tente péniblement de rattraper le train, mais hélas ses meilleurs développeurs s’expatrient aux États-Unis où ils vont encore renforcer la capacité de production des Gafam et des BATX au détriment de celle de leur pays d’origine.


>> À LIRE – Gafam : l’Afrique face aux géants du Web


Quant à l’Afrique, inexistante sur la carte de « l’économie de l’intelligence », peut-elle encore rattraper ce train-là ? Interrogation renforcée par ce que nous a démontré notre histoire récente : tenter de s’agréger à des révolutions que nous n’avions pas anticipées, malgré des conditions en apparence favorables, produit très rarement les résultats escomptés.

Afin d’étayer notre propos, revenons sur l’expérience de l’agriculture de l’Afrique, qui possède 60 % des terres arables mais qui demeure à un taux d’industrialisation agricole de 5 %. Avec 0 % de data, la bataille de la production d’IA semble perdue d’avance. Certains pays tentent de réagir en créant des écoles de programmation et de codage. Mais si le contexte n’est pas enrichi, nous nous exposons à ce que les mille prochains codeurs et développeurs africains suivent l’exemple de leurs homologues européens…

Néanmoins, tout n’est pas perdu. Un prochain train, celui de l’utilisation des applications de l’IA pour accélérer le développement de nos pays et améliorer de façon substantielle notre niveau de vie, arrive en gare. Ces applications créées et enrichies avec l’IA permettront aux Africains d’accéder, à moindre coût, au même niveau de qualité de service que les pays développés.

Dans le domaine de l’éducation, elles permettront la mise à disposition de programmes d’excellence conformes aux standards internationaux, adaptés à nos besoins spécifiques. Dans le domaine de la santé, la prise en charge des malades, du diagnostic au traitement, s’effectuera plus efficacement. Même dans les secteurs traditionnels tels que l’agriculture, l’utilisation de l’IA viendra améliorer la productivité et la rentabilité de nos productions. Bien qu’il reste difficile de prévoir avec exactitude les effets directs de l’IA, nous pouvons affirmer avec certitude que l’impact social et économique de son introduction dans nos vies sera phénoménal.

Pour nos pays, l’enjeu n’est donc pas de produire de l’IA, mais plutôt de définir la meilleure stratégie d’intégration de ces nouveaux produits dans l’amélioration continue de notre quotidien. Cette intégration doit commencer par la refonte et la réingénierie de nos systèmes éducatifs et de nos programmes scolaires, qui doivent s’atteler à produire des compétences capables de tirer pleinement profit de l’IA.


>> À LIRE – Distribution de l’eau : l’intelligence artificielle utilisée pour rénover des réseaux en Namibie


Dans ce nouveau monde de l’économie de l’intelligence, les tâches techniques, ou hard skills (comptabilité, radiologie, chirurgie, conduite de véhicules, traduction, service à la clientèle…), seront exécutées par les applications de l’IA, avec une meilleure fiabilité et une plus grande acuité que l’humain. Les projections dans des pays comme le Canada prédisent la disparition de plus de 42 % des métiers actuels dans les dix prochaines années. Le monde du travail s’en trouvera totalement bouleversé.

La refonte de notre système éducatif pourrait s’articuler autour des axes suivants :

– améliorer de façon significative la rémunération des enseignants afin d’attirer et de retenir les meilleurs.

– changer l’état d’esprit de notre enseignement, à savoir : apprendre à nos étudiants à apprendre.

– orienter notre méthodologie éducative vers le renforcement des capacités cognitives transversales, ou soft skills, plutôt qu’uniquement vers l’acquisition des compétences techniques.

L’efficacité de cette réflexion stratégique requiert une approche non plus nationale mais continentale, et doit être menée dès maintenant, et pas demain, quand la tiers-mondisation de notre continent se sera étendue.

Municipales au Togo: les recours se multiplient
devant la Cour suprême

Vue de Lomé, capitale du Togo.
© Creative commons Flickr CC BY-NC 2.0 Joshua Turner/Climate Centr

Au Togo, les élections municipales du 30 juin se précisent, 32 ans après le dernier scrutin de 1987. Cependant, si les recours devant la Cour suprême sont rejetés, dans le Grand Lomé et la nouvelle préfecture d’Agoé-Nyivé, des listes et non des moindres pourraient ne pas pouvoir y prendre part.

Au Togo, si les recours ne trouvent pas d’issue à la Cour suprême dans les heures qui viennent, plusieurs listes pour les municipales et non des moindres pourraient ne pas pouvoir participer à ces élections tant convoitées.

Jean Kissi qui conduit la liste du Comité d’action pour le renouveau, a ainsi vu sa liste invalidée dans la municipalité du Golfe 5. La raison ? Parmi les 29 candidats de sa liste, il manquait un casier judiciaire, qu'il a pu compléter le 7 juin dans la soirée.

►A lire aussi : Le Togo annonce ses premières élections locales depuis plus de 30 ans

Pascal Bodjona devrait conduire une liste d’indépendants nommée « Ensemble pour le Togo » dans la circonscription Agoè-Nyivé 1 mais son dossier n'a pas été retenu pour défaut de dénomination.

Son avocat, Maître Ferdinand Amazohoun, compte faire une demande de rétractation de la décision de rejet. Il est possible de régulariser les listes rejetées, assure-t-on à la Cour suprême, pourvu que les raisons soient fondées.

Le 7 juin au soir, plusieurs candidats ou leurs représentants se bousculaient encore à la Cour suprême devant les tableaux d’affichage. Ils ont jusqu’au 11 mai pour déposer leurs recours mais s'inquiètent car les listes définitives doivent être affichées 25 jours avant la date du scrutin.

Cannes 2019 : l’Afrique au sommet du palmarès !

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Par

Férid Boughedir est un réalisateur tunisien de cinéma. Il est également critique et historien du cinéma, dirigeant de festivals et de colloques cinématographiques.

La plus grande manifestation cinématographique mondiale a sacré cette année « Atlantique », de Mati Diop, et « Les Misérables », de Ladj Ly. Un remarquable doublé jamais vu en ce qui concerne les cinéastes originaires du continent africain.

Pour tous les cinéastes africains ou d’origine africaine, l’événement est de taille : la 72e édition du festival de Cannes s’est achevée par la victoire, non pas d’un seul – comme cela pouvait arriver exceptionnellement tous les dix ans -, mais de deux cinéastes d’origine africaine qui brillent en même temps au palmarès de la prestigieuse compétition officielle, qui sacre les meilleurs films de l’année.

Tandis que la Palme d’or revenait pour la première fois à la Corée du Sud pour le film Parasite de Bong Joon-Ho, le Grand prix, deuxième en importance, est revenu contre toute attente non pas à l’un des grands maîtres du cinéma déjà multi-primés qui étaient en lice cette année, comme l’Anglais Ken Loach, les Américains Quentin Tarantino et Terrence Malik ou l’Espagnol Pedro Almodóvar, mais au film d’une débutante, Atlantique, le premier long-métrage réalisé par la Franco Sénégalaise Mati Diop, alors qu’en même temps, le Franco-Malien Ladj Ly décrochait le Prix du jury pour Les Misérables, également son tout premier long-métrage. Un remarquable « doublé » jamais vu en ce qui concerne les cinéastes originaires du continent africain !


>>> À LIRE – Mati Diop et Ladj Ly consacrés à Cannes : stars africaines d’un palmarès très politique


Dans l’histoire du festival, ces derniers n’avaient remporté que deux fois le Prix du jury : le Malien Souleymane Cissé en 1987 pour Yeelen (le premier film d’Afrique subsaharienne à être sélectionné en compétition officielle), puis le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun en 2010 pour Un Homme qui crie. Le Grand prix, lui, n’a été remporté qu’une seule fois par un Africain, le Burkinabè Idrissa Ouédraogo pour Tilaï, en 1990.

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Atlantique, à contre-courant

Mati Diop, qui est née et a grandi en France, et qui était jusque-là connue comme jeune actrice ayant tenu des petits rôles dans plusieurs films français, a de qui tenir ; son père étant le musicien sénégalais Wasis Diop, et son oncle n’était autre que le regretté Djibril Diop Mambéty, un des plus grands novateurs des débuts du cinéma africain. Novateur, Atlantique l’est lui aussi à plus d’un titre. Alors qu’à l’annonce du sujet du film, on pouvait s’attendre à être de nouveau confronté à un énième opus sur la « tragédie de l’immigration clandestine africaine vers l’Europe », la réalisatrice a choisi contre toute idée reçue de verser dans le film de genre fantastique, voire surnaturel, en laissant libre cours à la poésie et l’imaginaire.

À Dakar, des ouvriers de chantier non payés depuis des mois par leur patron escroc décident de tenter l’immigration vers l’Espagne dans une pirogue de fortune qui fera naufrage. Parmi eux, se trouvait Souleiman, l’amant de la jeune et belle Ada, le personnage principal du film, promise à un fiancé plus riche. Mais son mariage, survenu longtemps après la mort de Souleiman, sera dévasté par un mystérieux incendie : les événements surnaturels s’accumulent alors, l’âme des noyés, semblant être revenue posséder et habiter les corps des jeunes filles du quartier pour réclamer justice à celui qui a été la cause de leur exode.

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Quand j’ai décidé de consacrer un film à cette jeunesse qui se noie en mer, il était clair dans ma tête que ça ne pouvait être qu’un film fantastique

L’intrigue du film, qui a été techniquement achevé à la dernière minute juste avant le festival, n’est pas toujours clairement intelligible et renforce le mystère du conte, mais la beauté des images, et le leitmotiv des vagues de l’Atlantique, filmées de jour comme de nuit, et revenant régulièrement comme une musique pour accompagner l’évolution de l’action, créent peu à peu une poésie envoûtante. Rejetant ainsi le « passage obligé » du misérabilisme et de la victimisation habituellement lié au thème brûlant et actuel de l’émigration vers l’Europe, Mati Diop, en choisissant de faire d’une femme son personnage principal, marque aussi sa différence, en privilégiant l’histoire d’amour plutôt que le message, et le film fantastique plutôt que le discours politique, tout en y intégrant les ressorts d’un imaginaire issu directement des croyances africaines, affirmant ainsi sa spécificité.

Mati Diop explique ainsi ce recours inattendu à la forme du film d’épouvante : « Quand j’ai décidé de consacrer un film à cette jeunesse qui se noie en mer, il était clair dans ma tête que ça ne pouvait être qu’un film fantastique, car une jeunesse disparue en mer c’est une jeunesse forcément fantôme. Elle a disparu mais elle est encore là, elle vit encore à travers les personnages qu’elle hante. Et cette hantise, tu la ressens partout à Dakar. Les jeunes que j’ai rencontré parlaient de l’exil et ne sont déjà plus vraiment là. Il me disaient « quand on décide de partir, c’est qu’on est déjà mort ». Le fantastique est donc inhérent à la situation, il existe déjà, il faut juste le mettre en scène ».

Les Misérables, au-delà des clichés

De même qu’Atlantique s’inscrit à contre-courant des films précédents sur l’émigration clandestine de jeunes africains vers l’Europe, Les Misérables de Ladj Ly ne ressemble à aucun film déjà vu sur les banlieues difficiles des grandes villes européennes ou les enfants immigrés africains, se trouvant confrontés pour certains aux problèmes de délinquance et de trafics divers, avec des affrontements avec les forces de l’ordre qui ont connu leur sommet en France lors des émeutes de 2005.

C’est que Ladj Ly sait de quoi il parle. Né au Mali, arrivé en France avec ses parents à l’âge de trois ans, il a grandi à Montfermeil, une cité difficile de la banlieue parisienne où il vit encore et qu’il met en scène dans son film sans angélisme ni préjugés, évitant tous les clichés du genre. Les misérables décrit l’apprentissage d’un jeune policier venu d’une ville de province tranquille, qui se trouve muté à la brigade anti-criminalité de Seine-Saint-Denis, où il va être encadré par deux collègues, l’un français, à la limite du racisme, et le second, un Noir qui « en a vu d’autres », et qui lui conseille de rester compréhensif face aux inévitables « bavures » de la police.

 

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Cet univers de misère est pour tout le monde. En banlieue, ça fait vingt ans que nous sommes des « gilets jaunes »

C’est à travers le regard de ce Bleu à qui on demande ainsi d’oublier ses scrupules que le spectateur est plongé dans un univers filmé sans manichéisme. Le réalisateur n’a pas besoin de s’attarder sur la drogue et la violence, qui sont là inévitablement, pour nous faire découvrir une misère généralisée où des enfants grandissent dans un contexte de privation, qui peut en faire des bombes à retardement, si un jour les vraies armes remplacent les pistolets à eau. À partir de la bêtise d’un gamin qui vole un lionceau dans un cirque, parce qu’il a trop vu le dessin animé Le Roi Lion, et qu’ensuite tout dégénère, Ladj Ly lance un cri d’alerte : « Je les connais par cœur les policiers, je les fréquente depuis que je suis gamin, c’est comme partout, il y a une minorité de policiers qui se comporte mal et qui fait mal son travail, et une minorité de délinquants, mais on ne parle que de ces minorités ! Cet univers de misère est pour tout le monde. En banlieue, ça fait vingt ans que nous sommes des « gilets jaunes », qu’on subit des violences policières, qu’on se fait tirer dessus avec des « flash-balls », aujourd’hui on dit “attention ça peut exploser” ».


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Le sujet est extrêmement grave et le réalisateur, qui l’expose sans juger personne – car « tout le monde a ses raisons » -, nous en livre une chronique qui évite toutes les facilités, comme la tentation documentaire, le montage « façon clip », ou la musique rap omniprésente ; Ladj Ly nous montre « ce qui est », comme il avait commencé à le faire auparavant dans plusieurs courts-métrages sur sa cité qu’il filme avec sa petite caméra numérique depuis l’age de 15 ans, et nous livre une œuvre puissante et réaliste, d’autant plus efficace qu’elle ne donne aucune leçon de morale, et cela avec une maîtrise cinématographique impressionnante pour un premier long métrage.

 

Par la révélation d’un talent et une maturité artistique déjà très avancée, les deux cinéastes d’origine africaine ont prouvé aux sélectionneurs qu’ils ont eu raison de leur faire confiance

Par la révélation d’un talent et une maturité artistique déjà très avancée, les deux cinéastes d’origine africaine primés comme une bienheureuse surprise à Cannes ont prouvé aux sélectionneurs du plus grand événement cinématographique mondial qu’ils ont eu raison de leur faire confiance en les plaçant dès leur coup d’essai aux côtés des plus grands. La soif d’exprimer à travers des yeux africains les réalités vécues par la jeunesse africaine sur le continent ou en Europe n’a pas attendu ici, de toute évidence, ni le nombre des années ni une carrière déjà établie sur des rails, lesquels s’avèrent ici pour Mati Diop, comme pour Ladj ly, ni académiques ni confortables !