Vu au Sud - Vu du Sud

Niger-Mali : ce que les chefs touaregs ont dit à Mahamadou Issoufou

| Par Jeune Afrique
Le président nigérien Mahamadou Issoufou a reçu une délégation venant de Kidal, comprenant des membres du HCUA, le 24 novembre 2019.

Le 25 novembre à Niamey, Mahamadou Issoufou, Alghabass Ag Intalla, chef du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad, et Almou Ag Mohamed, porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad, se sont entretenus pendant près d’une heure au sujet de la ville de Kidal.

En août, le président nigérien avait déclaré que cette ville malienne, sous contrôle de groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation, était « un sanctuaire pour les terroristes ».

Niamey de retour dans le CSA

La délégation touarègue lui ayant assuré n’avoir aucun lien avec les jihadistes, le Niger a annoncé son retour au sein du Comité de suivi de l’accord, dont les réunions sont suspendues depuis juillet.

« Nous nous sommes expliqués. Nous avons dégagé notre responsabilité par rapport à ce qui a été dit sur Kidal », a détaillé à Jeune Afrique Almou Ag Mohammed, porte parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).

« Depuis que l’accord a été signé, la CMA ne s’est jamais associée, et ne s’associera jamais, aux ennemis du peuple frère du Niger, dont la stabilité est importante pour nous », a-t-il ajouté avant de marteler : « Nous n’avons aucun contact, aucun lien avec les jihadistes. »

La réunion d’Alger reportée

Avant toute reprise des discussions dans le cadre du Comité de suivi de l’accord (CSA), elle a aussi demandé qu’une rencontre de haut niveau se tienne avec les autorités de Bamako, en terrain neutre. La réunion du CSA qui était programmée à Alger mercredi 11 décembre a d’ailleurs été reportée sine die.

Avant de quitter le pays, le lendemain de leur rencontre avec le chef de l’État, les chefs touaregs ont également rencontré Mohamed Bazoum, le ministre nigérien de l’Intérieur.

Au Sahel, le nombre de personnes en insécurité alimentaire a doublé en un an

En Afrique de l'Ouest, le nombre de personnes ayant besoin d'une aide alimentaire immédiate a doublé entre 2018 et 2019.
© www.fao.org

En Afrique de l’Ouest, et notamment au Sahel, plus de 9 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire immédiate en raison de la montée des violences et de l’insécurité, un chiffre qui a doublé depuis 2018, selon le Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA) basé au siège de l'OCDE à Paris.

Selon une étude réalisée sur la période octobre-décembre 2019, le Nigeria, qui abrite 4 millions de personnes ayant besoin d’une aide alimentaire immédiate, notamment dans le nord-est du pays là où agit le groupe Boko Haram est le pays le plus durement touché. Vient ensuite le Niger avec 1,5 million de personnes, puis le Burkina Faso avec 1,2 million de personnes touchées.

La montée de l’insécurité et des violences intercommunautaires est la principale cause de cette situation de crise. Non seulement l’insécurité perturbe les échanges commerciaux, mais elle entraîne surtout dans chacune de ces zones de forts déplacements de population. Les déplacés rencontrent alors les plus grandes difficultés pour se nourrir.

Si rien n’est fait rapidement, la situation pourrait gravement empirer l’été prochain notamment dans la région du lac Tchad et dans celle du Liptako Gourma, prévient le Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA). Le nord du Sénégal et la Mauritanie pourraient également être touchés en raison d'un important déficit fourrager dû à la sécheresse. Pus de 14 millions de personnes auraient alors besoin d'une aide alimentaire immédiate.

On n'est pas face à une situation où la nourriture manque. Pour toute une série de raisons, les gens n'ont pas accès à cette nourriture.

Quelles solutions d'urgence à mettre en oeuvre pour enrayer ce phénomène de crise alimentaire ? La réponse de Laurent Bossard, directeur du Sécretariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest à l'OCDE
09-12-2019 - Par Pierre Firtion
 

À Dakar, six chefs d’État africains contestent le consensus de Washington face au FMI

| Par - envoyé spécial à Dakar
Kristalina Georgieva, directrice du Fonds monétaire international

Six chefs d’État ouest-africains ont soutenu qu’il n’y aura pas de développement si le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE ne révisent pas leurs analyses macro-économiques sur leurs pays.

C’est une petite révolution qui s’est produite lundi 2 décembre à Dakar à l’occasion du colloque « Développement durable et dette soutenable, trouver le juste équilibre » organisé par le Sénégal, le Fonds monétaire international (FMI), l’ONU et le Cercle français des économistes.

D’une seule voix et sans langue de bois, six chefs d’États ouest-africains ont dit leurs griefs à l’égard des règles que leur imposent les institutions multilatérales, au premier rang desquelles le FMI, en matière de déficits et de dette publique.

Ce qui nous handicape, ce sont les préjugés qui renchérissent le taux de nos emprunts

« Certes, notre endettement atteint 55 % de notre PIB, mais la moyenne mondiale est à 225 % », a ironisé Macky Sall, le président sénégalais : « Le risque de notre dette n’est pas plus élevé que dans les autres régions du monde. Ce qui nous handicape, ce sont les préjugés qui renchérissent le taux de nos emprunts. Est-il juste d’appliquer à nos pays où tout est à faire les mêmes critères qu’aux pays qui ont achevé leur accumulation de capital ? », a-t-il pourfendu.

Niger, Bénin, Togo, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Sénégal unis face au FMI

Les autres dirigeants ont renchéri dans la critique. Pour le président ivoirien Alassane Ouattara, il « faut plus de souplesse dans l’appréciation de nos déficits, parce que nos investissements n’ont pas d’effet immédiat ». Le président nigérien Mahamadou Issoufou a élargi le spectre au rôle de l’État dans l’installation d’un climat propice aux affaires, tout particulièrement du fait des enjeux sécuritaires de son pays, « qui consacre 20 % de son budget à la sécurité, car il ne peut y avoir de développement sans sécurité. Il faudrait exclure ces dépenses vitales du calcul de notre déficit ».

Le colloque a ainsi permis l’expression de tribunes politiques, à l’image du verdict sans appel du président togolais, Faure Gnassingbé, pour qui « si on nous applique les mêmes remèdes que par le passé, il n’y aura pas de solutions à nos problèmes. On ne peut pas nous demander des efforts et se contenter de faire des promesses » ou du ras-le-bol du président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré : « Les engagements d’aide publique au développement ne sont pas respectés. Nous n’en pouvons plus, parce nos dépenses sécuritaires nous obligent à sacrifier nos populations ».

Le président béninois Patrice Talon a été le plus précis : « Les institutions multilatérales ne nous aident pas à faire mieux apprécier notre risque par les investisseurs. L’OCDE nous a placés au niveau 6 sur un maximum de 7 et la prime de risque que nous devons acquitter est de 12 points de base, alors que nous devrions être à 5 points dans ces temps où l’argent est en excès et les taux négatifs. Nous n’arrivons pas à emprunter à plus de 15 ans, durée insuffisante pour l’amortissement d’un barrage hydroélectrique ».

Le FMI refuse d’examiner la qualité de notre dette. Évoluez donc dans vos analyses !

Mordant, il a vilipendé « le FMI [qui] impose que notre déficit budgétaire ne dépasse pas 3 % de notre PIB, alors que nous avons tout à construire. Nous pourrions dépasser ce seuil tout en conservant une dette soutenable, mais le Fonds refuse d’examiner la qualité de notre dette. Évoluez donc dans vos analyses ! »

Sécurité, climat… et orthodoxie financière

Bonne joueuse, Kristalina Georgieva, la nouvelle directrice générale du FMI, a reconnu qu’il fallait prendre en considération les chocs climatique et sécuritaire et réfléchir à des façons innovantes pour les amortir. « Au FMI, nous ne sommes pas bons dans ces domaines, mais je vous promets que nous travaillerons pour que ces chocs soient intégrés dans notre analyse macroéconomique ». Elle a également admis que « [le FMI] n’a pas su faire passer le message que l’Afrique était une terre d’investissements, (…) nous devons dissiper la perception de risque ».

Mais l’institution issue des accords de Bretton Woods conserve certains réflexes, et Kristalina Georgieva a rappelé aux chefs d’État que « les capacités d’emprunt dans la région ne sont pas illimitées », et qu’ « emprunter a du sens si c’est fait de manière raisonnable, si cela finance des projets stimulant la productivité et améliorant les conditions de vie ».

Elle a écarté toute possibilité de voir l’endettement permettre la réalisation des objectifs de développement durable « à coups d’emprunts », conseillant aux États de mieux superviser les projets financés par l’endettement, et de renforcer la gestion de la dette publique.

Le niveau de l’endettement public de l’Afrique subsaharienne s’était amélioré, de 100 % de leur produit intérieur brut (PIB) en 2000 à 35 % au début des années 2010, sous l’effet des annulations de dettes. Il est remonté en moyenne à 55 % du PIB en 2016, notamment sous l’effet de la chute des cours du pétrole ou des minerais et des importants besoins en matière d’infrastructures (voir graphique ci-dessous pour les six pays présents à Dakar).

 

Sept pays sont en situation de surendettement (Érythrée, Gambie, Mozambique, São Tomé-et-Principe, République du Congo, Soudan du Sud et Zimbabwe) et neuf présentent un risque élevé de surendettement (Burundi, Cap Vert, Cameroun, Éthiopie, Ghana, Centrafrique, Sierra Leone, Tchad et Zambie), selon le Fonds.

Consensus de Washington contre consensus de Dakar

Macky Sall a clos le colloque en détaillant sept « points de convergence » pour trouver un juste équilibre entre les nécessités du développement et la soutenabilité de la dette : mieux mobiliser les ressources domestiques (épargne et fiscalité) ; améliorer la gouvernance des finances publiques et le climat des affaires ; prendre en compte les défis environnementaux et sécuritaires ; accélérer les investissements ; augmenter la valeur ajoutée des produits africains par une meilleure intégration dans les chaînes de valeur ; combattre le caractère exagéré de la perception des risques en Afrique ; poursuivre la coopération entre pays africains, organismes bilatéraux et multilatéraux et secteur privé pour que « l’Afrique devienne l’une de locomotives » dont l’économie mondiale a besoin.

Cela suppose aussi, a chiffré Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, que les 75 milliards de dollars qui prennent le chemin du continent chaque année soient doublés dans les deux ans, et restent à ce niveau pendant quinze ans.

Macky Sall a baptisé cette mobilisation annoncée « le consensus de Dakar », par opposition au fameux « consensus de Washington » dont l’orthodoxie comptable a tant fait souffrir les Africains.

Sénégal : rien ne va plus entre Oumar Sarr et son ex-mentor Abdoulaye Wade

| Par - à Dakar
L’ex-numéro deux du PDS, à Dakar, le 25 novembre.

Des années durant, ils ont cheminé ensemble, mais entre Abdoulaye Wade et Oumar Sarr, son ancien bras droit, la guerre est désormais déclarée.

Des « actes de défi », une « tournée nationale de propagande » et des « activités fractionnelles »… Ancien ministre et longtemps numéro deux du Parti démocratique sénégalais (PDS), Oumar Sarr s’imaginait-il être un jour dépeint comme un traître par celui qui fut son mentor en politique ? Que l’ex-­président Abdoulaye Wade pointerait du doigt de « nombreux actes tendant à saper l’unité du parti » et le considérerait comme « démissionnaire » ?

Au premier rang des griefs égrenés dans une circulaire datée du 18 novembre, sa participation – « en son nom propre », insiste Oumar Sarr – au dialogue politique ouvert par Macky Sall en mai. Un affront pour l’ancien chef de l’État, qui avait appelé au boycott de la concertation.

Dès lors qu’Oumar Sarr a pris des initiatives sans l’aval ­d’Abdoulaye Wade, il s’est mis en dehors du PDS

Peu importe qu’il se soit visiblement ravisé en participant à une réconciliation spectaculaire avec le président lors de l’inauguration de la mosquée Massalikoul Djinane, le 27 septembre. Puis Oumar Sarr, aux côtés de plusieurs barons libéraux, a créé le mouvement Suqali Sopi, sous le prétexte de favoriser la « refondation » d’un parti « poussif », ankylosé depuis des années.

La chute d’un fidèle

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Oumar Sarr et Abdoulaye Wade, en 2013. © DR / Facebook Oumar Sarr

En politique, les pas de côté peuvent se payer cher : « Dès lors qu’Oumar Sarr a pris des initiatives sans l’aval ­d’Abdoulaye Wade, il s’est mis en dehors du PDS », résume un membre de la direction du parti.

Le désaveu est violent pour celui qui fut, pendant sept ans, le secrétaire national adjoint de la formation fondée par « Le Vieux », avant d’être éjecté sans sommation de sa direction en août. « Je fais de la politique depuis longtemps et je suis habitué aux attaques », répond, imperturbable, l’intéressé.

Pourtant, au cours de ce septennat, Oumar Sarr n’avait jamais fait de vagues. « C’est un fidèle », assure l’un de ses collaborateurs, qui décrit un homme travailleur, loyal et discipliné. Après la défaite d’Abdoulaye Wade dans les urnes en 2012, cet ancien ministre a assuré son intérim. À chacun de ses retours à Dakar, l’ex-chef de l’État lui rendait d’ailleurs hommage.

Oumar Sarr se souvient très bien des circonstances dans lesquelles il s’est fait une place dans le premier cercle du « pape du Sopi ». En 1996, ce simple responsable de section dans sa région natale du Walo, dans la vallée du fleuve Sénégal, ravit la mairie de Dagana aux socialistes, alors au pouvoir. Sa carrière décolle. Abdoulaye Wade fera de lui son chargé des élections en 2000, puis lui confiera plusieurs portefeuilles ministériels durant ses douze ans de règne.

En avril 2012, au lendemain du départ d’Abdoulaye Wade, qui briguait un troisième mandat, chacun s’attend à une lutte de succession à la tête du PDS. Mais « Gorgui » coupe court aux ambitions de ses nombreux lieutenants en nommant Oumar Sarr numéro deux du parti, avant de s’envoler pour le Maroc puis pour la France.

« Il fallait quelqu’un pour chauffer le siège, le temps que Karim Wade soit prêt à prendre la relève », décrypte un cacique du parti. Quelqu’un avec des ambitions moins affirmées que les patrons libéraux d’alors, Pape Diop, Mamadou Seck, Habib Sy ou Abdoulaye Baldé, qui finiront tous par quitter le navire pour se lancer en solo, faute d’entrevoir un espoir de succéder au chef.

Douche froide

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Abdoulaye et Viviane Wade, entourés de leurs enfants, Sindiély et Karim.
Selon leurs détracteurs, le père serait désormais sous l’influence du fils. © facebook.com/abdoulayewade.officiel

Mon seul but est de faire en sorte que la dévolution du pouvoir au sein du PDS soit démocratique et non monarchique. Le parti ne revient pas de droit à Karim

Sept ans plus tard, l’état de grâce a pris fin. Longtemps jugé « rassurant », Oumar Sarr est désormais accusé par certains membres du comité directeur du PDS de vouloir « liquider Karim, défier le président et faire main basse sur le parti ». « Ce n’est pas une question d’ambition personnelle, rétorque l’intéressé. Mon seul but est de faire en sorte que la dévolution du pouvoir au sein du PDS soit démocratique et non monarchique. Le parti ne revient pas de droit à Karim. S’il veut en prendre la tête, qu’il vienne se battre avec nous, et ce sera aux militants d’en décider. »

Pour comprendre le bras de fer entre Oumar Sarr et Karim Wade, en exil au Qatar depuis 2016, il faut remonter à la présidentielle de février 2019. Entêté dans la stratégie du « Karim ou rien ! », le parti libéral se retrouve sans candidat à la suite du rejet du dossier du fils de l’ancien président par le Conseil constitutionnel, le 14 janvier.

« On se doutait bien que sa candidature ne serait pas retenue, mais nous avions besoin d’une mobilisation populaire pour faire pression sur le Conseil constitutionnel et le gouvernement. Or notre candidat n’est pas venu et il n’a jamais pris la peine de se justifier », explique Oumar Sarr. Après avoir effectué trois tournées aux quatre coins du Sénégal pour récolter des parrainages, ce dernier conclut, amer : « On s’est moqué de moi. »

Le dialogue de la rupture

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Karim Wade, fils de l'ancien président de la République Abdoulaye Wade, le 15 mars 2013. © STR/AP/SIPA

Karim est le seul à s’être opposé au dialogue, exigeant avant tout compromis une révision de son procès

L’acte II de la rupture intervient trois mois plus tard. Depuis le scrutin, Oumar Sarr s’est « remis au travail, malgré la déception ». Il enchaîne les réunions avec Abdoulaye Wade, comme ce 8 mai, lorsque les deux hommes définissent à huis clos, pendant près de trois heures, la stratégie du PDS à l’égard du dialogue politique.

« Nous étions d’accord sur tous les points », soutient Oumar Sarr. Ce jour-là, « le Vieux » le charge d’aller convaincre une partie de l’opposition de participer à la concertation aux côtés des libéraux, « sans exiger de préalable ». Mais, le soir même, « c’est la douche froide ». Vers 20 heures, sans en avoir été prévenu, Oumar Sarr reçoit un communiqué du PDS annonçant le boycott. Le document est signé de la main d’Abdoulaye Wade.

À l’époque, plusieurs cadres confient, sous le couvert de l’anonymat, que Karim est le seul à s’être opposé au dialogue, exigeant avant tout compromis une révision de son procès. « On est aujourd’hui en mesure d’obtenir une amnistie, mais il faudrait accepter les caprices d’un enfant gâté qui a changé d’avis et exige désormais une révision ? » vitupère un ex-ministre d’Abdoulaye Wade, convaincu que le revirement de situation à propos du dialogue est un diktat imposé depuis Doha.

Éjecté par les « karimistes »

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Une manifestation de soutien à Karim Wade, le 23 avril 2013 à Dakar (image d'illustration). © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

D’Irissa Seck à Macky Sall, Abdoulaye Wade a toujours zigouillé ses numéros deux

Oumar Sarr décide alors de « prendre [ses] responsabilités ». Le 28 mai, il se rend au palais présidentiel pour assister à l’ouverture du dialogue. Ulcéré, Abdoulaye Wade réprimande son ancien obligé tout en lui assurant que son poste de secrétaire général adjoint n’est pas en danger. Le 9 août, pourtant, à la faveur d’un remaniement qui fait la part belle aux « karimistes », Oumar Sarr est éjecté des instances dirigeantes du PDS.

Pour plusieurs barons de la formation, comme Amadou Sall, vieux compagnon de route d’Abdoulaye Wade, ou Babacar Gaye, ex-porte-parole du parti, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ces fidèles refusent le poste qui leur est offert pour rejoindre Oumar Sarr au sein de Suqali Sopi. Ce dernier en est convaincu : ce remaniement tout comme la note du 18 novembre sont l’œuvre de Karim Wade. Reste un constat : Abdoulaye Wade les assume. « On ne peut pas s’en prendre à un homme de son âge. Et puis il est trop aimé dans le pays, on n’y touche pas », admet l’un de ses anciens lieutenants.

« D’Idrissa Seck à Macky Sall, Abdoulaye Wade a toujours zigouillé ses numéros deux, résume un leader de l’opposition proche de l’ancien président. Mais, cette fois-ci, cela pourrait lui coûter cher. Des hommes comme Amadou Sall, Babacar Gaye ou Oumar Sarr sont d’excellents politiciens. Et si Wade les place en position de frondeurs, il pourrait bien avoir à le regretter. »

Côte d’Ivoire : si Gbagbo et Bédié sont candidats à la présidentielle,
alors Ouattara le sera aussi

| Par - envoyé spécial à Katiola
Alassane Ouattara lors de la conférence de presse donnée à la fin de sa visite d'État dans le Hambol, le 30 novembre 2019.

À l’issue d’une visite de quatre jours dans la région du Hambol (centre-nord), Alassane Ouattara a rappelé qu’il ne souhaitait pas être candidat en 2020, tout en précisant qu’il le serait si certains de sa génération l’étaient.

À onze mois de l’élection présidentielle d’octobre 2020, toutes les occasions sont bonnes pour marquer les esprits et faire passer des messages. En visite d’État dans le Hambol (centre-nord), Alassane Ouattara ne s’est pas fait prier.

Lors de cette tournée de quatre jours, il a pu montrer que l’usure du pouvoir n’avait pas entamé sa capacité de mobilisation dans le nord de la Côte d’Ivoire, son bastion. Élu il y a huit ans, le chef de l’État y draine encore les foules comme peu d’hommes politiques.

Ce samedi 30 novembre, une dizaine de milliers de personnes, sympathisants et curieux, sont rassemblées au stade Thomas d’Aquin Ouattara de Katiola, à l’occasion du dernier meeting de sa tournée. ADO s’offre un tour d’honneur, saluant une foule enthousiaste du toit de son véhicule.

Puis, lorsque vient pour lui le temps de s’adresser à eux, le président de la République évoque la prochaine échéance électorale. « Je suis pour la démocratie et tout le monde pourra être candidat. 2020 se passera bien, il n’y aura rien. Il n’y aura pas de retour en arrière », déclare-t-il.

Je veux que tous ceux de ma génération comprennent que notre temps est passé. Mais s’ils sont candidats, je le serai.

Sans jamais les citer directement, Alassane Ouattara tance ensuite les anciens présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. « La Côte d’Ivoire doit continuer d’avancer, mais pas avec n’importe qui. Nous avons vu ce que d’autres ont fait par le passé. Nous ne voulons plus retourner en arrière, nous ne voulons plus de détournements, lance-t-il. Nos concitoyens ont de la mémoire. Quand je vois les hésitations de certains… C’est pour ça que je n’ai pas encore annoncé ma décision. Je veux que tous ceux de ma génération comprennent que notre temps est passé. Mais s’ils sont candidats, je le serai. »

Le chef de l’État précisera sa pensée quelques minutes plus tard devant la presse : « Je ne souhaite pas être candidat. Mon intime conviction est qu’après deux mandats, il faut passer la main. L’année prochaine, j’aurai 78 ans. Ce que l’on peut faire à 68 ans, on ne peut plus le faire à 78, à fortiori à 85 ou 86 ans. À partir de cela, j’estime que c’est mieux que tous ceux de ma génération décident par eux-mêmes de ne pas être candidat. Maintenant, s’ils décident de l’être, compte-tenu de leurs bilans, de leur incapacité à gérer la Côte d’Ivoire, je trouverai une autre solution, y compris celle de continuer. La Constitution m’autorise à faire deux autres mandats et je pourrais le faire sans aucune difficulté parce que je suis en parfaite santé. Ça ne veut pas dire que j’ai décidé d’y aller. »

Alassane Ouattara estime que la Constitution votée en 2016 lui permet de se représenter, ce que conteste une bonne partie de l’opposition.

S’il s’en était ouvert à ses proches et à certains chefs de l’État de la sous-région depuis de longs mois, c’est la première fois qu’Alassane Ouattara tient publiquement ce discours. Ces déclarations interviennent alors que l’hypothèse de voir Henri Konan Bédié porter les couleurs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) en 2020 se fait de plus en plus forte. L’ancien président ne s’est toutefois pas encore prononcé. Il a en revanche décidé de reporter la convention du PDCI censée désigner le candidat du parti, initialement prévue en octobre. Sa date n’est toujours pas connue, mais elle devrait avoir lieu au deuxième semestre de l’année 2020.

Selon plusieurs sources, le chef de l’État doute des capacités du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, son premier choix pour lui succéder, à l’emporter face à Henri Konan Bédié. Surtout si ce dernier parvient à former autour de lui une coalition de l’opposition avec Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, l’ancien président de l’Assemblée nationale.

Réforme constitutionnelle et code électoral

À Katiola, Alassane Ouattara a également donné des indications sur les contours de la réforme constitutionnelle qu’il souhaite mettre en oeuvre et sur le nouveau code électoral qui doit être prochainement présenté devant l’Assemblée nationale. Le chef de l’État s’est notamment dit favorable à l’instauration d’une caution et de parrainages afin de réduire le nombre de candidats à l’élection présidentielle.

« Je suis personnellement favorable à une caution de 200 millions de francs CFA, mais le Premier ministre, le président de l’Assemblée et du Sénat estiment que ça fait beaucoup. Nous verrons ce que le gouvernement me propose. J’aimerais bien que l’on essaie de couper la poire en deux. On ne peut pas avoir douze candidats en Côte d’Ivoire, comme c’est le cas dans d’autres pays du continent. J’espère qu’avec le temps, nous n’aurons que deux grands partis », a-t-il dit.

Cette constitution ne sera pas modifiée pour empêcher qui que ce soit d’être candidat

ADO a en revanche semblé repousser l’idée de réintroduire une limite d’âge de 75 ans pour pouvoir briguer la présidence, ce qui empêcherait Bédié, Gbagbo et lui-même d’être candidat. Jeudi soir, lors d’une rencontre avec les cadres de la région, à laquelle participaient deux cadres du PDCI, Gaston Ouassenan Koné et Jean-Louis Billon, il a assuré que « cette constitution ne sera pas modifiée pour empêcher qui que ce soit d’être candidat ».

« Je voudrais donc rassurer les uns et les autres. Mon général, je vous rassure qu’il n’y aura pas d’exclusion. Je m’adresse à vous parce-que vous et moi avons plus de 75 ans. C’est pour cela que je le dis. On est en famille, donc on peut tout se dire. Il faut donc qu’on s’entende », a poursuivi le président en s’adressant directement au général Ouassénan.

Ouattara a enfin affirmé que la commission électorale actuelle organisera bien les élections de 2020. « Le gouvernement a fait des propositions, a discuté avec les partis politiques pendant six mois. Cette CEI [Commission électorale indépendante, ndlr] est plus équilibrée que la précédente, celle qui a organisé les élections de 2015. Elle organisera celles de 2020.Il n’y aura pas de retour en arrière », a déclaré le chef de l’État ivoirien.

La nouvelle CEI est contestée par une grande parti de l’opposition, dont le FPI de Gbagbo et le PDCI, qui ont refusé de l’intégrer et la juge encore déséquilibrée en faveur du pouvoir.