Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Sahel : « Les stratégies de lutte contre le terrorisme sont inadaptées
pour combattre le crime organisé »

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Dans la région du Kanem, au Tchad, en avril 2012.  Photo d'illustration.

Dans un rapport fourni, l’organisation Global Initiative against Transnational Organized Crime détaille les évolutions du crime organisé dans l’espace sahélo-saharien depuis 2011. Mercenariat, trafic d’armes, liens avec les groupes terroristes : le chercheur Raouf Farrah, l’un des auteurs de l’étude, revient sur les stratégies des groupes clandestins. Interview. 

Si le trafic d’armes a largement été médiatisé dans la zone sahélo-saharienne à la chute de Kadhafi, il existait bien avant. Tout comme les réseaux de contrebande et de criminalité, à l’œuvre sur les routes trans-sahériennes depuis au moins la fin des années 1960.

Des phénomènes décortiqués par un rapport fourni de l’organisation Global Initiative against Transnational Organized Crime (GITOC), publié en novembre 2019. Au-delà des frontières sud du Sahara, cette étude – basée sur l’analyse de documents officiels, de productions académiques, mais aussi sur près d’une centaine d’interviews de terrain – inclut également les réseaux existants dans le sud algérien et le sud libyen.

Y sont décrits le trafic d’armes, de drogues, celui des migrants, le racket et les kidnappings, mais aussi l’orpaillage clandestin ou le commerce illégal de Tramadol et autres psychotropes médicamenteux. Raouf Farrah, chercheur senior à la GITOC, détaille les stratégies de mobilité et d’ajustement déployées par les groupes clandestins dans un contexte très mouvant. 

Jeune Afrique : Vous distinguez trois types de relations entre terrorisme et trafic dans la région, selon les contextes : coexistence, coopération et convergence. Quelles en sont les modalités ?

Raouf Farrah : Les relations entre les groupes terroristes et les réseaux criminels évoluent dans l’espace et le temps : ce ne sont pas des liens immuables, mais toujours dynamiques. Lorsque nous parlons de coexistence, il s’agit de terroristes et de criminels qui opèrent sur le même territoire, au même moment, sans conflictualité. Nous avons vu cela au nord du Mali.

La coopération fait quant à elle référence à des alliances ponctuelles et circonstancielles. Dans l’industrie du kidnapping, des criminels – qui sont mobiles et disposent des contacts locaux – se chargent de l’enlèvement et vendent le captif à des groupes comme AQMI, qui en obtiennent une rançon estimée à des millions de dollars grâce à leurs réseaux à l’international.

La convergence correspond à l’alignement des intérêts entre terroristes et groupes criminels dans un environnement qui leur est de plus en plus hostile. La militarisation de la sous-région facilite ce phénomène, car ils ont besoin de partager des renseignements, notamment sur la présence militaire.

Dans quelle mesure les trafiquants et les réseaux terroristes sont-ils liés dans les cas algérien et libyen ? 

Dans le Fezzan [le sud de la Libye, NDLR], nous avons remarqué une convergence entre terroristes et réseaux criminels. C’est le cas dans la passe du Salvador, un point stratégique de trafic aux frontières du Niger, de la Libye et de l’Algérie. L’Algérie est un cas spécial dans la sous-région. Les liens entre trafiquants et réseaux terroristes y sont faibles. Les efforts militaires d’Alger, depuis une quinzaine d’années, et le contrôle intensif des frontières depuis 2013, ont permis de refouler la majorité des réseaux criminels et terroristes à la lisière de son territoire.

Ce refoulement n’est pas sans impact sur les pays limitrophes. Certains narcotrafiquants algériens connus ont fui en Libye ou au nord du Mali. C’est le cas d’Abdellah Belakhal, qui avait kidnappé en 2016 trois occidentaux dans la ville libyenne de Ghât.

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Les routes de trafic et contrebande à travers la Libye. © Source rapport After the storm, organized crime across the Sahel-Sahara.
The Global Initiative Against Transnational Organized Crime.

Malgré le déplacement des activités criminelles au-delà de ses frontières, les saisies et arrestations se poursuivent dans le sud algérien. Comment peut-on expliquer ce phénomène ?

Il y a plusieurs hypothèses possibles. La première piste, c’est la persistance d’intermédiaires qui facilitent le mouvement des armes du sud-ouest de la Libye vers le nord du Mali, tout au long de la frontière algéro-nigérienne. Grâce à ses réseaux de renseignements, l’Algérie a réussi à en arrêter certains. La deuxième, c’est l’existence de plusieurs anciennes caches d’armes dans le sud du pays. Enfin, il se peut que l’armée gonfle ces chiffres pour justifier des dépenses militaires colossales, lisser sa communication, et présenter une image de force et d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale, même si nous n’avons aucune preuve qui justifie une telle hypothèse.

Vous évoquez le déplacement de groupes tchadiens, nigériens ou soudanais vers la Libye à des fins de trafic ou de mercenariat. Peut-on estimer leur capacité de mouvement entre les pays de la région, malgré la fermeture de certaines frontières ? 

Ce n’est pas un phénomène nouveau. Le conflit en Libye a multiplié les «  opportunités  » de services pour les groupes tchadiens et soudanais, recrutés notamment par les bataillons affiliés à l’Armée nationale libyenne (ANL) dans la région du Fezzan. Leur capacité de mouvement demeure importante, car même si officiellement certaines frontières sont fermées, la réalité sur le terrain est tout autre.

Grâce à leur mobilité, ils vendent leurs services comme mercenaires pour obtenir des véhicules, des armes et des munitions qui leur permettent de rester dans le circuit du trafic. Ils cumulent l’expérience du combat et une excellente connaissance des zones désertiques. Le marché de la violence comme «  commodité  » est en constante évolution, puisqu’il intègre aussi les services de protection contre le racket, le banditisme organisé.

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Les routes de trafic et contrebande à travers la Libye. © Source rapport After the storm, organized crime across the Sahel-Sahara.
The Global Initiative Against Transnational Organized Crime

Comment la « rupture des stocks » de l’arsenal de Kadhafi en Libye est-elle compensée pour alimenter en armes les groupes criminels et les lignes de front dans la région ?

Désormais, les stocks nationaux, les attaques contre les casernes et les postes de police ou de gendarmerie représentent la première source de ravitaillement en armes. Plusieurs pays violent aussi l’embargo international sur les armes en Libye. Une part des armes est enfin achetée en ligne via des sites d’Europe de l’Est qui arrivent par bateau sur les côtes libyennes. Certaines armes arrivent par le sud du Sahel, notamment le nord du Nigeria, mais aussi depuis Bamako, devenue une plaque tournante à destination du centre et du nord du Mali. Les armes et les munitions étant plus difficiles à trouver, les prix grimpent. Ces tendances devraient se confirmer.

Selon votre rapport, des trafiquants de haut niveau parviennent à engranger un capital politique auprès des populations locales. Par quel biais ?

Au Sahel, les voies sont multiples : blanchiment d’argent dans des activités commerciales régulières qui embauchent des jeunes de la région, corruption des autorités locales et leurs représentants, paiement de mariages, soutien aux communautés, etc. Mais la manière la plus efficace d’engranger du capital politique, c’est d’être en connivence avec des représentants au plus haut sommet de l’État.

Vous assurez que la réponse à ces phénomènes doit être collective et multidimensionnelle. En attendant, en quoi la politique exclusivement sécuritaire de nombre de pays du Sahel marginalise-t-elle les petits acteurs du crime organisé, au risque de renforcer les gros trafiquants ?

Les stratégies de lutte contre le terrorisme sont inadaptées pour combattre le crime organisé. L’approche hyper-sécuritaire crée de vrais problèmes pour le commerce informel. La sécurisation des frontières nuit considérablement à la contrebande exercée par des petites communautés, pour lesquelles le commerce illicite transfrontalier est une source majeure de revenus.

La sécurisation de la région handicape davantage les petits réseaux de contrebande que les grands trafiquants, qui ont les moyens logistiques, humains et financiers pour s’adapter à un environnement de plus en plus hostile. Le crime organisé est un phénomène complexe qui requiert une réponse multidimensionnelle, différenciée selon les marchés, les commodités et le contexte politique, mais surtout adaptée aux réalités des populations locales.

Au-delà des conditions socio-économiques, l’émergence du crime organisé et des trafics en tout en genre au Sahara-Sahel est avant tout une question politique. C’est la corruption massive, la faiblesse des États de la région, leur vulnérabilité face à la pénétration des flux illicites, l’instabilité politique et les conflits régionaux – notamment en Libye (2011) et au Mali (2012) – et le changement climatique qui sont à la racine du problème.

[Tribune] Pour en finir avec l’injustice fiscale,
l’Afrique doit taxer davantage les multinationales

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Par

Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (ICRICT) et est co-auteur de La Dette Odieuse d'Afrique : Comment l'endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent.

JA

Le manque de ressources fiscales pèse lourdement sur les capacités des États africains. Il devient urgent de faire payer aux multinationales des impôts proportionnels à leurs bénéfices.

2020 : réinventer l’Afrique (1/6) – Élections cruciales, chantiers économiques, enjeux sociaux et sociétaux… En cette année de célébration des indépendances, quels sont les défis que le continent doit encore relever ? Pendant une semaine, Jeune Afrique vous propose analyses et décryptages.

Sur le papier, les prévisions de croissance pour l’Afrique subsaharienne en 2020 ont de quoi faire pâlir d’envie le reste du monde. Avec une hausse de 3,6 % de son produit intérieur brut selon le Fonds monétaire international, la région fera mieux que la moyenne mondiale.

Mais on est loin, très loin, de ce dont elle a besoin pour répondre aux attentes fondamentales de sa population. Le véritable enjeu est la réduction des inégalités.

Alors que l’Asie a réussi à réduire l’extrême pauvreté, c’est-à-dire le nombre d’habitants vivant avec moins de 1,90 dollar par jour, celle-ci ne cesse d’augmenter en Afrique. Si rien ne change, le continent pourrait compter 90 % des pauvres du monde d’ici à 2030, avertit la Banque mondiale.

Réchauffement climatique

Bien sûr, les Africains ont gagné près de onze ans d’espérance de vie depuis le début du siècle.

Mais les maladies infectieuses continuent à faire des ravages dans la région et l’impact des inégalités est criant. Au Sénégal, la mortalité des enfants de moins de 5 ans est deux fois et demie plus élevée chez les 20 % les plus pauvres de la population que chez les 20 % les plus aisés.

La crise climatique est plus inquiétante encore. L’Afrique est le continent le moins responsable du réchauffement mais subit de plein fouet ses conséquences : sécheresses prolongées, inondations à répétition, déclin des rendements agricoles, accès à l’eau limité.

Des catastrophes qui augmentent les risques d’insécurité alimentaire et d’épidémies. Alors que 86 des 100 villes aux croissances les plus élevées du monde se trouvent en Afrique, 79 d’entre elles – dont 15 capitales – sont confrontées à des risques extrêmes liés au changement climatique.

Les États africains sont aujourd’hui incapables de faire face à ces défis, d’autant que, pour beaucoup, leurs faibles ressources sont saignées par des contextes sécuritaires de plus en plus préoccupants. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso consacrent ainsi 4 % de leur PIB à leur armée.

Pour financer des services publics de qualité contribuant à la réduction des inégalités, les États doivent obtenir d’urgence plus de ressources fiscales.

Celles-ci ne représentent que 18,2 % du PIB en moyenne en Afrique, contre 40 % pour une économie avancée typique. Or Oxfam a montré que si les pays à faibles revenus parvenaient à augmenter de 2 % leurs ressources fiscales en 2020, cela ajouterait 144 milliards de dollars à leur budget.

Cibler les multinationales

Pour collecter plus, ils doivent améliorer leur administration, mais surtout élargir leur assiette fiscale en faisant payer aux multinationales des impôts proportionnels à leurs bénéfices. Ces dernières, notamment dans le secteur des ressources naturelles, négocient des réductions fiscales qui pèsent lourd sur les finances publiques.

Au Mali, par exemple, le montant total des exonérations s’élevait à 203,4 milliards de francs CFA en 2015, soit trois fois et demie le budget de l’éducation. Le pire est que, par ailleurs, les multinationales profitent d’un système fiscal international dépassé qui leur permet, en toute légalité, de ne payer aucun impôt dans les paradis fiscaux.

C’est pourquoi 2020 constitue une année clé. Les scandales d’évasion fiscale ont poussé l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à proposer une refonte des règles fiscales internationales. Mais ses idées sont loin d’être satisfaisantes, comme le souligne dans son dernier rapport la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), dont je suis membre.

L’OCDE n’envisage de redistribuer qu’une part limitée des bénéfices des multinationales

L’OCDE n’envisage de redistribuer qu’une part limitée des bénéfices des multinationales, et elle voudrait que cette répartition (et donc les impôts qui en découlent) se fasse en fonction du seul critère des ventes. Cela profiterait aux pays riches, où réside l’essentiel des consommateurs, alors que prendre également en compte l’emploi, comme le suggère le G24, un groupe de pays en développement, serait beaucoup plus équitable.

Il est impératif que ces derniers se fassent entendre, en janvier, lors de la prochaine réunion organisée par l’OCDE à Paris. De là pourraient surgir les bases d’un nouveau système fiscal susceptible de s’imposer au monde entier. Si les gouvernements africains ne prennent pas conscience des enjeux et s’ils ne sont pas représentés à ce rendez-vous critique, il sera trop tard.

CPI : le procès du jihadiste malien Al Hassan fixé au 14 juillet 2020

| Par
Al Hassan lors de sa première comparution devant la CPI, le 4 avril 2018.

Accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour des faits commis à Tombouctou entre 2012 et 2013, cet ex-membre présumé d’Ansar Eddine est le deuxième jihadiste jugé par la Cour pénale internationale (CPI). Son procès a été confirmé ce lundi 6 janvier par la juridiction internationale et devrait débuter le 14 juillet.

Près de quatre ans après le procès de son compatriote Ahmad al-Mahdi, condamné en août 2016 à neuf ans de prison pour la destruction des mausolées à Tombouctou, c’est au tour de Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud de comparaître devant la justice internationale.

Il est lui aussi accusé d’avoir participé à la destruction des sites protégés de Tombouctou, mais également d’être responsable de crimes sexuels et d’actes de torture. Les charges de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pesant contre lui ont été confirmées en septembre dernier par la Cour pénale internationale (CPI), ouvrant la voie à son procès.

Commissaire de la police islamique

Le procès d’Al Hassan a ainsi été confirmé lundi par la CPI et devrait débuter le 14 juillet prochain. Devant les juges de La Haye, le jihadiste aura donc à répondre de sa responsabilité présumée en tant que commissaire de la police islamique à Tombouctou.

Cette ville du nord du pays est passée sous le joug des jihadistes en 2012 « dans le contexte d’une attaque généralisée et systématique commis par [d]es groupes armés contre la population civile de Tombouctou et de sa région », selon la Cour.

Esclavage sexuel

Al Hassan, 43 ans, est un touareg membre de la tribu des Kel Ansar. Il aurait appartenu au groupe jihadiste Ansar Eddine, qui a fait régner la charia à Tombouctou entre avril 2012 et janvier 2013 aux côtés d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

En œuvrant au sein du tribunal islamique, il aurait participé à l’exécution de décisions menant à la destruction des mausolées et à la politique de mariages forcés conclus entre des combattants et des femmes de Tombouctou, bien souvent synonymes de viols et d’esclavage sexuel. Des accusations de torture et d’actes cruels pèsent également sur le Malien.

Après son arrestation par les troupes françaises de la force Barkhane, il fut remis à la CPI en mars 2018 par les autorités maliennes en exécution d’un mandat d’arrêt délivré par la Cour. C’est la première fois qu’un individu est ainsi poursuivi devant cette juridiction internationale pour des crimes contre des personnes physiques commis durant la guerre au Mali.

[Tribune] Pour en finir avec l’injustice fiscale, l’Afrique doit taxer davantage les multinationales

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Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (ICRICT) et est co-auteur de La Dette Odieuse d'Afrique : Comment l'endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent.

JA

Le manque de ressources fiscales pèse lourdement sur les capacités des États africains. Il devient urgent de faire payer aux multinationales des impôts proportionnels à leurs bénéfices.

2020 : réinventer l’Afrique (1/6) – Élections cruciales, chantiers économiques, enjeux sociaux et sociétaux… En cette année de célébration des indépendances, quels sont les défis que le continent doit encore relever ? Pendant une semaine, Jeune Afrique vous propose analyses et décryptages.

Sur le papier, les prévisions de croissance pour l’Afrique subsaharienne en 2020 ont de quoi faire pâlir d’envie le reste du monde. Avec une hausse de 3,6 % de son produit intérieur brut selon le Fonds monétaire international, la région fera mieux que la moyenne mondiale.

Mais on est loin, très loin, de ce dont elle a besoin pour répondre aux attentes fondamentales de sa population. Le véritable enjeu est la réduction des inégalités.

Alors que l’Asie a réussi à réduire l’extrême pauvreté, c’est-à-dire le nombre d’habitants vivant avec moins de 1,90 dollar par jour, celle-ci ne cesse d’augmenter en Afrique. Si rien ne change, le continent pourrait compter 90 % des pauvres du monde d’ici à 2030, avertit la Banque mondiale.

Réchauffement climatique

Bien sûr, les Africains ont gagné près de onze ans d’espérance de vie depuis le début du siècle.

Mais les maladies infectieuses continuent à faire des ravages dans la région et l’impact des inégalités est criant. Au Sénégal, la mortalité des enfants de moins de 5 ans est deux fois et demie plus élevée chez les 20 % les plus pauvres de la population que chez les 20 % les plus aisés.

La crise climatique est plus inquiétante encore. L’Afrique est le continent le moins responsable du réchauffement mais subit de plein fouet ses conséquences : sécheresses prolongées, inondations à répétition, déclin des rendements agricoles, accès à l’eau limité.

Des catastrophes qui augmentent les risques d’insécurité alimentaire et d’épidémies. Alors que 86 des 100 villes aux croissances les plus élevées du monde se trouvent en Afrique, 79 d’entre elles – dont 15 capitales – sont confrontées à des risques extrêmes liés au changement climatique.

Les États africains sont aujourd’hui incapables de faire face à ces défis, d’autant que, pour beaucoup, leurs faibles ressources sont saignées par des contextes sécuritaires de plus en plus préoccupants. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso consacrent ainsi 4 % de leur PIB à leur armée.

Pour financer des services publics de qualité contribuant à la réduction des inégalités, les États doivent obtenir d’urgence plus de ressources fiscales.

Celles-ci ne représentent que 18,2 % du PIB en moyenne en Afrique, contre 40 % pour une économie avancée typique. Or Oxfam a montré que si les pays à faibles revenus parvenaient à augmenter de 2 % leurs ressources fiscales en 2020, cela ajouterait 144 milliards de dollars à leur budget.

Cibler les multinationales

Pour collecter plus, ils doivent améliorer leur administration, mais surtout élargir leur assiette fiscale en faisant payer aux multinationales des impôts proportionnels à leurs bénéfices. Ces dernières, notamment dans le secteur des ressources naturelles, négocient des réductions fiscales qui pèsent lourd sur les finances publiques.

Au Mali, par exemple, le montant total des exonérations s’élevait à 203,4 milliards de francs CFA en 2015, soit trois fois et demie le budget de l’éducation. Le pire est que, par ailleurs, les multinationales profitent d’un système fiscal international dépassé qui leur permet, en toute légalité, de ne payer aucun impôt dans les paradis fiscaux.

C’est pourquoi 2020 constitue une année clé. Les scandales d’évasion fiscale ont poussé l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à proposer une refonte des règles fiscales internationales. Mais ses idées sont loin d’être satisfaisantes, comme le souligne dans son dernier rapport la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), dont je suis membre.

L’OCDE n’envisage de redistribuer qu’une part limitée des bénéfices des multinationales

L’OCDE n’envisage de redistribuer qu’une part limitée des bénéfices des multinationales, et elle voudrait que cette répartition (et donc les impôts qui en découlent) se fasse en fonction du seul critère des ventes. Cela profiterait aux pays riches, où réside l’essentiel des consommateurs, alors que prendre également en compte l’emploi, comme le suggère le G24, un groupe de pays en développement, serait beaucoup plus équitable.

Il est impératif que ces derniers se fassent entendre, en janvier, lors de la prochaine réunion organisée par l’OCDE à Paris. De là pourraient surgir les bases d’un nouveau système fiscal susceptible de s’imposer au monde entier. Si les gouvernements africains ne prennent pas conscience des enjeux et s’ils ne sont pas représentés à ce rendez-vous critique, il sera trop tard.

Burkina: un an après le massacre de Yirgou, la justice se fait toujours attendre

Des Burkinabè manifestent devant le palais de justice à Ouagadougou pour réclamer la vérité et la justice dans l'affaire du massacre de Yirgou, le 22 juin 2019.
© OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Le comité contre la stigmatisation des communautés réclame justice pour Yirgou. Un an après le massacre, les familles de victimes attendent toujours la manifestation de la vérité.

Le 1er janvier 2019, après l'assassinat du chef du village de Yirgou, situé dans la province du Sanmatenga, des Peuls ont été ciblés par des membres de groupe d’auto-défense aidé par d’autres personnes.

Officiellement, une soixantaine de personnes sont portées disparues, mais selon les membres du collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés, il y aurait plus de 200 tués. Le procureur a délivré une centaine de mandats mais seulement une douzaine de personnes ont été interpellées.

Pour les responsables du collectif contre l’impunité et la stigmatisation de communautés, la lenteur judiciaire dans le traitement du dossier est due à des pressions politiques et militaires.

Un an après l’ouverture de l’enquête, seulement 12 personnes ont été interpellées pour des faits de « présomption grave de crime de génocide, meurtre, destructions volontaires de biens, de coup et blessures volontaires et de dissimulation de cadavres » selon Daouda Diallo, secrétaire général du collectif. « Il y a des blocages militaro-politiques et nous l’avons fait savoir à l’autorité. Le chef Koglweogo qui a été arrêté, il y a des pressions énormes pour le faire libérer. »

Pour le secrétaire général adjoint du mouvement burkinabè des droits de l’homme et du peuple, les exactions, exécutions extra-judiciaires ou conflits intercommunautaires constituent des entraves à la lutte contre le terrorisme.

Christophe Bado appelle donc le gouvernement à un traitement diligent du dossier Yirgou. « En faisant la lumière sur ce dossier, ça permet aux communautés d’être en phase avec elles-mêmes et de pouvoir, ensemble, collaborer avec les autorités militaires pour que nous puissions avoir la paix. Une fois qu’une communauté ou bien des citoyens perdent confiance en la hiérarchie militaire, la question de la collaboration en prend un coup. »

Les membres du collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés prévoient une manifestation devant le tribunal de grande instance de Ouagadougou, afin, disent-ils, d’apporter leur soutien à la justice.