Au Mali, un mouvement de l’armée fait craindre une nouvelle guerre entre Bamako et le Nord

Alors que la mise en œuvre de l’accord de paix est au point mort, la rétrocession à l’armée malienne des camps de la Minusma, en particulier à Ber, fait courir le risque d’une reprise des hostilités entre les groupes indépendantistes et Bamako.

Mis à jour le 11 août 2023 à 17:43
 
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Le camp de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) de Ber, dans la région de Tombouctou. © Minusma/Marco Dormino/UN Photo

 

Sommes-nous proche de l’éclatement d’un nouveau conflit au Mali ? Jeudi 10 août, vers 18 heures, le porte-parole du Cadre stratégique permanent (CSP), une coalition de mouvements politiques et militaires indépendantistes du nord du Mali, signalait un accrochage entre ses hommes et les Forces armées maliennes (Fama), appuyées par les supplétifs de la milice russe Wagner, non loin de la ville de Ber, à une dizaine de kilomètres de Tombouctou. Un acte marquant selon lui « le début des hostilités » entre les partisans de l’État indépendantiste de l’Azawad et les autorités de Bamako.

Le spectre d’un nouveau conflit

Quelques minutes plus tard, le porte-parole revenait sur ses déclarations. Aucun accrochage n’avait eu lieu. L’annonce trahit pourtant l’état d’extrême volatilité dans lequel se trouve le nord du Mali, où le spectre d’une nouvelle guerre entre Bamako et Kidal n’a jamais été aussi présent. Ces derniers jours, les tensions entre l’armée malienne et les mouvements signataires de l’accord de paix d’Alger de 2015, qui suspend les hostilités démarrées trois ans plus tôt, ont atteint leur paroxysme. C’est la première fois que les ex-rebelles affirment aussi ouvertement que l’affrontement armé est une franche possibilité.

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Jeudi matin, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), groupe intégré au CSP, a demandé à tous ses représentants de quitter Bamako afin de se réfugier dans le nord du pays. « Notre direction estime que nous ne sommes plus en sécurité dans la capitale et que les raisons de notre présence au nom de la CMA sont entièrement compromises », a indiqué Attaye Ag Mohamed, chef de cette délégation et dernier représentant à avoir quitté Bamako.

Trois jours auparavant, le 7 août, la CMA dénonçait l’attaque par des soldats maliens et des mercenaires de Wagner de l’un de ses postes à Foïta, près de la frontière mauritanienne, dans laquelle deux de ses hommes ont perdu la vie. Selon l’ex-rébellion touareg, les militaires maliens et russes ont profité de l’occasion pour saisir deux pickups de la CMA qu’ils ont ajouté « comme butin de guerre » à une colonne de plusieurs dizaines de véhicules. Cette dernière a pris poste à Tombouctou ce mardi 8 août, dans le cadre d’une opération de sécurisation de la grande ville du Nord.

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« Selon nos informations, cette colonne composée de Fama et de Wagner s’apprête à se rendre à Ber », affirme Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole du CSP. Elle serait attendue dans cette ville de 20 000 habitants, située à 56 kilomètres de Tombouctou, afin de préparer la rétrocession du camp des Casques bleus de la Minusma prévue pour le 15 août. Après dix ans de présence sur le territoire, la mission des Nations unies pour le maintien de la paix au Mali n’a pas été renouvelée par le conseil de sécurité à la fin du mois de juin, à la suite de la demande des autorités maliennes de transition, qui ont exigé un départ sous six mois.

Ber, le verrou de Kidal

Dans le cadre de ce processus de retrait, la Minusma prévoit de rétrocéder à l’armée malienne ses douze emprises établies dans le pays. La première passation a eu lieu à Ogossagou, le 3 août. La prochaine devrait être celle du camp de Ber. Mais cette ville, fief indépendantiste depuis le début de la guerre du Mali en 2012, est sous l’autorité de facto de la CMA. « Nous nous opposons fermement à la transmission de cette emprise aux Fama, c’est une violation de l’accord de paix d’Alger de 2015, martèle Mohamed Elmaouloud Ramadane. Il y a des arrangements sécuritaires, une cartographie des positions de chaque acteur depuis la signature de cessez-le-feu du 23 mai 2014. Il n’est pas question que quelqu’un, en dehors de nos mouvements, prenne possession de ces emprises, que ce soit à Ber, Aguelhok, Kidal ou Tessalit. »

SI LES FAMA TENTENT D’ENTRER À BER, CE SERA LA DERNIÈRE BALLE QU’ILS TIRERONT SUR LE CESSEZ-LE-FEU ET L’ACCORD D’ALGER. POUR NOUS, CE SERA UNE DÉCLARATION DE GUERRE

Afin d’assurer la défense de leur poste, les mouvements indépendantistes ont dépêché des « dizaines de combattants » en renfort de Ber, signale une source proche du dossier : « Ils sont prêts à riposter par les armes si nécessaire. » Ce que confirme Ramadane : « Si les Fama tentent d’entrer à Ber, ce sera la dernière balle qu’ils tireront sur le cessez-le-feu et l’accord d’Alger. Pour nous, ce sera une déclaration de guerre. »

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La localité de Ber apparaît comme stratégique pour les mouvements indépendantistes, car elle se place en verrou de Kidal, bastion principal de l’ex-rébellion touareg. « Si Ber tombe, plus rien n’empêchera l’armée malienne de se rendre à Kidal, explique Mohamed Maïga, chercheur au cabinet Aliber Conseil. Cela en fait une ville symbolique et intouchable pour ces mouvements. Aucun soldat malien n’y a mis le pied depuis presque dix ans. »

« Guerre totale »

Une visite avait pourtant ravivé l’espoir d’un dégel entre Bamako et les ex-rebelles, le 16 juillet, lorsque Modibo Koné, le patron du renseignement malien, s’était rendu à Kidal afin de rouvrir le dialogue. L’initiative fut un échec. « L’accord d’Alger est au point mort. Aucun progrès n’a été réalisé depuis huit mois, tout est bloqué », tance Mohamed Elmaouloud Ramadane. Cheville centrale de l’accord, l’intégration de 26 000 ex-rebelles dans l’armée régulière patine lui aussi. António Guterres, le secrétaire général de l’ONU s’inquiétait en avril d’une « impasse » et d’une « paralysie persistante » dans la mise en œuvre du processus de paix. Tandis que la menace jihadiste continue de s’étendre sur le territoire, enfonçant le Mali dans la crise.

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Dès lors, la dégradation des relations entre la junte et les ex-rebelles n’a cessé de s’aggraver. La CMA reproche aux autorités maliennes d’avoir adopté en juin une nouvelle constitution qui compromet l’accord d’Alger. « Une branche très radicale de la junte, proche du ministre de la défense Sadio Camara, a refusé la demande de la CMA. Elle voulait que la junte signe un texte assurant que le référendum constitutionnel ne remette pas en question les clauses politico-institutionnelles de l’accord de paix », affirme un analyste proche du dossier. En signe de protestation, le référendum n’avait pu se tenir à Kidal.

NOUS NE VOULONS PAS OCCUPER MILITAIREMENT CES CAMPS. NOUS POUVONS LES DONNER À LA SOCIÉTÉ CIVILE. CE QUE NOUS N’ACCEPTERONS JAMAIS, C’EST QU’ILS SOIENT REPRIS PAR L’ARMÉE MALIENNE

Autre menace pesant sur l’accord : le réarmement de Bamako. Depuis le coup d’État des colonels en août 2020, l’état-major malien s’est fixé pour objectif de « récupérer l’intégralité territoriale » du Mali. Face aux groupes jihadistes, elle s’est dotée, auprès de son partenaire russe, de moyens aériens, d’armement et de batteries sol-air. « Je pense qu’elle s’est équipée pour faire face à un affrontement d’une grande ampleur, soutient Mohamed Maïga. La mésentente entre mouvements rebelles et Fama ne permet pas à l’armée de sécuriser certaines parties du territoire, offrant une porosité qui profite aux groupes jihadistes. Avec ce réarmement, le départ de la Minusma et des armées étrangères, les objectifs à moyen terme de l’armée malienne sont arrivés à maturité. Aujourd’hui, l’option d’une guerre totale semble privilégiée. »

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Tandis que l’option d’une reprise de Kidal et des fiefs indépendantistes par la force se dessine, les groupes signataires tentent d’alerter la mission des Nations unies. « Si les hostilités se déclenchent à Ber, la Minusma aura sa part de responsabilité, soutient Mohamed Elmaouloud Ramadane. Elle insiste pour remettre les clés de ses camps aux Fama, en violation des arrangements sécuritaires, des engagements signés, et cautionnés par elle. Nous avons interpellé la mission maintes fois sur la fermeture de ses bases et des nombreux problèmes que cela engendrerait. Nous n’avons pas reçu de réponse satisfaisante. »

Ainsi, le CSP demande la création d’un « mécanisme consensuel » qui permette la gestion des anciens camps des Nations unies dans les villes contrôlées par les mouvements. « Nous ne voulons pas occuper militairement ces camps. Nous pouvons les donner à la société civile, à la mairie, ou les transformer en écoles, ça nous est égal, assure Ramadane. Ce que nous n’accepterons jamais, c’est qu’ils soient repris par l’armée malienne. »