L’armée nigérienne peut-elle faire face à la Cedeao ?

Alors que les négociations sont au point mort, les putschistes du Niger pourraient bientôt devoir faire face à une intervention militaire de la Cedeao. Quelles seraient leurs capacités de résistance ? L’armée nigérienne, désunie et déjà engagée sur plusieurs fronts, pourrait-elle tenir ? Jeune Afrique fait le point.

Mis à jour le 10 août 2023 à 09:58
 
 

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Un convoi de soldats nigériens patrouille à l’extérieur de la ville de Ouallam, au Niger, le 6 juillet 2021. © REUTERS/Media Coulibaly

L’ultimatum fixé par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est arrivé à son terme. Les négociations menées par l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou ont échoué. Et les tentatives de médiation de la communauté internationale n’ont pas eu davantage de succès, tandis que la communauté ouest-africaine se réunit à nouveau ce 10 août à Abuja, au Nigeria.

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Alors que la voie diplomatique peine à trouver l’oreille des putschistes, l’éventualité d’une intervention armée de la Cedeao au Niger, comme le président nigérian Bola Tinubu en a brandi la menace, soulève bien des questions. Au premier rang desquelles, la capacité de l’armée nigérienne, déjà fortement mobilisée dans la guerre qui l’oppose aux groupes jihadistes, à faire face à une éventuelle intervention extérieure.

Une unité de façade ?

La réponse est loin d’être évidente, tant les forces mobilisables, d’un côte comme de l’autre, sont incertaines. Au sein de l’instance sous-régionale d’abord. Quels pays, pour quelle contribution, dans quel cadre légal ? Beaucoup de points restent à définir, y compris à Abuja, où les sénateurs ont appelé le président Bola Tinubu à privilégier la voie diplomatique. Si le Sénégal a affirmé qu’il la soutiendrait, la plupart des pays membres de la Cedeao ne se sont pas officiellement prononcés en faveur d’une intervention armée.

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D’autres, suspendus de l’organisation depuis leurs propres putschs, ont au contraire ouvertement apporté leur soutien à la junte nigérienne. Le Mali et le Burkina Faso ont assuré que toute intervention militaire serait considérée comme « une déclaration de guerre » au sein de leurs pays, tandis que la Guinée s’oppose elle aussi à toute action par les armes de la Cedeao, sans pour autant affirmer – à l’inverse de Bamako et Ouagadougou  qu’elle pourrait venir en aide militairement aux putschistes de Niamey.

Les positions ne sont pas plus claires dans les rangs des forces armées nigériennes, à l’heure où le putsch n’est pas encore tout à fait consommé – Mohamed Bazoum n’ayant toujours pas signé sa démission. Dans la nuit du 26 au 27 juillet, quelques heures seulement après le début du coup d’État, les commandants de plusieurs corps d’armée, dont l’armée de terre et les forces spéciales, se sont affichés aux côtés des putschistes de la garde présidentielle à l’occasion de leur première allocution télévisée.

NOMBRE DES SOLDATS DE L’ARMÉE ONT ÉTÉ MIS DEVANT LE FAIT ACCOMPLI ET NE SOUSCRIVENT PAS AUX RÉCENTS ÉVÉNEMENTS, MÊME S’ILS SUIVENT LES ORDRES

Pas de quoi empêcher de nombreux observateurs de mettre en doute l’unité de façade affichée par l’armée. « Aucun des chefs qui s’affichent avec les putschistes n’a l’assurance que tous ses hommes le suivent, à l’exception du général Abdourahamane Tiani de la garde présidentielle », résume un ancien militaire ouest-africain, en contact permanent avec des militaires nigériens. Selon ce dernier, nombre des quelque 40 000 soldats qui composeraient l’armée du Niger « ont été mis devant le fait accompli et ne souscrivent pas aux récents événements, même s’ils suivent les ordres ».

Une Garde nationale loyaliste ?

De là à refuser de prendre les armes en cas d’intervention armée de la Cedeao ? « Les discours de la junte mettent de plus en plus l’accent sur la souveraineté du Niger, poursuit notre source. Une manière de préparer l’opinion nigérienne à défendre les putschistes de toute intervention extérieure au nom du patriotisme et de renforcer l’idée que toute intervention serait une agression du Niger, même parmi les soldats toujours loyaux à Mohamed Bazoum. »

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Au sein des forces de défense et de sécurité, la Garde nationale – en laquelle Mohamed Bazoum avait placé sa confiance – est scrutée avec une attention particulière. Cette unité, qui compterait environ treize mille hommes selon des sources concordantes, est une composante des forces de sécurité intérieure (FSI), placées sous la houlette du ministère de l’Intérieur. « Les éléments de la Garde nationale n’appartiennent pas à l’armée, mais ils ont été formés au sein des structures militaires, souvent avec les officiers de l’armée. Ils bénéficient également d’importants équipements militaires », détaille Nina Wilén, directrice du programme Afrique auprès de l’Institut Egmont à Bruxelles.

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Aux premières heures du coup d’État, plusieurs unités de la Garde nationale avaient été ramenées de Tillabéri, Ouallam et Diffa vers Niamey afin d’être déployées devant plusieurs sites stratégiques, dont les locaux de la télévision nationale. Un mouvement dont on ne sait toujours pas s’il avait été décidé en faveur des putschistes ou de Mohamed Bazoum. Signe de la confusion qui entoure le rôle de cette unité paramilitaire : la mise aux arrêts de son commandant, le colonel Midou Guirey, depuis remplacé par son second, Ahmed Sidian, qui soutient les putschistes.

De Niamey à Agadez, de Dosso à Zinder, le Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) a également placé plusieurs gouverneurs militaires et d’un inspecteur de police à la tête de huit régions. Une série de nominations qui pourrait permettre à la junte de renforcer ses soutiens dans les rangs de l’armée.

« L’armée nigérienne n’est pas l’armée gambienne »

Comme pour la Garde nationale, le positionnement de toutes les unités de l’armée et des forces de sécurité intérieure pourrait être décisif en cas d’intervention armée de la Cedeao. « Si cela devait advenir, les putschistes auraient besoin de toutes les unités du pays », résume l’ancien officier précédemment cité. « La loyauté des forces de sécurité intérieures, de la Garde nationale et autres pourrait faire une grande différence », abonde Nina Wilén.

LES BATAILLONS SPÉCIAUX D’INTERVENTION ONT LARGEMENT RENFORCÉ LEURS ÉQUIPEMENTS ET BÉNÉFICIÉ DE FORMATIONS DES ÉTATS-UNIS, DE LA FRANCE OU DE L’ALLEMAGNE

D’autant que les forces armées nigériennes sont, depuis plusieurs années, déployées sur l’ensemble du territoire nigérien pour faire face à la menace jihadisite qui a métastasé à travers tout le Sahel. Avec sept frontières et neuf zones d’interventions militaires, des milliers de soldats font déjà la guerre au Niger. « Mais les militaires nigériens savent se battre et se battront. Si une force entrait au Niger, il y aurait des pertes importantes des deux côtés. L’armée nigérienne n’est pas l’armée gambienne ou sierra-léonaise », met en garde notre officier en référence aux précédentes interventions armées de la Cedeao en Gambie (2017) et en Sierra Leone.

À Niamey, la grande muette a fait l’objet d’une attention particulière au cours des mandats de Mahamadou Issoufou (2011-2021) et de Mohamed Bazoum. Au cours des cinq dernières années, les bataillons spéciaux d’intervention ont largement renforcé leurs équipements et bénéficié de formations de partenaires du Niger tels que les États-Unis, la France ou l’Allemagne. Avec pour objectif de faire passer les effectifs militaires à 50 000 hommes en 2025 puis à 100 000 en 2030, l’armée nigérienne a vu son budget augmenter de manière conséquente.

Alliance putschiste

En cas de guerre avec la Cedeao, Niamey pourrait-il également compter sur l’appui de Bamako et Ouagadougou, dont les régimes putschistes ont récemment affiché leur soutien à la junte nigérienne ? Les armées malienne et burkinabè sont elles-aussi mobilisées contre les groupes radicaux. Mais ces voisins sahéliens bénéficient d’alliés extérieurs. Depuis l’avènement de la junte au Mali, en 2021 (année du « putsch dans le putsch » qui a placé Assimi Goïta au pouvoir), Bamako a largement renforcé son équipement militaire grâce au concours de Moscou.

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La Russie a surtout fourni au Mali l’appui de centaines de mercenaires du groupe paramilitaire Wagner. Ce scénario va-t-il se répéter au Niger ? Tel n’a pas été le cas au Burkina Faso, malgré les appels du pied russes évidents au russophile Ibrahim Traoré. Selon plusieurs sources, des contacts auraient été pris entre la junte nigérienne et Wagner, via les autorités maliennes. En outre, le ministre de la Défense malien Sadio Camara, grand artisan de l’arrivée des Russes à Bamako, était à Niamey ce 7 août pour échanger avec le général Tiani et ses hommes.

Début août, le chef d’état-major des armées nigériennes, qui a été remplacé depuis, adressait un courrier, que Jeune Afrique a été en mesure d’authentifier, à son homologue malien lui demandant un soutien matériel.  Un appui incluant notamment des munitions de drones et des roquettes, qui permettrait, selon le document « de faire face à toute menace éventuelle interne ou externe dans le cadre de la défense de l’intégrité territoriale du Niger ».

S’il n’est pas possible de prophétiser des alliances et des moyens qui seront mis à disposition en cas de conflit, deux camps se dessinent dans la sous-région. Celui des régimes militaires, soutiens sans faille de la junte du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie. Et celui des présidents élus, lui-même scindé en deux. Avec d’un côté les interventionnistes, et de l’autre ceux qui, comme le Togo de Faure Gnassingbé, – et, en dehors de la Cedeao, l’Algérie du président Tebboune – veulent croire qu’une médiation est encore possible.