Ibrahim Traoré : au Burkina, la guerre taxe après taxe

Comme le Malien Assimi Goïta avant lui – et peut-être le Nigérien Abdourahamane Tiani après lui –, Ibrahim Traoré fait la douloureuse expérience des difficultés financières. Alors que le budget de l’État, affecté par les sanctions économiques, peine à financer l’effort de guerre cher au président putschiste, celui-ci taxe la population. Ce qui n’est pas sans risque.

Mis à jour le 7 août 2023 à 09:33
 
 
SoldatsBurkina

 

Le 22 juillet 2023, à Ouagadougou, le capitaine Ibrahim Traoré, président de la transition, a visité des unités combattantes en formation et leur a remis du matériel (armement, véhicules blindés). © Présidence du Faso

Ce 31 juillet, les rues de Ouagadougou sont remplies de Burkinabè attendant le retour du président Ibrahim Traoré. À peine revenu de Saint-Pétersbourg, où s’est tenu le sommet Russie-Afrique, le chef de l’État du Burkina Faso savoure déjà son retour depuis son véhicule blindé, saluant la foule sur plus de deux kilomètres. Satisfait du rapprochement engendré avec Vladimir Poutine, avec qui la coopération et la vente de matériel militaire « se porte bien », Traoré apparaît confiant.

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Pourtant, dans la lutte contre les groupes jihadistes qui endeuillent le pays, la population continue de payer le prix fort. L’effort de guerre imposé par le gouvernement pèse sur les Burkinabè, et malgré le sourire accroché à ses lèvres, le jeune capitaine retrouve un pays en proie aux mécontentements. Il faut dire que, depuis son accession au pouvoir fin 2022, Ibrahim Traoré multiplie les demandes de « sacrifices » à la population.

Après la mobilisation des corps paramilitaires des Eaux et Forêts et de la Garde pénitentiaire, puis le recrutement de 90 000 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP, des supplétifs civils de l’armée), Traoré, à la recherche de financements, prie désormais les citoyens de mettre la main à la poche. Il y a eu d’abord les « contributions volontaires » en espèces et en nature – qui, bien qu’ayant réuni quelques téléphones, véhicules ou réserves de céréales, se sont avérées moins fructueuses qu’espéré – puis, au mois d’avril, la « mobilisation générale ».

Décrétée par le président de transition, celle-ci lui donne le droit de « requérir les personnes, les biens et les services » au nom de l’effort de guerre. Un pouvoir colossal.

« Jusqu’à quand ? »

Outre une opération appelant tous les militaires actifs ou retraités à donner leurs uniformes aux soldats sur le terrain, Ibrahim Traoré cherche surtout à alimenter le Fonds de soutien patriotique (FSP), une ressource hors du budget de l’État. Créé au mois de janvier pour une durée d’un an et destiné aux VDP, ce fonds a pour objectif d’atteindre 106 milliards de francs CFA (55 millions d’euros) – soit 36 milliards pour payer les salaires des supplétifs civils, le reste pour les équiper.

Une facture salée dans un contexte de fragilité budgétaire. Pour remplir ce fonds, le gouvernement de Traoré multiplie les « contributions spéciales » tirées de la vente de certains produits de grande consommation. Véhicules, sachets en plastique, produits de parfumerie et cosmétique, boissons alcoolisées, cigarettes, carburant… Le 19 avril, une modification du code minier a permis de reverser une partie des ressources du Fonds minier de développement local au FSP, y ajoutant donc plus de 12 milliards.

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Mais, plus de six mois après le lancement de cette opération, le compte est loin d’y être. Après sa première session, le 31 mars, le Conseil d’orientation du FSP rapportait que 7 milliards de francs CFA avaient été mobilisés – la moitié prélevée sur la bière (taxée 160 F CFA par litre), et 400 millions sur les cigarettes (taxées 5 %). Le 5 juin, le conseil annonçait un montant de 20 milliards. Déjà conscient du mécontentement qui gronde chez les consommateurs, le ministre de l’Économie, Aboubacar Nacanabo, promettait alors qu’il « ne comptait pas augmenter davantage les taxes ».

Il affirmait alors vouloir « optimiser » celles en vigueur. Mais, depuis le 20 juillet, les forfaits téléphoniques, abonnements télévisés et cessations de terrains font désormais l’objet de nouvelles taxes pour soutenir l’effort de guerre – respectivement de 5 %, 10 % et 1 % – alors que les Burkinabè subissent déjà la cherté des tarifs de communication. « Quand nous faisons la somme de toutes les taxes imposées par le gouvernement, c’est trop », a déclaré sur une chaîne de télévision burkinabè Adama Bayala, président du Réseau national des consommateurs du Faso. « À quoi ces taxes vont-elles servir ? Jusqu’à quand va-t-on devoir tenir ? » s’inquiète le représentant.

« La sueur du peuple »

Si, en début d’année, le gouvernement burkinabè n’avait pas hésité à réquisitionner l’or de miniers étrangers – au total, 500 kilos d’or ont été prélevés aux sociétés Endeavour Mining et Nordgold, soit l’équivalent d’environ 25 millions d’euros –, Ibrahim Traoré semble toujours confronté à un manque de liquidités. Avec encore 70 milliards de F CFA à trouver pour le Fonds de soutien patriotique, IB va-t-il continuer à taxer sa population, quitte à risquer l’inflation ?

Conscient que chacun doit participer à l’effort de guerre, Dasmané Traoré, président de la ligue des consommateurs burkinabè, regrette le manque de transparence du gouvernement. « Il ne devrait pas y avoir de doute sur l’utilisation de ces fonds. Quel a été l’effet positif de ces contributions ? » s’interroge-t-il.

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En visite, le 22 juillet, dans un camp de formation de soldats près de Ouagadougou, Ibrahim Traoré a promis de nouveaux arrivages de moyens de combat terrestre et aérien. Debout devant un lot de matériels militaires, le chef de la transition a justifié ces acquisitions. « Tout ce que vous voyez, c’est pour la population. Toutes les taxes qu’on récupère, tout ce qui est commandé, c’est la sueur du peuple. Si nous voulons faire cette guerre, c’est à nous de la financer. »

Tout juste Ibrahim Traoré avoue-t-il un manque de communication avec la population, qui a tendance à gronder à mesure que les taxes fleurissent sans que les résultats sur le terrain ne soient aussi spectaculaires. « Peut-être qu’on a manqué le devoir d’expliquer à la masse populaire », admet le président de la transition. Mais IB se reprend bien vite : pour celui qui se donne volontiers des airs de Thomas Sankara, ces « contributions spéciales » ne sont que le juste prix de l’indépendance et de la souveraineté.