Niger: compte à rebours pour les «acquittés» rwandais d'Arusha

 

Le Niger décidera-t-il d'expulser dans les prochaines heures les huit anciens responsables rwandais vers Kigali ? Début janvier, Niamey avait, sous la pression de l'ONU, repoussé de trente jours son ordonnance d'expulsion contre ces ex-ministres et officiers du régime Habyarimana, dont certains ont, dans le passé, été acquittés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.

De notre correspondante à La Haye,

Le bras de fer entre le Niger et les Nations unies, enclenché le 23 décembre 2021, ressemble à la dernière saison d'une bien longue série.

Ce jour-là, les autorités nigériennes supprimaient les titres de séjour accordés à huit Rwandais fraîchement débarqués à Niamey.

Anciens ministres et officiers sous le régime de Juvénal Habyarimana, en poste durant le génocide de 1994 au Rwanda, quatre d'entre eux ont été acquittés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), et les quatre autres ont depuis longtemps purgé leur peine. 

Mais depuis plus de quinze ans, aucun pays n'accepte d'accueillir ces hommes qui refusent de rentrer au Rwanda par crainte d'être de nouveau incarcérés. Depuis des années et jusqu'à début décembre, ils résidaient à Arusha, aux frais et sous la garde de l'ONU, au grand damne de la Tanzanie. Mais le 15 novembre, le Niger avait fini par se porter volontaire et signait un accord avec le Mécanisme (MICT) de l'ONU, chargé de gérer les derniers dossiers du TPIR, fermé fin 2015.

Début décembre, sur la base de cet accord, les Rwandais s'installaient à Niamey. Mais c'était sans compter sur les « raisons diplomatiques » invoquées par le Niger dans son ordonnance d'expulsion remise aux huit Rwandais trois semaines plus tard. Ils ont alors jusqu'au 3 janvier pour quitter le pays. Puis à la demande des Nations unies, le Niger accepte de donner 30 jours de plus aux huit Rwandais pour qu'ils trouvent une nouvelle terre d'accueil.

Non-coopération du Niger

À quelques heures de la date limite, le 2 février, les avocats ont demandé aux juges du Mécanisme de dénoncer au Conseil de sécurité de l'ONU la non-coopération du Niger. Ils réclament aussi que soit organisée une audience dans l'antenne européenne du Mécanisme, à La Haye, pour permettre à Niamey de s'expliquer face aux juges.

Fin décembre, le juge Joseph Masanche demandait des explications aux autorités nigériennes, car la décision d'expulsion viole l'accord passé avec le Mécanisme. Quinze jours plus tard, le même magistrat leur ordonnait de rendre la liberté aux huit Rwandais, placés en résidence surveillée depuis fin décembre, sous la garde de dix policiers. Mais sans effet, selon leurs avocats.

Au cours du mois écoulé, les familles des détenus ont manifesté à Paris et sur les réseaux sociaux. Les avocats des huit Rwandais ont interpellé les Nations unies, son secrétaire général, les pays membres du Conseil de sécurité. En expulsant les huit Rwandais, le Niger, plutôt bon élève de l'ONU, prend le risque de violer l'accord passé avec le Mécanisme qui, de plus, stipule spécifiquement qu'ils ne peuvent être renvoyés vers le Rwanda.

Dix décisions de l'ONU

Depuis quinze ans, le sort des « acquittés » d'Arusha a été évoqué dans au moins dix décisions du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Tribunal a tenté sans relâche de convaincre les États de les accueillir, avançant ou reculant au gré de l'évolution des relations de chacun de ces pays avec le Rwanda. « Il y a peu de chance que la France ou la Belgique – où résident la famille de certains d'entre eux – acceptent alors que leurs relations avec le Rwanda se normalisent » estime une source diplomatique.

Prosper Mugiraneza, ancien ministre, souhaite rejoindre la France, où il a de la famille, après avoir passé treize ans en prison et neuf dans la résidence d'Arusha. « Depuis tout ce temps, il n'a pas de passeport, aucun papier », explique son avocate Kate Gibson. D'autres ont aussi leur famille au Danemark, aux Pays-Bas, au Canada. Mais même s'ils ont été acquittés ou ont purgé leur peine, ces hommes avaient de hautes fonctions à l'époque du génocide des Tutsis. Tous ces États refusent d'affronter le Rwanda et « aussi leurs propres opinions publiques », explique un ancien responsable du TPIR.

Dans d'ultimes requêtes aux juges, certains affirment qu'ils seraient torturés ou tués s'ils devaient être renvoyés au Rwanda. L'ancien ministre des Transports et des Communications durant le génocide, André Ntagerura, explique que Kigali souhaiterait le juger de nouveau. « Nous savons depuis longtemps que les Rwandais sont mécontents de certains jugements, explique cette même source diplomatique, et voudraient refaire des procès ».

À New York, début décembre, la représentante du Rwanda à l'ONU accusait « certains d'entre eux » de s'être livrés « aux activités subversives qui ont contribué à l'insécurité et à l'instabilité de la région des Grands Lacs au cours des dernières décennies ». Début décembre, lorsque le président du Mécanisme, Carmel Agius, avait salué « la coopération exemplaire » du Niger, tous les États s'étaient, dans son sillage, congratulés. À l'exception du Rwanda, qui s'étonnait de ne pas avoir été informé de l'accord. Carmel Agius se félicitait d'un accord « qui marque un tournant » dans ce dossier passablement encombrant. Pour le Mécanisme, la route semble encore longue.

 À écouter le Grand reportage de RFI de 2014 : Arusha, 20 ans de TPIR