Mali : Assimi Goïta face à une levée de boucliers

Mis à jour le 6 janvier 2022 à 13:13
 

 

Assimi Goïta, le président du Conseil national de transition, ici à Bamako, le 22 août 2020. © H.Diakité/MaxPPP

 

À trois jours du sommet de la Cedeao sur le Mali, les autorités tentent de convaincre que la transition doit durer cinq ans de plus. Mais ni dans la sous-région ni au sein des partis politiques, on ne se dit prêt à accepter ce calendrier.

« Cinq ans, c’est un mandat. Ce n’est plus une transition ! », lance, amer, un Malien au micro de la radio Studio Tamani. Le 1er janvier, le gouvernement a fait savoir sa volonté de prolonger la transition de cinq années, comme cela avait été suggéré aux Assises nationales de la refondation quelques jours plus tôt. Depuis, à Bamako, les mines sont devenues graves. « Je vais soutenir [les colonels putschistes] jusqu’à ma mort, mais cinq ans c’est trop ! », reconnaît un autre passant interrogé par Studio Tamani.

Pour justifier cette durée, Assimi Goïta a présenté une feuille de route très ambitieuse à Nana Akufo-Addo, le président en exercice de la Cedeao. Il s’est engagé à régler les problèmes d’insécurité au Mali, à organiser un référendum constitutionnel en janvier 2024, des élections législatives et sénatoriales couplées en novembre 2025 et, enfin, un scrutin présidentiel au plus tard en 2026.

« Unilatéral et déraisonnable »

Sur le papier, ces engagements auraient pu rassurer l’opinion. Il n’en est rien. Dix-sept mois après le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta, ce nouveau chronogramme a été rejeté en bloc par une grande partie de la classe politique.

Dès le 2 janvier, le Cadre d’échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) et le Parti pour la renaissance nationale (Parena), de Tiébilé Dramé, se sont désolidarisés de ce calendrier électoral, qu’ils ont qualifié « d’unilatéral et déraisonnable ».

UN POUVOIR D’EXCEPTION NE PEUT PAS S’OCTROYER UN MANDAT DE PRÉSIDENT !

Cette plateforme de partis regrette que ce chronogramme n’ai pas fait l’objet de « discussions au Mali ». Celui-ci « ne saurait être en aucun cas une aspiration profonde du peuple malien », précise-t-elle. Alors que, le 27 février 2022, date à laquelle la présidentielle devait être organisée, approche à grand pas, le fossé se creuse entre l’exécutif et les formations politiques. Des chefs de partis, déjà prêts à concourir, craignent que cinq ans d’attente ne mettent un frein à leur carrière. Le bras de fer qui se profile va-t-il déboucher sur une crise profonde ?

Frustrations et désillusions

me au sein des mouvements qui ont accepté de participer aux Assises de la refondation, comme l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema- PASJ), des dents commencent à grincer. « Ce chronogramme sur cinq ans n’a pas fait l’objet de recommandations lors des Assises », dénonce Yaya Sangaré, le secrétaire général du parti. L’Adema prônait une transition prolongée d’un an, seulement pour laisser le temps aux autorités d’organiser les élections. « Un pouvoir d’exception ne peut pas s’octroyer un mandat de président ! Une transition doit être la plus courte possible », ajoute-t-il.

LES AUTORITÉS PENSENT AVOIR PRÉPARÉ L’OPINION POUR QUE CELLE-CI SOIT DERRIÈRE ELLES

Des frustrations se font aussi sentir au sein l’Union pour la République et la démocratie (URD), l’une des plus grandes formations politiques du pays, alliée du pouvoir de transition depuis que Choguel Kokalla Maïga a accédé à la primature, au début de juin 2021. Moussa Sey Diallo, secrétaire adjoint chargé de la communication du Bureau politique national (Ben), reconnaît qu’un mandat de cinq ans sans élections est difficile à faire accepter à la population. « Les autorités auraient dû présenter ce chronogramme aux Maliens et discuter avec les dissidents [les partis qui ont boycottés les assises] avant de le présenter à la Cedeao, déplore-t-il. Si les autorités maintiennent ce délai de cinq ans, elles vont bafouer les principes de la transition. »

Au Mouvement du 5-juin Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui a porté Choguel à la primature, l’heure est à la désillusion. Selon Clément Dembélé, président de la Plateforme de lutte contre la corruption et le chômage au Mali (PCC-Mali), une grande partie des formations politiques membres de cette plateforme s’oppose aux « cinq ans ». Modibo Sidibé, des Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (Fare), Sy Kadiatou Sow, à la tête d’Awn Ko Mali (« Le Mali d’abord ! »), Cheick Oumar Sissoko, le président d’Espoir Mali Kura (EMK), seraient tous hostiles à cette prolongation de la transition.

« Je crois qu’ils ont choisi ce délai pour avoir une plus grande marge de manœuvre dans les négociations avec la Cedeao, analyse Clément Dembélé. Une prolongation de dix-huit mois suffirait amplement. Rester pendant cinq ans dans l’ambiance actuelle conduirait le Mali dans une situation économique catastrophique. Cinq ans, c’est inadmissible. ».

Face aux réticences, tant au Mali qu’à l’extérieur, on s’active tous azimuts, ces derniers jours à Koulouba, pour faire accepter le nouveau chronogramme. « Les autorités maliennes ont créé des groupes de soutien pour que la transition dure entre trois et cinq ans. Elles pensent qu’elles ont suffisamment préparé l’opinion pour que celle-ci soit derrière elles », analyse un diplomate en poste dans la sous-région.

Une Cedeao intransigeante ?

Parallèlement, la junte tente de convaincre les poids lourds de la Cedeao : le 3 janvier, Abdoulaye Diop, le ministre des Affaires étrangères, était à Abidjan pour s’entretenir avec le président Alassane Ouattara. Le 5 janvier, c’est le Nigérian Goodluck Jonathan, médiateur de la Cedeao pour le Mali, qui s’est rendu à Bamako.

Les tractations vont bon train, à quelques jours d’un sommet capital pour le Mali. Le 9 janvier, à Accra, les chefs d’État de la sous-région statueront sur les projets du pouvoir malien. Campant jusqu’ici sur une ligne ferme, la Cedeao serait prête à faire quelques concessions, selon nos informations. Mais en aucun cas à accepter une prolongation de la transition au-delà d’un délai de six mois.

Si elle décide de durcir encore sa position, de quel outil dispose-t-elle encore ? Elle a interdit de voyage le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, ainsi que la quasi-totalité de son gouvernement et les 121 membres du Conseil national de transition (CNT), gelés les avoirs financiers de 150 personnalités politiques maliennes…

D’après nos sources, les chefs d’État ouest-africains n’excluent plus de saisir l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), pour lui demander de mettre le Mali sous le contrôle de la BCEAO. Si un tel mécanisme était mis en place, Bamako ne pourrait plus débloquer de fonds sans l’aval de la banque centrale sous-régionale. De quoi asphyxier un pays déjà au bord du gouffre économique.