Côte d’Ivoire : Ouattara, Gbagbo, Bictogo, Soro… Les vérités d’Amadou Soumahoro

| Par - à Abidjan
Mis à jour le 13 juillet 2021 à 12h27
Alassane Ouattara et Amadou Soumahoro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, à Abidjan le 1er avril 2019.
Alassane Ouattara et Amadou Soumahoro, le président de l'Assemblée nationale ivoirienne,
à Abidjan le 1er avril 2019. © REUTERS/Thierry Gouegnon

Des équilibres entre majorité et opposition au sein de l’Assemblée nationale qu’il préside au retour de l’ancien président en passant par les relations entre les caciques de la majorité présidentielle, Amadou Soumahoro se pose en premier partisan du chef de l’État, Alassane Ouattara.

Il a le sourire large, Amadou Soumahoro, lorsqu’il nous reçoit dans son bureau de l’Assemblée nationale, à la décoration aussi sobre et classique que la nouvelle posture qu’entend adopter son propriétaire. Ancien tenant de l’aile « dure » du Rassemblement des Républicains (RDR, d’Alassane Ouattara), il tient désormais un discours aux antipodes de ceux qui étaient les siens lorsqu’il faisait figure de « faucon » du camps présidentiel. Réélu fin mars à la tête de l’Assemblée nationale, où il avait déjà succédé à Guillaume Soro, Amadou Soumahoro se veut désormais un homme de dialogue et de réconciliation. Parfaitement dans la ligne au sein de la majorité présidentielle.

L’homme n’en manie pas moins l’ironie mordante. « Vous vous souvenez, il y a encore quelques semaines, la rumeur m’avait tué ! », lâche-t-il dans un grand sourire à peine la porte franchie. De fait, l’état de santé de ce ténor de la scène politique ivoirienne a fait l’objet de nombreuses spéculations dans les semaines ayant suivi sa réélection. « Vous le voyez, je vais très bien ! », assure celui qui vient d’être reconduit à la présidence de l’Assemblée des parlementaires francophones (APF), ponctuant à nouveau sa phrase d’un sourire rassurant.

Mais dès qu’il s’agit d’aborder les questions politiques, du retour de Laurent Gbagbo à la situation de Guillaume Soro, des bisbilles internes à la majorité présidentielle à son propre rôle à la présidence de l’Assemblée nationale, plus question de plaisanter : Amadou Soumahoro livre ses vérités, en pesant chaque mot.


Amadou Soumahoro, dans son bureau de l’Assemblée nationale. © DR : Assemblée nationale ivoirienne

Jeune Afrique : Quelles sont vos relations avec Adama Bictogo, qui se présente volontiers comme le « numéro deux » de l’Assemblée nationale, à l’image d’une sorte de « premier vice-président » ?

Amadou Soumahoro : Aucun texte ne consacre un tel poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale. Il a existé sous l’ancienne Constitution. Mais ce poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale a été supprimé.

Vous avez dû le constater, la dernière séance inaugurale qui a vu ma réélection à la tête de l’institution avait un seul point à son ordre du jour : l’élection du président de l’Assemblée nationale.

Au-delà de tout ceci, je puis vous assurer que mon jeune frère Adama Bictogo n’a jamais laissé germer une telle idée dans son esprit. Il a de tout temps été respectueux des textes de la République.

Avez-vous le sentiment qu’il se verrait bien à votre place, au perchoir ?  

Non, pas du tout. Je crois que vous n’avez pas compris le sens réel des propos de mon jeune frère.


Adama Bictogo, le « vice-président » de l’Assemblée nationale, accueille une délégation de parlementaires français
conduite par le député Patrice Anato, le 26 mai 2021. © DR / Patrice Anato

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LE RETOUR DE LAURENT GBAGBO EST LA MATÉRIALISATION DE LA VOLONTÉ ET DES ENGAGEMENTS D’ALASSANE OUATTARA

Laurent Gbagbo, après avoir été définitivement acquitté par la Cour pénale internationale, est de retour en Côte d’Ivoire. Est-il le bienvenu ? 

Le président Alassane Ouattara est un homme de paix et de rassemblement. Le retour de l’ancien chef de l’État Laurent Gbagbo est la matérialisation de la volonté et des engagements d’Alassane Ouattara.

Il y a eu des rencontres entre le gouvernement et les partisans de Laurent Gbagbo au sein du comité qui a organisé son accueil. Lorsque l’on n’est pas dans les dispositions d’accueillir quelqu’un, on n’en discute pas à un aussi haut niveau, celui du gouvernement. Le président Ouattara a même autorisé l’accès au pavillon présidentiel lors de son arrivée.

Quel regard portez-vous sur la situation de votre prédécesseur à la tête de l’Assemblée, Guillaume Soro, qui vit aujourd’hui en exil et a été condamné à perpétuité pour « atteinte à la sûreté de l’État » ? 

L’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire a tourné cette page depuis le 7 mars 2019. Je n’en pense rien.

Les Ivoiriens veulent la paix afin d’assurer à leur pays la quiétude sociale et la stabilité économique. Alassane Ouattara, qui en est le premier garant, a inscrit son pays dans un processus de réconciliation vraie et durable. Ayez confiance en la volonté du chef de l’État de faire de son pays un havre de paix et de fraternité.

L’opposition affirmait être sous-représentée au sein du bureau de l’Assemblée nationale lorsque vous avez été élu à sa présidence, en 2019. La donne a-t-elle changé depuis votre réélection ?

J’ai été réélu à la tête de l’Assemblée nationale avec près de 70% des voix. Cela veut dire qu’il y a au moins 30% des sièges occupés par l’opposition. Dans les différents organes de l’Assemblée nationale, l’opposition est représentée. Le RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) est majoritaire et la règle démocratique exige que nous soyons majoritaires dans les instances de décision.

Vous avez maintes fois évoqué la question de la représentation des femmes. Pourtant, l’Assemblée nationale que vous présidez est passée de 29 élues à 34 après les dernières élections législatives. Le changement n’est-il pas trop lent ? 

En la matière, la Côte d’Ivoire a posé assez de gestes forts en termes de législation, que ce soit dans le domaine du code de la famille comme dans la représentativité des femmes dans les assemblées élues. Au sein de l’Assemblée nationale, une part belle est faite aux femmes à travers le « Caucus des femmes parlementaires ».

En outre, au sein du bureau, les femmes figurent en qualité et en nombre important. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les onze vice-présidences que compte notre institution, trois sont occupées par des femmes. Il y a six femmes sur douze aux postes de secrétaires et, mieux encore, sur les trois questeurs, deux sont des femmes…..

Alors, c’est vrai que nous avons enregistré seulement cinq femmes députées de plus comparé à la précédente législature, mais nous aurions souhaité en avoir plus. Des lois sont faites pour promouvoir les femmes aux postes électifs, mais je crois qu’il leur revient de s’approprier ces mesures afin de prendre toute leur place.

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AVEC LE PRÉSIDENT ALASSANE OUATTARA, LA DÉMOCRATIE SE PORTE BIEN

Cinq ans après la création du Sénat et l’instauration du bicaméralisme en Côte d’Ivoire, quel bilan en tirez-vous ?  

Cela a été l’un des axes forts de la réforme constitutionnelle de 2016. L’instauration d’une chambre haute et d’une chambre basse au Parlement est une expérience exaltante pour notre jeune démocratie. Elles forment une complémentarité parfaite qui constitue, pour le pouvoir exécutif, un levier important dans ses prises de décision. Des textes sont partis de l’Assemblée nationale vers le Sénat et ces textes nous sont revenus avec des amendements pertinents.

Le double niveau de lecture des textes est un gage supplémentaire que les lois votées sont bonnes. Et cela est une preuve qu’avec le président Alassane Ouattara, la démocratie se porte bien.

Comment gérez-vous les jeux de pouvoir et la répartition des portefeuilles ? Certains choix ne laissent-ils pas planer une ambiguïté ?

Tout se passe très bien sous la conduite avisée du président Alassane Ouattara, qui a un sens fin de la politique. Et n’occultez jamais de votre grille d’analyse le fait primordial qui est qu’il guidé par un seul intérêt : la paix et la cohésion dans notre pays.

Que pensez-vous de l’attitude de la députée ivoirienne Mariam Traoré, qui s’est retrouvée impliquée dans une bagarre lors d’une session du Parlement panafricain, début juin en Afrique du Sud ?

Les bagarres lors de débats parlementaires sont légions. Elles sont d’ailleurs parfois plus vives au sein de Parlements de pays dits démocratiquement très avancés. C’est, malheureusement, l’apanage des Parlements partout et sur tous les continents. Il faut avoir ce contexte en tête lorsque l’on évoque ces événements. Je n’ai pas encore entendu Mariam Traoré sur la question, mais il faut retenir qu’elle est une députée libre. Elle a ses convictions et elle les a défendues du mieux qu’elle pouvait.

Vous venez d’être reconduit à la tête de l’APF. Quel bilan, tirez-vous de votre précédent mandat ? 

Après ces deux années passées à la tête de l’APF, dans un contexte marqué par la crise sanitaire de la Covid-19, on peut sans ambages affirmer que le bilan est positif. L’APF, dans son rôle de vigie de la démocratie, a été présente partout où cette fonction l’a appelée. Par des actions d’interpellations, de soutien, de félicitations ou de compassion, elle est restée présente aux côtés de ses membres, pour s’assurer de la tenue de leurs engagements en matière de démocratie et de gouvernance.

Nous avons fait évoluer la démarche de l’APF vis-à-vis des pays dont les Parlements ont été présentés comme vivant des situations de déficit démocratique. Au lieu de les sanctionner systématiquement, nous avons guidé l’APF vers une position d’assistance et d’accompagnement, qui a l’avantage de conduire les parties au rapprochement et d’apaiser les tensions. Ce fut le cas du Bénin et du Mali, où l’APF a effectué des missions de bons offices.

Évidemment, l’action de l’APF en matière de démocratisation de l’accès de toutes les populations aux vaccins contre la Covid-19 reste majeure, dans ce contexte de pandémie. On n’oubliera pas non plus les actions de soutien lors de catastrophes, comme ce fut le cas après l’explosion dans le port de Beyrouth : l’APF a mobilisé les associations de meuniers de France pour fournir du blé aux populations sinistrées.