Le Nigeria face au défi séparatiste

Un portrait du leader indépendantiste Nnamdi Kanu au mur d'une maison d'Umuahia, l'une des régions séparatiste pro-Biafra, en 2019 (image d'illustration).
Un portrait du leader indépendantiste Nnamdi Kanu au mur d'une maison d'Umuahia, l'une des régions séparatiste pro-Biafra, en 2019 (image d'illustration). AFP - CRISTINA ALDEHUELA

En ciblant les deux leaders prônant un État séparatiste dans le sud du Nigeria, Nnamdi Kanu et Sunday Igboho, les autorités ont voulu reprendre la main dans la région. Les deux hommes sont accusés d’attiser des velléités sécessionnistes. Mais la réponse sécuritaire, jugée « excessive », risque de produire l’effet inverse. 

Près d’un mois après, l’arrestation de Nnamdi Kanu continue de soulever des interrogations. Le 27 juin dernier, le dirigeant séparatiste biafrais était appréhendé et renvoyé de force dans la capitale Abuja, dans des circonstances encore inexpliquées à ce jour. Le mystère demeure entier sur le lieu de son interpellation, même si nos sources pointent le doigt vers le Kenya.

Quelques jours plus tard, c’était au tour du militant Sunday Igboho, engagé pour la création d’une nation « Yoruba », de subir un raid de la police en pleine nuit. Pour Olufemi Vaughan, professeur à Amherst College aux États-Unis, ces deux épisodes confirment la politique gouvernementale de « criminalisation de la dissidence ».

« On assiste à une tendance croissante des autorités à privilégier des réponses sécuritaires, parfois extra-judiciaires, pour réprimer toute forme de velléité sécessionniste », déclare-t-il à RFI. Symbole de cette dérive, un tweet du président Muhammadu Buhari, posté le 2 juin dernier, dans lequel il avait promis de « punir » les groupes pro-Biafra accusés de multiplier des attaques contre les institutions gouvernementales et les forces de sécurité. Le message a été supprimé par Twitter pour incitation à la haine raciale.

Les luttes se poursuivent 

« Plus le gouvernement devient autoritaire, plus ça va provoquer les réactions violentes de l’opposition et rendre cette dernière plus forte, retentissante et légitime », ajoute Olufemi Vaughan. Malgré l’arrestation de son leader, le mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du Biafra (Ipob) a promis de poursuivre « son combat pour la liberté ».

 

Les groupes biafrais ne sont pas les seuls à réclamer l’indépendance. Au sud-ouest du Nigeria, dans les terres des Yoruba, le deuxième groupe ethnique le plus important du pays, les appels sécessionnistes se font également entendre. Dimanche dernier, Gani Adams, un représentant militaire issu de ce groupe, a déclaré qu’« un État Yoruba était encore possible ». Des propos qui ont accompagné, il y a deux semaines, des manifestations dans ce sens à Lagos, la plus grande ville du Nigeria.

Soufflant sur les braises

« Tous les jeunes dans ce pays en ont marre », affirme à RFI le comrade Igboayaka O Igboayaka, président du Conseil de la jeunesse Ohanaeze Ndigbo, un groupe de défense des intérêts des Igbo, les chrétiens du Sud-Est. « Sous les yeux de toute une génération, de notre génération, il y a le même ressort qui a conduit au Nigeria à la guerre civile du Biafra: et c’est l’injustice » explique-t-il. Il en veut pour preuve un projet de loi prévoyant de partager 30% des revenus du pétrole générés au Sud avec les États du Nord. « C’est du vol en plein jour ! Les États du Nord ne produisent pas de pétrole, pourquoi doivent-ils alors profiter de nos revenus ? Si les Yoruba appellent aussi à la sécession, c’est qu’ils subissent les mêmes abus et injustices que nous. »

Phénomène de marginalisation

Interrogé par RFI sur ces appels à la sécession, David Umahi, le président du Forum des gouverneurs du Sud-Est du Nigeria, et également gouverneur de l’État d’Ebonyi, s’est refusé à tout commentaire… tout comme ses homologues des États d’Imo, Enugu, Anambra et Abia. Mais dans une vidéo publiée en mai dernier, il insistait sur le fait que le Sud-Est « ne veut pas de guerre », tout en reconnaissant le besoin de davantage de justice sociale.

Pour Olufemi Vaughan, cette revendication, c’est le nerf de la guerre. « Au Nigeria, le sentiment dominant est que le gouvernement de Muhammadu Buhari ne représente que les intérêts des Haoussa-Fulani (Peuls) dans le Nord », explique-t-il. « Ce sentiment de marginalisation est aggravé par l’arrivée des bergers peuls, qui revendiquent des terres dans des régions qui ne leur appartiennent pas », renchérit le professeur.

« L’administration actuelle ne fait pratiquement rien pour résoudre ce problème. Au contraire, la perception générale est qu’elle est complaisante et que, d’une certaine manière, elle encourage les phénomènes de marginalisation. Et quand ce sentiment surgit, cela crée davantage d’insécurité, ce qui se traduit par la résurgence de revendications de sécession », ajoute-t-il.

Vers un débat sur le fédéralisme

Le Nigeria a déjà été confronté au danger sécessionniste, comme en témoigne le conflit du Biafra en 1967. Cette nouvelle vague est à prendre au sérieux, estime Olufemi Vaughan, mais pour lui le mouvement n’ira pas plus loin : « Juste parce qu’il y a de groupes bruyants qui appellent à la sécession, cela ne signifie pas pour autant que toute personne qui se trouve dans le même groupe ethnique est prêt à se joindre aux revendications séparatistes. »

Selon le professeur, la menace sécessionniste est également atténuée par le phénomène de la mixité sociale : « Il y a des Yoruba présents partout au Nigeria, et il en est de même pour les Igbo. » Et de conclure : « Les Yoruba réclament, tout comme les Biafra, les Igbo et les ethnies du delta du Niger, une plus grande représentation dans la gestion de leur propre gouvernement, ils demandent plus d’inclusion, ils revendiquent finalement une restructuration fondamentale du pays dans le sens d’un véritable fédéralisme. »

Olufemi Vaughan, professeur à Amherst College aux États-Unis