Capital-investissement et santé : un mariage à consolider en Afrique

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Mis à jour le 21 juin 2021 à 10h40
Les sites de production de médicaments intéressent particulièrement les sociétés d’investissement. Ici, au Caire.

Les sites de production de médicaments intéressent particulièrement les sociétés d'investissement. Ici, au Caire. © Mohamed Abd El Ghany/REUTERS

 

Malgré un engouement pour le secteur sanitaire, les opérations – menées notamment par DPI et SPE Capital – restent limitées, faute de cibles suffisamment attractives ou prêtes à ouvrir leur capital.

Le 26 mars 2020, à l’aube de la crise mondiale, les dirigeants du G20 annonçaient d’une voix unanime : « La consolidation de la défense sanitaire de l’Afrique est essentielle pour la résilience de la santé mondiale. » Le constat, sans appel, a entraîné le déblocage de milliards de dollars à destination du continent. 

Au-delà des organisations non gouvernementales (ONG) et des acteurs publics, le secteur privé et notamment les capital-investisseurs sont appelés à jouer un rôle central dans la réponse au Covid-19. 

Une gageure pour les associés des fonds d’investissement plutôt frileux à l’égard d’une activité santé qui représentait en 2018 seulement 4 % des investissements sur le continent. Mais la « vague Covid »  a-t-elle fait bouger les lignes ?   

Un engouement réel pour la santé

Au premier abord, la réponse semble pencher vers l’affirmative. Selon l’Association des capital-investisseurs et capital-risqueurs africains (Avca), le secteur de la santé a capté 24 % des investissements sur le continent au cours du premier semestre 2020. 

Un record historique et une résilience louable d’autant qu’une autre donnée pousse à l’optimisme : le gotha des investisseurs sondés par l’Avca place la santé en pôle position en matière d’attractivité sur le continent, pour les trois prochaines années.

Mais à y regarder de plus près, les opérations concrètes ne reflètent pas vraiment cet engouement affiché. D’abord, certaines n’ont été réalisées que pour venir au secours d’actifs en difficulté. Et cette performance, sur une période très courte, doit pour ces investisseurs être prise comme la confirmation d’une tendance plus qu’une inflexion liée au Covid.

« Nous regardons les opportunités dans la santé depuis 2012 », rappelle Jade Del Lero, dont la structure Development Partners International (DPI, 1,7 milliard de dollars d’actifs sous gestion) est entrée au capital du laboratoire algérien Biopharm dès 2013. Attirés par un climat d’affaires plus favorable – lié à des déréglementations, à l’ouverture de sociétés familiales, au développement de l’assurance sociale –, les investisseurs n’ont pas attendu la pandémie pour placer leur argent dans le domaine de la santé.

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LE SECTEUR EST SUBDIVISÉ EN DE NOMBREUX SEGMENTS AUX RÉALITÉS TRÈS DIVERSES

Mais là encore, le diable est dans les détails. « Le secteur est subdivisé en de nombreux segments aux réalités très diverses », souligne Biju Mohandas, coresponsable healthcare chez LeapFrog Investments et ancien directeur des pôles santé et éducation pour le périmètre subsaharien de l’International Finance Corporation, filiale de la Banque mondiale. 

Loin de s’être lancés dans des investissements tous azimuts, les capital-investisseurs privilégient les placements « résilients au Covid », capables d’encaisser les chocs de la pandémie, voire d’en tirer profit. Au premier rang desquels le volet pharmaceutique qui avait déjà acquis ses titres de noblesse. 

« C’est une industrie initialement basée sur l’importation, mais où davantage d’entreprises indigènes sortent leurs propres génériques offrant une croissance au-delà de celle du marché. Et l’industrie est structurellement rentable avec des marges d’Ebitda jusqu’à 30 à 60 % », analyse Nabil Triki, directeur général de SPE Pharma et acquéreur début 2020 du groupe Saham Pharma (depuis renommé Amanys Pharma), au Maroc.

Profitant de l’effet vaccin et des opportunités à l’exportation, les chiffres de l’industrie pharmaceutique s’envolent. En novembre dernier, DPI a lancé une plateforme dédiée à l’acquisition d’unités de production. Le premier tour de table, porté par le CDC et la Berd, a bouclé à 250 millions de dollars. Son objectif à dix-huit mois : 750 millions de dollars. Du jamais vu.  


>>> À lire sur Jeune Afrique Business+ : Santé : les plans de Sofiane Lahmar (DPI) et de ses partenaires CDC et BERD pour leur nouvelle plateforme


La logistique médicale, nerf de la guerre

Autres cibles de choix : les activités logistiques – « nerf de la guerre » selon Jade Del Lero –, et toujours les cliniques et les centres de soins privés, malgré les remous de la tempête Covid qui ont entraîné des déprogrammations ou des reports de soins, en raison des capacités allouées aux malades du Covid, ou bien de la crainte des autres patients d’attraper le virus au sein des structures médicales. 

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NOUS NE FAISONS PAS DU CAPITAL-RISQUE, IL NOUS FAUT DES ACTIFS AVEC UNE TAILLE CRITIQUE

Mais au-delà de ces trois postes – industrie pharmaceutique, logistique médicale et centres de soins privés – les prises de participation de grande ampleur s’avèrent peu nombreuses. Les applications de la Tech notamment – qui absorbent 45 % des investissements dans le healthcare africain en 2020 – se révèlent des poissons trop petits (avec des tickets d’entrée ne dépassant pas la dizaine de millions de dollars) pour attirer les grands fonds.

« Nous ne faisons pas du capital-risque, il nous faut des actifs avec une taille critique »,  fait valoir Nabil Triki. Même en terme géographique, les capital-investisseurs chassent sur un terrain restreint avec une poignée de nations se partageant la majorité des flux.

« Nous visons en priorité les pays de la catégorie Tiers 1, désignant l’Algérie, l’Égypte et l’Afrique du Sud où le marché national dépasse trois milliards de dollars, situe Jade Del Lero.  Suivis des Tiers 2 incluant le Maroc, le Kenya ou encore le Nigeria. »

Encore faut-il trouver des candidats sensibles à l’apport des capital-investisseurs. « Au-delà des conditions externes, il faut nécessairement que les intérêts se rejoignent. Si un sponsor ou un promoteur n’est pas prêt à ouvrir son capital, nous ne pouvons intervenir », rappelle prosaïquement Damien Braud, responsable de la division Private Equity Afrique et Méditerranée chez Proparco. Une réticence due notamment au caractère familial de bon nombre des sociétés du secteur, qui veillent à garder la main sur le management. 

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LE CAPITAL-INVESTISSEMENT COMPTE QUELQUE 250 DEALS PAR AN

La question des compétences en ressources humaines, tant sur le plan de la direction que des salariés, reste une autre faiblesse du secteur. Derrière l’effervescence attendue, les bonnes affaires ne sont pas encore légion. “Le capital-investissement compte quelque 250 deals par an. 

Malgré l’intérêt croissant du domaine de la santé pour l’arrivée de nouveaux investisseurs, il faut que les cibles aient atteint une certaine taille critique pour attirer les DFIs [Institutions de financement du développement, ndlr] et les fonds d’investissement, ce qui limite mécaniquement le nombre d’opérations possibles », regrette Damien Braud dont la structure gère 110 millions d’euros d’actifs dans ce secteur africain. 

Avec la situation pandémique actuelle, nécessitant des réponses d’urgence, les ONG, les institutions publiques nationales, régionales et internationales restent les plus contributives aux structures de santé sur le continent. Les capital-investisseurs suivent une temporalité plus longue, même s’ils sont aujourd’hui davantage prêts à entrer dans une logique de partenariat public-privé dans ce domaine crucial de la santé. 


Biju Mohandas, l’atout santé de LeapFrog


Biju Mohandas © Caleb Wachira

 

Ancien major de l’armée indienne devenu financier, Biju Mohandas est diplômé de la prestigieuse Indian School of Business. Il a longtemps supervisé les investissements Santé et Éducation de la Société financière internationale (IFC) pour l’Afrique.

Au total, entre 2012 et 2021, Biju Mohandas a piloté neuf opérations dans huit pays pour un portefeuille total de 300 millions de dollars.

Un solide pedigree qui a convaincu LeapFrog Investments, fonds de quelque un milliard de dollars sous gestion, de le recruter comme global co-lead pour son segment healthcare. D’autant que la société d’investissement à impact, centrée sur l’Afrique et l’Asie, vient d’obtenir un chèque de 500 millions de dollars du fonds souverain singapourien Temasek pour intensifier ses prises…