Alpha Condé – Cellou Dalein Diallo : quelles voies pour une sortie de crise ?

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Alpha Condé, le 24 octobre 2020 au palais Sékhoutouréya, lorsqu'il avait lancé un appel "à la paix et à la concorde" après avoir été déclaré vainqueur de la présidentielle.

Alpha Condé, le 24 octobre 2020 au palais Sékhoutouréya, lorsqu'il avait lancé un appel "à la paix et à la concorde"
après avoir été déclaré vainqueur de la présidentielle. © DR / Présidence guinéenne

 

Alors que pouvoir et opposition campent sur leurs positions, les appels au dialogue se multiplient, notamment de la part de la société civile guinéenne.

Les tensions restent encore vives en Guinée, plus d’un mois après le scrutin présidentiel à l’issue duquel Alpha Condé a été réélu pour un troisième mandat.

S’il a été loin de réunir les foules qui ont participé aux marches organisées en amont de l’élection, l’appel à manifester de mercredi 25 novembre a tout de même été suivi, timidement, dans plusieurs bastions de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), notamment à Labé, fief de Cellou Dalein Diallo, et dans la commune de Ratoma, à Conakry.

Interdite par les autorités, qui ont mis en avant les risques liés à la pandémie de coronavirus, la marche a rapidement dégénéré en affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Une vingtaine de personnes ont été blessées.

Manifestations et arrestations

Les forces de l’ordre ont interpellé plusieurs manifestants, qui sont venus rejoindre les quelque 350 personnes arrêtées depuis le scrutin, selon le décompte de l’Alliance nationale pour l’alternance démocratique (Anad). Plusieurs figures de l’opposition sont écrouées pour « détention et fabrication d’armes légères, association de malfaiteurs, trouble à l’ordre public, pillage et destruction, participation à un attroupement, propos incitant à la violence ».

Parmi elles : Ibrahima Chérif Bah, vice-président de l’UFDG et ancien gouverneur de la Banque centrale de Guinée, Ousmane Gaoual Diallo, directeur de communication et conseiller politique de Cellou Dalein Diallo, ou encore Etienne Soropogui, président du mouvement Nos valeurs communes.

La libération de ces derniers était d’ailleurs l’une des revendications de la manifestation du 25 novembre. Mais la marche avait surtout pour mot d’ordre la contestation de la réélection d’Alpha Condé. Arrivé second lors de la présidentielle du 18 octobre dernier, Cellou Dalein Diallo refuse en effet toujours de reconnaître les résultats donnés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), qu’a validés ensuite la Cour constitutionnelle.

« Trouver une solution »

En face, Alpha Condé se dit prêt à travailler « avec tous les Guinéens », sans cependant citer de nom. Dans un tel contexte, une sortie de crise est-elle envisageable ? Et si oui, selon quelles modalités ?

« La Guinée est sous tension », constate de son côté Mamadou Louda Baldé, président du Parti de l’unité et du renouveau (PUR), qui a organisé un « carnaval de la paix » le 21 novembre à Dixinn, l’une des cinq communes de Conakry. « Il s’agissait d’attirer l’attention des communautés nationale et internationale, de sensibiliser aussi bien les opposants que les autorités, afin qu’ils se retrouvent autour d’une même table pour trouver une solution », explique-t-il.

Mais pour lui, la libération des opposants emprisonnés constitue un préalable indispensable : « On ne peut pas dialoguer quand certains Guinéens sont en prison. Il faut d’abord apaiser les tensions pour permettre aux uns et aux autres de saisir la main tendue du président de la République. »

L’option de la dissolution

Siaka Barry, leader du Mouvement populaire démocratique de Guinée (MPDG), se veut également prudent face à cette main tendue. « Nous nous en tenons au discours et attendons les actes. Nous entendons ce son de cloche depuis dix ans. Nous voulons désormais voir le président œuvrer à la pacification du débat politique pour consolider l’État de droit et l’unité nationale. »

Ancien ministre de la Culture, Siaka Barry a démissionné lundi 23 novembre de son mandat de député. « Pour des raisons personnelles », avance-t-il. Désormais opposé à Alpha Condé, qu’il considérait par le passé comme son « père spirituel », Barry prône la dissolution du Parlement issu du double scrutin législatif et référendaire du 22 mars boycotté par une large partie de l’opposition car il le juge « monocolore ».

« Le cadre le plus propice au débat démocratique reste l’hémicycle. Si l’opposition plurielle n’y est pas et ne reconnaît pas [cette institution], c’est un problème qui se pose à notre jeune démocratie, estime le désormais ex-député MPDG. Nous demandons au président de la République la dissolution de cette Assemblée, en respectant la procédure en la matière. Il lui appartient de la faire fonctionner en rendant à l’institution sa diversité politique. »

Si l’idée d’une dissolution a été reprise par certains acteurs politiques et des représentants de la société civile, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-Ciel, au pouvoir), qui y bénéficie d’une large majorité, y est opposé. « Je ne crois pas que l’absence de l’opposition radicale ait créé ce qu’on appelle actuellement une crise », a notamment déclaré devant les députés, mercredi 25 novembre, Amadou Damaro Camara, qui préside l’Assemblée nationale.

« Au contraire, leur absence permet au peuple de Guinée d’avoir de meilleurs résultats », a-t-il ajouté, assurant qu’une éventuelle dissolution relevait des prérogatives du chef de l’État, et qu’une telle option n’était, à l’heure actuelle, « pas à l’agenda [de ce dernier] ».

La société civile s’implique

Face à ces blocages politiques, des acteurs de la société civile tentent de proposer des solutions. C’est le sens, notamment, de l’appel au dialogue lancé par un collectif d’intellectuels dans leur texte « Au-delà de la contestation, les Guinéens doivent faire émerger une vraie démocratie », publié par Jeune Afrique. Enjoignant les acteurs politiques à dépasser la remise en question du scrutin du 18 octobre, ils plaident notamment pour « une démarche citoyenne visant à créer les conditions éthiques et politiques qui permettront aux individus et groupes qui composent la Guinée de coexister de la meilleure façon possible ».

« La crise est profonde, et nous venons de loin. La réparation doit remonter à avant la présidentielle afin de trouver des solutions pérennes », juge pour sa part Dorah Aboubacar Koïta, président du mouvement Jeunesse Cedeao Guinée, membre d’une plateforme de quinze organisations de la société civile qui espère enclencher « une large concertation avec les acteurs sociaux pour [proposer] des mécanismes et des stratégies qui permettront d’instaurer un véritable cadre de dialogue, différent des précédents ».

Parmi les propositions de cette plateforme, outre la révision de la Constitution issue du référendum du 22 mars 2020 et la création d’une commission d’enquête sur les violences politiques qui ont endeuillé le pays depuis 2010, « l’arrêt immédiat des arrestations visant des responsables et militants des partis politiques d’opposition et l’arrêt des menaces et autres discours belliqueux [proférés] par certains commis de l’État. »