[Série] La Côte d’Ivoire entre le marteau jihadiste et l’enclume factieuse (7/10)

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Opération de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), à Yopougon en avril 2015.

Opération de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), à Yopougon en avril 2015. © Sia KAMBOU / AFP

Désormais confrontée à la menace terroriste, l’armée va devoir rapidement adapter son dispositif. Un défi d’autant plus difficile à relever qu’elle est toujours en phase de reconstruction.

Ils ont attaqué par surprise, au milieu de la nuit. Le 11 juin dernier, aux alentours de 3 heures du matin, une trentaine d’individus ont pris d’assaut le poste mixte de la gendarmerie et de l’armée à Kafolo, à quelques kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso. Bilan : 12 militaires tués.

Certes, il y a eu l’attentat de Grand-Bassam en mars 2016 (19 morts, 33 blessés). Mais jamais le pays n’avait connu une telle saignée contre ses forces de défense et de sécurité. Désormais, les soldats ivoiriens sont visés au même titre que leurs frères d’armes maliens ou burkinabè.

À Abidjan, l’attentat de Kafolo a provoqué une véritable onde de choc. Même si elle n’a malheureusement rien d’une surprise.

Depuis la tuerie de Grand-Bassam, première et jusqu’alors unique attaque du genre en Côte d’Ivoire, la menace jihadiste n’a cessé de croître. Outre plusieurs projets d’attentats déjoués dans la capitale économique, c’est surtout dans le nord frontalier du Mali et du Burkina que l’inquiétude est palpable. Les cellules jihadistes qui y sont implantées, tel le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), n’en font pas mystère : l’un de leurs objectifs est d’étendre leur rayon d’action aux pays côtiers du golfe de Guinée. Et ils y parviennent, lentement mais sûrement.

Opération « Frontière étanche »

En juin 2019, plusieurs personnes suspectes ont été signalées par la population aux autorités dans la zone de Ouangolodougou. Puis d’autres, cette fois vers Nasian. L’armée a alors déclenché son opération Frontière étanche et dépêché des renforts dans le Nord pour tenter d’empêcher toute infiltration sur son territoire.

Mais les jihadistes y ont poursuivi leur patient travail d’installation. En particulier un petit groupe d’une cinquantaine de combattants dirigé par un Burkinabè, Rasmane Dramane Sidibé, alias Hamza, lié à la katiba Macina, du Malien Amadou Koufa. Établie des deux côtés de la frontière, sa cellule a été la cible, à la mi-mai 2020, d’une vaste opération de ratissage menée conjointement par les armées ivoirienne et burkinabè.

A-t-elle attaqué le poste de Kafolo en représailles ? Cela semble probable, même si aucune revendication n’a été formulée. À la mi-juin, l’armée ivoirienne a annoncé l’arrestation d’une trentaine de personnes suspectées d’être impliquées dans cette attaque, dont l’un des lieutenants burkinabè de Hamza, Ali Sidibé, dit Sofiane, présenté comme le chef du commando de Kafolo.

« Désormais, l’un des principaux enjeux est de savoir si des Ivoiriens sont membres de cette cellule. Si c’est le cas, alors la menace est endogène et devient bien plus complexe à gérer », explique le chercheur Lassina Diarra, spécialiste du terrorisme en Afrique de l’Ouest.

Difficile, par ailleurs, d’imaginer que les assaillants aient mené cette opération sans complicités locales. « Ils ont constitué un réseau d’informateurs et de logisticiens sur place », poursuit une source sécuritaire.

Face à cette menace accrue, les forces armées de Côte d’Ivoire (Faci) vont devoir rapidement adapter leur dispositif, mais aussi gagner l’entière confiance des populations locales – un paramètre déterminant dans la lutte contre les groupes jihadistes. À la mi-juillet, le gouvernement a annoncé la création d’une « zone opérationnelle » dans le Nord, qui disposera d’un commandement unique pour les opérations militaires et aura pour objectif « d’empêcher toute infiltration de groupe armé » sur le territoire.

Nouvelle planification

Des soldats ivoiriens à Abidjan, en mai 2014.

Des soldats ivoiriens à Abidjan, en mai 2014. © Bruno Levy pour Jeune Afrique

 

Le défi est d’autant plus grand pour l’armée ivoirienne qu’elle est toujours en phase de reconstruction. Dix ans après la crise postélectorale et cinq ans après l’achèvement du processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), le clivage entre militaires de carrière et ex-rebelles des Forces nouvelles reste marqué. La place importante prise par certains comzones et ex-rebelles au sein de la grande muette depuis l’arrivée ­d’Alassane Ouattara au pouvoir fait grincer des dents.

Après l’attentat de Grand-Bassam, certains hauts gradés ont ainsi milité auprès du chef de l’État pour qu’il replace des « professionnels » aux postes de commandement stratégiques. En interne, ces divisions restent perceptibles, et des observateurs évoquent encore volontiers une armée à deux vitesses.

Au début de 2017, des mutineries menées par d’ex-éléments des Forces nouvelles ont éclaté dans plusieurs villes du pays et relancé le débat sur leur intégration au sein de l’armée ivoirienne. Au cœur de ces poussées de fièvre, une nouvelle fois, la revalorisation des salaires, le paiement des primes, la révision du système d’avancement dans les grades… Les mutins ont obtenu gain de cause, ce qui a creusé un peu plus le fossé avec le reste des troupes.

Après cette nouvelle secousse, Alassane Ouattara a nommé Hamed Bakayoko au portefeuille de la Défense en juillet 2017, avec pour mission de remettre de l’ordre au sein des Forces armées.

C’est également Bakayoko qui a été chargé de piloter la loi de programmation militaire 2016-2020. Une vaste réforme, dotée d’un budget de 2 254 milliards de F CFA (plus de 3,4 milliards d’euros), dont l’objectif est de réduire progressivement les effectifs des Faci à environ 40 000 hommes, à travers un programme de départs volontaires pour 4 400 militaires.

L’une des priorités du nouveau quinquennat sera de poursuivre et d’intensifier la modernisation des Forces armées ivoiriennes, notamment en travaillant à une nouvelle planification de la défense pour la période 2020-2025.