Du Sénégal au Mali, sur la piste d’une inquiétante cargaison de nitrate d’ammonium

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Le port autonome de Dakar.

Le port autonome de Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Destinées à l’extraction minière, 3 050 tonnes de nitrate d’ammonium sont en cours d’acheminement au Mali. La découverte de cet énorme stock, similaire à celui dont l’explosion a ravagé Beyrouth, a suscité l’inquiétude au Sénégal.

Le timing aurait difficilement pu être plus mauvais et la coïncidence plus inquiétante. Deux semaines seulement après les deux explosions qui ont ravagé le port de Beyrouth, où plus de 2 700 tonnes de nitrate d’ammonium étaient entreposées, une quantité équivalente du même produit chimique a été retrouvée dans le port autonome de Dakar.

Les 22 et 27 juillet dernier, 3 050 tonnes de nitrate d’ammonium en provenance de Saint-Pétersbourg (Russie) sont débarquées au port autonome de Dakar, au niveau du Môle 3, où se trouvent les Entrepôts maliens au Sénégal (EMASE).

Fabriqué dans les pays industrialisés, ce produit est majoritairement utilisé pour la conception d’engrais mais sert également à la création d’explosifs destinés au secteur minier et aux travaux publics.

Mines d’or

La cargaison arrivée à Dakar était destinée aux mines d’or de Loulo et Gounkoto – des sites situés au Mali, non loin de la frontière sénégalaise, et gérés par la société aurifère Barrick (ancienne RandGold). « Le nitrate d’ammonium intervient dans l’extraction d’or, le premier produit d’exportation du pays », détaille Fousseynou Soumano, le directeur des Entrepôts maliens.

« La zone dans laquelle il a été conservé n’est pas une zone de stockage à proprement parler, poursuit-il. C’est une zone de transit, de “stockage tampon”, où le nitrate d’ammonium n’est pas voué à rester. Mais avec le Covid, les délais d’acheminement ont été rallongés. »

Fousseynou Soumano se veut rassurant : « Le nitrate d’ammonium peut être laissé à l’air libre du moment qu’il n’est en contact avec aucun produit inflammable. Il peut être soumis à une température extrême. »

Mais l’opinion publique sénégalaise garde en tête les images terrifiantes de la catastrophe de Beyrouth et s’inquiète de la présence de cette cargaison. Le port autonome de Dakar demande alors à son propriétaire, la société Maxam, de récupérer ses stocks.

« Le fait que des tonnes de nitrate d’ammonium aient été un temps entreposées au port n’a rien d’anormal. Mais c’est la façon dont les choses ont été faites qui l’est », explique Mamadou Dia, membre du Conseil économique, social et environnemental.

Un produit chimique dangereux ne peut en effet ni arriver ni être entreposé au Sénégal sans que les ministères des Mines et de l’Environnement n’en soient informés. Au-delà de 300 tonnes, les propriétaires doivent demander une autorisation de stockage aux autorités.

Des convois de 20 véhicules

Malgré la fermeture des frontières, décidée par le Sénégal à la suite du coup d’État survenu le 18 août dernier à Bamako, décision a été prise d’acheminer rapidement les 3 050 tonnes vers le Mali. Exceptionnellement, la frontière est rouverte, explique Mamadou Dia, et le 21 août, l’opération débute.

À compter de ce jour, une centaine de camions, formant des convois de 20 véhicules (soit environ 700 tonnes par convoi), escortés par les forces de sécurité sénégalaises, se dirigent donc vers la frontière.

Le 28 août, un premier convoi se trouvait déjà sur le territoire malien en direction de la mine de Loulo. Le second était stationné dans le village de Moussala, à environ 150 kilomètres de la frontière. « Les premiers camions sont arrivés aux mines le vendredi 28 », a confirmé à Jeune Afrique Mamadou Sow, le directeur national des Transports terrestres, maritimes et fluviaux du Mali.

Deux autres convois sont en cours d’acheminement. « L’état du réseau routier complique les choses, assure Mamadou Sow. Mais mardi ou mercredi au plus tard, l’ensemble de la cargaison sera acheminé. » Selon un responsable du port de Dakar, l’entièreté du stock est dorénavant hors de la capitale sénégalaise.

Inquiétudes

L’opération a toutefois suscité un début de polémique au Mali, où l’on s’est inquiété de l’arrivée du nitrate d’ammonium. À tel point que le ministère des Transports malien a été obligé de réagir, par voie de communiqué, le 25 août : « Le transport de ce produit, qui est une commande habituelle des sociétés minières pour des besoins d’utilisation dans les carrières, est fait en parfaite conformité avec les règles de transport de marchandises dangereuses : confinement propre, discrimination avec d’autres produits sur le même espace et entreposage sur une plateforme à l’air libre », ont assuré les autorités maliennes.

À les en croire, plus de 21 000 tonnes de nitrate d’ammonium ont ainsi été acheminées à partir du port de Dakar en 2019. Et cette année, 12 700 tonnes étaient attendues.