Burkina Faso : « Le nouveau code électoral exclut une partie des Burkinabè »

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Dans un bureau de vote à Ouagadougou, lors du scrutin présidentiel du 29 novembre 2015.

Les députés burkinabè ont adopté mardi un nouveau code électoral. Celui-ci prévoit qu’en cas de « force majeure ou de circonstances exceptionnelles », seuls les résultats des bureaux de vote ayant ouvert seront pris en compte. Pour Aziz Diallo, le député-maire de Dori, ce changement exclut les électeurs vivant dans les régions les plus touchées par l’insécurité.

C’est une modification majeure, apportée à quelques encablures seulement des élections présidentielle et législatives fixées au 22 novembre prochain. Adopté mardi 25 août par 107 députés sur 120 à l’Assemblée nationale, le nouveau code électoral prévoit notamment qu’en cas de « force majeure ou de circonstances exceptionnelles » empêchant d’organiser les scrutins sur une partie du territoire, les élections seront validées sur la base des résultats des bureaux de vote ayant ouvert.

Selon la majorité, ce texte doit permettre de sauvegarder les institutions et la démocratie, malgré la hausse de l’insécurité dans certaines zones du pays. Mais pour certains députés, ce nouveau code électoral est anti-démocratique et va priver de nombreux Burkinabè de leur droit de vote. Aziz Diallo, député-maire de Dori, dans la région du Sahel, l’une des plus touchées du pays, a voté contre ce texte. Il explique pourquoi.

Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous voté contre la modification du code électoral ?

Aziz Diallo : J’estime que le texte qui nous a été présenté n’est pas de nature à renforcer la démocratie et la cohésion sociale, déjà mises à rude épreuve dans notre pays. Ce texte va servir à légitimer des élections malgré le fait que des centaines de milliers de Burkinabè ne vont potentiellement pas pouvoir voter pour des raisons de sécurité. Avec ce texte, c’est comme si l’État leur disait : « Nous ne sommes pas en mesure d’assurer votre sécurité, vous ne pouvez pas voter, mais ne vous en faites pas, nous formons une seule et même nation burkinabè ». De facto, ce texte créé une catégorie de Burkinabè qui sera exclue du processus électoral.

Si les élections se tiennent bien comme prévu, les personnes élues à l’issue de ce scrutin seront-elles légitimes, selon vous ?

À la rigueur, pour l’élection présidentielle, la participation pourra toujours être maximisée car le scrutin est national. Le problème se pose davantage pour les élections locales. Par exemple, prenez une commune qui compte 70 villages, où le vote ne peut se tenir que dans deux ou trois villages.

Si vous demandez ensuite à ces deux ou trois villages d’élire les élus municipaux, comment voulez-vous que les autres villages s’identifient à ces élus ? Si un village ne peut élire son conseiller municipal pour ensuite participer à l’élection du maire, qu’est ce qui empêche ses habitants de douter de la légitimité du maire élu ? Il en va de même pour les élections législatives et le choix des députés.

Après le vote de ce nouveau code électoral à l’Assemblée nationale, vous avez évoqué un « attentat à la démocratie ». Ces mots ne sont-ils pas trop forts ?

Ce sont des mots forts, mais il faut appeler un chat un chat. Un des socles de la démocratie est de permettre à chaque citoyen d’exercer son droit de vote. Le vote n’est pas une obligation mais un droit pour chaque citoyen, consacré par la Constitution.

C’est à l’exécutif de prendre les mesures pour permettre aux citoyens d’exercer leur droit de vote. Mais, de facto, des centaines de milliers de Burkinabè pourraient être privés de ce droit. Et ces gens-là, demain, l’État leur demandera de se sentir aussi Burkinabè que ceux qui ont voté ? Beaucoup subissent les affres de l’insécurité, beaucoup ont été déplacés, beaucoup n’ont pas pu semer ou ne peuvent plus aller à l’école, et en plus l’État leur décline leur droit de vote.

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JE PRÉFÈRE NE PAS ALLER À DES ÉLECTIONS PLUTÔT QUE D’ALLER À DES ÉLECTIONS QUI VONT CRÉER DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE BURKINABÈ

Les défenseurs du texte le présente au contraire comme un moyen de maintenir la démocratie au Burkina Faso malgré l’insécurité grandissante…

Je n’ai pas la prétention d’avoir une meilleure formule, mais je préfère ne pas aller à des élections plutôt que d’aller à des élections qui vont créer différentes catégories de Burkinabè. Nous avons vu ailleurs les problèmes qui naissent de ce genre d’élections, par exemple au Mali, où la situation est désormais celle que tout le monde connaît. N’oublions pas que tout ce qui arrive dans ce pays a commencé par des élections législatives complètement bâclées.

Je ne le souhaite évidemment pas pour mon pays, mais c’est à nous de prendre nos responsabilités pour s’assurer que ce genre de choses ne se reproduise pas chez nous.

Vous êtes donc favorable à un report des élections présidentielle et législatives ?

Il faut avoir le courage de dire que notre pays n’est, aujourd’hui, pas en mesure de tenir des élections. La situation sécuritaire ne le permet pas, avec près d’un million de déplacés et des pans entiers du pays qui échappent au contrôle de nos forces de défense et de sécurité. Que Dieu nous en garde, mais qui peut nous garantir aujourd’hui qu’il n’y a aura pas des attaques au moment des campagnes électorales ?

Encore une fois, regardons ce qu’il s’est passé au Mali. Il y a eu des bureaux de vote qui ont été pris en otage, des présidents de bureau de vote assassinés… Est-ce nécessaire de prendre ce genre de risques ? La Constitution ne prévoit pas de report de la présidentielle et je partage le souci de certains de ne pas créer un vide juridique. Mais je souhaite aussi qu’il y ait la lucidité de comprendre que la situation est exceptionnelle et que cela implique de prendre des mesures exceptionnelles.