Burkina : la hype du babenda, le plat des déshérités

Par  - à Ouagadougou
Mis à jour le 28 décembre 2021 à 20:34
 

 

Le « caleçon du chien », « ragoût de feuilles » ou « plat des déshérités »… Une chose est sûre, le babenda ne manque pas de surnoms. © DR

 

Éloges de l’Afrique gourmande (1/6). Ce plat mossi ne paie pas de mine. Mais dans un Burkina Faso en quête d’authenticité, il suscite désormais moins la moquerie que le respect.

Quarante-cinq minutes de préparation et une heure de cuisson. Trois tas de feuilles d’oseille et autant de feuilles de bonronbourou. Un peu de poudre fine d’arachide, un demi-verre de riz, ce qu’il faut d’oignons, de soumbala, de sel, de piment, de potasse, d’huile et, pourquoi pas, de beurre de karité ou de reste de tamarin tamisé. Lavez, découpez, pilez, trempez, faites bouillir dans un ordre étudié, détrempez, concassez, remuez inlassablement et vous obtenez ce plat de l’ethnie mossi connu sous le nom de « babenda ». Traduction littérale ? « Baag benda » signifie « caleçon du chien ».

Originellement nommé « zê arsenga » (sauce fluide), le mets n’était guère glamour. Son coût de revient modeste, sa recette à géométrie variable et les circonstances de sa consommation – l’épineuse période de soudure dans les zones défavorisées – lui ont valu quelques moqueries qui ont donné naissance, sans explication univoque, à ce surnom de culotte canine.

Étendard burkinabè

Mais le glamour se conquiert et les légendes se construisent. Ravivé par le procès des assassins présumés du charismatique capitaine Thomas Sankara, le culte actuel de l’idéologie sankariste relaie l’injonction « consommons burkinabè », pour le double impératif d’indépendance économique et de fierté nationale. Le « roots » babenda apparaît alors dans la liste des étendards burkinabè comme le textile faso dan fani ou la musique warba. Et l’appel national se mue en fascination internationale. Le « caleçon » est rebaptisé  « ragoût de feuilles » par les chantres de la francophonie fleurie. Les sites branchés de mets exotiques en présentent des recettes plus ou moins modifiées. Parfois servi sans sardines séchées, le babenda peut même surfer sur les tendances vegan et bio…

Et voici, sur les forums numériques, les membres de la diaspora du Faso qui salivent de loin, engoncés qu’ils sont entre la tartiflette et la potée auvergnate : « Il y a longtemps que je n’ai pas mangé du babenda et j’en ai trop envie. Malheureusement, on ne peut le trouver que sur la terre des hommes intègres. » La rareté comme ultime signe de branchitude ? Le babenda figure effectivement moins sur les menus des restaurants occidentaux que le thiéboudiène ou le ndolé, pourtant sosie camerounais du babenda.

Le plat des déshérités burkinabè est-il en passe de devenir hype ? Il a déjà été porté au pinacle par les universitaires. Un doctorant en sciences alimentaires et nutritionnelles lui a consacré une thèse, il y a quelques mois. Au cours de sa soutenance, Bakary Tarnagda a rappelé que ce mets riche en vitamine C, lipides et protéines – laxatif, de surcroît, en cas de constipation – aida le peuple à surmonter la famine de 1970. Il ne revendique pas moins qu’une inscription du babenda « sur la liste des patrimoines culturels de l’Unesco ».

Le parfum de la reconnaissance suscite évidemment la récupération politicienne. Posture ? Dans les cérémonies officielles à buffet, il est de bon ton de démontrer l’attachement aux racines villageoises de son département public, en positionnant du babenda entre les pommes vapeur et le poulet bicyclette. Et les politiciens interviewés de glisser, avec la ferveur et la spontanéité communicative qu’on leur connaît, « le caleçon du chien » dans les portraits chinois. Gourmets opportunistes ? Amateurs de la dernière heure ? Nostalgiques sincères, à l’heure des tempes grisonnantes ? Il faudrait que les fact-checkeurs interrogent aussi les anciens du village pour vérifier si ces hommes de pouvoir prisaient autant le babenda lorsqu’ils étaient enfants…