Jemila Abdel Vetah, une « conquérante » mauritanienne au service du commerce africain

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Jemila Abdel Vetah

Jemila Abdel Vetah © Mamoudou Lamine Kane/Mozaikrim


L’ex-directrice du commerce extérieur, trentenaire ambitieuse et combative, vit au Ghana où elle participe à la mise en place de la Zlecaf.

Bien avant d’intégrer Sciences Po, Jemila Abdel Vetah avait déjà une fascination pour l’exercice du pouvoir et les conciliabules, qui en coulisse précèdent les annonces officielles. À Accra, la trentenaire touche au but. Depuis novembre, elle a rejoint l’équipe du Sud-Africain Wamkele Mene, chargé par les chefs d’État de donner vie à la Zone économique de libre-échange continentale (Zlecaf).

« En tant que directrice du commerce extérieur, je représentais la Mauritanie dans le comité qui a sélectionné la candidature de mon patron pour le poste de secrétaire général de la Zlecaf. Ensuite, j’ai fait campagne pour lui et finalement il m’a demandé de le rejoindre », explique la technocrate. Le programme est chargé.

Avec ses collègues, elle poursuit auprès des États qui ne l’ont pas ratifié le plaidoyer en faveur de ce projet qui va révolutionner le commerce africain. Jemila Abdel Vetah élabore aussi, avec l’appui de McKinsey et de Mastercard, la stratégie d’engagement du secteur privé africain. Enfin, elle travaille étroitement avec le Pnud et ONU Femmes pour développer un protocole spécifique aux femmes qui sera ajouté à l’accord de la Zlecaf.

Modèle d’émancipation

Installée au Ghana pour les besoins de sa mission, elle n’en reste pas moins viscéralement liée à la Mauritanie. « Je lis même le compte rendu du conseil des ministres », avoue-t-elle en riant. La jeune femme jure n’avoir aucun plan de carrière, mais assure déjà vouloir rentrer dans son pays. Les six mois qu’elle a passés à l’Université de Nouakchott en tant que professeure l’ont convaincue d’ouvrir « un jour » une école internationale.

« Aujourd’hui, il n’y a que le lycée français et c’est un projet cher à mon père », explique celle qui a aussi hérité d’une passion pour le football, avec une préférence pour le Milan AC, période Paolo Maldini.

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CE SONT LES JEUNES QUI VONT CHANGER LE VISAGE DU PAYS

Sa mère, attachée aux traditions, aurait aimé la voir mariée. « Encore faudrait-il que mes prétendants aient leur bac », soupire grinçante, celle qui n’oublie pas que certaines filles sont encore promises contre leur gré et qu’elle peut être un modèle d’émancipation. « Je veux aider à changer le monde », clame-t-elle sans modestie, rappelant qu’elle est seulement la deuxième fille de sa famille à avoir son bac et la première à être partie à l’étranger étudier.

Courage de réformer

Elle sait aussi que le temps joue en faveur de l’évolution des mentalités. « Il y avait 700 000 Mauritaniens lors du premier recensement en 1950, nous sommes 4 millions et nous serons 14 millions en 2050. Ce sont les jeunes qui vont changer le visage du pays », se réjouit-elle.

Déjà, elle constate des évolutions, notant que le wahhabisme n’est plus un dogme intouchable. Si elle reconnaît que le droit à l’individualité n’est pas encore le même à Nouakchott qu’à Paris, elle ne regrette pas son choix. « La France est un pays en transition, qui se cherche », lâche celle qui revendique « sa gueule d’arabe ».

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LES ADMINISTRATIONS PEUVENT ÊTRE LES PIRES ENNEMIS DU PROGRÈS

À son retour en 2014, diplôme en poche, elle aide d’abord au lancement de la Banque des financements islamiques (BFI). Puis elle collabore avec l’ambassade des États-Unis et enfin, après son expérience de prof, monte avec des amis un cabinet de conseil spécialisé dans l’élaboration de stratégies numériques. C’est Naha Mint Mouknass, alors ministre du Commerce qui la repère. Cette dernière, en conflit avec le Premier ministre, ne parviendra pas à la nommer avant son départ.

Devenue directrice du commerce extérieur en 2019, Jemila Abdel Vetah a géré des accords comme l’Agoa (African Growth Opportunity Act) avec les États Unis ou l’APE (Accord de Partenariat Économique) avec l’UE et bien sûr le chantier de la Zlecaf. « Des patates chaudes », car ces dossiers nécessitent une coopération entre ministères. De cette expérience, elle garde la conviction que les administrations peuvent être les pires ennemis du progrès et que pour avancer plus vite, il faudrait avoir le courage de les réformer.