Comment peut-on «aimer ses ennemis» ?

 

Antoine Nouis, pasteur de l’Église réformée unie de France, décrypte les paroles déroutantes du Christ qui veut que l’on aime ses ennemis et que l’on prie pour ceux qui nous persécutent. À l’image de Dieu qui ne nous aime pas parce que nous sommes aimables, mais parce qu’il est amour.

Comment peut-on «aimer ses ennemis» ?

Sophie de Villeneuve : Un internaute de croire.com nous pose la question suivante : « Pourquoi Jésus nous demande-t-il dans l’Évangile selon saint Matthieu d’aimer nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent ? Est-ce vraiment possible ? » Plus loin d’ailleurs dans le même Évangile, Jésus dit : « Si on vous gifle sur la joue droite, tendez encore la joue gauche. » Comment comprendre ces paroles déroutantes ?

A. N. : Juste après avoir demandé d’aimer ses ennemis, Jésus dit cette phrase lumineuse : « Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, que faites-vous là d’extraordinaire ? Les païens en font tout autant. » Pour aimer les gens qui nous aiment, on n’a pas besoin de l’Évangile. L’Évangile nous invite à faire un pas de plus, et à aimer aussi ceux que nous n’aimons pas. Il y a là une contradiction, bien sûr. Comment la comprendre ? D’abord, la révélation centrale de l’Écriture, c’est ce verset de l’évangile de Jean : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » Dieu a aimé le monde. Or, dans l’Évangile de Jean, le monde n’est pas le monde aimable, c’est le monde qui rejette Dieu. La Parole est venue dans le monde et le monde ne l’a pas acceptée. C’est le monde en ce qu’il est rebelle à la parole de Dieu. Quand l’Évangile dit que Dieu aime le monde, il ne dit pas que Dieu aime le monde parce que le monde est aimable, il dit que Dieu aime le monde parce que Dieu est amour. Et le propre de l’amour complet, c’est d’aimer l’autre tel qu’il est, qu’on le trouve sympathique ou non. Ensuite, que veut dire « aimer » dans le passage de l’évangile de Matthieu ? Martin Luther King a dit cette phrase lumineuse : « Heureusement que Jésus ne m’a pas demandé de trouver mon ennemi sympathique. Je ne peux pas trouver sympathique celui qui envoie ses chiens sur moi et détruit ma maison. En revanche, je peux l’aimer. » Aimer ne veut dire « trouver sympathique », aimer autrui, dans l’Évangile, c’est essayer de le faire grandir. Dans l’évangile de Jean, après avoir dit « Aimez-vous les uns les autres », Jésus ajoute : « Il n’y a pas de plus grand amour que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. » C’est celui qui renonce à quelque chose de lui-même pour faire grandir l’autre, dans toutes les dimensions de sa personne.

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C’est de cet amour-là que Dieu nous aime ?

A. N. : Je le crois. L’amour de Dieu n’est pas un amour câlin, c’est un amour paternel, l’ambition paternelle étant de voir son enfant grandir et devenir adulte. Ce que Dieu veut pour nous est que nous puissions croître et accéder à la totalité de notre personnalité. C’est ce que dit Jésus quand il nous demande d’aimer nos ennemis : essayez de dépasser votre réaction première de haine et de violence, prenez les choses autrement, essayez de le faire grandir dans cette situation.

Mais est-ce possible pour nous, avec nos petits moyens humains ?

A. N. : Je ne suis pas sûr d’en être moi-même capable, mais je sais que certaines personnes en ont été capables. Les saints sont ceux qui ont réussi à aimer leurs ennemis. Et si certains en ont été capables, pourquoi pas moi ? D’autres traditions disent la même chose. Je lisais récemment un livre du Dalaï Lama qui racontait que son médecin avait été enfermé pendant 18 ans dans les goulags chinois où il avait connu la faim, le froid, la torture. Le médecin parlait du combat qu’il y avait vécu. Le combat pour survivre ?, demande le Dalaï Lama. Non, répond le médecin, le combat pour ne pas perdre la compassion pour mes geôliers. Certaines personnes, dans des situations extrêmes, ont été capables de dépasser leurs réactions premières et de voir les choses autrement. Je ne sais pas si j’en serai capable, mais je sais que c’est possible.

Vous parlez de combat…

A. N. : Jésus dit : « Priez pour ceux qui vous persécutent. » Cela se joue aussi dans le combat de la prière. Car même si on n’arrive pas à garder de la compassion pour ceux qui nous font du mal, on peut toujours prier pour eux. On peut croire que le travail de la prière peut nous aider à changer notre regard sur eux. Le vrai combat que nous sommes appelés à mener, c’est de vivre l’Évangile, c’est-à-dire de faire des choses que nous n’aurions pas faites sans l’Évangile.

Mais c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire… Aimer ses ennemis, tout de même, comment peut-on y parvenir ?

A. N. : Le verset que vous avez cité tout à l’heure : « Tends aussi la joue gauche », est parfois traduit par « tends l’autre joue ». Certaines interprétations disent que le mot important dans cette phrase, c’est le mot « autre », et qu’elle signifie : « Cherche une autre réponse à la violence. » Notre réaction première est de répondre à la violence par la violence. La vocation du chrétien est d’essayer de trouver d’autres réponses que la violence à la violence.

La vie chrétienne qui nous est proposée dans les évangiles est une vie de combat quotidien, de combat spirituel ?

A. N. : C’est le combat, ou encore le travail, de la prière. Le travail de la spiritualité, au sens large du terme, c’est de faire en sorte progressivement que l’Évangile ne soit pas simplement une idée sympathique qui traverse nos manières de penser, mais qu’il vienne habiter nos profondeurs, nos réactions, notre façon d’être, de voir et de nous comporter avec la totalité de notre environnement, nos amis comme nos ennemis. J’aime l’image de la foi comme un vêtement. Saint Paul dit : « Vous avez revêtu le Christ ». Jean parle de la foi comme d’une demeure, d’une habitation. La foi n’est pas que de l’ordre de la croyance ou de l’espérance, elle est aussi une bonne nouvelle qui s’adresse à la totalité de notre personne, avec nos sentiments, nos haines, nos amours, nos réactions de tous les jours. Le travail de la prière et de la spiritualité, c’est d’habiter de plus en plus cette compréhension de la foi.

Ce travail peut-il transformer une personne ? Peut-on arriver à vraiment aimer ses ennemis ?

A. N. : Je l’espère et je le crois. Je ne suis pas un héros de la foi, mais un homme d’espérance, qui croit que si Jésus nous le demande, c’est que nous en sommes capables, parce que Jésus croit que nous en sommes capables. Et que le travail de notre imprégnation dans l’Évangile permet d’arriver progressivement à répondre à cette parole que Dieu dépose à nos pieds.