Encyclique « Fratelli tutti » : la fraternité dans la Bible

La fraternité est le thème de la nouvelle encyclique du pape François, Fratelli tutti (Tous frères). Dans la Bible, si le mot fraternité est rarement utilisé, l’Ancien et le Nouveau Testament recèlent de nombreuses histoires de fratries. Au-delà du lien du sang, la fraternité est un lien qui se construit, et dont la portée est universelle

                                                              Joseph abandonné par ses frères. Collegiale de San Gimignano, en Italie

 

Pourquoi la Bible relate-t-elle tant d’histoires de fratries ?

De Caïn et Abel (Genèse 4) jusqu’à la parabole du fils prodigue (Luc 15), la Bible est « le grand livre des fraternités contrariées », écrit le père Philippe Abadie, bibliste, professeur honoraire à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon, dans son livre Ce que dit la Bible sur le frère. Si certains récits apparaissent édifiants – comme Moïse et Aaron, dans le livre de l’Exode, et David et Jonathan, dans le premier livre de Samuel –, la plupart mettent en scène des frères et sœurs divisés, des fratries déchirées par la convoitise, occasionnant viols et meurtres : Caïn tuant Abel (Genèse 4, 8), Abraham et Loth se séparant (Genèse 13), Jacob convoitant le droit d’aînesse d’Ésaü (Genèse 25), Joseph vendu par ses frères (Genèse 37)… « La Bible nous montre l’humanité réelle, reprend le père Philippe Abadie, et enseigne que la fraternité n’est pas une donnée naturelle, mais se construit. Vivre en frères est possible, mais au terme d’un chemin exigeant, où nous devons dépasser notre propre violence. Même au sein des familles de sang, il s’agit de s’adopter, de se choisir, afin d’établir un lien d’

→ DOSSIER. L’encyclique Fratelli Tutti (Tous frères) du pape François

Comment vivre en frères, selon ces récits ?

Ces récits mettent en valeur l’importance de la considération et de la parole. Le premier est celui d’un échec. « Pour Caïn, Abel est une gêne qui le frustre dans son désir de toute-puissance », détaille le père Philippe Abadie. Malgré les invitations de Dieu, il refuse de le regarder, et finit par le tuer. Un meurtre qui se déroule en silence : « L’absence de dialogue mène au meurtre ; seule la parole permet de sortir la violence de l’intérieur de soi-même », reprend le bibliste.

Lorsque Dieu cherche Abel, Caïn rétorque : « Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ? » (Genèse 4, 9). En creux, Caïn décrit là ce que c’est qu’être frère : « Avoir le souci de l’autre, se regarder, se considérer, c’est-à-dire se respecter, et se parler, résume le père Abadie. C’est précisément ce qu’ont réussi à établir Moïse et Aaron : ils se sont acceptés, et existent dans un rapport de complémentarité : l’un reçoit la Parole de Dieu, l’autre la traduit. »

→ LES FAITS. « Fratelli tutti » : l’encyclique du pape François sur la fraternité sera publiée le 4 octobre

Le récit mettant aux prises Joseph et ses frères, fils de Jacob, montre, quant à lui, que la réconciliation peut mettre un terme à la violence. Deux années après s’être débarrassés de Joseph en le vendant, ses frères se retrouvent face à lui, sans le savoir, puisqu’il est devenu premier ministre de Pharaon, en Égypte, où ils ont été poussés par la famine. Joseph les jette en prison. Mais sa colère s’apaise lorsque les frères reconnaissent leurs torts : « Hélas ! nous sommes coupables envers Joseph notre frère : nous avons vu dans quelle détresse il se trouvait quand il nous suppliait, et nous ne l’avons pas écouté. » (Genèse 42, 21)

Sur quoi la fraternité est-elle fondée ?

« Dans la Genèse, Dieu crée l’humanité à son image. C’est ce qui fonde la fraternité : être frère, c’est reconnaître en l’autre l’image de Dieu », souligne Philippe Abadie. D’emblée, la fraternité dépasse ainsi le lien du sang. « Le projet de Dieu, dès avant la Création, est d’adopter l’humanité, poursuit le dominicain François-Dominique Charles, bibliste et théologien. Selon saint Paul, c’est pour cela que le Christ est venu, afin d’être frère de tous – “le premier-né d’une multitude de frères” (Romains 8, 29) – que tous soient réconciliés et se reconnaissent “fils adoptifs” d’un même père (Éphésiens 1, 5). »

→ EXPLICATION. Quels sont les différents types d’encycliques ?

Une notion de fraternité universelle présente dès l’Ancien Testament, puisque Israël, défini comme une communauté de frères, est appelé à accueillir « le lévite et l’immigré, l’orphelin et la veuve. » (Deutéronome 16, 14). « L’immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un israélite de souche, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été immigrés au pays d’Égypte. » (Lévitique 19, 34)

Comment le Christ parle-t-il de la fraternité ?

« Jésus se refuse à donner une définition du frère, car celle-ci serait nécessairement restrictive, analyse Philippe Abadie. C’est pour cela qu’il retourne la question posée par le légiste qui lui demande : “Et qui est mon prochain ?” (Luc 10, 29) Par la parabole du bon samaritain, Jésus indique que la fraternité est une attitude : il ne s’agit pas de savoir qui est mon frère, mais de qui je peux me rendre proche ? » Pour Jésus, qui élargit le commandement de l’amour du prochain à l’ennemi, l’adversaire qui nous persécute, lui aussi, est un frère. « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux », écrit l’évangéliste Matthieu (Matthieu 5, 43-45).

Quelle est l’importance de la « fraternité » pour l’Église ?

Dans le Nouveau Testament, la fraternité apparaît comme constitutive de l’Église. « Les deux seules fois où l’on trouve le mot “fraternité” (en grec, adelphotès), c’est dans la première épître de Pierre. Et il y est employé comme synonyme d’Église (1), rappelle François-Dominique Charles. Afin de suivre le Christ, la communauté chrétienne doit avant tout être fraternelle. »

Être disciple, c’est devenir frère et sœur, jusqu’à être « unis les uns aux autres par l’affection fraternelle », selon saint Paul (Romains 12, 10). Cette optique s’appuie sur la pratique de Jésus, qui nomme « frères » ceux qui le suivent : « Va trouver mes frères », dit-il à Marie-Madeleine, au matin de la Résurrection (Jean 20, 17). Sans toutefois les nier, « Jésus relativise les liens familiaux afin de privilégier la relation fraternelle avec ceux qui le suivent », explique François-Dominique Charles. Une relation établie par la foi : « Voici ma mère et mes frères. Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » (Matthieu 12, 49-50). « Nous sommes ainsi frères par la foi, relève Philippe Abadie, par l’adhésion à une parole commune. »