En Guinée, les proches d’Alpha Condé dans la nasse judiciaire

Ministres, conseillers ou cadres du régime déchu sont englués dans des procédures qui les privent de travail, de voyage, voire de liberté tout court. Jeune Afrique fait le point.

Par  - à Conakry
Mis à jour le 3 mars 2023 à 16:45

 
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Voilà près d’un an et demi que les proches de l’ancien président Alpha Condé sont aux prises avec la justice guinéenne. Nombre d’entre eux ont vu leurs comptes bancaires gelés et sont empêchés de voyager. D’autres sont incarcérés.

 

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Pas moins de trois procédures judiciaires ont en effet été intentées à l’encontre d’anciens ministres, conseillers ou cadres de l’administration. La première, ouverte le 17 février 2022 par le parquet spécial de la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief), concerne tous les ministres du dernier gouvernement de l’ère Condé.

Discrètes auditions à la police judiciaire

Dans un communiqué, Aly Touré, le procureur de la Crief, a fait savoir qu’il existait, contre l’ancienne équipe d’Ibrahima Kassory Fofana, « des indices sérieux de détournements de deniers publics, d’enrichissement illicite, de blanchiment d’argent, de corruption et de complicité ».

Incarcéré depuis le 6 avril 2022 avec les anciens ministres Mohamed Diané (Défense) et Oyé Guilavogui (Environnement), l’ex-chef du gouvernement a multiplié les demandes de mise en liberté. Sans succès. Le 28 février 2023, la Cour suprême l’a débouté de son pourvoi en cassation. Son procès devrait s’ouvrir très prochainement.

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Une deuxième salve a été déclenchée à partir du 3 novembre 2022 après qu’Alphonse Charles Wright, le garde des Sceaux, a donné injonction de poursuivre 188 personnalités, parmi lesquelles Alpha Condé, ses proches et… des défunts. On leur reproche des faits de « corruption, d’enrichissement illicite, de blanchiment d’argent, de faux et usage de faux en écriture publique, de détournement de deniers publics et de complicité ».

Certaines de ces personnalités ont pu être relaxées, mais ne sont pas tirées d’affaire. C’est, entre autres, le cas de Damantang Albert Camara. L’ex-ministre de la Sécurité fait partie d’un groupe d’anciens dignitaires que la Direction centrale de la police judiciaire a auditionnés dans ce cadre.

Patrimoine, comptes en banque, maisons…

« J’ai été entendu en janvier [2023] durant une demi-heure. On m’a posé des questions sur mon compte bancaire, sur mon patrimoine de manière générale », confirme un ancien ministre. Un autre, soumis au même interrogatoire un mois auparavant, raconte : « Ils m’ont demandé des informations sur ma maison, que j’avais achetée avant l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir. »

Parmi les anciens responsables ayant défilé à la Direction centrale de la police judiciaire figurent de nombreux ex-ministres, dont Amara Somparé (Communication), Mohamed Lamine Doumbouya (Budget), Sona Konaté (Culture), Sanaba Kaba (Action sociale), Maramani Cissé (Sécurité) ou encore Bah Ousmane (ex-ministre conseiller à la présidence).

S’y ajoutent le général Toumani Sangaré, l’ancien directeur général de la douane ; le général Mathurin Bangoura, l’ex-gouverneur de Conakry ; Cellou Diallo, l’ancien directeur de la marine marchande, et Kabinet Cissé, qui présida la Commission électorale nationale indépendante.

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Enfin, Alpha Condé et vingt-six de ses proches (dont onze ministres du gouvernement d’Ibrahima Kassory Fofana) ainsi qu’Amadou Damaro Camara, l’ancien président de l’Assemblée nationale (actuellement en prison), sont sous le coup d’autres poursuites judiciaires depuis le 4 mai 2022.

Celles-ci sont consécutives à une plainte déposée par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) contre les anciens dirigeants tenus pour responsables des quelque 200 morts survenues entre 2011 et 2020 lors de diverses manifestations. Les auditions des 260 familles de victimes ont commencé le 20 janvier dernier au parquet du tribunal de première instance de Dixinn.

Les craintes du secteur privé

Toutes ces procédures s’accompagnent de mesures restrictives de liberté. Le 6 septembre 2021, alors que le colonel Mamadi Doumbouya venait de s’emparer du pouvoir, les passeports des 37 ministres du gouvernement Kassory Fofana avaient été saisis. Mais leurs détenteurs ne sont pas les seuls à être interdits de quitter le pays.

La plupart de ceux qui ont occupé des postes à responsabilité entre 2011 et 2021 sont également visés. « Les trois procureurs : Aly Touré (Crief), Mamoudou Magassouba (tribunal de Kaloum) et Algassimou Diallo (tribunal de Dixinn), ont communiqué à l’aéroport de Conakry des listes de personnes interdites de sortie du territoire », assure un ancien ministre. Ceux dont les passeports n’avaient pas été confisqués n’ont découvert qu’ils ne pouvaient voyager qu’une fois arrivés à l’aéroport.

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Cette situation les empêche, par ailleurs, de rebondir professionnellement à l’étranger. Et, en Guinée, le secteur privé, en particulier les sociétés minières, craint d’employer ces anciens dignitaires sous le coup de poursuites et, surtout, mal vus des nouveaux maîtres du pays.