Guinée : le dilemme de Mamadi Doumbouya

Serrer la vis, interdire les manifestations et prévoir une transition longue, mais sans s’aliéner l’ensemble de la classe politique guinéenne ni la communauté internationale… Pour le chef de la junte, la voie est étroite. Le moindre faux pas pourrait lui coûter cher.

Mis à jour le 25 mai 2022 à 11:11
 

 

Mamadi Doumbouya, le 14 septembre 2021, à Conakry. © JOHN WESSELS/AFP

 

C’est suffisamment inhabituel pour être remarqué. Ce 24 mai, le Conseil des ministres ne s’est pas tenu à Conakry ni même, comme cela pouvait être le cas sous la présidence d’Alpha Condé, dans une ville proche de la capitale. C’est à Nzérékoré, principale ville de Guinée forestière (Sud-Est), à près de 900 km de Conakry, que le gouvernement de Mamadi Doumbouya s’est réuni. En tout, les ministres passeront un mois entier hors de la capitale. Une « immersion sociale et administrative », selon les mots de Rose Pola Pricemou, chargée de l’Information, visant à « faire comprendre la vision du CNRD [Comité national de rassemblement pour le développement] aux populations ».

DOUMBOUYA N’ÉTAIT PAS CONTENT. IL A RÉAGI EN MILITAIRE

Une « punition », corrige un observateur à Conakry. « Doumbouya n’était pas content. Il trouve que l’action du gouvernement n’avance pas assez vite, reprend-il. Il a réagi en militaire : ça ne va pas, on fait nos paquetages et on va faire un tour. » La course contre la montre engagée par le colonel vient en effet de prendre un nouveau tournant : le 11 mai dernier, le Conseil national de transition (CNT) entérinait la durée de la transition, alors que son président, Dansa Kourouma, promettait « un retour à l’ordre constitutionnel irréversible et perpétuel ». Trente-six mois, soit trois de moins que les 39 initialement envisagés par Doumbouya, mais bien plus que ce que la Cedeao est décidée à accepter.

Avant même le prochain sommet de l’organisation régionale, le président de la Commission de la Cedeao, Jean-Claude Kassi Brou, a publiquement critiqué une transition « qui s’apparente à un mandat électif ». Une sortie qui en a provoqué une autre, les autorités guinéennes dénonçant dans la foulée un « manque d’élégance et de respect » de la part de l’Ivoirien.

« Cedeao des peuples contre Cedeao des chefs d’État »

Fidèle à la ligne qu’il s’est fixé, Mamadi Doumbouya tente de conserver de bonnes relations avec la Cedeao, sans pour autant se laisser dicter sa conduite. À leurs interlocuteurs, les diplomates guinéens aiment à répéter cette phrase : « Aujourd’hui, c’est la Cedeao des peuples contre la Cedeao des chefs d’État ».

L’avis est sans nul doute partagé par son homologue à Bamako. Les sanctions imposées au Mali début janvier ont renforcé l’axe historique entre les deux pays et, depuis plusieurs semaines, les camions maliens défilent au port de Conakry pour contourner l’embargo sous-régional. Plus prudent qu’Assimi Goïta, Mamadi Doumbouya se garde toutefois de froisser les Français, avec lesquels il entretient de bonnes relations, et de s’afficher trop souvent avec les Russes. Il soigne aussi son image, celle d’un homme intègre, soucieux de sortir la Guinée de l’instabilité et de la pauvreté. Mais en lançant la machine judiciaire contre la classe politique, l’ancien légionnaire a fait naître une alliance contre-nature qui pourrait bien se retourner contre lui.

Le 10 mai, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel) d’Alpha Condé et l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo se sont en effet retrouvés, à l’initiative du RPG. Ils se vouaient une haine tenace, mais ont décidé de faire bloc contre le président de la transition. Sans doute n’était-ce pas ce que Doumbouya espérait, il y a huit mois, lorsqu’il promettait d’« unir la Guinée » et de dépasser les clivages…

Pour l’instant, ce sont principalement les barons de l’ancien régime qui ont maille à partir avec la justice, à commencer par l’ex-Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, l’ex-ministre de la Défense, Mohamed Diané, et Oyé Guilavogui, autrefois à l’Environnement – tous trois ont été placés en détention provisoire le 26 avril dernier. Les 25 magistrats de la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief) n’ont pas chômé. Depuis leur installation en décembre dernier, 138 personnes ont été inculpées. Également visé par la justice, l’ancien chef de l’État a toutefois été autorisé à retourner se faire soigner à l’étranger et s’est envolé, ce 21 mai, pour la Turquie.

ILS AVAIENT OUBLIÉ QUE DANS UNE CHASSE AUX SORCIÈRES, C’EST AU CHASSEUR QU’IL REVIENT DE DÉTERMINER QUI EST UNE SORCIÈRE ET QUI NE L’EST PAS

Les opposants à Alpha Condé savent qu’ils ne sont pas loin sur la liste. « Depuis le début, le CNRD a été très cohérent. Le but des militaires est l’élimination de la classe politique dans son ensemble, affirme un cadre du RPG. Ils ont éliminé les généraux, vidé l’administration des gens qui avaient une certaine expérience… Tant que c’était limité au RPG, les gens étaient contents ! Mais c’était un calcul politique de court terme. Ils avaient oublié que, dans une chasse aux sorcières, c’est au chasseur qu’il revient de déterminer qui est une sorcière et qui ne l’est pas. » Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, dont les maisons ont été saisies – et même détruite dans le cas du leader de l’UFDG – ont tous deux quitté la Guinée.

« Sale boulot »

Cette alliance entre les ennemis d’hier ne fait sans doute que renforcer Doumbouya dans sa volonté de renouveler une classe politique perçue comme largement corrompue et dont les membres s’allient pour éviter d’être jugés. Pour leur couper l’herbe sous le pied, le président de la transition s’est donc risqué à prendre une mesure étonnante : interdire la tenue de manifestations politiques. Le RPG, qui a plusieurs fois été accusé de faire peu de cas de la défense des droits de l’homme (au moins 50 personnes ont été tuées lors de manifestations en 2020 selon Amnesty International), a immédiatement dénoncé une violation de la charte de la transition et une atteinte à la liberté de manifester.

Face au CNRD et à « l’autoritarisme » de son président, les partis politiques hésitent sur la marche à suivre. Politiquement, eux aussi auraient tout à perdre en cas de bain de sang. Pour le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), il ne fait aucun doute que « cette interdiction [de manifester] est l’expression de la volonté du CNRD de s’éterniser au pouvoir en muselant toutes les forces sociales et politiques du pays ». Autrefois farouchement opposé au troisième mandat d’Alpha Condé, le FNDC exclut néanmoins une alliance avec le RPG, tandis qu’en coulisses, certains des proches de Doumbouya tentent de faire retomber la pression.

Les opérations de démolition des bâtiments construits sur le domaine public ont été suspendues. Mais Mamadi Doumbouya avait prévenu : il est prêt à « faire le sale boulot ». Et ne semble pas prêt à reculer. « Les gens y ont vu une forme d’arrogance, une façon de dire ‘Nous irons jusqu’au bout, nous ne reculerons devant rien’, explique un observateur proche de l’ancien régime. Bien sûr, il voulait juste dire qu’il ferait ce qu’il faudrait, mais ses opposants ont su utiliser cette phrase et la retourner contre lui. »