En Afrique, la finance mondiale n’est pas à la hauteur

Mis à jour le 8 février 2022 à 10:25
 
Patrick Smith
 

Par Patrick Smith

Patrick Smith est le rédacteur en chef de The Africa Report, un magazine mensuel qui se concentre sur la politique et l’économie en Afrique. Il est également rédacteur en chef d’Africa Confidential depuis 1991.

 

(De gauche à droite) Le président de la Banque mondiale, David Malpass, le ministre kényan des Finances, Ukur Yatani Kanacho, Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre et actuel envoyé spécial des Nations unies pour l’action climatique et les finances, et la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, participent à un débat lors du sommet climatique des Nations unies COP26 à Glasgow, le 3 novembre 2021. © Daniel LEAL / AFP

 

Entre indifférence – ou complicité – aux détournements de ressources publiques et financement inadéquat de l’adaptation climatique, le système financier actuel est en-dessous des attentes. Il est temps de le reformer.

Pour reprendre le prince Hamlet « il y a quelque chose de pourri » au royaume de la finance. Elle échoue lourdement en ces temps de crise climatique, de pandémie et d’autoritarisme galopant. Et ces échecs produisent des « révolutionnaires » inattendus. C’est le cas de la Zambie, où un expert-comptable a remporté l’élection présidentielle en défendant les droits de l’homme et la liberté de la presse, tout en promettant de sauver l’économie d’une cabale corrompue.

LE FMI ET LES « RESTRUCTURATEURS » DE DETTE ENTRENT EN SCÈNE…

Le vainqueur de la présidentielle, Hakainde Hichilema, est trop diplomate pour dénoncer ouvertement les banques qui ont collaboré avec des politiciens véreux. Mais l’histoire récente de la Zambie rappelle celle du scandale de la dette cachée au Mozambique. Des élites politiques et financières corrompues s’entendent pour siphonner les fonds publics, laissant au « povo » le règlement de la facture. Le FMI et les « restructurateurs » de dette entrent en scène, tandis que les aspirations des générations futures sont mises en veilleuse.

Quand la Banque mondiale a une « révélation »

Le président de la Banque mondiale, David Malpass, partisan de la déréglementation et des économies à faible taux d’imposition, a offert récemment un aperçu de ce dysfonctionnement financier. Sous sa direction, la Banque a pris du retard sur le FMI en ce qui concerne l’allégement de la dette et le financement de la transition vers les énergies renouvelables. Lors d’une conversation avec le Premier ministre chinois, Li Keqiang, en décembre, David Malpass semble avoir eu une révélation : « Une partie du problème des inégalités est due à la finance mondiale elle-même, et à la structure inégale des stimuli [fiscaux] ». « Les politiques actuelles en matière de dette souveraine, de fiscalité et de monnaie aggravent les inégalités », a-t-il ajouté.

 

David Malpass, président du Groupe de la Banque mondiale, s’exprimant lors la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques, le 1er novembre 2021.

David Malpass, président du Groupe de la Banque mondiale, s’exprimant lors la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques, le 1er novembre 2021. © Doug Peters/ UK Government/Flickr

 

Pour mettre en œuvre des programmes de relance après la pandémie, les pays riches utilisent les fonds des Banques centrales pour acheter des obligations à long terme ; c’est très rentable pour les grandes banques et pour les entreprises. Mais cela empêche les petites entreprises et les économies en développement d’accéder aux financements dont elles ont besoin. Lors du Sommet sur le climat organisé par les Nations unies à l’occasion de la COP26, l’ancien gouverneur de la Banque centrale britannique, Mark Carney, a réuni plus de 400 entreprises, dont les actifs cumulés dépassent 130 milliards de dollars, qui se sont engagées à réduire leurs émissions de carbone à zéro d’ici à 2050. Une excellente nouvelle pour la « transition » écologique. Mais de quelle transition s’agit-il vraiment ?

IL FAUT TAXER LES 28 MILLIARDS DE TONNES DE DIOXYDE DE CARBONE ÉMISES CHAQUE ANNÉE PAR LES PAYS RICHES

Plus de 1 000 milliards de dollars

Les pays riches ont augmenté leurs dépenses à hauteur de 20 000 milliards de dollars en réponse à la pandémie. Mais ces mêmes pays n’ont pas tenu leur promesse, vieille de douze ans, de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour financer le climat dans les économies en développement. Selon Jason Bordoff, conseiller en matière de climat de l’ancien président américain Barack Obama, ces 100 milliards de dollars par an ne sont qu’une part infime des 1 000 à 2 000 milliards de dollars d’investissements annuels dans les énergies propres nécessaires aux économies en développement pour parvenir à des émissions nettes nulles d’ici à 2050.

Mais  » la bonne volonté » ne suffit pas dans le système financier dysfonctionnel que nous avons. Le temps est venu d’imposer une taxe progressive sur les 28 milliards de tonnes de dioxyde de carbone émises chaque année par les pays riches et à revenus intermédiaires. Le FMI et la Banque mondiale, avec leurs homologues régionaux, pourraient collecter et distribuer ces revenus pour des projets d’énergie renouvelable dans les économies en développement. Il s’agit là d’une première étape verte vers un financement plus équitable.