Le métavers, nouvel eldorado de la Silicon Valley 

Enquête

Meta, la société mère de Facebook, prévoit d’investir plusieurs dizaines de milliards de dollars par an pour construire le métavers, un univers virtuel connecté au réel. Dans la Silicon Valley, le géant du numérique est loin d’être le seul dans la course.

  • Noémie Taylor-Rosner, correspondante à Los Angeles, 

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Le métavers, nouvel eldorado de la Silicon Valley
 
Mark Zuckerberg et son avatar, lors de la conférence de presse en réalité augmentée, le 28 octobre 2021.FACEBOOK/VIA REUTERS
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 À l’origine du mot métavers, il y a un roman dystopique publié en 1992, Snow Crash, de l’écrivain américain Neal Stephenson. Dans ce livre de science-fiction vénéré par des générations de geeks, des humains tentent d’échapper à leur sombre existence en pénétrant dans un monde virtuel au moyen d’avatars numériques.

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Près de trente ans plus tard, le métavers de Stephenson a resurgi sur le devant de la scène quand Facebook a annoncé, le 28 octobre 2021, qu’il changeait de nom pour s’appeler Meta, un geste stratégique soulignant sa volonté de faire du métavers sa nouvelle priorité.

Casques, lunettes et combinaisons

Sorte de doublure digitale du monde réel, le métavers permettrait à des internautes distants physiquement de partager des moments de vie en utilisant des technologies de réalité virtuelle ou de réalité augmentée qui donnent « la sensation d’être présents » dans la même pièce, a expliqué le patron de Meta Mark Zuckerberg.

 

Après s’être créé un avatar personnalisé, l’utilisateur rejoindrait un espace virtuel où il pourrait bouger et interagir en temps réel avec d’autres personnes grâce à différents outils : casques de réalité virtuelle munis de capteurs et de manettes – comme l’Oculus Quest commercialisé par Meta –, capables de suivre et de reproduire à l’écran les mouvements du corps de l’utilisateur, ou encore combinaisons haptiques permettant de ressentir les contacts physiques.

Meta travaille aussi à la création de lunettes de réalité augmentée qui pourraient voir le jour au plus tôt en 2025 : ces lunettes à verres transparents seraient capables d’afficher devant les yeux de l’utilisateur des éléments virtuels (objets, hologrammes) avec lesquels il pourrait interagir.

10 000 recrutements en Europe

Pour Meta, les possibilités d’application sont infinies : le métavers pourrait être utilisé aussi bien pour télétravailler que pour faire du sport avec un entraîneur, organiser une fête d’anniversaire avec des proches habitant à l’autre bout de la planète ou faire ses courses.

Pour mener à bien son projet, le géant du numérique prévoit d’investir des dizaines de milliards de dollars par an et de recruter 10 000 personnes en Europe d’ici cinq ans. Ce projet herculéen, dont l’annonce est intervenue en plein scandale sur les risques liés à l’usage des réseaux sociaux, suscite le scepticisme chez certains observateurs qui y voient un moyen pour Meta de détourner l’attention de ses problèmes. Mais dans la Silicon Valley, l’appétit réel de Mark Zuckerberg pour le métavers ne fait aucun doute. D’autant qu’il est loin d’être le seul à s’intéresser à ce créneau.

« Tout le monde s’intéresse au métavers »

« En ce moment, des Gafam aux start-up, en passant par les investisseurs, tout le monde s’intéresse au métavers car ils y voient d’énormes opportunités », estime Carlos Diaz, entrepreneur français installé depuis douze ans dans la baie de San Francisco, qui décode sur son site l’actualité du numérique.

 

Le 2 novembre, Microsoft est notamment entré dans la course en annonçant le lancement de « Mesh », une nouvelle fonctionnalité de la plateforme de travail en équipe Teams qui devrait permettre l’an prochain à ses utilisateurs d’apparaître lors de réunions sous la forme d’avatars. Quelques jours plus tard, c’était au tour du réalisateur du Seigneur des anneaux Peter Jackson d’annoncer la vente – pour 1,4 milliard d’euros – de son studio d’effets spéciaux Weta Digital à l’entreprise californienne Unity Software qui compte elle aussi se lancer dans l’aventure du métavers.

Facebook à la traîne

« Ce n’est pourtant pas un concept nouveau.Le jeu vidéo et réseau social Second Life (NDLR : premier métavers en 3D) a émergé au début des années 2000, rappelle Carlos Diaz. Si la Silicon Valley est prête à investir massivement dans le métavers maintenant, c’est en raison de la convergence de plusieurs facteurs : le perfectionnement des technologies nécessaires à sa réalisation, l’essor de la blockchain et le fait que, depuis le Covid et les confinements, les gens sont de plus en plus actifs en ligne et consommateurs de réalité virtuelle. »

« Facebook est en fait très à la traîne par rapport à des plateformes de jeux comme celles de Roblox ou d’Epic Games, l’éditeur de Fortnite, qui proposent des univers immersifs depuis des années, conclut Carlos Diaz. Si Mark Zuckerberg a décidé d’investir autant d’argent, c’est pour rattraper son retard. »

 

Pendant la pandémie, les plateformes de jeux ont continué à avancer leurs pions en se lançant dans l’organisation de concerts virtuels géants. Sur Fortnite et Roblox, plusieurs dizaines de millions de personnes ont pu assister, au moyen d’avatars, à des performances 3D du rappeur Travis Scott ou de la chanteuse Zara Larsson. « Ce que vous voyez aujourd’hui est à bien des égards le premier stade du métavers », explique Manuel Bronstein, responsable produits chez Roblox.

Une infrastructure massive

Mais pour que ce méta-univers soit un jour capable de remplacer l’Internet mobile, de nombreux problèmes techniques restent à surmonter.La création d’univers virtuels persistants « représente des défis d’ingénierie très complexes et nécessite de construire de nouveaux centres de données partout dans le monde », souligne Manuel Bronstein.

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Sur le long terme va aussi se poser la question de l’unification du système. « Les gens vont vouloir passer d’une plateforme à l’autre sans avoir à changer à chaque fois d’avatar », note Carla Gannis, professeure à l’école d’ingénierie Tandon de l’Université de New York. En admettant que le métavers ne soit pas dominé par une seule plateforme.

Pour Cathy Hackl, consultante spécialiste du métavers, cette hypothèse est peu probable. « Aucune entreprise n’est aujourd’hui capable de construire seule le métavers car celui-ci est tributaire d’un trop grand nombre de technologies, estime-t-elle. Je ne serais pas étonnée de voir des compagnies se lancer dans l’acquisition de plateformes de jeux en ligne. Aujourd’hui, ce sont elles qui dominent technologiquement le métavers. »

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Facebook, critiqué mais en pleine forme

Chiffre d’affaires : 29 milliards de dollars (26 milliards d’euros) au troisième trimestre 2021, en hausse de 35 %. La publicité constitue l’essentiel des revenus du groupe. De plus en plus ciblée grâce aux progrès de l’intelligence artificielle, elle est vendue de plus en plus cher.

Bénéfices : 9,2 milliards de dollars (8,1 milliards d’euros) (+ 17 %) au troisième trimestre 2021.

Nombre d’utilisateurs : 3,6 milliards sur l’ensemble des applications du groupe rebaptisé Meta en octobre dernier (Facebook, Instagram, Whatsapp), en hausse de 12 %.