[Chronique] Track-records, drag along, leavers… L’étrange jargon de la finance

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Par  Aurélie M'Bida

Journaliste économique à Jeune Afrique, Aurélie M'Bida couvre le secteur de la finance (banque, assurance, capital-investissement...).

(@Aurelie_MB)

Finance (image d’illustration)

Pour attirer les capitaux privés, un entrepreneur doit non seulement avoir la bonne idée, mais aussi bien choisir les termes qu’il emploie. Plongée dans un lexique déroutant.

Vous prendrez bien une cuillère de dettes, ma chère ? À moins que vous ne soyez plus du genre equity… Il serait en effet dommage de tout mélanger.

Le même dilemme se pose si vous comptez convier à votre table d’éminents représentants d’un « GP » – entendre general partner ou société de gestion. À ne surtout pas aborder avec les mêmes égards qu’un parterre de « LPs », les limited partners, ceux qui investissent, les bailleurs de fonds… Le calibre n’est pas le même. Ces derniers sont plutôt court-termistes, intéressés par le résultat. Ce dîner m’a-t-il convenablement rassasié ? En ai-je retiré autant que ce que j’espérais ?

Tirer un certain profit

Les GPs, à l’inverse, s’inscrivent dans la durée. Ils ont fait vœu de s’associer, de former une société pour 99 ans au plus, et d’en assumer dettes et obligations.

Au quotidien, et dans la pratique qui nous anime – le capital-investissement – ils ont pignon sur rue. Helios Investment Partners, Actis, Amethis, Emerging Capital Partners… Des fonds d’investissement ou des sociétés de gestion à qui de nombreux investisseurs – dont l’investissement n’est pas le métier –, ont confié leur capital pour soutenir un projet, une entreprise prometteuse, louable et responsable. Aussi, n’ayons pas peur des mots : pour en tirer un certain profit !

À ce jeu-là, les gestionnaires de fonds brandissent l’argument imparable : un solide butin. Constitué au fil des opérations de prise de participation via divers véhicules d’investissement, et baptisé sous un vocable plutôt abscons, les « actifs sous gestion » ou « assets under management ». Ceux-ci sont censés convaincre le capitaliste lambda de desserrer le cordon de sa bourse. Devant les sommes vertigineuses que d’aucuns présentent, nul doute que le tour fonctionne.

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CHAQUE SCIENCE, CHAQUE ÉTUDE, A SON JARGON ININTELLIGIBLE, QUI SEMBLE N’ÊTRE INVENTÉ QUE POUR EN DÉFENDRE LES APPROCHES

Les fonds d’investissements ont quant à eux leurs portefeuilles d’actifs, leurs « track-records » (l’historique de leurs acquisitions), leurs « exits » (les sorties de ces mêmes acquisitions, réalisées avec succès ou avec pertes et fracas)…

Sans compter la déclinaison « capital-risque », les fameux « VC » ! Pour eux, le champ lexical s’avère tout aussi délicieux : préférence de liquidation, clauses de drag along, clauses de leavers… Pour attirer les capitaux privés, et s’en servir avec discernement, un entrepreneur doit non seulement avoir la bonne idée, mais aussi s’armer d’un bon lexique spécialisé. Et s’en imprégner copieusement.

Un miroir aux alouettes ?

Mais alors que penser réellement du vocabulaire de la finance « non régulée » ? Miroir aux alouettes ou pensée complexe ? Sans doute un peu des deux. D’autant que ces termes et expressions ont fini par s’imposer aux financiers de tous bords, après une quarantaine d’années de pratique dans le monde et près de vingt ans en Afrique.

« Ce n’est pas si compliqué ! Toutes les industries ont leur jargon, même s’il est vrai que l’on pourrait simplifier les choses », protestait une capital-investisseuse chevronnée rencontrée lors de la dernière conférence annuelle de l’African Private Equity and Venture Capital Association. Ce à quoi Voltaire aurait répondu : « Chaque science, chaque étude, a son jargon inintelligible, qui semble n’être inventé que pour en défendre les approches. »

En tout état de cause, reconnaissons un certain mérite au vocabulaire du private equity : sa poésie. Ainsi qu’un sentiment de jubilation en l’employant. À bon ou mauvais escient, qu’importe. Tant qu’il produit de l’effet sur son auditoire. Financiers comme néophytes.

Rien de personnel cela dit. Promis, au prochain exercice, ce sont les banquiers qui passeront sur le gril.