En islam, la représentation de Dieu est interdite, non celle de son prophète

  • Anne-Bénédicte Hoffner et Samuel Bleynie, 
 
En islam, la représentation de Dieu est interdite, non celle de son prophète
 
Le prophète Mohammed reçoit une première révélation de Jibrîl (l’archange Gabriel), miniature du Jâmi’al-Tawârîkh ( « Chronique universelle ») de Rashîd al-Dîn, entre 1307 et 1311, actuellement conservée à la bibliothèque de l’université d’Edimbourg.CC/WIKIPEDIA

Quelle est l’histoire ?

Avec l’interdit posé par le Décalogue – dont l’islam a hérité –, le judaïsme rompt avec l’habitude établie jusque-là de représenter les dieux, aussi bien dans la peinture que la sculpture. Les spécialistes y voient le noyau voire l’essence même du monothéisme : « Il n’y aura pas pour toi d’autres dieux devant ma face ».

De cette interdiction juive qu’il a reprise, l’islam ne s’est jamais écarté en ce qui concerne Allah. Mais, selon les lieux et les époques, il a été « tenté de l’étendre, mais pas partout ni toujours, à la figuration du prophète voire à celle de tous les prophètes », écrit le P. François Boespflug, dans « Le Prophète de l’islam en images : un sujet tabou ? » (Bayard, 2013).

Que disent les textes de l’islam sur la représentation de Dieu ?

À la différence de la Bible, le Coran ne porte pas d’interdiction explicite des images de Dieu. Il ne condamne explicitement que les idoles pré-islamiques et toute autre forme d’idolâtrie. L’interdit semble relever du consensus de la communauté (ijmâ), constate le P. Boepsflug, qui y voit moins « affaire de discipline que l’effet d’une sorte d’évidence ». Et le résultat de l’idée même de Dieu en islam : un Dieu « impénétrable », « opaque », comme « une forteresse sans portes ni fenêtres », selon les métaphores employées par les musulmans, dont rien – ni Jésus bien sûr, mais pas même Adam – ne sont « à la ressemblance ».

 

Qu’en est-il de la représentation du Prophète ?

Le Coran n’interdit en rien la figuration du prophète Mohammed. « Seule la représentation de Dieu est interdite », ne cesse de rappeler l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou. Mais, ici ou là, selon les époques, l’islam a eu la tentation d’étendre cet interdit pesant sur la représentation de Dieu à son prophète, Mohammed.

D’abord en raison d’une « méfiance » croissante envers les images en général, et notamment celles « représentant des êtres vivants ayant un souffle vital (rûh) », c’est-à-dire êtres humains et animaux donc. Méfiance exprimée notamment par les hadith, ces faits et gestes prêtés au prophète Mohammed ou à ses compagnons, mis par écrits et collectés deux siècles plus tard. Même si l’image est loin d’en être un thème central, plusieurs hadiths reprochent à « ceux qui fabriquent des images (…) de vouloir se comparer au Créateur », écrit Vanessa van Renterghem, spécialiste d’études arabes à l’Institut français du Proche-Orient, dans un article sur « La représentation figurée du prophète Mohammed ». Certains de ces écrits sont même plus « ouvertement hostiles aux images », affirmant ainsi « qu’une maison qui en abrite ne sera jamais visitée par les anges »…

Ensuite en raison d’une « sacralisation progressive » du prophète Mohammed. Une évolution notable, liée à un « changement de la société » à la fin de la dynastie omeyyade, rapporte l’historienne et professeur en études arabes, Jacqueline Chabbi, alors que celle-ci, constituée désormais majoritairement de convertis, souhaite se doter de « règles pratiques de vie ».

Pourtant, rappelle Vanessa van Renterghem, « parmi les figures humaines représentées par des artistes du monde musulman, celle de Mohammed ne semble pas, dans un premier temps, avoir constitué une exception notable ».

L’ouvrage du P. Boespflug présente d’ailleurs « un échantillon » de vingt représentations du prophète Mohammed, provenant toutes de pays ou de milieux musulmans » (Iran, Afghanistan, Turquie etc.). Preuve que, tout au long de l’histoire de l’islam, celui-ci a été représenté dans des manuscrits, sous la forme d’enluminures mais aussi parfois d’images « sinon dévotionnelles, du moins catéchétiques ». Son visage est parfois dévoilé, tantôt recouvert d’un linge blanc qui dissimule ses traits, parfois entouré d’un nimbe circulaire (emprunté à l’art chrétien) ou en forme de gerbe de flammes (inspiré de l’art bouddhiste et/ou chinois).

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Plus que le Coran, les hadiths expliquent donc largement cette méfiance vis-à-vis des images figuratives et cette « sacralisation » progressive du prophète. C’est sur cette tradition du Prophète que s’appuient généralement les courants fondamentalistes – comme le wahhabisme, en Arabie saoudite –, jusqu’à la faire prévaloir sur le Coran.

En introduction de son livre, le P. Boespflug souligne donc la nécessité de « mener la lutte contre une mémoire tronquée de l’islam et une amputation de sa tradition », et appelle « les croyants musulmans cultivés, et/ou les islamologues (à) publier un livre de référence à ce sujet ».

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« Il fut un temps où artistes comme public musulmans considéraient la production et la contemplation de portraits de leur prophète comme une expression de leur dévotion, et non comme une pratique blasphématoire réservée aux seuls détracteurs de l’islam », rappelle également Vanessa van Renterghem.

Les nombreuses condamnations venues du monde musulman concernant la nouvelle « une » de Charlie Hebdo montrent toutefois la sensibilité du sujet. Même si, outre la représentation en elle-même du prophète de l’islam, les caricatures répétées du journal satirique posent la question du respect dû à cette religion et à ses fidèles.