Loi séparatisme : un « alourdissement administratif »
pour les cultes 

Les faits 

Le culte protestant, en particulier, s’inquiète de voir de nouvelles obligations administratives et comptables peser sur ses nombreuses associations cultuelles.

  • Mélinée Le Priol (avec Bernard Gorce), 

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Loi séparatisme : un « alourdissement administratif » pour les cultes
 
Les cultes s’inquiètent de voir de nouvelles obligations administratives et comptables peser sur les associations cultuelles.優太丸 木戸/ADOBE.COM

Les articles 26 à 36 du projet de loi « confortant les principes de la République » visent à rendre plus transparents le fonctionnement et le financement des associations cultuelles. L’enjeu, surtout, est d’inciter les associations qui gèrent les mosquées, et qui relèvent en grande majorité du régime loi 1901, à passer sous le statut d’association cultuelle (loi 1905) plus facile à contrôler pour l’État. Avec, en ligne de mire, la lutte contre le séparatisme islamiste.

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Or de nombreux responsables religieux craignent que la réforme ait justement l’effet inverse, et que la multiplication des obligations administratives et comptables rende le régime loi 1905 « dissuasif » pour le culte musulman (qui conserverait ses associations loi 1901), et « intrusif » pour les autres cultes, en particulier le protestantisme. Celui-ci constitue en effet environ les deux tiers des associations loi 1905, support juridique de près de 4 000 temples et paroisses, pour beaucoup évangéliques.

Le culte catholique, lui, dispose depuis 1924 d’associations diocésaines obéissant au régime juridique et fiscal des associations loi 1905 : mais celles-ci ne sont qu’une centaine (une par diocèse) et disposent donc de davantage de ressources humaines et financières que les paroisses protestantes ou orthodoxes.

« Nous sommes des bénévoles ! »

« Nos structures sont souvent petites, gérées par des personnes issues de l’immigration… Comment vont-elles faire face à un tel alourdissement administratif ? », s’inquiète Fabien Fourcasse, pasteur baptiste à Amiens. « Cette loi ne prend pas en compte le fait que nous sommes des bénévoles ! »

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Même son de cloche à la paroisse luthéro-réformée de Levallois-Clichy (Hauts-de-Seine), où le pasteur Jean-Claude Tenreiro redoute, entre autres « tracasseries », l’obligation nouvelle de désigner un commissaire aux comptes alors que sa paroisse, aux revenus modestes, n’y était jusqu’ici pas tenue. « Cela va nous mettre en difficulté », alerte-t-il, « profondément agacé ». Plus importantes, les associations diocésaines (catholiques) disposent déjà toutes, quant à elles, d’un commissaire aux comptes.

Autre obligation nouvelle pour les associations qui gèrent les lieux de culte : déclarer les financements étrangers au-delà de 10 000 €, avec un pouvoir d’opposition donné à l’autorité administrative (art. 35). Si l’État entend ainsi mieux contrôler les liens entre les mosquées et des pays jugés hostiles ou véhiculant l’islam politique, certaines paroisses redoutent déjà une « suspicion » étendue aux dons en provenance de Roumanie ou de Grèce (pour les orthodoxes) et de Suisse ou des États-Unis (pour les protestants).

Le camp laïque sceptique

Le sujet le plus sensible pour les associations cultuelles est sans doute l’obligation d’obtenir, à leur constitution puis tous les cinq ans, la reconnaissance par le préfet de leur caractère cultuel (art. 27). « Contrainte supplémentaire », mais aussi « épée de Damoclès », puisque le représentant de l’État disposera d’un pouvoir d’opposition. « Certes, le ministre de l’intérieur a parlé, en séance publique, de la possibilité d’une “reconduction tacite” de ce statut cultuel, ce qui reviendrait à un contrôle allégé, mais pour l’instant, rien de tel n’a été inscrit dans la loi », précise Anne-Violaine Hardel, directrice du service juridique de la Conférence des évêques de France (CEF).

Outre les cultes, ces modifications suscitent aussi des réserves dans le camp laïque, attaché au principe de séparation entre le politique et le religieux. « Le préfet a-t-il compétence pour décider de ce qui est cultuel ou pas ? », s’interrogeait ainsi Pierre-Marie Adam, de la Grande loge de France, auditionné début janvier par la commission spéciale avec les autres obédiences maçonniques et la Libre-Pensée.

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Ces organisations dénoncent par ailleurs – tout comme une partie des élus, surtout à gauche –, la possibilité donnée aux cultes de tirer des revenus d’immeubles reçus par don. Cette mesure, accordée en contrepartie des nombreuses obligations et interdictions que contient le projet de loi, a été dénoncée comme un « cadeau fait aux cultes ». Elle ne devrait toutefois pas bénéficier au culte musulman, dont les fidèles ont pour beaucoup des revenus modestes et lèguent donc rarement aux associations un patrimoine immobilier.