Existe-t-il encore une opposition au Mali ?

Le coup d’État de 2020 a profondément reconfiguré la classe politique malienne. Depuis, ses membres hésitent sur l’attitude à adopter par rapport au régime de transition, afin de ne pas compromettre leurs chances pour la suite.

Mis à jour le 10 mai 2023 à 08:54

 
Mali
 

 

Les leaders de l’opposition au Mali. © Montage JA : Dado Bakari ; Vincent Fournier pour JA ; AFP

 

Le mot serait-il devenu tabou ? Quand on se penche sur l’état de la classe politique malienne, rares sont les partis et hommes politiques qui veulent bien endosser le costume d’opposant. « Nous ne nous considérons certainement pas comme une force d’opposition », balaie ainsi Yaya Sangaré, le secrétaire général de l’Alliance pour la démocratie au Mali – Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ). « Nous ne nous privons pas de dire quand nous sommes en désaccord avec la façon de conduire la transition, mais nous avons fait le choix d’un accompagnement sincère et responsable. La transition doit être une période de rassemblement », estime cet ancien ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).

Ni au pouvoir, ni dans l’opposition. C’est cette même ligne que tiennent les principales formations du pays, comme le Rassemblement pour le Mali (RPM) et l’Union pour la république et la démocratie (URD), respectivement fondés par les défunts IBK et Soumaïla Cissé. L’Adema et le RPM comptent des membres au Conseil national de transition (CNT), qui tient lieu d’organe législatif, quand des cadres de l’URD ont intégré le gouvernement.

Accompagnement

« Historiquement, au Mali, on note une frilosité par rapport au fait de se revendiquer de l’opposition. Dans la conscience collective, le terme revêt une connotation péjorative. Il est encore moins facile à porter aujourd’hui, car nombre de Maliens considèrent cette transition comme salvatrice face à une classe politique discréditée. Assumer le fait d’être dans l’opposition, c’est aussi prendre le risque d’apparaître comme s’opposant aux attentes populaires », décrypte Baba Dakono, chercheur et secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité.

Malgré ses sorties acerbes contre la transition, la branche dissidente du M5-RFP, qui a renié son compagnonnage avec le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, se présente davantage comme « un organe de veille et de contrôle ». Face à eux, le « cadre des partis politiques », composé en majorité d’anciens collaborateurs d’Ibrahim Boubacar Keïta, n’accepte pas plus le qualificatif d’opposant, lui préférant celui de « force démocratique constituée qui travaille au retour à l’ordre constitutionnel », selon les mots de Modibo Soumaré qui assure actuellement la présidence tournante du cadre d’échange.

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Un terme revient inlassablement auprès des acteurs politiques de tous bords : l’accompagnement. « La transition n’est pas un pouvoir issu d’élections, c’est une période d’exception. Se positionner en opposition à une transition, ce n’est pas constructif », justifie Moussa Mara, ancien Premier ministre et président du parti Yéléma. Une position qui, assure-t-il, ne vaut pas adhésion. « L’objectif doit être d’aider à la réussite de la transition, en tant que période. Ce qui va au-delà de la réussite de ceux qui incarnent l’autorité. Lesquels, par définition, ne sont que passagers », défend-t-il.

Querelles intestines

Cette volonté d’accompagner la transition ne fait pourtant pas l’unanimité au sein des partis politiques maliens, dont certains, déjà minés par les luttes internes, continuent de se déchirer sur la question. Au RPM, « il y a les pro et les anti-Assimi Goïta », résume un homme politique malien qui assure que les membres du parti ayant rejoint le CNT sont « des membres dissidents », à l’image de Mamadou Diarrasouba un temps pressenti pour accéder au perchoir sous IBK.

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Une division de plus pour le parti de feu Ibrahim Boubacar Keïta, en proie à une guerre de succession portée jusque devant la justice. Récemment, la formation a vu plusieurs de ses membres claquer sa porte, à l’instar de Moussa Timbiné, éphémère président de l’Assemblée nationale avant le coup d’État d’août 2020. S’il a quitté le navire en raison de son désaccord avec le leadership de Bokary Tréta, les antagonismes autour du soutien à Assimi Goïta ne seraient pas étrangers à son départ, croient savoir plusieurs sources.

Le climat n’est pas plus apaisé du côté de l’Union pour la république et la démocratie (URD), dont les querelles intestines qui ont suivi le décès de Soumaïla Cissé ont également été portées devant les tribunaux.

Seule différence de taille : le parti compte plusieurs membres au sein de l’exécutif. Membre du M5-RFP, mouvement qui a mené la contestation au crépuscule d’IBK, Ibrahim Ikassa Maïga est entré au gouvernement en même temps que Choguel Kokalla Maïga. Aux côtés du ministre de la Refondation de l’État, Aoua Paul Diallo Diawara, elle aussi issue des rangs de l’URD, s’est vue confier le portefeuille du Travail et de la Fonction publique.

Équilibres fragiles

Petites et grandes formations, aucune ne souhaite s’opposer trop frontalement au quarteron de colonels qui tient les rênes de l’État. En coulisses, les prédictions concernant une alliance de circonstance entre la junte au pouvoir et une ou plusieurs formations politiques circulent allègrement.

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« Si Assimi Goïta se présentait à la prochaine présidentielle, rien ne dit qu’il n’aura pas le soutien d’importantes formations politiques. Faute de candidat consensuel en leur sein, une candidature extérieure pourrait être la bienvenue. Pour avoir des chances d’entrer au gouvernement, certains partis feront le pari de soutenir celui qui tient l’appareil d’État et jouit du soutien d’une partie de la population », estime Baba Dakono.

 

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Assimi Goïta rencontre Choguel Kokalla Maïga après la cérémonie de prestation de serment du président de transition malien à Bamako, le 7 juin 2021. © Habib Kouyate/Xinhua/ABACA

 

Interrogé sur la question, l’Adema ne ferme pas la porte à un tel scénario. « La meilleure des options, selon nous, serait que les militaires retournent dans les casernes après la transition. Mais si l’un d’entre eux décidait de se présenter dans le respect des règles en vigueur, nous jouerons le jeu démocratique », botte en touche Yaya Sangaré.

Le sujet est loin de faire consensus au sein de « la ruche ». Si le secrétaire général du parti à l’abeille revendique une « dynamique d’ouverture totale » et assure que l’Adema « parle à tout le monde », d’autres piliers du parti rejettent catégoriquement l’option. « S’il se présente à la présidentielle, Assimi Goïta sera perçu comme un parjure dont l’Adema ne pourra que se démarquer. Sa candidature ne sera pas source de paix ou de stabilité pour le Mali », balaie un membre de l’équipe dirigeante du parti, sous couvert d’anonymat.

Dans ce grand ballet de tractations, les adversaires d’hier pourraient-ils devenir les alliés de demain ? « L’environnement politique malien est en perpétuelle reconfiguration, au gré des intérêts et des circonstances. Quitte à se faire au détriment de la logique », fait valoir Baba Dakono.

Certains en veulent pour preuve le parcours de l’actuel chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, ou celui, tout en revirements, du Premier ministre. « Rappelons-nous que Choguel Kokalla Maïga était très virulent contre les colonels. Mais à la première opportunité, il les a rejoints. Il faut lui reconnaître une colonne vertébrale très agile, c’est le roi des contorsions », raille un ancien ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta.

Un calendrier flou

Considéré par beaucoup comme un candidat potentiel à la magistrature suprême, l’ex-Premier ministre Moussa Mara estime quant à lui qu’il est « extrêmement prématuré de parler de la présidentielle », pointant le flou autour le calendrier électoral. En témoigne le référendum constitutionnel qui aurait du se tenir le 19 mars avant d’être reporté sine die par les autorités et le retard pris sur le chronogramme des élections territoriales de juin 2023.

S’y ajoute une crainte, lentement distillée parmi les hommes politiques considérés comme des « présidentiables » : celle de sortir trop tôt du bois et de risquer d’apparaître comme l’homme à abattre. « La plupart des hommes politiques auxquels s’intéresse la justice malienne sont des candidats crédibles à la prochaine présidentielle », fait remarquer un ancien ministre.

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« Nous n’avons pas peur d’une quelconque chasse au sorcières, nuance quant à lui Yaya Sangaré. Mais avant de lancer un appel à candidature, encore faut-il créer les conditions pour que celui qui sera choisi soit accepté. Trop souvent, au sein de l’Adema, des divisions sont apparues dès les primaires et ont fragilisé nos chances lors du scrutin. »

Plusieurs personnalités empêchées

À l’heure où la classe politique malienne tente de se réorganiser et négocie tous azimuts ses unions politiques, impossible de présager de la composition de la ligne de départ pour la prochaine course présidentielle, dont le premier tour doit se tenir en janvier 2024.

Seule certitude : plusieurs personnalités seront empêchées d’y participer, tenues à l’écart du pays par des déboires judiciaire. Parmi eux, le fils de l’ancien président, Karim Keïta, la tête de gondole de la gauche malienne Oumar Mariko mais aussi Boubou Cissé, le chef du gouvernement renversé en 2020.

Dans ce paysage politique embrumé, l’opposition ne viendrait-elle pas du côté de ceux qui, sans bruit, attendent leur heure ? Certains hommes politiques ont en tout cas fait le choix de l’effacement. On peut ainsi citer Modibo Sidibé, plusieurs fois candidat à la présidentielle qui, à défaut de communiquer, a opté pour un discret quadrillage de terrain. Mais aussi le businessman et homme politique Aliou Boubacar Diallo qui, même depuis l’étranger, conserverait des vues sur le palais présidentiel de Koulouba.