Guinée : au RPG, la guerre pour succéder à Alpha Condé est ouverte

Par  - à Conakry
Mis à jour le 17 novembre 2021 à 17:08
 

 

Alpha Condé à Abidjan, en juillet 2021 © Guinea’s President Alpha Conde gives an interview during a meeting to discuss the 20th replenishment of the World Bank’s International Development Association, in Abidjan, Ivory Coast July 15, 2021. © Luc Gnago/REUTERS

 

Si la date des prochaines élections, comme celle de la libération d’Alpha Condé, demeure inconnue, les ambitieux s’activent déjà en coulisses. Dans leur ligne de mire : la tête du parti fondé par l’ancien président – et pourquoi pas – du pays.

Au Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel), l’on est certain d’une chose : si longue sera la transition, les élections finiront par se tenir. L’absence de calendrier électoral et les incertitudes sur l’avenir du fondateur du parti, Alpha Condé, n’empêchent pas les prétendants à la succession de se projeter. Un enjeu qui a déjà entraîné une cassure au sein du parti : d’un côté, les caciques qui revendiquent une légitimité historique et, de l’autre, les partisans d’un renouvellement générationnel.

Dans le premier groupe, on retrouve en tête de liste l’ancien tout-puissant ministre délégué à la Défense nationale chargé des affaires présidentielles, Mohamed Diané. Resté fidèle à Alpha Condé, il s’estime plus légitime que quiconque pour lui succéder à la tête du parti. Mais, au RPG, il ne fait pas l’unanimité. Certains l’accusent d’avoir isolé le président des militants et de n’avoir pas su déjouer le putsch du 5 septembre dernier. Ses mauvaises relations avec Mamadi Doumbouya, le chef des putschistes devenu président de la transition, sont également perçues comme un handicap.

Autre cadre historique du RPG, Amadou Damaro Camara, n’a pas renoncé à jouer les premiers rôles. Président de l’Assemblée nationale sous Alpha Condé, il en était le dauphin constitutionnel. Mais le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a brisé son rêve de se retrouver en pleine lumière à l’occasion d’une vacance du pouvoir. Contacté par Jeune Afrique, il affirme toutefois que « [sa] priorité, c’est la libération d’Alpha Condé ».

L’OPINION ASPIRE A UN RENOUVELLEMENT. QUAND L’ÉLECTION SE TIENDRA, LES DIANÉ, KASSORY ET DAMARO AURONT 70 ANS

L’ancien Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, qui a rejoint le RPG en 2018, milite quant à lui pour que le prochain président du parti ne soit pas malinké (et pourquoi pas soussou, comme lui).

Bataille discrète

Interrogés sur leurs ambitions, les uns et les autres se cachent volontiers derrière le flou qui entoure la situation de l’ancien chef de l’État. « La bataille se déroule en coulisses, mais elle a bien lieu, confirme néanmoins un cadre du parti. Il y a plusieurs candidats qui se sont déclarés de façon discrète. » Commençant lui aussi par insister sur le fait que seul le sort d’Alpha Condé importe, l’ex-député RPG Souleymane Keïta concède à sa manière que la lutte a déjà commencé. « Ce sera un conflit intergénérationnel et c’est un congrès du RPG qui nous départagera, poursuit-il. Il y a clairement une “tendance jeune″ qui se démarque, à laquelle je suis personnellement favorable. »

« L’opinion publique aspire a un renouvellement de la classe politique, confirme un ancien ministre sous couvert d’anonymat. Quand l’élection se tiendra, les Diané, Kassory et Damaro auront 70 ans. » « C’est la loi de la nature », ajoute Diakaria Koulibaly, qui se verrait bien lui aussi à la tête du parti. Demain, quand j’aurai l’âge de la retraite, je ne forcerai pas les choses. »

Les nouvelles autorités peuvent-elles influer sur le sort du RPG ?« Si vous voulez que ça marche, laissez la place aux jeunes ! Vous avez fait votre temps et trahi le président », a récemment lancé Mamadi Doumbouya aux dirigeants de la formation et aux anciens ministres qu’il recevait. Mais pourrait-il aller jusqu’à faire introduire une limite d’âge pour briguer la présidentielle dans la Constitution et prendre le risque de se mettre à dos toute une partie de la classe politique ?

« De toute façon, les militants ne conçoivent pas qu’un des anciens puissent reprendre les rênes du RPG, explique un autre cadre du parti. Leur gestion n’a pas été bonne et il y a tous ces scandales d’enrichissement illicite qui pourraient les rattraper. » Et de tacler ces poids-lourds du RPG qui ont, selon lui, « acheté le soutien des jeunes militants grâce à l’argent accumulé lorsqu’ils étaient aux affaires ».

LA POPULARITÉ NE S’ACHÈTE PAS AU MARCHÉ. C’EST AVEC UNE IDÉOLOGIE QUE JE CONVAINCRAI

Notre interlocuteur cite volontiers Diakaria Koulibaly, ancien ministre des Hydrocarbures, qui aurait su se montrer fort généreux. Contacté par Jeune Afrique, l’intéressé se défend. « C’est facile de porter des accusations sur quelqu’un, mais encore faut-il pouvoir en apporter la preuve, rétorque-t-il. Et puis la popularité ne s’achète pas au marché : j’ai vu des candidats distribuer de l’argent pour ne recueillir qu’entre 2 et 7 % des voix. Le jour où je déciderai de refaire de la politique, c’est avec une idéologie que je convaincrai, pas avec de l’argent. »

« Rien n’est exclu »

Jeune quadragénaire plutôt en vue jusqu’à la chute de Condé, Diakaria Koulibaly souhaite-t-il lui succéder à la tête du RPG Arc-en-ciel ? « Des gens en émettent le souhait, répond-il. Certains jeunes viennent même à la maison parce qu’ils me considèrent comme accessible et attentif à leurs problèmes. C’est leur droit, mais je ne veux pas me prononcer à ce stade. » Un militant croit toutefois savoir que les ambitions de Koulibaly sont « un secret de polichinelle ». Plusieurs sources affirment même que si le parti devait ne pas le choisir, il pourrait envisager de lancer sa propre formation. « Rien n’est exclu », admet l’intéressé.

S’il devait se lancer, il trouverait également sur sa route Sanoussy Bantama Sow, ancien ministre réputé proche d’Alpha Condé, qui se verrait lui aussi prendre la relève. C’est un militant de longue date à la fidélité inébranlable, renvoyé de l’université dans les années 1990 pour avoir pris fait et cause pour « Alpha » quand celui-ci s’opposait à Lansana Conté. Comme Kassory Fofana, ce Peul de Moyenne-Guinée milite pour une alternance ethno-régionale à la tête du parti.

Descendre dans l’arène

Autre ambitieux : Ibrahima Khalil Kaba, ancien ministre des Affaires étrangères, longtemps perçu comme le dauphin potentiel d’Alpha Condé. Cela lui avait d’ailleurs valu des inimitiés dans l’entourage de l’ancien président et, aujourd’hui encore, ses relations avec Mohamed Diané, Tibou Kamara ou Kassory Fofana sont inégales. Khalil Kaba est un technocrate, plutôt moins marqué politiquement que plusieurs des prétendants précédemment cités. Mais lui aussi se prend à rêver du premier rôle. « Ce n’était pas son agenda, affirme l’un de ses proches. Mais il est hors de question de laisser ce pays entre les mains de ces vieux ! »

« Beaucoup de gens lui demandent de se positionner pour la reprise du parti, explique une source en interne. J’ai pour ma part un a priori positif parce qu’il n’a pas été mêlé à des scandales financiers. » « Mais il faudra qu’il descende dans l’arène politique, qu’il se fasse connaître, qu’il accepte de donner des coups et d’en recevoir », conclut l’un de ses proches. Pour l’instant, lui aussi insiste sur la nécessité de faire libérer Alpha Condé. Et cela lui fait au moins un point commun avec tous ses rivaux.