Mali : pourquoi Canal+ fait l’objet d’une enquête de l’Uemoa

| Par Jeune Afrique
Mis à jour le 02 juillet 2021 à 15h30
David Mignot, directeur général de Canal + Afrique, en juillet 2019 à Paris.

David Mignot, directeur général de Canal + Afrique, en juillet 2019 à Paris. © Vincent Fournier/JA

Serge Dergham, patron de Malivision, a saisi l’institution sous-régionale, qui a ouvert une instruction. Il accuse le groupe français de pratiques anticoncurrentielles… Explications.

Au siège parisien de Canal+, l’équipe Afrique dirigée par David Mignot prend son mal en patience. Ses dirigeants attendent l’installation des nouveaux commissaires de l’Uemoa, nommés en avril, pour donner leur version du différend qui les opposent à Malivision. Le groupe audiovisuel malien commercialise dans ses bouquets plusieurs chaînes éditées par la filiale de Vivendi.

Selon nos informations, son actionnaire, le Malien d’origine libanaise Serge Dergham, accuse le groupe français de pratiques anticoncurrentielles depuis qu’il a reçu mi-janvier une mise en demeure.

Nollywood et BeIN Sports

Canal+ lui intime ainsi d’arrêter la diffusion de Nollywood – éditée par le groupe français –, des chaînes beIN Sports – concurrentes de ses programmes sportifs –, et de fournir, comme il s’y était engagé, un certain nombre d’informations relatives à ses abonnés. Il y a quelques années, après de longues tractations, Serge Dergham avait en effet obtenu le droit de commercialiser les chaînes de Canal + sur son bouquet, sous réserve de reverser le prix des abonnements au groupe français, et de lui communiquer mensuellement la liste des numéros d’identification de ses abonnés.

Selon Serge Dergham, Malivision, qui revend les programmes de Canal + à environ 5 000 foyers, rétrocède chaque mois approximativement 100 000 euros à la filiale de Vivendi. Mais d’après une source au sein de Canal+, le groupe malien aurait cessé en 2020 de fournir les données relatives à ses abonnés, laissant craindre un piratage à grande échelle. Si l’entrepreneur malien confirme avoir eu des difficultés à respecter son engagement de manière temporaire, il l’explique par un changement de logiciel et affirme que tout est depuis rentré dans l’ordre. Il se serait aussi engagé à cesser de diffuser beIN Sports.

« Abus de position dominante » ?

Furieux de la décision du groupe français de lui envoyer malgré tout une mise en demeure, Serge Dergham a décidé de porter l’affaire devant l’Uemoa. Il a obtenu avec son associé, Mamadou Sinsy Coulibaly, PDG et fondateur du groupe Kledu, le soutien de Fily Bouaré Sissoko, ex-ministre de l’Économie et commissaire malienne sortante de l’institution sous-régionale. À quelques jours de la fin de son mandat, cette dernière a envoyé un courrier – que Jeune Afrique a pu consulter – aux filiales ouest-africaines de Canal+ et à leurs ministères de tutelles. Dans cette missive de deux pages, elle avertissait de l’ouverture d’une instruction concernant les pratiques du groupe français à l’égard de son partenaire malien.

Serge Dergham reproche notamment à Canal + de vouloir le contraindre à stopper la diffusion de la chaîne Nollywood, pour laquelle il avait signé en 2014 un contrat avec l’éditeur Thema, avant que celui-ci ne soit racheté par la filiale de Vivendi. Une décision assumée par Canal +, qui souhaite garder l’exclusivité de certaines chaînes, afin de différencier son offre de celle de son partenaire. Le groupe français précise par ailleurs que Nollywood n’est pas la chaîne qui génère le plus d’audience.

Pour le dirigeant de Malivision, la décision de Canal+, leader sur le secteur de la télévision payante en Afrique francophone, serait la manifestation d’un abus de position dominante. Dans son courrier daté du 15 mars, Fily Bouaré Sissoko rappelle que la commission a tout pouvoir pour recueillir, auprès des entreprises comme des États, les informations nécessaires pour juger de la réalité de l’infraction. Selon l’article 88 de son traité constitutif, l’Uemoa peut mettre fin à « toutes pratiques d’une ou de plusieurs entreprises, assimilables à un abus de position dominante sur le marché commun ou dans une partie significative de celui-ci ».