Mali, Burkina Faso, Togo : l’addition salée des engrais 

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Mis à jour le 15 avril 2021 à 17h02
Port marocain de Jorf Lasfar, plus grande plateforme de production d’engrais phosphatés du monde (capacité de 11 Mt/an d’engrais phosphatés et de 6 Mt d’acide phosphorique.


Port marocain de Jorf Lasfar, plus grande plateforme de production d’engrais phosphatés du monde
(capacité de 11 Mt/an d’engrais phosphatés et de 6 Mt d’acide phosphorique. © HOC/OCP


La hausse du prix des engrais depuis le début de l’année met l’accent sur les difficultés des systèmes d’approvisionnement en Afrique de l’Ouest.

De 350 dollars la tonne en décembre à près de 550 dollars ces derniers jours. C’est le bond effectué par le prix du DAP, un type d’engrais phosphaté largement utilisé en Afrique de l’Ouest. Cet exemple illustre la hausse générale des prix des engrais sur le marché mondial depuis la fin de 2020, portée par une forte demande et l’envolée des cours des matières premières, dont l’azote et le phosphate.

Une situation – à laquelle s’ajoute le renchérissement du fret maritime provoqué par la pandémie de Covid-19 – qui complique l’approvisionnement de plusieurs pays ouest-africains et met en avant les failles, connues mais persistantes, des appels d’offres publics.

Même si c’est un marché modeste, le cas de la Mauritanie est significatif. Le Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA), organisme public chargé de la fourniture d’intrants agricoles dans le pays, a ainsi peiné à conclure son appel d’offres pour l’achat de 7 800 tonnes de DAP et de 15 000 tonnes d’urée.

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LE BÉNIN A BIEN GÉRÉ LA SITUATION EN RÉALISANT SES ACHATS AVANT LA HAUSSE DES PRIX

Lancé en novembre, le processus démarre pourtant bien : alors qu’un seul candidat s’était manifesté l’année précédente pour le DAP, six concurrents – dont le groupe marocain OCP et les Industries chimiques du Sénégal (ICS, détenu par le groupe basé à Singapour Indorama) – déposent cette fois-ci une offre. Sauf que le CSA met deux mois à donner sa réponse. Entre-temps, la tonne de DAP a augmenté de près de 200 dollars, compliquant l’entente avec les fournisseurs.

Âpres négociations

Résultat, il faut relancer la procédure et ce n’est qu’après la présentation de nouvelles offres – au nouveau prix du marché donc défavorable à CSA – que l’affaire est conclue. OCP Sénégal, filiale du groupe marocain dirigé par Mostafa Terrab, remporte le contrat DAP, et le groupe suisse Ameropa celui sur l’urée pour un montant global de 12 millions de dollars.

Lire aussi sur Jeune Afrique Business+ : OCP Sénégal et Ameropa vont livrer pour 12 millions $ d’engrais à la Mauritanie

Outre la Mauritanie, d’autres pays expérimentent des difficultés. « Si le Bénin a bien géré la situation en réalisant ses achats avant la hausse des prix, le Mali et le Burkina Faso pâtissent de la tendance haussière quand l’approvisionnement au Ghana pourrait aussi être fragilisé », note Mounir Halim, directeur général d’Afriqom, cabinet de conseil spécialisé dans le marché des engrais en Afrique, qui vient de publier une carte 2021 du secteur.

 

Au Mali, alors que la saison cotonnière s’annonce déjà difficile, la crise politique née du coup d’État d’août 2020 a entraîné un décalage du lancement de l’appel d’offres pour la fourniture d’engrais, mené en février au lieu d’août-septembre habituellement. Conséquence, la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) vient de dévoiler les résultats de l’appel d’offres pour 90 000 tonnes d’engrais (NPK et urée perlée), attribué au prix actuel du marché n’ayant pu obtenir mieux malgré d’âpres négociations.
 

Lenteur de la prise de décision

Et, si la situation est délicate pour la CMDT, elle n’est pas plus simple pour les principaux gagnants de l’appel d’offres, à savoir les fournisseurs maliens Doucouré Partenaire Agro-industries (DPA) d’Ibrahima Doucouré et Toguna Agro-industries de Seydou Nantoumé, qui doivent, malgré la rareté des produits sur le marché, livrer au plus vite pour ne pas dépasser la période d’épandage en mai-juin.

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SUR CE MARCHÉ, LA VALIDITÉ DU PRIX D’UNE OFFRE PEUT ÊTRE DE DEUX HEURES

On constate aussi un flottement au Burkina Faso pour l’approvisionnement en engrais de la Société des fibres et textiles (Sofitex), dans une situation financière fragile et sortant d’une saison difficile en raison des prix bas du coton, mais aussi au Togo pour la fourniture de produits à la Nouvelle Société Cotonnière du Togo (NSCT), dont Olam a pris le contrôle à la fin de 2020.

« On est sur un marché où la validité du prix d’une offre peut être de deux heures et où les autres acteurs – Européens, Brésiliens, Américains – prennent des décisions rapidement, à l’opposé de certains processus d’appel d’offres ouest-africains », souligne Mounir Halim.

Outre la lenteur de la prise de décision, qui coûte cher aux États en cas de marché haussier comme actuellement, plusieurs observateurs pointent également le manque de transparence des processus et la trop faible agilité des acteurs, une qualité pourtant indispensable sur un marché connu pour sa volatilité.