Cedeao : la réforme CFA/eco, victime collatérale du Covid-19

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Mis à jour le 27 janvier 2021 à 17h34
Franc CFA (image d’illustration)

 

Réunis le 23 janvier, les pays de la Cedeao ont reporté d’un an le démarrage de leur nouveau « pacte » de convergence et demandé un nouveau planning pour le lancement de leur monnaie commune.*

Conviés par vidéoconférence le 23 janvier 2021, à leur 58e session ordinaire sous la présidence du Ghanéen Nana Akufo-Addo, les chefs d’État de la Cedeao ont pris « note de la détérioration de la situation en matière de convergence macroéconomique en 2020 ». Le taux de croissance du PIB devrait être négatif de -1,7 % en 2020, après une croissance réelle de +3,9 % en 2019, ont regretté les dirigeants de la Communauté.

Par conséquent, ils ont approuvé « une dérogation concernant le respect des critères de convergence macroéconomique en 2021 ». Ils ont également demandé à la Commission de la Cedeao et aux banques centrales régionales et nationales de préparer le projet du « nouveau Pacte de convergence et de stabilité macroéconomique entre les États membres de la Cedeao, avec le 1er janvier 2022 comme date de début de la phase de convergence ».

Conséquence logique de ce décalage : le report du chantier de lancement de la future monnaie commune de la communauté, ses dirigeants ayant demandé aux autorités monétaires et à la commission de travailler à une « nouvelle feuille de route du Programme de la monnaie unique de la Cedeao ».

La 58e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao a eu lieu par videoconférence, le 23 janvier 2021.
La 58e session ordinaire de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de la Cedeao
a eu lieu par videoconférence, le 23 janvier 2021. © ecowas.int

La situation des comptes publics s’est dégradée

Dès la fin de 2020, des signes clairs laissaient penser qu’un tel report était probable. En effet, la crise et son lot d’incertitudes ont affecté le calendrier de cette réforme monétaire, même si d’autres facteurs ont également pesé.

Publié début décembre, le Rapport sur la politique monétaire dans l’UMOA de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), laisse peu de doute sur la sévérité de la situation macroéconomique des huit pays de l’Union.

« Pour l’ensemble de l’année 2020, les dernières prévisions situent le taux de croissance du PIB de l’Union à 0,9 % contre 5,8 % en 2019 », écrivent les services du gouverneur Tiémoko Koné, qui notent que cette prévision est d’ailleurs supérieure à celle du FMI (0,3 %).

Parallèlement, la situation des comptes publics s’est dégradée. « En effet, le déficit budgétaire s’est chiffré à 3 742,1 milliards [de F CFA] ou 5,5 % du PIB à fin septembre 2020 contre 1 576,3 milliards ou 2,4 % du PIB un an plus tôt ».

Pour ne rien arranger, « pour l’ensemble de l’année 2020, le taux d’inflation est projeté à 2,2 % après -0,7 % en 2019 », souligne le rapport de la BCEAO.

De son côté, la Commission de l’Uemoa table elle sur une reprise en 2021, avec une croissance de +5,9 % dans la zone monétaire, selon son « Rapport semestriel d’exécution de la surveillance multilatérale », qui note cependant que « le taux d’endettement de l’Union en 2020 ressortirait à 49,3 %, en hausse de 5,2 points par rapport à 2019″.

Un calendrier « chamboulé »

À la vue de ces données inquiétantes, il ne paraît guère surprenant que la réforme du franc CFA décidée en décembre 2019 par les présidents Alassane Ouattara et Emmanuel Macron, et la transformation de cette devise en « eco », future monnaie commune des pays de la Cedeao, ait enregistré quelques retards.

Le mois de juillet 2020, évoqué officieusement comme celui du passage du franc CFA à l’eco, s’est écoulé sans aucune avancée majeure. Faut-il en conclure pour autant que cette transition, si attendue, a été torpillée par la crise sanitaire et économique due au Covid-19 ?

En partie. « Le calendrier de transition a été chamboulé, en effet, par la crise du Covid et nos experts travaillent sur un nouveau calendrier, mais des avancées importantes sont déjà faites – tant au niveau du nom que de la banque centrale commune –, qui seront communiquées en temps opportun », expliquait récemment Adama Coulibaly, le ministre ivoirien de l’Économie et des Finances, interrogé par Jeune Afrique.

Pour autant, avant même le déclenchement de la pandémie, la réforme avait souffert de la révolte des autres pays de la Cedeao, non-utilisateurs du franc CFA, qui accusaient leurs voisins de l’Uemoa d’avoir de fait usurpé le nom de la future devise commune.

D’intenses efforts diplomatiques ont permis durant les mois suivants de calmer les tensions entre les huit pays de l’Uemoa et leurs sept voisins du reste de la Cedeao, dont le géant nigérian et le Ghana du président Nana Akufo Addo, perçu comme un médiateur dans cette crise. En septembre, la Communauté a acté le report du lancement de l’eco à une date ultérieure, non encore précisée.

Incertitudes et ambiguïtés

Pour autant, plusieurs étapes clés restent en suspens, indépendamment de la crise du Covid-19. Parmi elles : l’adoption par les parlements de la zone Uemoa du nouveau traité paraphé à la fin de 2020 par les ministres de l’Économie et des Finances.

Par contraste, les députés français ont eux approuvé, le 10 décembre, le nouvel accord de coopération entre Paris et les pays de l’Uemoa, tandis que le site de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire, première économie de la zone Uemoa, ne donne aucune indication concernant l’examen ou l’adoption de ce texte.

Par ailleurs, des débats entre députés français est ressortie l’idée que l’avènement de l’eco pourrait n’intervenir qu’à un horizon plus éloigné qu’évoqué initialement. « Le calendrier est sensiblement décalé – entre 2023 et 2025 selon certains, je ne saurais dire », a reconnu le député français Marc Le Fur, rapporteur du projet de loi, début septembre.

« Autant il y a une incertitude sur la date, autant il n’y en a pas s’agissant de la parité : elle reste inchangée. La seule ambiguïté tient aux mots utilisés, car la monnaie doit s’appeler eco, ce qui était également le nom retenu par la Cedeao pour sa future monnaie commune. Cela occasionne une petite difficulté entre ces pays », a expliqué le parlementaire français né à Dakar.

Des chiffres trop près des limites de la « zone de confort »

Outre le peu de visibilité sur le calendrier législatif de cette réforme en zone Uemoa, les critères même de convergence macroéconomique, nécessaires à l’adoption de cette devise et surtout à son extension aux autres pays de la Cedeao, pourraient être revisités.

C’est ce qui ressort du Rapport semestriel d’exécution de la surveillance multilatérale de la Commission de l’Uemoa. Cette dernière estime que la dégradation des équilibres budgétaires des États de l’Union ne devrait pas être résorbée immédiatement. « Les prévisions communiquées par les États membres indiquent que la consolidation budgétaire interviendrait à partir de 2024 », estime la Commission.

En ce qui concerne l’inflation, elle frôlera l’an prochain la limite haute de la « zone de confort » de la Banque centrale (1 % à 3 %), et ne devrait retomber en-dessous de 2 % qu’à partir de la fin 2022, avec un taux de 1,8 % attendu à la fin de septembre de cette année.

Le taux d’endettement moyen des pays de l’Union reste en-dessous de la limite de 70 % du PIB, fixée dans les critères de convergence macroéconomique. Mais il a connu une nette progression en un an, passant « en 2020 à 49,3 % contre 44,1 % en 2019 ». Il est anticipé cette année à des niveaux assez élevés en Guinée-Bissau (63,3 %), au Sénégal (64,6 %) et au Togo (57,8 %), selon la Commission.

Vers l’adoption d’un nouveau « pacte de convergence »

Aussi, l’institution régionale s’est livrée à un difficile jeu d’équilibriste concernant l’évolution des critères de convergence dans la zone. D’un, elle a salué « les perspectives macroéconomiques favorables dans tous les États membres, s’appuyant, notamment, sur l’hypothèse d’une maitrise de la crise sanitaire à partir de 2021 ».

De l’autre, elle a néanmoins appelé ces derniers, au vu de l’impact de la crise, à « prendre les dispositions nécessaires en vue de l’adoption d’un nouveau pacte de convergence, à même de garantir la stabilité macroéconomique à moyen terme ». Une exhortation qui a trouvé un éco dans la décision de la Cedeao le 23 janvier, mais qui laisse entrevoir une nouvelle période d’incertitude quant au calendrier du passage effectif à l’eco.

*Publié initialement le 31 décembre 2020, cet article a été mis à jour le 27 janvier 2021, à la suite de la décision des chefs d’État de la Cedeao.