[Chronique] Liberté de la presse en 2020 : un bilan en demi-teinte

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Par  Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

Glez

Si Noël a été marqué par la libération tant attendue de quatre journalistes burundais, le bilan 2020 de Reporters sans frontières n’autorise qu’un enthousiasme modéré.

Le frais émoulu président Évariste Ndayishimiye s’est-il déguisé en Père Noël pour lifter une image encore trop associée à son autoritaire prédécesseur ? Dans un décret signé la vieille du réveillon, le chef de l’État burundais a entériné la libération d’Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Egide Harerimana et Térence Mpozenzi, après 430 jours de prison.

Arrêtés alors qu’ils se rendaient dans la province de Bubanza pour couvrir des affrontements, puis condamnés pour « tentative d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État », les quatre journalistes étaient considérés, notamment par l’ONG Amnesty International, comme des prisonniers d’opinion. Quant à leur rédaction, Iwacu, elle est présentée comme l’un des derniers médias indépendants du pays.

47 journalistes tués

La bonne nouvelle de cette grâce présidentielle ne doit pas conduire les défenseurs de la liberté d’expression à baisser la garde.

En ce mois de décembre propice aux rétrospectives, Reporters sans frontières (RSF) vient de publier son traditionnel bilan annuel. Si le nombre de journalistes assassinés « reste stable », il est tout de même de 47 tués à travers le monde en cette année déjà malmenée, Covid-19 oblige, en termes de libertés individuelles. Et 84 % des victimes ont été sciemment « visés et délibérément éliminés », contre 63 % en 2019, certains « dans des conditions particulièrement barbares », découpés en morceaux ou brûlés vif, selon RSF.

De même, il serait indécent de se réjouir du fait que l’Afrique ne figure pas au top five des pays « journalicides » que sont le Mexique, l’Inde, le Pakistan, les Philippines et le Honduras. En Somalie, les reporters Abdulwali Ali Hassan et Said Yusuf Ali ont été tués respectivement en février et en mai. Au Nigeria, le stagiaire Alex Ogbu et le rédacteur Onifade Pelumi ont été assassinés en janvier et en octobre. RSF met même les autorités égyptiennes à l’index dans la mort de Mohamed Monir, décédé en juillet, peu de temps après sa libération, après avoir contracté le Covid-19… en prison.

Assassinés dans des pays en paix

En outre, il faut noter, primo, que de plus en plus de journalistes sont assassinés dans des pays en paix, près de sept sur dix cette année. Secundo, si la paix ne garantit pas la vie des hommes de presse, la vie ne garantit pas la liberté d’écrire. Les brimades de toutes natures continuent d’exister, sur une partie du continent africain comme ailleurs, allant des menaces aux contraintes administratives ou judiciaires. RSF recense 384 journalistes ou « journalistes-citoyens » emprisonnés cette année.

La Fédération internationale du journalisme, elle, précise que 2 658 hommes de presse ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions, à l’échelle du monde, depuis 1990, période pourtant marquée par la libération des ondes, l’apparition du web et l’euphorie du printemps africain de la presse.

Les fleurs du printemps deviendront-elles les fruits de l’été, à l’échelle de tout le continent ? À condition que les autocraties et autres mafias ne profitent pas de leurs nouveaux alliés objectifs : la désinformation, la méfiance complotiste à l’égard des journaux et la crise économique d’une presse de plus en plus dématérialisée.