Les dossiers brûlants qui attendent Joe Biden en Afrique

Des Nigérians découvrent les Unes de leurs journaux au lendemain de la victoire de Joe Biden aux États-Unis. Lagos, le dimanche 8 novembre 2020.

Des Nigérians découvrent les Unes de leurs journaux au lendemain de la victoire de Joe Biden aux États-Unis. Lagos, le dimanche 8 novembre 2020.
 AP Photo/Sunday Alamba
Texte par :RFISuivre
11 mn

Le nouveau président élu des États-Unis devra notamment se pencher sur la situation explosive en Éthiopie, la poursuite de l'accompagnement de la transition démocratique au Soudan et la gestion de la menace shebab en Somalie.

En Afrique de l’Est, le premier dossier brûlant qui arrivera sur le bureau de Joe Biden sera l’Éthiopie, rappelle notre correspondant à Nairobi, Sébastien Nemeth. Le 4 novembre, l’État fédéral a lancé une offensive armée contre le Tigré, une région du nord du pays en rupture avec le pouvoir. Impossible de savoir si les affrontements vont durer jusqu’à l’entrée en fonction officielle de Joe Biden le 20 janvier mais l’Éthiopie restera un dossier urgent à suivre.

Ce conflit menace de déstabiliser la région. L’Éthiopie est devenue une poudrière, avec des violences ethniques régulières et une élection très tendue prévue l’année prochaine. Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a félicité Joe Biden et Kamala Harris pour ce qu’il a appelé « une victoire historique », disant « avoir hâte de travailler étroitement » avec eux.

Comment accompagner la transition au Soudan ?

Le Soudan comptera aussi parmi les sujets à examiner rapidement pour le nouveau président américain. Après la révolution, le pays poursuit sa transition, avec une grave crise économique et d'importantes tensions sociales. Restera à savoir comment Joe Biden continuera à soutenir cette transition, avec quelles aides et quelles contreparties.

Donald Trump avait annoncé la levée des sanctions contre Khartoum. Il avait enclenché le processus pour retirer le pays de la liste des États sponsorisant le terrorisme. Cette procédure se trouve devant le Congrès qui doit se prononcer début décembre. Comme les nouveaux élus américains n’entreront pas en fonction avant janvier, la mesure devrait passer facilement.  La levée de cette sanction devrait rapprocher davantage Washington et Khartoum, et pourrait bénéficier politiquement à Joe Biden, même s’il n’en est pas l’instigateur.

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En échange, Washington exigeait une reconnaissance d’Israël et les discussions sont en cours entre les Soudanais et l’État hébreu. Là encore, peu de chances que Joe Biden mette un coup d’arrêt à ces négociations qui se trouvent à un stade assez avancé. Là encore, il pourrait recueillir quelques lauriers politiques si la normalisation survient après sa prestation de serment.

Le Premier ministre soudanais ne s’y est pas trompé puisqu’hier soir, Abdallah Hamdock a indiqué avoir hâte de « continuer à rapprocher les deux pays, à renforcer l’amitié et la coopération entre Khartoum et Washington ». Mais la future administration Biden va devoir suivre de près la suite de cette transition encore loin d’être finie. Elle va rester fragile car la fin des sanctions ne devrait pas se faire sentir avant des mois. Sans compter qu’en 2022, le Soudan connaîtra des élections historiques mais probablement très incertaines et volatiles.

Un changement de stratégie dans la lutte contre les shebabs ?

L’Afrique de l’Est représente également une région que les Américains surveillent de près en raison de la menace terroriste que font planer les islamistes somaliens shebabs. Avec l’arrivée de Donald Trump, la stratégie militaire dans la région avait changé. En arrivant à la Maison Blanche, il avait choisi une stratégie de militarisation aérienne contre les shebabs. En 2017, le président américain avait ainsi signé une directive désignant plusieurs régions somaliennes comme des secteurs d’« hostilité active ».

Ce statut avait assoupli les procédures nécessaires avant de déclencher une frappe. Le nombre de bombardements par des drones a donc augmenté de façon exponentielle sous l’administration Trump, passant de 14 à 63 en quatre ans, un record. Mais les shebabs sont des maîtres dans l’art de s’adapter. Ils contrôlent encore environ 20% du territoire et commettent toujours des attentats. Il y a un an, ils ont même attaqué la base de Baledogle où les Américains forment les forces spéciales somaliennes.

Les shebabs sont donc toujours actifs et ces frappes ont entraîné une série de polémiques sur les victimes civiles. Joe Biden et son futur secrétaire d’État vont devoir réfléchir à la continuité de cette stratégie. La présence américaine dans la région ne devrait pas être remise en cause tant la menace shebab est encore forte. Mais ces dernières semaines, Donald Trump avait dit souhaiter carrément retirer les quelques 700 soldats américains de Somalie. Là encore, le nouveau président américain va devoir réfléchir à cette option, et y réfléchir vite, car il hérite du dossier somalien dans une période sensible. 

La Somalie a d’autant plus besoin de la coopération américaine que le départ des 20 000 soldats de la force africaine Amisom est prévu à la fin de l’année. Mogadiscio a donc rapidement félicité Joe Biden et Kamala Harris. « Nous leur souhaitons du succès dans leurs initiatives et sommes impatients d'établir une collaboration étroite et un partenariat », a déclaré Mohamed Farmajo. Le chef d'État somalien a au passage rappelé que les États-Unis étaient « un allié important et un partenaire dans les progrès et le développement » de la Somalie.

Pour affronter le terrorisme, les États-Unis vont devoir encore compter sur leur allié kényan dans la région. Washington a des soldats au Kenya qui forment l’armée kényane déployée en Somalie. Dans la région, le président kényan est probablement celui qui a félicité le plus longuement Joe Biden.

Ce 8 novembre, Uhuru Kenyatta a même parlé d'une « large victoire » du candidat démocrate. Nairobi ne tarit d'ailleurs pas d'éloges sur lui. « Les Américains ont parlé clairement en choisissant un leader hautement qualifié », a déclaré le président Kenyatta, qui décrit Joe Biden comme un « ami du Kenya ». Le démocrate s'était rendu dans le pays en 2010 par exemple, lorsqu'il était vice-président de Barack Obama, lui-même d'origine kényane.

Toujours dans la région de la Corne de l'Afrique, selon Yemane Meskel, le ministre érythréen de l'Information, « le président Afeworki a envoyé un chaleureux message de félicitation au président élu Joe Biden. Le chef de l'État érythréen exprime le désir d'Asmara de cultiver des liens bilatéraux chaleureux avec les États-Unis afin de faire avancer notre objectif commun de paix et de stabilité dans la région ».

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Quel positionnement au Sahel ?

Jusqu'ici, la doctrine américaine consistait à ne pas positionner au Mali et dans le Sahel des troupes comme le font les Français ou l’ONU, mais de former les armées locales, de mener des opérations militaires ponctuelles sur le terrain, comme ce fut par exemple le cas il y a quelques années au Niger, dans une opération antiterroriste, rappellenotre correspondant à Bamako, Serge Daniel.

 

Cela va-t-il changer avec le nouveau locataire de la Maison Blanche ? Joe Biden va-t-il décider d’avoir une coopération plus transversale avec les pays du G5 Sahel, par exemple ? Ou bien va-t-il, comme son prédécesseur, plutôt fournir aux forces internationales présentes au Mali et dans le Sahel des capacités importantes de renseignement, de surveillance, notamment grâce aux drones ?

Ces interrogations existent à Bamako et dans le Sahel, tout comme la question de la sécurité dans laquelle les Américains mobilisent actuellement au moins 50 millions de dollars par an. On devrait rapidement savoir si Joe Biden va diminuer ou augmenter cette somme.

En attendant, le président nigérien Mahamadou Issoufou a déclaré espérer un renforcement de la coopération qui a toujours existé entre les États-Unis et le Niger, où une base américaine contribue à la lutte contre le terrorisme jihadiste au Sahel.

De son côté, le président sénégalais Macky Sall a adressé sur son compte Twitter ses chaleureuses félicitations à Joe Biden et à Kamala Harris pour leur victoire. « Le Sénégal se réjouit de poursuivre ses excellentes relations d'amitié et de coopération avec les États-Unis d'Amérique », souligne ainsi le chef de l'État sénégalais.

Enfin, Alassane Ouattara a aussi adressé ses « chaleureuses félicitations » au président et à sa vice-présidente. « La Côte d’Ivoire continuera d'oeuvrer au renforcement des relations d'amitié et de coopération entre nos deux pays et nos deux peuples », a commenté le président ivoirien dans un tweet publié hier en fin de soirée.