[Édito] Alpha Condé – Cellou Dalein Diallo : un bras de fer et deux Guinée

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Par  François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

La présidentielle 2020 en Guinée a pris des allures de duel entre Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo.

La présidentielle 2020 en Guinée a pris des allures de duel entre Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo. © Photomontage/ Photos : Vincent Fournier/JA


Après l’annonce par la Ceni de la victoire d’Alpha Condé à la présidentielle, Cellou Dalein Diallo engage un bras de fer en exigeant le recomptage des résultats. Verdict de la Cour constitutionnelle dans quelques jours.

Alpha Condé : bien ou mal réélu ?

La Cour constitutionnelle, dont le verdict est annoncé pour les jours à venir une fois examinés les recours déposés par les candidats, tranchera.

Mais une chose est sûre : la problématique posée, classique au demeurant sur le continent, ne surprendra personne, les deux principaux camps en présence, celui d’Alpha Condé et celui de Cellou Dalein Diallo ayant annoncé à l’avance l’inéluctabilité de leur victoire – avec, pour ce dernier, une particularité : sa défaite ne pourrait être que le produit d’une manipulation des résultats.

C’est cette logique qui l’a conduit à proclamer dès le 19 octobre, lendemain du scrutin, sa propre victoire sur la base du décompte relevé « en temps réel » par ses militants et envoyé par SMS à une centrale d’appels chargée de les traiter.

Pour crédibiliser cette autoproclamation (Cellou Dalein Diallo élu au premier tour avec 53,8 % des voix), la direction de la communication de son parti, l’UFDG, avance des données techniques pour le moins étonnantes tels la mobilisation de « centaines de jeunes hommes et femmes » dans son Call Center de Conakry, ou le déploiement le 18 octobre dans les 15 000 bureaux de vote du pays de « 32 000 universitaires », alors que la Guinée ne compte que quelques centaines d’enseignants correspondant à cette appellation.

Reste qu’en exigeant de la Commission électorale nationale indépendante, laquelle a rendu le 24 octobre des résultats inverses aux siens (Alpha Condé réélu avec 59,49 % des suffrages), qu’elle publie ses propres décomptes bureau par bureau, l’UFDG fait preuve d’une certaine habilité : cette revendication qui paraît à priori démocratique va dans le sens de la transparence, et elle vise à ramener une institution constitutionnelle et paritaire au-dessus des partis, au niveau d’un simple démembrement du pouvoir.

Pourtant et même si nul ne peut prétendre que l’élection du 18 octobre – réalisée sur la base d’un fichier validé par la Cedeao – répond aux standards « norvégiens » en la matière (la Norvège étant considérée comme le pays le plus démocratique au monde), avec des taux de participation étonnants dans certaines circonscriptions, les résultats proclamés par la Ceni correspondent globalement à la carte géopolitique actuelle de la Guinée.

Comme en Côte d’Ivoire pour la présidentielle du 31 octobre et plus encore ici en l’absence d’une société civile transversale significative, le comportement devant les urnes a toujours été et demeure très largement communautaire. Personne ne s’étonnera donc de voir Cellou Dalein Diallo réaliser des scores soviétiques dans son fief de Moyenne-Guinée, et Alpha Condé atteindre des pourcentages identiques chez lui, en Haute-Guinée.

La même logique explique que le candidat de l’UFDG soit arrivé en tête dans les communes de Ratoma et de Dixinn, à Conakry, ainsi que dans les localités de Sangarédi, Dinguiraye et Télimélé situées hors de sa région naturelle. A contrario et toujours en fonction de la même contrainte, le fait que Sidya Touré en Basse-Guinée et Dadis Camara en Guinée-Forestière – où l’électorat urbain malinké et konianké est par ailleurs important – se soient abstenus de donner des consignes de vote a incontestablement profité à Alpha Condé.

Enfin, les tergiversations du leader de l’opposition quant à sa propre candidature, finalement décidée de façon unilatérale à un mois et demi de l’échéance, ont vraisemblablement dérouté et démobilisé une fraction du front anti-troisième mandat.

Les deux Guinée irréconciliables ?

Il n’existe pas une seule élection en Guinée depuis la mort de Sékou Touré qui n’ait été précédée ou suivie, parfois les deux, de violences. Celle-ci n’a, hélas, pas dérogé à la règle (20 à 30 morts). Les partisans, souvent très jeunes, de Cellou Dalein Diallo ont payé le prix le plus lourd, mais aussi, à un degré moindre, les forces de l’ordre, qui ont perdu huit hommes dans les affrontements de rue.

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D’AUTRES BRAS DE FER SONT À REDOUTER AVANT QUE SOIENT TROUVÉES LES VOIES D’UN APAISEMENT

Les réseaux sociaux, actifs en Guinée mais surtout parmi la diaspora, ont rivalisé de fake news et d’appels à la haine. Une demi-douzaine d’ambassades de Guinée à l’étranger ont été attaquées, parfois vandalisées. Dans le contexte d’une séquence électorale bipolarisée à l’extrême (aucun des deux camps n’accordant à chacun des dix autres candidats un score atteignant 2 %), le déficit de confiance est abyssal, tout comme est apparemment insurmontable la défiance de l’opposition à l’égard des institutions chargées d’organiser et de valider les élections.

Les voies d’un apaisement sont donc étroites, semées d’embûches, et d’autres bras de fer sont à redouter avant qu’elles soient trouvées. Le minimum, si l’on peut dire, serait qu’Alpha Condé se garde de tout triomphalisme – ce qu’il a fait jusqu’ici – et s’abstienne de croire que le score que lui a concédé la Ceni équivaut à un plébiscite. De son côté, Cellou Dalein Diallo devrait savoir que, de Martin Fayulu à Maurice Kamto et de Jean Ping à Agbeyome Kodjo, aucun président autoproclamé n’a pu accéder au pouvoir.

L’actuel titulaire du Palais de Sekhoutoureya, dont ce sera en toute logique (et si la Cour constitutionnelle valide les résultats de la Ceni) le dernier mandat de six ans, ne pourra gouverner et mener à bien ses chantiers dans un climat de tension permanent : il lui faudra donc faire les gestes d’ouverture indispensables et préparer sa succession.

Quant au leader de l’UFDG, il devra, si l’épreuve de force en cours ne tourne pas en sa faveur (son appel à l’armée du 1er novembre, qualifié « d’ultime rempart » contre « la violation des lois de la République », résonnant à cet égard comme le tir d’une dernière cartouche), procéder à un réexamen douloureux de sa stratégie.

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LES PAIRS D’ALPHA CONDÉ ATTENDENT PRUDEMMENT LE VERDICT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE POUR SE MANIFESTER OFFICIELLEMENT

Réinscrire dans le jeu institutionnel un parti privé pour cinq ans de la totalité de ses sièges de députés ainsi que de son propre statut de chef de file de l’opposition, à la suite du boycott des législatives de mars 2020, pose toute une diversité de problèmes dont le moindre n’est pas financier. Enfin et même si quatorze ans le séparent d’Alpha Condé, Cellou Dalein Dallio doit lui aussi songer à l’avenir, sauf à laisser les quadras et les quinquas de l’UFDG en décider à sa place.

Vu d’ailleurs : une élection comme les autres ?

Si Alpha Condé a reçu quelques appels téléphoniques de félicitations de la part de chefs d’État d’Afrique centrale et d’Afrique australe, la plupart de ses pairs, tout comme la Cedeao et l’Union africaine, attendent prudemment le verdict de la Cour constitutionnelle pour se manifester officiellement. Et cela même si la possibilité que cette juridiction suprême ordonne la reprise du scrutin, à l’instar de ce qu’ont pu faire ses homologues malawite ou kényane, est considérée comme improbable.

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LES VIFS DÉBATS AUTOUR DU TROISIÈME MANDAT D’ALPHA CONDÉ ONT LAISSÉ DES TRACES DANS LA RÉGION

C’est que les vifs débats autour du troisième mandat d’Alpha Condé, ouverts depuis plus d’un an, ont laissé des traces dans la région et dans les relations entre le président guinéen et certains de ses homologues d’Afrique de l’Ouest. La rupture avec le Nigérien Mohamadou Issoufou, qui a ouvertement pris position contre la volonté du Guinéen de se succéder à lui-même, est ainsi consommée et elle risque de s’étendre – tout au moins pour un moment – au successeur que ce dernier s’est choisi, Mohamed Bazoum (dans l’hypothèse évidemment où il rempoterait la prochaine présidentielle).

Avec le Sénégalais Macky Sall, l’ambiguïté qui a toujours prédominé dans les relations entre Dakar et Conakry s’est encore renforcée ces derniers mois. Même si l’hôte du Palais de la République, qui se défend de toute ingérence dans les affaires de son voisin, ne saurait être tenu pour responsable de l’agressivité des médias sénégalais à l’encontre de celui de Sekhoutoureya, encore moins de l’hostilité démonstrative d’une diaspora guinéenne très majoritairement acquise à Cellou Dalein Diallo, le soupçon d’un double jeu de sa part est largement partagé dans l’entourage d’Alpha Condé.

Le dîner du 15 octobre à la State House d’Abuja auquel ont participé, autour de Muhammadu Buhari, Macky Sall et le Bissau-Guinéen Oumaro Cissoko Embaló (soutien déclaré du chef de l’UFDG) a ainsi été perçu avec une très grande suspicion à Conakry, où le terme de « complot » a même été suggéré, évidemment sans preuve. Alpha Condé, qui a en outre perdu en Ibrahim Boubacar Keïta un allié de poids, peut cependant se satisfaire de la fluidité retrouvée de ses relations avec Alassane Ouattara, embarqué comme lui dans l’aventure du troisième mandat.

Quant aux observations formulées à l’encontre du processus électoral par l’Union européenne, la France et les États-Unis, certes gênantes pour Alpha Condé dans la mesure où elles recoupent certaines des critiques de son adversaire, il convient de les relativiser sur un point. Condé est un souverainiste dans la tradition historique guinéenne, une corde plus sensible ici qu’ailleurs en Afrique francophone.

Dans un monde où la communauté internationale ne se limite plus à sa composante occidentale, ce panafricaniste convaincu n’hésite pas à s’appuyer sur des partenaires beaucoup moins intrusifs comme la Chine, la Russie, la Turquie ou les Émirats.

En Guinée, la crise postélectorale s’annonce à la fois durable, complexe et potentiellement périlleuse. Il appartiendra en premier lieu au vainqueur proclamé par la Cour constitutionnelle de la dénouer.