Côte d’Ivoire : KKB, l’éternel candidat

| Par - à Abidjan
Kouadio Konan Bertin, candidat à l'élection présidentielle du 31 octobre, à Abidjan, fin octobre 2020.

Kouadio Konan Bertin, candidat à l'élection présidentielle du 31 octobre, à Abidjan, fin octobre 2020. © Luc Gnago/REUTERS

Déjà candidat en 2015, Kouadio Konan Bertin briguera samedi la magistrature suprême. Refusant de rallier le reste de l’opposition, qui a appelé au « boycott actif », il a été le seul à faire campagne face à Alassane Ouattara. Ce qui ne l’empêche pas de lorgner, déjà, le scrutin de 2025.

Kouadio Konan Bertin monte rapidement les quelques marches qui le séparent de l’estrade. Costume sombre, cravate rouge, il prévient son auditoire : il n’a pas dormi de la nuit. En campagne à Odienné et Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, il a peiné à regagner Abidjan à cause des barrages que des manifestants ont érigés près d’Adzopé, à 100 kilomètres au nord de la capitale économique. « J’ai juste eu le temps de prendre une douche et je suis là devant vous », explique-t-il.

KKB se présente, en ce matin du mardi 26 octobre, face au patronat ivoirien. Depuis 2010, c’est une tradition : les candidats à l’élection présidentielle sont invités à venir échanger avec les organisations patronales, à présenter leur projet de développement économique et à défendre leur programme. Mais cette année, il aura été le seul à se plier à l’exercice, Alassane Ouattara s’étant fait représenter par Patrick Achi, le secrétaire général de la présidence ivoirienne qui est aussi son directeur national de campagne.

Les échanges sont nourris. Pendant deux heures, il est question de fiscalité, de formation des jeunes, de lutte contre la corruption et d’aménagement du territoire. Candidat indépendant depuis que le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) a décidé de son « exclusion temporaire », KKB déroule les grandes lignes de son programme. Il martèle à ses interlocuteurs ce qu’il n’a cessé de répéter ces derniers jours : « Il manque de la rigueur, de l’équité et de la justice dans ce pays ». Rien ne sera possible sans « paix et unité », ni sans la jeunesse.

Suspicions

La campagne électorale touche à sa fin. L’élection a lieu samedi. Jeudi, il donnera donc son dernier meeting à Abidjan, ville tapissée d’affiches appelant à voter Alassane Ouattara. Ses photos à lui n’apparaissent qu’en de rares endroits, jamais les mieux exposés. De petits drapeaux blancs et violets, ses couleurs, sont bien accrochés sur certains ronds-points et quelques pancartes « KKB » ont été installées le long de certains axes, mais c’est à peu près tout.

Kouadio Konan Bertin aura été le seul à mener campagne face au président sortant, refusant l’appel au boycott du scrutin et à la désobéissance civile lancé par les deux autres candidats retenus mi-septembre par le Conseil constitutionnel : Henri Konan Bédié (PDCI) et Pascal Affi N’Guessan (FPI, Front populaire ivoirien).

« J’ai subi toutes sortes de pressions, mais il faut dire que jamais un Ivoirien ne m’a lancé une pierre, jamais un Ivoirien ne m’a agressé, même verbalement », assure-t-il. Depuis la mi-octobre, il a battu campagne dans une dizaine de villes, devant des assemblées parfois clairsemées.

Sa décision d’aller à l’élection a charrié son lot de suspicions. L’opposition, unie contre la perspective d’un troisième mandat qu’elle juge anticonstitutionnel, tire à boulet rouge contre ce candidat qui fait cavalier seul. Comment est-il parvenu à recueillir le nombre de parrainages nécessaires pour se présenter, quand d’autres caciques de la politique ivoirienne, comme Mamadou Koulibaly du Lider ou Albert Mabri Toikeusse, le président de l’UPDCI, n’y sont pas parvenus ? Comment finance-t-il sa campagne ? N’est-il pas le faire-valoir de la majorité ?

« Il a fait le mauvais choix »

« Félix Houphouët-Boigny m’a appris une chose, l’homme n’a que trois juges : Dieu, sa conscience et le peuple. J’aime ce pays, je suis né là, j’ai grandi là, j’y ai mes racines, je veux servir mon pays », répond KKB. Sur la question des parrainages, il met en avant son expérience à la tête de la jeunesse du PDCI-RDA, de 2003 à 2013 : « Il n’y pas un village où je ne sois pas allé installer une section, j’ai noué beaucoup de connaissances. »

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IL A CHOISI DE SOUTENIR LA FORFAITURE D’ALASSANE OUATTARA. »

Mais il peine à convaincre. « Nous n’allons pas nous attarder sur quelqu’un qui a choisi de soutenir la forfaiture d’Alassane Ouattara, lâche Valentin Kouassi, qui lui a succédé à la tête de la section. Un jour, KKB comprendra qu’il a fait le mauvais choix et reviendra dans le droit chemin. »

À 52 ans, Kouadio Konan Bertin se présente comme le candidat de la jeunesse : « Ma candidature est une aubaine pour la jeunesse. Les jeunes doivent s’en saisir pour leur propre émancipation, pour peser dans le débat. Je ne reproche pas l’âge de mes adversaires, mais l’âge de leur méthode. Il faut changer de logiciel politique. »

Frondeur

Ce n’est pas la première fois qu’il prêche pour un renouvellement de la classe politique ivoirienne. Il l’avait fait en 2013, au sein de son propre parti, le PDCI, et cela lui avait à l’époque valu d’être qualifié de « soldat perdu » par Henri Konan Bédié, aujourd’hui âgé de 86 ans.

Deux ans plus tard, en 2015, KKB le frondeur choisissait – déjà – de se présenter en indépendant à l’élection présidentielle et récoltait moins de 4 % des suffrages. Avant d’officialiser, en 2017, son « retour à maison ». « Nous allons jouer en équipe. Il est hors de question de vous imaginer que KKB est revenu pour être candidat, ce n’est pas de cela qu’il s’agit », assure-t-il alors.

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QUAND ON VA À UN JEU, ON PEUT PERDRE, CE N’EST PAS LA FIN DU MONDE. »

C’est pourtant bien de cela qu’il s’agissait. Pour « en finir avec les candidatures uniques », l’ancien député de Port-Bouët (de 2011 à 2016) décide de nouveau de porter les couleurs du PDCI à l’élection mais, le 2 juillet dernier, le parti lui préfère Bédié. Trois mois plus tard, il est exclu par le conseil de discipline du parti pour défiance et atteinte à l’unité et aux intérêts du PDCI. « Cependant, je reste PDCI ! J’ai pris ma carte du vivant de Houphouët. Je lui ai promis de ne pas quitter son parti. Je suis un militant exemplaire, discipliné », soutient-il aujourd’hui.

Samedi, il votera chez lui à Lakota, dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, où il a des activités de planteurs, comme ses parents avant lui. Il ne cache pas ses intentions pour la suite. « Quand on va à un jeu, on peut perdre, ce n’est pas la fin du monde. Ce sera à moi de me réorganiser pour convaincre les Ivoiriens de faire de moi un jour leur président. » En 2025 ? « Évidemment, c’est un projet. Si j’estime que j’en ai encore la force. »