Forum international de Dakar 2019 sur la paix et la sécurité: contexte et enjeux

Conférence de presse présentant les orientations thématiques du Forum de Dakar 2019.
© Forum international de Dakar

Les défis actuels du multilatéralisme sont le thème de l’édition 2019 du Forum international de Dakar qui se tiendra les 18 et 19 novembre dans la capitale sénégalaise. Le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani est l’invité d’honneur du Forum cette année. Le Premier ministre français Edouard Philippe est également attendu pour cet événement.

De notre envoyé spécial,

Dakar sera le haut lieu de paix et sécurité en Afrique, les 18 et 19 novembre. Rassemblés dans la capitale sénégalaise, tout ce que le continent compte de spécialistes et experts sur les questions sécuritaires débattront deux jours durant des stratégies mises en oeuvre par les Etats africains pour faire face aux attaques terroristes. Celles-ci se sont intensifiées au cours des dernières années, plus particulièrement dans les pays sahéliens.

C’est dans ce contexte de nouvelle flambée et d’hybridation de violences terroristes que s’ouvre la nouvelle édition du Forum de Dakar. « Compte tenu de la dégradation de l’environnement sécuritaire dans le Sahel, il ne faudrait pas s’étonner que cette région soit au cœur des débats cette année, tout comme le seront sans doute les questions que chacun se pose sur l’efficacité des dispositifs mis en place pour faire face à la violence  », déclare Hugo Sada, ancien journaliste et conseiller Afrique à la Compagnie européenne de l’intelligence stratégique (CEIS) qui est l’opérateur logistique du Forum international de Dakar.

Dakar, capitale de la pensée stratégique africaine

Ce forum, organisé par le ministère des Affaires étrangères du Sénégal, est une initiative franco-sénégalaise dont l’idée est née lors du Sommet de l’Elysée en 2013, dans la foulée de l’opération Serval, intervention militaire française au Mali qui s’est déroulée en janvier de la même année. « L’objectif des initiateurs était de mettre en place de manière régulière une grande réunion, avec pour thème la défense et la sécurité en Afrique, à l’instar du Shangri-La Dialogue en Asie ou la réunion d’Abou Dhabi pour les pays musulmans », rappelle Hugo Sada.

« A l’Elysée, c’est Macky Sall qui a relevé le défi, soucieux de créer à Dakar un forum permettant d’approfondir l’analyse et la réflexion sur l’évolution stratégique du continent, les nouvelles menaces, les grands enjeux sécuritaires et les nouvelles perspectives de coopération internationale, notamment face au terrorisme et l’extrémisme violents, la criminalité transnationale et l’insécurité maritime », ajoute pour sa part Amadou Ba, le ministre sénégalais des Affaires étrangères.

La première édition de ce forum stratégique africain s’est tenue en décembre 2014, à Dakar. Il en est à sa sixième édition. D’année en année, cette rencontre a vu sa participation s’amplifier, imposant Dakar comme la capitale de la pensée stratégique africaine. Pour le fondateur du think-tank sénégalais Wathi, qui participe à ce forum depuis ses débuts, « le principal mérite des organisateurs est d’avoir su faire évoluer cette rencontre, dominée dans ses premières années par des militaires, notamment français, vers un pluralisme tout à fait appréciable, avec la présence grandissante de la société civile et des spécialistes qui présentent une diversité de points de vue sur des thèmes sécuritaires ».

La crise du multilatéralisme

 
Forum International de Dakar 2018 en chiffres © Forum de Dakar

Après « les enjeux de stabilité et développement durable » qui étaient au coeur des débats à la précédente édition du forum, les spécialistes invités à prendre la parole cette année plancheront sur le thème des «  défis actuels du multilatéralisme ». Les débats se répartiront en trois plénières et neuf ateliers. Les travaux dans les ateliers porteront sur des sous-thèmes aussi divers que les mécanismes de prévention des conflits, le rôle des populations et de la société civile dans la sécurité, l’extrémisme violent, la sécurité numérique ou encore la place de l’entreprise dans les processus de paix.

« Si le multilatéralisme s’est imposé comme le fil rouge de cette édition 2019, explique Hugo Sada, c’est parce que son affaiblissement et les menaces que cela fait poser sur les opérations de maintien de la paix, notamment en Afrique, est un enjeu majeur aujourd’hui. L’Afrique est la principale victime de cet affaiblissement, comme en témoignent les fortes pressions exercées aux Nations unies en vue de réduire pour ne pas dire carrément couper les crédits destinés au financement des opérations de paix de l’Union africaine ou de la Cédéao. » « La coopération internationale a été remplacée en Afrique par le retour des politiques de puissance dont témoigne la présence grandissante dans le Sahel et en Afrique de l’Est de présences militaires étrangères, qui pour la plupart ne sont pas encadrées par le Conseil de sécurité », ajoute le spécialiste.

« Le multilatéralisme est un thème majeur, reconnaît pour sa part Gilles Yabi. Il est important dans la mesure où, en Afrique, d’une manière générale, nous sommes dans une situation de grande dépendance par rapport à l’Occident. Le continent accueille quelques-unes des missions de maintien de la paix les plus longues et des interventions militaires internationales, relevant des Nations unies et des pays individuels. En Afrique de l’Ouest, les Etats sont très dépendants de leurs relations avec la France, avec l’Union européenne et les Etats-Unis. Dans ce contexte, la pertinence du thème du multilatéralisme ne peut être discutée, mais toute la question est de savoir ce que cela signifie concrètement pour la région, pour les foyers de tension les plus importants. Comment faire de sorte qu’il y ait à l’intérieur de cette dépendance tous azimuts, un espace d’autonomie, de réflexion et de choix d’approche pour les pays africains directement concernés ? »

Enjeux diplomatiques et sécuritaires




La salle plénière au Centre international de Conférence Abdou Diouf où s'est déroulé le Forum de Dakar 2018. © Forum international de Dakar

Malgré l’accent mis par les organisateurs du Forum de Dakar sur le multilatéralisme en crise, les participants pourront difficilement faire l’économie du paradigme tout-sécuritaire mis en place dans le Sahel, qui se révèle être insuffisant pour endiguer la violence terroriste et ethnique qui endeuille régulièrement la région. D’autant que, comme on peut le lire dans la note conceptuelle du Forum de Dakar 2019, « l’environnement sécuritaire africian devient de plus en plus complexe (…) Les menaces et défis sécuritaires, comme l’extrémisme violent, évoluent et se combinent avec les trafics illicites de drogue, d’armes, d’êtres humains, la cybercriminalité et les rivalités pour le contrôle des ressources. Il s’y ajoute une recrudescence des conflits intercommunautaires dans plusieurs régions du continent. »

Selon nombre de spécialistes, les récentes attaques terroristes particulièrement meurtrières contre les populations au Mali et au Burkina Faso exigent une remise à plat des dispositifs militaires en place. Le Forum de Dakar propose d’en débattre, dès la première plénière qui a précisément pour thème : « Repenser la sécurité : quelles approches ? » « Il faut changer de paradigme », disent d’aucuns.

Le paradigme diplomatique est déjà en train de changer, comme en atteste la présence annoncée à la cérémonie d’ouverture du nouveau président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, aux côtés du chef de l’Etat sénégalais Macky Sall qui ouvrira le forum. La présence du président mauritanien à Dakar n’est peut-être pas dénuée de sens, quand on connaît les bisbilles qui ont envenimé les relations entre le Sénégal et la Mauritanie sous la présidence du prédécesseur de Mohamed Ghazouani. Mohamed Ould Abdel Aziz s’était notamment opposé à l’entrée du Sénégal dans le dispositif du G5-Sahel, composé actuellement de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad. Dakar n’a d’ailleurs jamais fait mystère de son dépit d’en avoir été exclu. « Nous faisons partie du G5-Sahel sans y être », regrettait récemment un militaire sénégalais de haut rang et proche du pouvoir.

Le casting de la cérémonie d’inauguration prévoit également la présence du Premier ministre français Edouard Philippe et celle de sa ministre de la Défense, Florence Parly, qui est une habituée du Forum. Dakar aura-t-elle la primeur des décisions que le gouvernement français, selon la récente déclaration du président Emmanuel Macron, s’apprête à prendre pour « confirmer et conforter l’engagement » de la France dans la région ?


■ Trois questions au général Amadou Anta Guèye, directeur-général du CHEDS

Le général Amadou Anta Guèye dirige le Centre des Hautes Etudes et de Défense et de Sécurité (CHEDS), qui assure la direction de la Commission scientifique du Forum international de Dakar.



Le Général Adama Guèye, directeur général du Centre des hautes études de Défense et de Sécurité. © Cheds/GCSP

RFI : En tant que responsable de la commission scientifique du Forum, le CHEDS conçoit et organise les orientations thématiques et intellectuelles de la rencontre. Comment travaillez-vous ?

Amadou Anta Guèye : CHEDS est en effet chargé de la conception intellectuelle du forum. La commission scientifique formée à cet effet et composée d’universitaires, de hauts fonctionnaires, de diplomates de haut niveau et d’experts militaires, réfléchit, ensemble avec un conseil de sages, aux problèmes de sécurité qui se posent au continent africain. Le travail commence dès le début de l’année et s’appuie sur les conclusions des experts recueillis pendant l’édition précédente du forum, pour définir l'orientation thématique générale du forum en préparation. Le thème retenu est ensuite soumis pour validation à notre autorité de tutelle, à savoir le ministère des Affaires étrangères, puis au chef de l’Etat. L’étape suivante consiste à formuler les sous-thèmes et à rédiger la note conceptuelle, qui est établie en connivence avec la Compagnie européenne d’intelligence scientifique (CEIS), notre partenaire français. Nous travaillons aussi ensemble sur les notes de cadrage des sujets à débattre dans les ateliers. Après une dernière validation par la plus haute autorité des thèmes et des orientations, le CEIS reprend la main pour le suivi logistique.

Comment le multilatéralisme s’est imposé comme thème central de la sixième édition qui s’ouvre lundi prochain ?

Je ne vous révélerai aucun secret en vous affirmant que les Etats africains dépendent grandement des Occidentaux pour préserver la paix chez eux. Cette dépendance n’est pas seulement financière. Nous avons besoin aussi d’équipements, de savoir-faire, notamment dans la lutte contre la cybercriminalité qui est en train de prendre pied sur le continent africain. La surveillance de nos frontières avec des moyens électroniques, est aussi un domaine où nous avons besoin de soutiens occidentaux. D’où l’importance d’une approche multilatérale qui consiste à travailler de façon collective. Or, de plus en plus, nos partenaires préfèrent faire du bilatéralisme que du multilatéralisme. Cette évolution nous inquiète car le multilatéralisme permettait de rassembler toute la communauté internationale autour des problèmes du continent et de les régler de façon efficace, alors que le bilatéralisme débouche sur la juxtaposition des forces et de moyens. Il faut espérer que les spécialistes qui vont plancher sur cette thématique au forum pourront nous éclairer et orienter.

Le forum de Dakar est perçu comme une rencontre ouest-africaine, limitée à la famille francophone…

Nous avons tenu compte de ces reproches et l’effort a été fait cette année pour vraiment diversifier l’expertise. Soixante-dix spécialistes de tous domaines liés à la sécurité et au développement ont été invités pour prendre part aux débats. 70% de ces experts sont d’origine africaine. Ils sont arabophones, anglophones, lusophones, en provenance du Nigeria, d’Afrique du Sud, d’Ethiopie. Ce que nous voulons surtout, c’est que ces experts aient le temps de discuter en profondeur et de proposer des solutions que les Etats pourront appliquer pour combattre la violence qui empêche l’Afrique d’aller de l’avant.