[Tribune] L’Afrique de l’Ouest doit repenser sa propre sécurité


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Coordinateur du Centre ouest-Africain d’études politiques et stratégiques (WACePS)

Quartier général de la force conjointe G5 Sahel basée à Sévaré, en octobre 2017.

L’Afrique de l’Ouest dit vouloir plus d’intégration économique régionale. Elle y travaille, jusque dans les domaines agricole et monétaire, mais son infrastructure de sécurité n’a pas évolué au même rythme, et cela pourrait être son maillon faible.

Il est, à mon sens, impératif qu’elle prête davantage attention aux menaces à la sécurité transnationale. En mai 2012 déjà, alors que ses membres se réunissaient à Dakar pour un sommet consacré à la sécurité, la Cedeao s’inquiétait de la crise qui prévalait dans le nord du Mali et de la multiplication des attaques menées, dans le nord du Nigeria, par un groupe armé baptisé Boko Haram.

Une spirale de violence

Six ans plus tard, la crise au Mali n’est plus confinée au désert, les combats et les attaques contre les installations civiles et militaires se sont étendus jusque dans le centre du pays et, presque chaque semaine, des attentats endeuillent le Burkina Faso et le Niger, sans que ni la France, ni les Casques bleus des Nations unies, ni le G5 Sahel parviennent à enrayer la spirale de la violence.

Depuis le Nigeria, Boko Haram s’est transformé en menace régionale et mène des attaques au Cameroun et au Niger sans que, là encore, aucune force n’arrive à l’éradiquer. C’est la stabilité de toute la sous-région qui s’en trouve affectée, en même temps qu’est mise en lumière l’incapacité des armées nationales à lutter individuellement contre les groupes armés.

Il est indispensable que l’Afrique de l’Ouest réforme sa structure actuelle de coopération militaire

C’est un fait : dans presque tous les pays de la région, ces armées ont sans peine renversé les gouvernements, mais elles n’ont jamais réussi à contenir rébellions et insurrections. Au Liberia, les régimes de Samuel K. Doe et de Charles Taylor se sont effondrés en quelques mois seulement sous les assauts des forces rebelles. La Sierra Leone a plus d’une fois subi le même sort. En Côte d’Ivoire, sans l’intervention des forces françaises, le président Laurent Gbagbo aurait été évincé dès 2002. Chaque fois, la Cedeao ou les Nations unies ont dû déployer des forces de maintien de la paix lors d’opérations extrêmement onéreuses mais pas toujours efficaces.

Il est indispensable que l’Afrique de l’Ouest réforme sa structure actuelle de coopération militaire et que les membres de la Cedeao contribuent à la création d’une force permanente multinationale, qui sera plus à même de répondre rapidement aux menaces transnationales.

Une force militaire régionale

Au lieu de se contenter de troupes sous-équipées et mal armées, il faut investir dans une force militaire régionale puissante, avec de réelles capacités aériennes et terrestres. Si elle parvient à coordonner efficacement les ressources régionales dont elle dispose, la Cedeao pourra également mettre en place une force de défense maritime ayant la capacité de surveiller l’ensemble de la ligne côtière de l’Afrique de l’Ouest, du Sénégal au Nigeria – une force qui pourra aussi lutter contre le trafic de drogue et la piraterie sur l’ensemble du littoral.

Une telle initiative remplacerait avantageusement la stratégie actuelle, qui repose sur des opérations militaires conjointes, que le manque de matériel et de volonté politique rend inopérantes. Bien souvent, elles sont mises sur pied à la hâte et ne donnent que peu de résultats. La manière dont les forces camerounaises, tchadiennes, nigérianes et nigériennes tentent de lutter contre Boko Haram le prouve.

On peut aussi imaginer que cette force servira de rampe de lancement pour une armée régionale intégrée qui pourra garantir l’intégrité des frontières extérieures et protéger toute la sous-région. Cela renforcera l’intégration régionale et permettra aux gouvernements nationaux de concentrer leurs ressources sur la formation des forces de police locales pour leur sécurité intérieure.

Bien sûr, les questions de commandement et de contrôle, ainsi que la logistique, seront complexes, mais pas insurmontables compte tenu de l’enjeu. Des questions de souveraineté ne manqueront pas non plus de se poser, mais elles pourront elles aussi être résolues : la sécurité régionale doit devenir l’un des piliers essentiels du processus d’intégration.