Hydrocarbures : des projets en attente de financement
sur l’ensemble du continent africain

| Par

Plusieurs chantiers d’extraction d’hydrocarbures restent en suspens à cause du manque de partenaires financiers. Seuls les plus grands champs gaziers attirent.

Avec la forte hausse de production de pétrole aux États-Unis, les guerres commerciales et les prix des hydrocarbures plutôt bas, 2019, qui touche à sa fin, n’aura pas été une année record pour le financement de l’industrie en Afrique. « L’équilibre du monde de l’énergie a complètement changé. Tous les projets sont désormais jugés à l’aune des projets extractifs américains non conventionnels – de gaz et de pétrole de schiste –, dont les coûts sont très faibles », indique Paul Eardley-Taylor, chargé des secteurs pétrolier et gazier pour l’Afrique australe à la Standard Bank.

Faire décoller des projets africains prometteurs n’est pas aisé dans ce contexte. Selon GlobalData, environ 194 milliards de dollars seront nécessaires pour financer 93 projets pétroliers et gaziers planifiés à travers le continent entre 2018 et 2025.

Selon les spécialistes, l’industrie africaine du pétrole et du gaz nécessiterait également plus de 721 milliards de dollars d’investissement cumulés dans les infrastructures entre 2013 et 2025. Rolake Akinkugbe-Filani, chargée de l’énergie et des ressources naturelles à la banque nigériane d’affaires FBN Quest, juge que les banques africaines n’ont pas été suffisamment actives dans le secteur. « La plupart de ces projets nécessitent un financement à long terme, et, en raison de certains des défis rencontrés au cours de la dernière décennie par le secteur des services financiers et des marchés des capitaux en Afrique – en particulier depuis la crise de 2008 –, la possibilité de se procurer de l’argent localement pour une durée de sept à dix ans est de plus en plus limitée. Les banques commerciales ne sont pas vraiment capables d’aller aussi loin », regrette-t-elle.

D’autres raisons expliquent le retard à l’allumage des projets africains. La décision finale d’investissement (DFI) de Shell pour l’exploitation du champ offshore nigérian Bonga Sud-Ouest a souffert de retards considérables en raison d’un différend fiscal avec les autorités.

En février, Andy Brown, le patron de la division exploration-production de Shell déclarait à l’agence de presse Reuters que ce projet de plusieurs milliards de dollars, qui devrait produire 180 000 barils de pétrole par jour, ne sera pas lancé tant qu’un terrain d’entente fiscal n’aura pas été trouvé. Certaines compagnies, trop petites, ont plus de mal que les autres en ces temps d’aversion au risque.

Le temps, c’est de l’argent !

Initialement attendue à la mi-2016, la décision d’investissement pour le projet Fortuna de gaz naturel liquéfié flottant (FLNG) en Guinée équatoriale a été retardée à plusieurs reprises, puis annulée, en raison de l’incapacité du britannique Ophir Energy de se procurer les 1,2 milliard de dollars nécessaires pour financer le projet. « Un report entraîne une élévation des coûts des chantiers connexes tels que ceux des infrastructures auxiliaires ou encore l’équipement de forage… Le temps, c’est de l’argent ! », rappelle Akinkugbe-Filani.

Le gaz naturel liquéfié, secteur porteur pour le Mozambique

Certains projets sont pourtant lancés, particulièrement ceux tournant autour de l’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL). L’Agence internationale de l’énergie, établie à Paris, prévoit que le gaz dépassera le charbon d’ici à 2030 pour devenir le deuxième combustible mondial, et l’Afrique, qui possède des réserves de gaz majeures et mises au jour récemment, sera touchée nécessairement par cette transition énergétique.

Avec une telle demande chinoise, les gens sont optimistes quant à la prochaine vague de décisions d’investissement dans ce type de projets

« Les prix du GNL remontent, ce qui veut dire que les entreprises ont une meilleure trésorerie. Nous nous attendions à un excédent de GNL venant de projets australiens et américains. Finalement, cela ne s’est pas produit car les Chinois ont commencé à en acheter. Avec une telle demande chinoise, les gens sont optimistes quant à la prochaine vague de décisions d’investissement dans ce type de projets. »

Après plusieurs découvertes de gaz naturel, le Mozambique devrait devenir l’un des plus gros exportateurs de GNL dans les prochaines années. Le projet Coral, mené par ENI, a pu être acté dès 2017 – le gaz est attendu au mois de juin 2021 –, et ce en dépit de la volatilité et de l’incertitude des prix mondiaux.

En juin 2019, un autre projet gazier, Mozambique LNG, mené par l’américain Anadarko (dont les actifs africains sont en cours de rachat par Total) a été lui aussi décidé avec 20 milliards de dollars d’investissement à la clé, ce qui en fait le plus grand chantier de ce type approuvé dans le secteur du pétrole et du gaz en Afrique subsaharienne. La décision d’ExxonMobil d’investir plusieurs milliards de dollars dans le projet Royuna LNG est aussi attendue d’ici à la fin de 2019. Sur le front des importations de GNL, le français Total a signé un accord au mois de juillet avec le fournisseur d’électricité du Bénin pour la construction d’une nouvelle unité de stockage et de regazéification flottante destinée à l’alimentation des centrales électriques.

Le Qatar a été capable de monétiser ses ressources gazières efficacement afin de déclencher l’industrialisation à travers plusieurs secteurs de l’énergie tels que la pétrochimie, les engrais, le GNL pour l’export

Parmi les autres projets de ce type en attente sur le continent, on peut citer celui nécessitant 30 milliards de dollars d’investissement dans la région de Lindi, en Tanzanie, celui du britannique NewAge de 1,2 million de tonnes par an (tpa) de gaz liquide au Congo-Brazzaville, et enfin une septième salve de Nigeria LNG qui augmenterait la capacité de production de GNL du pays de 22 à 30 millions de tpa.

Akinkugbe-Filani suggère aux nouveaux États gaziers africains de s’inspirer du Moyen-Orient : « Le Qatar a été capable de monétiser ses ressources gazières efficacement afin de déclencher l’industrialisation à travers plusieurs secteurs de l’énergie tels que la pétrochimie, les engrais, le GNL pour l’export, et ensuite de s’en servir comme base pour développer des villes dynamiques. » Dans certains cas, financer ces grands projets nécessite de chercher, au-delà des banques traditionnelles, des financements plus créatifs sur les marchés des capitaux tels que des obligations d’infrastructures, des fonds de quasi-dette et des fonds de capital-investissement. Un appui d’institutions financières internationales ou de développement est une autre solution pour « réduire les risques liés à un projet et attirer d’autres partenaires », estime Akinkugbe-Filani.

ptrole