Témoignages

 

Vingt mois de captivité au Mali pour le journaliste français Olivier Dubois

 

Dans l’attente de la libération d’Olivier Dubois, chaque 8 du mois, RFI propose à ses proches de lui adresser un message. Dans sa dernière preuve de vie, Olivier confirmait qu’il pouvait les entendre, là où il se trouve.

Il y a 20 mois, le 8 avril, notre confrère Olivier Dubois a été enlevé à Gao, dans le nord du Mali, alors qu’il était en reportage. Journaliste français indépendant, il travaille notamment pour LibérationJeune Afrique et le Point. Il devait interviewer un cadre local du Jnim, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, dirigé par Iyad Ag Ghaly et lié à al-Qaïda au Maghreb islamique. Il n’est jamais revenu de son rendez-vous.

Depuis son enlèvement, Olivier Dubois est apparu dans deux vidéos diffusées par ses ravisseurs, dans lesquelles il explique lui-même être détenu par le Jnim. Les autorités maliennes et françaises ont indiqué à plusieurs reprises être pleinement mobilisées pour sa libération, tout en rappelant la nécessité d’une grande discrétion sur les actions pouvant être entreprises.

Salut Olivier, en suivant le rituel que ta situation nous impose, c'est avec un plaisir renouvelé que j'ai cette occasion unique de communiquer avec toi par ce média. Cela fait plus de 600 jours qu'il m'est impossible de faire autrement. J'espère que mon message te trouvera le mieux possible. Le 10 novembre, jour de mon anniversaire, ton absence a créé un certain froid. Cependant, nous restons mobilisés pour ta libération prochaine par des actions diverses. Donc tiens bon et aies confiance, toute la famille te fait de gros bisous et te dit à bientôt. Ton père qui t'aime.

André-Georges, père d'Olivier Dubois

Pense au futur Olivier, garde la foi. On a vécu de bons moments, il y a tellement de choses que nous ferons ensemble, vivre autrement, vivre libre. Je souhaite tous les jours te revoir, car tu ne mérites pas de vivre ça dans sa spirale de la vie, c'est injuste. Je prie pour toi et que Dieu te préserve, que la lumière soit le message de beaux jours vers un océan d'humanité. Je pense à toi Olivier et que la paix intérieure soit avec toi. Je t'embrasse.

Valérye Dubois, l’une des sœurs d’Olivier Dubois

ANDRÉ-GEORGES ET VALÉRYE DUBOIS, LE PÈRE ET L’UNE DES SŒURS D’OLIVIER

609e jour de captivité, soit 20 mois d'absence. Aucune libération depuis, tu es toujours otage au Mali. Ici, ton retour en France est extrêmement attendu. Beaucoup de messages de soutien, de propositions d'aide à ton égard, maman, Benjamin et moi avons reçues. Alors pour que cette prochaine fête ne soit pas une nouvelle fois une défaite, garde en tête que près de 120 000 pétitionnaires, entre autres te guettent. Garde aussi en tête que tu es mon frère et que je t'aime et que rien, absolument rien au monde, ne pourra le changer. 

Canèle Bernard, l’une des sœurs d’Olivier Dubois

Olivier, encore un amer Noël pour toi ou tu seras loin de ton fils, de Cannelle et de ta mère. Toutes deux sont des femmes extrêmement fortes. Tu les connais, entières et courageuses. Sans cesse, elles restent mobilisées depuis 20 mois, 600 jours maintenant. Nous continuons tous les trois à agir pour que tu ne sois pas oublié. Courage, tiens bon, tiens bon beau-frère.

Benjamin, beau-frère d'Olivier Dubois

Canèle Bernard, l’une des sœurs d’Olivier Dubois, et son compagnon Benjamin

Mon fils, toutes mes pensées, mon affection, vont vers toi. Cette dure épreuve que tu traverses depuis 20 mois, 600 jours, est extrêmement difficile, interminable pour toi. La tristesse ne me quitte pas. Sache que tu n'es pas seul, nous continuons à œuvrer pour toi, pour que tu retrouves ta liberté. La période qui arrive n'est pas la plus joyeuse, mais ma volonté, ma détermination à te retrouver ne s'en ira pas. Je t'envoie toutes mes pensées, tout mon amour. Je t'aime Olivier, ne l'oublie pas, je t'embrasse.

Mère d'Olivier Dubois

La mère d'Olivier Dubois

Olivier, j'espère que tu vas bien. Nous, on s'accroche, toujours grâce à toi et à l'amour qu'on te porte. Gigi a un appareil dentaire, elle a 16,3 de moyenne générale. Ça, c'est pour te rendre fier. Saël porte des lunettes. Tout le monde lui répète qu'il a la même tête que toi. Il se débrouille très bien en lecture. Et moi je suis là, je ne perds ni confiance, ni espoir.  Et maintenant, Olivier. J'aimerais m'adresser à tes ravisseurs. S'il vous plaît, nous avons besoin d'Olivier, c'est un innocent, un homme respectueux et respectable. Il est venu en bonne foi et en toute confiance. Il n'est l'ennemi de personne, il n'a jamais nui ou porté préjudice à qui que ce soit. À cause de nos deux enfants, à cause de Dieu, au nom de l'islam et de ses principes, s'il vous plaît, libérez Olivier. Nous sommes les seuls à souffrir de cette situation.

Déborah Al Hawi Al Masri, compagne d'Olivier Dubois

Déborah Al Hawi Al Masri, la compagne d'Olivier Dubois

Et nous n’oublions pas non plus le journaliste malien Moussa M'Bana Dicko, enlevé le 18 avril 2021 dans le centre du pays. Une pensée également pour tous les autres otages, qu’ils soient journalistes ou non, détenus au Mali ou ailleurs.

Guinée : quand une grippe empêche Moussa Dadis Camara de livrer « sa » vérité

Appelé à la barre ce lundi dans le procès du massacre du 28 septembre 2009, l’ancien chef de la junte a affirmé être souffrant et ne pas être en mesure de répondre aux questions du juge.

Par  - à Conakry
Mis à jour le 5 décembre 2022 à 17:44
 

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Moussa Dadis Camara à son retour en Guinée après 12 ans d’exil au Burkina Faso, à Conakry le 22 décembre 2021. © Algassimou Balde/AP/SIPA

Depuis des années, il clamait son impatience de pouvoir enfin dire « sa » vérité. Mais maintenant que son tour est arrivé et que son procès et celui de ses co-accusés s’est ouvert à Conakry, Moussa Dadis Camara a déclaré ne pas être en capacité de se défendre ni de répondre des faits qui ont endeuillé la Guinée le 28 septembre 2009.

« Je souffre »

Appelé à la barre ce lundi 5 décembre par le juge Ibrahima Sory 2 Tounkara, qui lui demande s’il souhaite faire sa déposition assis ou débout, l’accusé commence par répondre à côté. Il est, insiste-t-il, « un officier de l’état-major de l’armée » et il est fait « pour la guerre et la prison ». Puis, alors que le magistrat insiste, l’ancien chef de la junte guinéenne, au pouvoir entre décembre 2008 et janvier 2010, lance : « Monsieur le président, avec tout le respect que j’ai pour votre auguste tribunal, j’ai déjà informé depuis un très bon moment le directeur de la garde pénitentiaire, le médecin chef de la prison et mes avocats que je souffre. Sauf si vous m’obligez, je ne suis pas au-dessus de la loi. Je m’en remets à votre sagesse. »

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Quand Moussa Dadis Camara sera-t-il prêt à être entendu’? « Je n’aime pas mentir, je ne suis pas Dieu, répond-il. Dès que je vais me rétablir, je serai même plus pressé. » Interrogé par Jeune Afrique, son avocat Jean-Baptiste Jocamey Haba précise que son client souffre de paludisme et « d’une grippe aiguë ». Il suivrait son traitement depuis la Maison centrale de Conakry, où il a été incarcéré le 27 septembre, à la veille de l’ouverture du procès.

« Un repli tactique »

Il ressort aussi de la brève comparution de ce lundi que le tribunal lui a, en fait, déjà accordé un répit de trois semaines. Mais son état de santé, s’il l’a empêché de comparaître, ne l’a pas empêché d’assister à toutes les audiences. Son avocat explique qu’il était important qu’il suive de près les débats afin de mieux préparer sa défense. « Chaque fois qu’il est venu, il est resté dans le box des accusés. Cela n’est pas différent [de ce qui se serait passé] s’il était resté dans sa cellule. On a estimé qu’il pouvait se présenter sans rien faire. Or, à la barre, il est obligé de fournir des efforts. »

C’EST UN ANCIEN CHEF D’ÉTAT ET DE GUERRE, UN STRATÈGE. TROIS SEMAINES DE GRIPPE, SINCÈREMENT, C’EST ASSEZ

Un argumentaire qui ne convainc pas ses co-accusés. Les avocats de Toumba Diakité, l’ancien aide de camp devenu le principal adversaire de l’ancien chef de la junte, évoquent « un repli tactique ». « Dadis a toujours voulu venir donner sa part de vérité. Il a écrit pour être entendu, pour pouvoir rentrer en Guinée et se mettre à la disposition de la justice, il a renoncé au délai de trois mois imparti à tout accusé résidant en dehors du territoire pour être là. [Et maintenant] il est malade », relève Me Jean-Baptiste Jocamey Haba.

« C’est un ancien chef d’État et de guerre, un stratège. Trois semaines de grippe, sincèrement, c’est assez », reprend Paul Yomba Kourouma, un autre des avocats de Toumba Diakité. À l’en croire, après avoir réclamé la tenue du procès, Dadis Camara aurait été surpris par la tournure prise par les événements une fois rentré de son long exil burkinabè. Logé dans un palace à son arrivée à Conakry, il a rapidement été arrêté et incarcéré. Il aurait aussi été désarçonné par les déclarations à charge faites par Toumba à la barre.

À LIREGuinée : Toumba Diakité, le mauvais génie de Moussa Dadis Camara ?

« Le CNRD lui avait étalé le tapis rouge, il croyait qu’il allait continuer de jouir des mêmes privilèges, oubliant que Mamadi Doumbouya avait déclaré aussi que la justice sera la boussole, résume Paul Yomba Kourouma. Il est complètement désemparé, surpris, et sait qu’il est dans les mailles de la justice. Il se rend compte  que ce n’est pas le fameux ‘Dadis-Show’ où il siégeait en juge unique, humiliait les gens et rendait des jugements sur-le-champ. »

Le tribunal a renvoyé l’audience au 12 décembre. Reste à savoir si, d’ici-là, Dadis Camara se sera rétabli.

Les femmes fortes de la Bible  : Ruth, la convertie

Explication 

Pendant l’Avent, La Croix propose de découvrir quatre femmes fortes de l’Ancien Testament. Ruth, la Moabite, a suivi sa belle-mère Noémi et adopté sa croyance. Les femmes fortes de la Bible (2/4).

  • Florence Chatel, 
Les femmes fortes de la Bible  : Ruth, la convertie
 
©Active Museu/MAXPPP - ActiveMuseum_0003005.jpg / Ruth et BoozHuile sur toile1870 - / Frederic Bazille / PeintureActive Museum / Le Pictorium2 people ,Asleep ,Bare foot ,Beard of an old man ,Blanche ,Blanket ,Breaded hair ,Brunette ,Bush ,Dark blue ,Dark sky ,Evening ,Hair tied back ,Hill ,Horizontal ,Landscape ,Long dress ,Long-hair ,Look to the heavens ,Lying down ,Man ,Moon ,Moonlight ,Naked shoulder ,Night ,Pensive ,Pillow ,Rock ,Sleep (to) ,sleeping ,Thought ,Tree ,Uncovered breast ,White beard ,Woman ,Booz ,Ruth ,19th century ,Frederic Bazille ,Painting ,ACTIVE MUSEU/LE PICTORIUM/MAXPPP

Qui est Ruth ?

Ruth, dont le nom signifie « compagne », est une Moabite et une païenne. Elle appartient à un peuple considéré comme un ennemi par Israël. Bien que la Torah interdise d’épouser une Moabite ou une Ammonite, elle est la femme de Mahlone (« maladie »), l’un des deux fils de Noémi (« ma gracieuse ») et d’Élimélek (« mon Dieu est roi »), lesquels se sont expatriés en pays de Moab en raison d’une famine sur leur terre natale, Bethléem en Judée.

Nous ne connaissons pas exactement les conditions de l’existence de Ruth. Le début du livre biblique éponyme place le récit à l’époque des Juges, à une période de famine et de violence « mais, du point de vue historico-critique, il aurait été écrit au moment du retour des exilés de Babylonie conduit par Esdras, en 538 avant notre ère », précise le rabbin Jonas Jacquelin, de l’association Judaïsme en mouvement. Pendant l’exil, « toute une série d’unions avaient pu se former entre des Judéens et des Babyloniennes que cherchait à rejeter Esdras. L’histoire de Ruth montre qu’une femme étrangère peut, par son attitude positive, apporter quelque chose au peuple d’Israël. »

Que raconte son histoire ?

Au début du récit, Élimélek et ses fils meurent. Appauvrie, Noémi décide de retourner à Bethléem (« la maison du pain »), car elle a appris que « le Seigneur (a) visité son peuple et lui (a) donné du pain ». Selon la tradition juive, celle qui désormais se fait appeler « l’amère » rend leur liberté à ses belles-filles, veuves comme elle et sans enfants, afin qu’elles puissent refaire leur vie. Ruth refuse la facilité de retrouver les siens et insiste pour accompagner sa belle-mère : « Où tu iras, j’irai ; où tu t’arrêteras, je m’arrêterai ; ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu » (Rt 1, 16), lui dit-elle. « Ruth, qui est moabite et n’a rien à voir avec la conscience d’un Dieu unique, va non seulement suivre sa belle-mère mais aussi épouser sa terre et sa croyance. C’est l’histoire d’une conversion du cœur », commente Nathalie Nabert, poète et autrice de Femmes dans la Bible (1). Ruth fait le choix du peuple d’Israël plus encore que du Dieu d’Israël. « Elle entre dans une nouvelle collectivité. C’est pourquoi on va la considérer, dans l’histoire, comme l’archétype de la convertie », ajoute le rabbin Jonas Jacquelin. L’histoire de Ruth est ainsi lue à l’occasion de la fête de Shavuot, au cours de laquelle les juifs célèbrent le moment où, au pied du Sinaï, le peuple a reçu le texte de la Torah.

L’histoire ne s’arrête pas là. Revenues en Judée, les deux veuves sans ressources doivent subvenir à leurs besoins. Selon la tradition, les pauvres peuvent glaner dans les champs les épis qui n’ont pas été ramassés par les propriétaires. Un jour, tandis que Ruth part ainsi glaner les orges, la providence la conduit dans le champ de Booz, un riche parent de son beau-père Élimélek. Le nom de Booz signifie « en lui la force ». Il se montre très généreux, invite Ruth à glaner derrière les moissonneurs et à partager l’eau de ses serviteurs. « Booz est bienveillant comme Ruth. Noémi, qui connaît sa belle-fille et voit qu’elle est très belle, va la pousser à aller vers lui une nuit où “il vanne lui-même l’orge sur l’aire”. Elle la vêt de ses beaux atours afin qu’elle séduise Booz endormi », raconte Nathalie Nabert. Selon la loi du lévirat, étendue ici à une plus large parenté qu’aux frères du défunt en raison de la situation, Booz peut en effet épouser Ruth et ainsi assurer une descendance au fils de Noémi.

À la fin de l’histoire, Ruth épouse Booz. Elle enfante un fils qui sera le grand-père de David. Elle qui est d’origine étrangère, une convertie, fait partie des ancêtres du Messie. C’est pourquoi, au début de l’Évangile de Matthieu, elle est l’une des quatre femmes mentionnées dans la généalogie de Jésus qui naîtra à Bethléem.

« Le livre de Ruth est révolutionnaire, car il balaie tous les stéréotypes », s’exclame Élisabeth Parmentier, théologienne protestante, coautrice de Une Bible des femmes (2). « Paradoxalement, l’étrangère est plus croyante que la femme du peuple élu. De même, alors que normalement les femmes ne faisaient pas l’histoire du peuple élu, ici, excepté dans l’épilogue, ce sont elles qui mènent le récit et assurent la continuité du peuple. » Enfin, ce qui semble au premier abord une histoire sentimentale, de loyauté entre deux femmes, se révèle en réalité chargé de portée théologique.

En quoi Ruth est-elle une femme forte ?

La force de Ruth est d’avoir refusé la facilité. Dans une société qui laisse peu de place aux étrangères et aux veuves, contre toute logique, elle choisit de partir vers un pays qu’elle ne connaît pas. « En ce sens, on peut voir un parallèle entre l’histoire de Ruth et celle d’Abraham qui va rompre avec le milieu de sa naissance, aller vers le pays d’Israël, et être à l’origine de toute une lignée », note encore le rabbin Jonas Jacquelin.

La ténacité, l’obstination de Ruth est également sa force. « Elle tient tête à sa belle-mère, elle confesse un Dieu qui n’est pas celui de son peuple. Ruth a sa ligne, en quelque sorte, qu’elle impose à sa belle-mère », souligne Élisabeth Parmentier. Avec Noémi, elle prend leur destin en main. C’est pourquoi « elle obéit à l’ordre sordide de sa belle-mère » de se parer et de se coucher aux pieds de Booz pour le séduire. « Elle veut sauver la situation de sa famille et ce sauvetage va la relier au salut », poursuit la théologienne, qui relève dans le texte de nombreux termes hébreux évoquant le salut, le sauveur et le rachat.

Enfin, Ruth est une femme forte par sa générosité et sa bienveillance, qui l’ont poussée à choisir le parti de Noémi et à se convertir. Les commentaires rabbiniques mettent également en avant cette bonté, « checed – la disponibilité à autrui », qui est la qualité attribuée à Abraham. En posant en quelque sorte un acte de confiance dans la vie, Ruth a retourné la situation et elle est entrée dans l’histoire du Salut.

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Booz endormi », un poème de Victor Hugo

Dernières strophes de ce poème inspiré du Livre de Ruth et extrait de La Légende des siècles.

« Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
Brillait à l’occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. »

Les femmes fortes de la Bible

→ 1/4. Anne, la priante.

(1) Femmes dans la Bible. 30 figures d’humanité, Magnificat, 215 p., 24,90 €.

(2) Labor et fides, 288 p., 19 €.

Mali : Iyad Ag Ghaly, l’homme qui ne meurt jamais

Il a survécu à une décennie de présence militaire française et à plusieurs opérations visant à l’éliminer. Aussi introuvable qu’incontournable, le chef du GSIM, jihadiste le plus recherché du Sahel, continue de se battre contre l’armée malienne et ses supplétifs russes de Wagner.

Par Benjamin Roger
Mis à jour le 1 décembre 2022 à 17:19
 
 
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Iyad Ag Ghaly en 2012, à l’aéroport de Kidal. © AFP PHOTO / ROMARIC OLLO HIEN

 

 

Barkhane a donc été stoppée en Méditerranée. Après tout, rien d’illogique pour une opération dont le nom renvoyait aux dunes de sable soufflées par les vents du Sahara. Ce 9 novembre, c’est à bord du porte-hélicoptères amphibie Dixmude, amarré dans le port de Toulon, qu’Emmanuel Macron a officiellement mis fin à la plus importante opération extérieure française, face à un parterre de hauts gradés de l’armée.

À des milliers de kilomètres de là, caché quelque part dans l’immensité saharienne, Iyad Ag Ghaly a dû esquisser un large sourire sous son épaisse barbe poivre et sel en écoutant son ennemi prononcer l’oraison funèbre de Barkhane. Et pour cause : le chef jihadiste a survécu à près d’une décennie de présence française au Mali, depuis le déclenchement de l’opération Serval, début 2013, jusqu’au départ des derniers soldats français du pays, mi-août. Durant cette période, de nombreuses autres figures du jihad sahélien n’ont pas eu la même chance. Abou Zeïd, Omar Ould Hamaha, Djamel Okacha, Abdelmalek Droukdel, Bah Ag Moussa, Abou Walid Al Sahraoui… Étrangers ou maliens, plusieurs d’entre eux ont été tués par la France.

« Si on le trouve, on le liquide »

Ag Ghaly, lui, est considéré comme le dernier des mohicans. En dix ans, ce Touareg malien de la tribu des Ifoghas est devenu le jihadiste le plus recherché du Sahel. Le patron du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM, en arabe, affilié à Al-Qaïda), dont la tête a été mise à prix 5 millions dollars par les États-Unis, trône depuis longtemps tout en haut de la liste des High Value Targets (HVT) des services de renseignement français. « Si on le trouve, on le liquide », n’hésitait pas à dire, dès 2017, un influent ministre à Paris – un discours qui n’a guère changé depuis.

« Il a échappé à plusieurs opérations visant à le neutraliser ces dernières années, indique une source élyséenne. Il est une de nos cibles prioritaires. Mais, par chance ou par prudence, il a toujours réussi à s’en sortir. » Voilà un moment que l’ancien rebelle touareg radicalisé fait l’objet d’un dispositif spécial côté français, avec des équipes de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la Direction du renseignement militaire (DRM) et du Commandement des opérations spéciales (COS) chargées de sa traque. Le tout avec des moyens importants déployés pour le repérer dans le désert : satellites, drones, petits avions bardés de capteurs audio et vidéo, sans oublier le précieux renseignement humain sur le terrain.

À LIRESahel : sur la piste des jihadistes… comment Barkhane traque Ag Ghaly, Belmokhtar et les autres

Durant les six mois qu’a duré le processus de retrait français du Mali, le chef de la mouvance sahélienne d’Al-Qaïda est resté une cible. Sans succès : les Français sont partis et Iyad Ag Ghaly est toujours là. « C’est évidemment une grande victoire pour lui, concède un diplomate. Il n’a jamais dévié de sa stratégie et a toujours dit qu’il se battait pour faire partir les troupes françaises du Mali. C’est désormais chose faite. » Et peu importe si ce départ est avant tout le résultat des relations devenues exécrables entre Paris et Bamako, l’intéressé se l’attribue volontiers pour accroître son aura et nourrir sa propagande.

« Iyad », comme tous ses compatriotes le surnomment, a beau avoir passé la soixantaine et être usé par sa vie nomade et rugueuse dans une clandestinité permanente, il demeure plus que jamais un acteur incontournable au Mali. Un homme dont tous connaissent le visage à lunettes ceint d’un turban, qui souhaite imposer la charia de Kidal à Bamako en passant par Tombouctou. Depuis la fin de l’opération Serval, l’ancien chef d’Ansar Eddine, qui avait participé à l’impitoyable occupation jihadiste du nord du Mali, ne cesse d’étendre son influence. Il contrôle aujourd’hui la majeure partie du septentrion et a poussé ses katibas dans le Centre, poumon économique et agricole du pays.

Caché dans son fief

« Il a compris qu’imposer la charia brutalement, comme cela avait été fait dans le Nord en 2013, ne marchait pas, explique un observateur à Bamako. Il a adopté une stratégie plus fine, pour mieux se faire accepter par les populations et donc mieux s’implanter. » Une tactique payante qui a permis au groupe de grignoter du terrain et de recruter localement, au fur et à mesure de ses avancées. À tel point que le GSIM déborde désormais largement au-delà des frontières maliennes. Bien établi au Burkina Faso, il constitue une menace de plus en plus sérieuse pour les pays côtiers, au premier rang desquels la riche et stratégique Côte d’Ivoire.

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Le déploiement de ses hommes, Ag Ghaly continue à le superviser depuis son fief, la zone où il se sent en sécurité et qu’il n’a jamais vraiment quittée depuis toutes ces années : le triangle Tinzawaten-Abeïbara-Tessalit. Une zone montagneuse et rocailleuse de plusieurs milliers de kilomètres carrés, qui offre de nombreuses caches où se terrer. Très prudent, il fait attention, comme tous les chefs jihadistes qui se savent traqués jour et nuit, à ne pas commettre le moindre faux pas. Il veille à ne pas rester trop longtemps au même endroit et limite ses communications au strict nécessaire, en évitant évidemment le téléphone – hormis peut-être parfois avec des moyens satellitaires, en changeant de carte sim à chaque appel. Tel Ben Laden, il emploie des messagers en lesquels il a toute confiance. « Le cercle qui l’entoure est de plus en plus restreint. Et ceux qui savent ne parlent jamais », assure une source touarègue située dans la zone de Kidal.

Ces dernières années, ses apparitions sont extrêmement rares. L’une, en forme de doigt d’honneur à la France, avait fait grand bruit fin 2020 : dans une vidéo de propagande, on le voyait participer à un grand méchoui avec certains des 200 jihadistes libérés en échange des otages Soumaïla Cissé et Sophie Pétronin.

Sa résilience et sa longévité hors normes, certains ne se l’expliquent pas, y compris des partenaires sahéliens de la France. « Depuis tout ce temps, les services français auraient pu l’éliminer, mais ils ne l’ont pas fait. Pourquoi ? Ils doivent sûrement avoir leurs raisons… », souffle le chef d’un service de renseignement de la région. « C’est un discours totalement complotiste, s’indigne une source officielle française. Nous n’avons jamais ménagé Ag Ghaly et nous ne le faisons pas davantage aujourd’hui. Notre objectif a toujours été de le neutraliser. »

À écouter les responsables français, si le chef du GSIM s’en sort mieux que les autres, et en particulier que ses camarades algériens qui ont opéré au Mali, c’est d’abord et avant tout parce qu’il dispose d’un sanctuaire dont ces derniers n’ont jamais bénéficié : l’Algérie. « Il continue à circuler tranquillement entre le Mali et l’Algérie, notamment à Tinzaouatene, où est réfugiée une partie de sa famille. Les services algériens ne font rien pour l’en empêcher, alors qu’ils sont parfaitement implantés dans cette zone. La conclusion sur leur rôle est donc relativement simple à tirer… », soupire une source proche de la DGSE. Selon certains, le vieux chef, un temps donné malade en 2020, aurait même reçu des soins côté algérien. Des accusations de complicité qu’Alger a toujours démenties. « Il n’a jamais bénéficié de notre protection », affirme un diplomate algérien qui a longtemps suivi le dossier malien.

« Un vrai capital social »

Combattant d’expérience, qui a livré bataille au Liban, en Libye et au Tchad, ce notable respecté de la tribu des Ifoghas peut aussi compter sur le soutien indéfectible d’une partie de sa communauté. « Dans un tel environnement, on ne peut pas survivre longtemps sans avoir un solide réseau d’alliés, affirme une source militaire. Dans sa zone, personne ne le dénoncera s’il le croise. » De précieux appuis locaux, donc, mais pas uniquement. « Iyad est un vrai stratège, avec un charisme et un sens politique indéniables. Depuis les années 1990, il a tissé un réseau à travers tout le Mali, y compris à Bamako. Beaucoup de gens l’apprécient et le soutiennent parce qu’il les a aidés à un moment où ils en avaient besoin. Il jouit d’un vrai capital social dont il continue à bénéficier aujourd’hui », affirme l’une de ses nombreuses ex-connaissances.

Un temps affaibli par la perte de plusieurs de ses camarades qui étaient, comme lui, de vrais militaires, tels Haroune Ag Saïd, mort en 2014, ou Bah Ag Moussa, tué en 2020, Ag Ghaly a su renouveler sa chaîne de commandement. De nouvelles têtes ont émergé au sein du GSIM. « Ces gens ont acquis une vraie expérience. Ce sont désormais des commandants aguerris au combat, présents au Mali comme dans les pays voisins », souligne une source sécuritaire. Abd al-Rahman Talha al-Libi dans la zone de Tombouctou, Abdallah Ag Albakaye dans celle de Talataye, Jafar Dicko au Burkina Faso, ou encore Rasmane Dramane Sidibé dans le nord de la Côte d’Ivoire… Les exemples ne manquent pas. Sans oublier le principal d’entre eux, considéré comme son fidèle lieutenant : Amadou Koufa, le chef de la puissante katiba Macina. Toujours loyal alors qu’il aurait pu jouer sa propre carte, ce prédicateur peul, qui se bat à ses côtés depuis 2012, lui a permis de prendre pied durablement dans le Centre. « Ils sont liés par leur projet commun et ont besoin l’un de l’autre : Ag Ghaly pour poursuivre le combat dans le Centre et vers le Sud, Koufa pour profiter des moyens d’Al-Qaïda », analyse un bon connaisseur du groupe jihadiste.

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Dans ce GSIM très centralisé, où personne ne prend de décision majeure sans en référer à « l’émir », un autre personnage a pris une place de choix : Sedane Ag Hita. Cet ancien bandit, passé par les rangs de l’armée malienne et impliqué dans le meurtre des journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon, en 2013, est le commandant du groupe dans la zone de Kidal et l’un des hommes les plus proches d’Ag Ghaly. « Quand Iyad était souffrant, tous ceux qui essayaient d’entrer en contact avec lui passaient par Ag Hita, raconte une source bien introduite à Kidal. Il joue aussi le rôle essentiel de messager du chef auprès des autres commandants de zone. »

S’il peut compter sur Ag Hita, le patron est parfois obligé de prendre des risques et de se déplacer lui-même sur le terrain. Pour superviser personnellement des opérations ou gérer des différends entre ses lieutenants. Quand il bouge, il prend évidemment moults précautions. Pas de grand convoi mais un dispositif léger, un pick-up et des équipes d’éclaireurs. Ses mouvements le conduisent parfois à des centaines de kilomètres de sa zone refuge de l’extrême-nord malien. Ainsi, début 2020, il apparaît dans une réunion de chefs d’Al-Qaïda dans le centre du pays, dont des images ont été dévoilées par la DGSE.

Plus récemment, en août, puis en octobre, plusieurs sources affirment qu’il s’est rendu successivement à Talataye et à Ménaka. Ces régions explosives, il s’y serait déplacé pour motiver ses troupes au combat contre ce qui est devenu son principal problème depuis le départ des Français : l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), en guerre ouverte avec le GSIM pour la suprématie de la sphère jihadiste sahélienne. « Il veut rester un chef de guerre respecté. Il n’a pas peur d’aller à l’avant, de s’approcher des zones de combat. Cela lui permet de jouer les porte-étendards du GSIM et lui confère un certain prestige auprès de ses hommes », estime une source militaire.

La menace État islamique

Après avoir ponctuellement collaboré ici et là entre 2018 et 2020, les jihadistes du GSIM et de l’EIGS se livrent dorénavant d’âpres et sanglantes batailles. « Iyad Ag Ghaly a remporté une victoire symbolique avec le départ de la France mais il risque de se la faire voler par l’EIGS, qui cherche à s’imposer dans les zones qu’occupaient les Français », estime Ibrahim Yahaya Ibrahim, analyste Sahel à l’International Crisis Group (ICG). Présent essentiellement dans la zone des trois frontières, alors que le GSIM dispose d’une assise territoriale plus large allant de Kidal à Mopti en passant par le Burkina Faso, l’EIGS, un temps ciblé par la France et le G5 Sahel, a repris du poil de la bête depuis 2021. La filiale sahélienne de l’État islamique, qui détient d’importants moyens, affiche ses ambitions territoriales dans les zones de Ménaka et de Gao, où elle étend chaque mois un peu plus son emprise. En septembre, l’EIGS a ravi la ville de Talataye au GSIM. Une lourde défaite pour Ag Ghaly, qui voit ses ennemis se rapprocher de son bastion historique de Kidal.

 

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Des soldats français patrouillent dans les rues de Gao, le 4 décembre 2021. © Thomas COEX/AFP

 

Face à l’État islamique et à ses méthodes barbares, qui compte dans ses rangs des combattants étrangers, certains prônent l’union sacrée des différents mouvements politico-militaires touaregs. Dans la région de Ménaka, des combattants de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), du Groupe d’autodéfense touareg imghad et alliés (Gatia) ou encore du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) ont ainsi combattu, avec l’aide de membres du GSIM, leurs ennemis communs de l’EIGS. « Malgré leurs rivalités ancestrales et leurs rancœurs tenaces, tous sont persuadés qu’il faut former une coalition de circonstance face à l’État islamique », assure un observateur de ces mouvements. Il n’y a même pas besoin, parfois, de s’allier avec ses rivaux. Bien qu’il ait choisi la voie du jihad, Iyad Ag Ghaly n’a jamais rompu les liens avec certains de ses « frères » ifoghas parmi les groupes signataires de l’accord de paix d’Alger, en particulier au sein du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA). « Ils sont issus des mêmes familles. Ils n’ont aucun intérêt à se faire la guerre et se serrent les coudes quand il le faut », poursuit notre source.

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Aucune clémence, en revanche, pour la junte d’Assimi Goïta. Depuis qu’ils ont pris le pouvoir, en août 2020, les colonels montrent les muscles et affichent leur envie de liquider les jihadistes du GSIM, lesquels répliquent en attaquant quasi quotidiennement les Forces armées maliennes (Fama). Les tentatives de dialogue avec Ag Ghaly, initiées sous le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, ont été enterrées. « Il y a toujours une demande populaire de dialogue national inclusif, mais les militaires, eux, ne le souhaitent pas. Il leur serait en effet difficile de dire à leurs hommes de se battre contre des gens avec lesquels ils négocient en coulisses », estime un médiateur. Et même si des prémices de dialogue étaient relancées, difficile de voir quelle en serait l’issue tant chaque partie campe sur des positions maximalistes.

Un nouvel ennemi : Wagner

Le recours aux mercenaires de Wagner par Bamako, depuis fin 2021, n’a évidemment pas arrangé les choses. Les 1 200 hommes environ de la société militaire privée russe déployés dans le Centre et certaines localités du Nord ont été clairement identifiés par le GSIM comme des ennemis, des infidèles qu’il faut renvoyer chez eux tels les Français. Au début de l’année, Ag Ghaly et ses lieutenants ont vu d’un très mauvais œil le déploiement sur le terrain de ces envahisseurs à la réputation sulfureuse. Ils les craignaient, redoutant notamment leurs méthodes radicales, leur armement et leurs hélicoptères d’attaque. « Puis ils ont commencé à les combattre et ils ont vite constaté que les hommes de Wagner n’étaient pas si redoutables qu’ils le pensaient après leur avoir infligé leurs premières pertes », indique une source militaire. Selon nos informations, depuis leur arrivée au Mali, au moins une vingtaine de mercenaires ont été tués et une centaine d’autres blessés dans des affrontements avec les jihadistes du GSIM.

Engagé contre l’EIGS, l’armée malienne et Wagner, Iyad Ag Ghaly n’en a pas pour autant fini avec les Français. Malgré le départ de leurs soldats du Mali, ceux-ci gardent un œil attentif sur lui. Depuis avril 2021, son groupe détient Olivier Dubois, journaliste – qui travaillait notamment pour Jeune Afrique – et dernier otage français dans le monde. Quant aux services de renseignement français, ils n’ont pas arrêté de « travailler » sur le chef du GSIM parce que Barkhane a remballé ses paquetages. Que se passerait-il s’ils le localisaient avec certitude au Mali ? Une opération spéciale y serait-elle possible depuis le Burkina Faso ou le Niger voisins, où des troupes françaises sont positionnées, alors que les relations sont déjà très tendues avec Bamako ? « Il s’agirait d’une importante décision politique mais rien n’est à exclure », répond un haut responsable à Paris. En attendant, Iyad Ag Ghaly, en bon renard du désert, continue à rouler ses différents adversaires.

Sahara occidental : « De Dakhla à Tindouf, comment je suis devenu séparatiste »

Ancien haut responsable du Polisario, Hadj Ahmed Barikallah a rompu avec le front séparatiste et fondé le Mouvement sahraoui pour la paix. Il a raconté à JA son parcours et les dessous de l’organisation. Dans cette première partie, il évoque ses années de jeunesse.

 
Mis à jour le 28 novembre 2022 à 16:12
 
Sahara

 

 

Des enfants sahraouis brandissent des drapeaux du Polisario, dans un camp de réfugiés près de la frontière algérienne. Photo d’archive datant de 1977. © Photo by AFP

 

LA FACE CACHÉE DU POLISARIO (1/3) – L’homme que nous recevons au siège de Jeune Afrique, à Paris, en ce matin d’automne, est un opposant pas comme les autres : à la différence des nombreux autres Sahraouis qui ont quitté les camps de Tindouf, base arrière de la République arabe sahraouie démocratique autoproclamée (RASD), Hadj Ahmed Barikallah ne s’est pas installé au Maroc, mais en Espagne, dans les Asturies. Un choix qui reflète sa volonté de se positionner comme une alternative politique crédible au Front Polisario, que cet ancien ministre de la RASD estime « gangrené par la corruption et voué à disparaître, au même titre que l’IRA en Irlande ». Ce qui l’a poussé à fonder, en avril 2020, le Mouvement sahraoui pour la paix (MSP).

À LIRE[Série] Sahara occidental : la face cachée du Polisario

Face à « la stagnation persistante », au « manque de perspectives » et au « bellicisme » des dirigeants du Polisario, le mouvement de Hadj Ahmed propose une « voie de sortie pacifiste ». Ses adhérents, issus de la diaspora sahraouie ou anciens membres du Front ayant quitté l’organisation en raison de conflits internes, œuvrent à une « solution de compromis viable et durable au problème du Sahara occidental ». Contrairement au Polisario, le MSP soutient ouvertement le plan d’autonomie marocain, dont il voudrait « négocier les termes », sans pour autant rallier le royaume comme d’autres ont pu le faire. Une nouvelle ligne politique soutenue par des personnalités politiques de haut rang, comme l’ex-chef du gouvernement espagnol Jose Luis Zapatero, et visant à trouver une solution de compromis à un conflit qui dure depuis plus de quarante ans.

Cette démarche, à l’opposé de ce que prônent les dirigeants du Polisario, est évidemment perçue comme un acte de haute trahison. Ce qui a fait passer Hadj Ahmed Barikallah du statut de haut cadre de la RASD à celui de persona non grata et de félon. De Villa Cisneros à Madrid, en passant par Tindouf, Caracas, Alger et quelques autres lieux, portrait-itinéraire d’un nationaliste sahraoui devenu opposant.

À LIRESahara : entre le Maroc et l’Algérie, avec qui Brahim Ghali mène-t-il la diplomatie du Polisario ?

Hadj Ahmed Barikallah est né en 1957 à Villa Cisneros (aujourd’hui Dakhla), bourgade de la côte atlantique de quelques milliers d’habitants – alors siège du gouvernement de la province sahraouie espagnole du Rio de Oro. Son père, membre de la tribu des Ouled Garaa, est officier dans l’armée espagnole. Sa mère, fille de notable, est issue de la tribu guerrière des Ouled Delim – considérée à l’époque comme alliée de l’occupant espagnol. Elle est la cousine d’Ahmedou Ould Souilem (ancien haut responsable du Polisario devenu ambassadeur du Maroc en Espagne en 2010 après avoir quitté les rangs de la RASD).

Arrivée à Tindouf

Après une jeunesse sans histoire, passée à l’ombre de son grand frère et mentor, futur représentant de la RASD auprès de l’ONU, Ahmed Boukhari, il déménage au début de l’année 1975 avec sa famille en Mauritanie, puis aux îles Canaries. « Nous sommes partis de Dakhla car il régnait alors un climat d’instabilité et de peur. Mon frère, qui était étudiant en droit à Madrid, s’était vu retirer sa bourse car il se réunissait avec d’autres étudiants pour parler de tout cela. Et toutes sortes de rumeurs circulaient sur notre devenir si la région passait sous drapeau marocain », se souvient celui qui était alors lycéen.

À LIRESahara : le Polisario déstabilisé par les conflits tribaux ?

Quelques mois après les accords tripartites de Madrid, le 14 novembre 1975, signés entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie sous la pression directe de la Marche verte, la famille embarque en 1977 à bord d’un vol pour Madrid, puis Alger et enfin Tindouf, sur proposition du fils aîné, désormais en contact avec les Sahraouis originaires de Nouakchott et de Tan-Tan, pères fondateurs du Polisario. Destination les camps, dans l’Ouest algérien, où la République sahraouie autoproclamée a pris ses quartiers.

S’ensuivent alors pour Hadj Ahmed Barikallah, comme pour tous les jeunes Sahraouis arrivés dans les camps nichés dans le désert algérien, six mois d’entraînement militaire. Des oripeaux révolutionnaires qui en ont séduit beaucoup, portés et financés par un Mouammar Kadhafi anti-Hassan II et une Algérie en quête de leadership régional.

Choc thermique et environnemental

Mais Hadj Ahmed déchante rapidement : « Passé l’engouement romantique des premières semaines, je retiens de cette période avant tout un choc, à la fois thermique et environnemental. Après le confort et la qualité de vie que nous avions à Dakhla et plus tard à Las Palmas, nous devions faire face, dans les camps, à des conditions de vie très dures : le climat est très aride avec des températures extrêmes qui dépassent souvent les 50°C à l’ombre le jour et qui peuvent descendre en dessous de zéro la nuit, des tempêtes de sable, des habitations très sommaires – tentes ou constructions en terre d’adobe avec des toits le plus souvent en tôle – pas d’eau courante, de l’électricité par intermittence, et encore moins de distractions… Le tout dans une ambiance de guerre où régulièrement des amis trouvaient la mort sur le champ de bataille. »

À LIRESahara : l’émissaire de l’ONU rencontre le Polisario à Tindouf

Le jeune homme, qui avait dû abandonner ses projets d’études, est affecté en 1978 au « pôle médias » du Polisario, désireux de s’adjoindre des supports pour diffuser ses informations et ses idées. Après un stage de formation d’un an au Département d’orientation révolutionnaire (DOR) du Cuba de Fidel Castro, un des grands soutiens du front séparatiste, il devient journaliste, puis responsable des programmes en espagnol à Radio Sahara, diffusée dans la région des camps, ainsi qu’en Algérie et en Espagne, et travaille au journal Sahara libre. Le système médiatique du Polisario, Hadj Ahmed le connaît bien, il en est même une des principales chevilles ouvrières. Une fonction qui lui a permis de tisser un large réseau au Maghreb, mais aussi en Europe, en Espagne tout particulièrement, et dans plusieurs pays d’Amérique latine.

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Les informations sur nos maisons de formation datent de quelques années, et nous avons demandé aux responsables de ces maisons de nous donner des nouvelles plus récentes.
La première réponse reçue vient de Samagan, le noviciat près de Bobo-Dioulasso (lire la suite)

 

La deuxième réponse nous a été donnée par la "Maison Lavigerie", notre maison de formation à la périphérie de Ouagadougou, où les candidats ont leurs trois premières années de formation (lire la suite)