Témoignages

 

François Cassingena-Trévedy, moine poète : « En l’homme, on apprend Dieu »

Entretien :

Moine et écrivain, François Cassingena-Trévedy vit depuis peu en solitaire dans le Cantal. Un quotidien qu’il partage, avec profondeur et force poétique, dans le nouveau tome de son journal, Propos d’altitude. Pour L’Hebdo, il revient sur l’importance de la frugalité, le sens profond de Noël et les ressources offertes par la tradition chrétienne et sa liturgie au moment où un froid glacial saisit l’Église.

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  • Recueilli par Stéphane Bataillon et Christophe Henning, 

 

 

François Cassingena-Trévedy, moine poète : « En l’homme, on apprend Dieu »
 
 François Cassingena-Trévedy.GUILLAUME POLI POUR LA CROIX L'HEBDO

La Croix L’Hebdo : Normalien, moine désormais solitaire, vous êtes aussi écrivain. Votre journal, baptisé Étincelles, séduit un public de plus en plus vaste. Quelle est l’importance de l’écriture dans votre vie ?

François Cassingena-Trévedy : J’écris depuis que j’ai 10 ans. Mais j’ai commencé ce travail dans les années 1990. L’écriture est pour moi un artisanat. C’est un exercice spirituel, une nécessité intérieure. À côté d’articles d’études spécialisés, de traductions, ces petits textes viennent au jour le jour, dans une liberté totale de rythme, d’aspiration, inspirés par la fréquentation des textes bibliques, par les temps liturgiques et les saisons. Avec l’attention portée aux paysages, aux arbres, à de petits riens.

C’est à la fois poétique et théologique. Ce n’est pas un journal au sens autobiographique. Je ne me raconte pas. Je me place dans une tradition d’écriture du XVIIᵉ siècle où « le moi est haïssable ». Cela permet aussi à n’importe qui de rentrer dans cet itinéraire de pensée. C’est une écriture que j’essaie de rendre habitable.

Votre propre lieu d’habitation a changé : depuis deux ans, vous vivez en ermite dans le Cantal. Pourquoi ce choix ?

F. C.-T. : J’ai quarante ans de vie monastique et communautaire derrière moi. Quinze ans à l’abbaye Notre-Dame de Randol, près de Clermont-Ferrand, et vingt-cinq ans à l’abbaye Saint-Martin-de-Ligugé (Vienne), deux monastères de la congrégation de Solesmes. J’ai vécu, dans l’intime, ce que traverse l’Église. Cet effondrement de tout un paysage, cette dévastation à la fois intérieure et extérieure. Un effacement d’un certain Dieu, de tout un discours officiel aussi. Cette crise a rencontré un appel intérieur que je ressentais de plus en plus fortement. Il y avait le désir de rassembler le paquetage essentiel de la vie. Tout en demeurant canoniquement moine de Ligugé, et en pleine communion avec ma communauté, je vis détaché dans un avant-poste.

Pourquoi avoir choisi de se poser dans le Cantal, en Auvergne ?

F. C.-T. : J’ai un attrait très fort, mystique, à cette région. Je suis né à Rome, d’un père italien et d’une mère bretonne. Enfant, mes vacances se partageaient entre la Bretagne et, à partir de 1969, le Mont-Dore en Auvergne. Installés dans le buron (cabane de berger en Auvergne, NDLR) que nous louions avec mes parents, nous nous précipitions dans la forêt pour aller chercher des genêts, des genévriers, des branches, pour allumer le feu dans la grande cheminée et rester là durant les vacances de Noël ou de Pâques.

Le soir, nous lisions des contes d’Auvergne ou L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel. En 2013, je suis retourné au Mont-Dore et l’attrait est revenu. En 2015, j’ai demandé au père abbé (supérieur, NDLR) de mon abbaye la permission de partir pour quinze jours de marche et j’ai traversé tout le plateau du Cézallier, un désert à 1 500 mètres d’altitude, la Mongolie française. J’ai eu l’impression de trouver ma Terre promise. J’avais besoin de cette terre, de neige, d’obscurité.

Vous aviez déjà ce projet d’installation ?

F. C.-T. : Ce n’était pas l’objectif immédiat. Mais jusqu’en 2020, j’y suis retourné épisodiquement, jusqu’à prolonger l’expérience et faire définitivement le pas. On dira que c’est une fuite. Peut-être. Mais la fuite du monde est aussi dans la tradition spirituelle. Je me dis parfois que ma vie monastique, en réalité, vient de commencer. Je reste bel et bien moine. Je n’ai jamais autant eu le sentiment d’avoir quitté le monde. Je suis un naufragé sur les hauteurs du Cantal. Naufragé volontaire.

Quel est ce monde que vous avez quitté ?

F. C.-T. : Un monde qui aurait pu être souriant. J’aurais pu faire une belle carrière universitaire. Des responsabilités ecclésiales, peut-être, qui sait. Mais tout cela est enseveli. « Je n’ai soif que d’un immense retirement », dit le Maître de Santiago, de Montherlant. Dans la marée de l’existence, il y a un flux et un reflux. Il y a un âge du flux, et puis un âge du retirement. Comme la mer que j’aime aussi, je suis dans cet âge-là.

Concrètement, expliquez-nous comment se passe votre érémitisme.

F. C.-T. : Érémitisme est un mot ambitieux. Je suis un ermite social. Je vis dans un petit village qui s’appelle Sainte-Anastasie. Et Anastasie, c’est la résurrection ! Je me vois comme enfoui dans cette vallée. Mais un enfouissement pour qu’il y ait de la vie qui jaillisse. Tout le monde a su tout de suite que j’étais prêtre, que je pouvais dire la messe. Dans un milieu rural, traditionnel, vieillissant, cela compte. Il y a une attente, même si l’assemblée est seulement composée de dix ou vingt personnes. Pour moi, c’est une merveille.

Vous vous considérez comme privilégié ?

F. C.-T. : Privilégié, oui, parce que je reçois immensément de la nature austère qui m’entoure et du monde paysan auquel j’appartiens. Mais cela avait un prix. Le chemin que j’ai pris pouvait susciter l’étonnement et l’incompréhension. Mais il y a une fidélité fondamentale qui demeure. Fidélité à la liturgie, à la lecture de la Parole de Dieu, à la célébration quotidienne. À 63 ans, faire ce pas, matériellement, cela n’a rien d’évident. En communauté, on est moins en ligne de front. Mais quand on doit s’occuper seul du chauffage, de la nourriture, faire un budget chaque mois, je crois qu’il y a un peu de pauvreté réelle dans tout cela.

Quelle est la place de la solitude dans cette vie ?

F. C.-T. : Naturellement, l’exigence de solitude est là. Mais la solitude est ouverte, elle est accueillante. Il n’y a aucune propagande, aucun prosélytisme. J’aime passionnément cet ensevelissement. Le royaume est au milieu de nous. Les habitants me voient travailler vêtu comme eux, avec des bottes et une combinaison. Et puis après, je célèbre la messe. Mon intuition profonde est celle de l’élémentaire. C’est-à-dire partager des métiers fondamentaux et toute l’amitié qui va avec. C’est ce « toucher terre », un toucher du réel que je recherche.

Ce désir de simplicité est à la mode…

F. C.-T. : Oui, mais après, il faut la vivre ! Trois semaines, ça va, mais la vivre à longueur d’année est autre chose. Dans le Cantal, l’hiver, ce n’est pas rien : la solitude, le froid. Juste se tenir là, sans distraction. Aujourd’hui, j’apprécie le luxe de ne pas avoir de voiture, de télé. Mais beaucoup de gens semblent finalement avoir très peur de cette précarité, de ce manque, alors que c’est le bonheur.

Pourquoi ?

F. C.-T. : Parce qu’il faut très peu de choses pour être heureux. Le travail des mains et l’amitié, voilà tout ce qui est nécessaire. Et Dieu n’est accessible, n’est concevable que là. C’est déjà ce que dit l’Ecclésiaste : le bonheur de l’homme est dans le boire et manger et dans le travail.

Mais si cette frugalité est subie ? Quand elle touche des personnes qui sont dans les difficultés, qui se retrouvent seules à Noël ?

F. C.-T. : Là, ce n’est plus la frugalité, mais de la détresse, de l’injustice. Nous sommes dans un monde terriblement injuste, et nous sommes tous coupables, tous. Personne n’a droit à l’abondance sans limites. Il faut que tout homme ait accès à cet élémentaire qui nous est bon pour vivre et dans lequel la relation humaine est si importante.

Parlez-nous de votre livre : comment naissent vos étincelles ?

F. C.-T. : J’écris presque quotidiennement, la nuit, à la chandelle, sur des cahiers manuscrits, puis je les retranscris sur ordinateur. Et je fais un tri. Un travail de décantation. La presque totalité de mon écriture est nocturne, dans tous les sens du terme, matériel mais aussi spirituel. Je suis un homme du clair-obscur, de l’obscurité.

Pourquoi avoir choisi cette écriture courte, sous forme de fragments ?

F. C.-T. : J’ai toujours été extrêmement frappé par Les Pensées de Pascal, une des œuvres qui m’a le plus tôt fasciné avec Les Confessions de saint Augustin. Spontanément, j’ai éprouvé chaque jour le besoin de noter quelque chose, comme un petit caillou qui reste et que l’on peut partager.

Cette forme de fragments me convient, ils sont un peu comme les étoiles dans le ciel. Il y a des espaces intersidéraux entre les étoiles, et là, il y a tout l’espace qu’on veut de sous-entendus. Le sous-entendu est aussi important que ce que nous entendons. Je pense que Dieu, s’il est, et quel qu’il soit, est le grand sous-entendu. Et que parfois même le mot « Dieu » empêche de l’entendre. Quand on le nomme trop, quand on le définit trop, on s’en fait le propriétaire et il devient une idole.

Qui est Dieu pour vous, à ce stade de votre vie ?

F. C.-T. : Je ne sais pas. Il y a tant de manières de dire Dieu. Pour moi, c’est l’affaire principale aujourd’hui. Que croyons-nous et que donnons-nous à croire ? Que voulons-nous dire quand nous disons « Il s’est fait homme » ? « Il est Dieu né de Dieu »« consubstantiel »« le Père tout-puissant », qu’est-ce que c’est ? Tout cela demande à être retraduit, repensé par honnêteté. J’essaie pour ma part de le nommer tel quel, le moins possible.

L’écriture vous aide-t-elle lors des périodes de doute ?

F. C.-T. : Elle fixe les choses. Elle aide à faire ce travail, trouver des mots pour tâcher de dire. Les mots sont à la fois en deçà et au-delà. C’est toujours moins bien que ce que l’on voudrait dire, mais les mots nous tirent aussi. Il y a quelque chose de prophétique dans tout acte de langage. Il ne faut écrire que lorsqu’il y a une urgence vraie. Comme la source, on ne peut pas la forcer à jaillir. Et cela n’empêche pas les nuits de la foi qui laissent désemparé.

Vous invitez très régulièrement le latin dans vos textes : pourquoi ce choix étonnant ?

F. C.-T. : Le latin fait partie de mon identité profonde. Ce n’est pas du tout de l’élitisme, mais une manière de célébrer la majesté du texte, de même qu’avec le chant grégorien. Beaucoup de mes textes sont liés à une mélodie ou à tel ou tel moment de l’année liturgique.

Qu’est-ce qui vous attire dans cette liturgie à laquelle vous avez consacré plusieurs livres ?

F. C.-T. : La liturgie est l’un des fondamentaux qui tiennent ma vie. J’ai été maître de chœur pendant douze ans et je connais très bien le répertoire grégorien. J’ai un rapport profondément affectueux au répertoire dont je chante tout seul les pièces dans mon oratoire. Nous avons besoin de trois choses : de grands textes, de rites et de rythme. De grands textes sur lesquels nous appuyer, vivre à leur ombre : l’Écriture, mais aussi Homère, Virgile.

Chacun de nous crée aussi du rite dans sa manière de vivre. Et puis, nous avons besoin de rythme, le matin, le soir. C’est cela, la liturgie. Aujourd’hui, on ne se contient plus : le moi, les choses débordent. La liturgie contient le réel. Et à l’intérieur de ce cadre, de ces pilotis, quelque chose va pouvoir se construire.

Comment vivre ces rythmes de l’année liturgique ?

F. C.-T. : C’est difficile dans un monde qui est aussi déconnecté des rythmes naturels. C’était plus évident lorsque nous vivions vraiment un hiver, un printemps, avec tout le travail qui allait avec ce rythme liturgique. Mais vivre dans les villes, avec de grandes lumières la nuit, dans un paysage complètement minéral où l’on peut tout faire à n’importe quelle heure, on est complètement déphasés et on se détruit. Le soir à la maison, chez moi, je n’entends plus rien. Il n’y a plus rien qui passe. La liturgie, beaucoup plus que des garde-fous, est une célébration.

Comme Noël ?

F. C.-T. : Oui. On a besoin de célébrer Noël. Mais comment célèbre-t-on ? C’est la question. Autrefois, il y avait les trois messes, qui sont des merveilles quand on les étudie de près, avec leurs chants d’entrée : « Le Seigneur dit à mon Seigneur : Aujourd’hui, tu es mon fils. » Nous sommes pleinement dans le mystère de la génération divine. Mais tout cela, hélas, périclite.

Mais pourquoi l’attrait de Noël ne périclite pas, y compris chez les laïcs ?

F. C.-T. : Parce que l’homme a besoin de lumière. L’homme a besoin de fêtes. Les fêtes peuvent s’égarer. Mais l’instinct de la fête est juste. Parce que nous sommes faits pour une fête. Il faut dire aussi que la vie est bonne. Quand on a fait la traite des vaches et qu’on va casser la croûte et boire un coup de vin, c’est eucharistique, c’est la fête ! La joie, je l’expérimente. Peut-être que le monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui ne nous prépare pas très bien à avoir cette dialectique entre frugalité et abondance, travail et fête.

Sur votre livre, un grand bandeau rouge annonce « La sagesse d’un ermite ». C’est un livre pour vivre mieux ?

F. C.-T. : Ah non ! Je ne suis pas du tout comme un de ces marchands de bonheur. Personne n’a le droit de nous anesthésier au tragique de l’existence qui est une expérience intrinsèquement difficile et douloureuse. Tout est fragile. Je sais que je vais mourir, personne ne pourra me le cacher. Je vais mourir, pourrir, aller dans le feu. Personne ne fait l’économie du deuil, de la séparation, de l’épreuve. Là est le tragique inéluctable de notre existence. Mais c’est au cœur de cet événement que la joie, au sens de Bernanos, peut jaillir.

Dans vos textes, vous brocardez une image un peu creuse, naïve, de ce Jésus que l’on présente à Noël. Pourquoi ?

F. C.-T. : Je pense qu’on ne mesurera jamais assez l’humanité de Jésus. On peut lire beaucoup de livres de théologie, mais Dieu ne s’apprend pas. Il vaut mieux lire de la bonne littérature que la mauvaise théologie. En l’homme, on apprend Dieu. Et c’est bien le mystère de Noël. Il s’est fait homme et chair.

Quel est le visage de Jésus qui vous semble le plus juste ?

F. C.-T. : Celui de l’homme. L’homme qui naît, qui souffre et meurt comme on chantait jadis dans le Minuit, chrétiens. Ça avait plus de gueule que beaucoup de nos chansonnettes ! Toutes les forces de doutes, de diminution, de mort, d’échec ne sont qu’un matériau que nous pouvons renverser, comme le disait Teilhard de Chardin. Le poids perdu de la souffrance peut être transformé. Par nous, mais avec et aidés par d’autres. Et c’est là que l’Église, au sens étymologique du terme, est agissante.

Vous parlez aussi de ce blanc dans l’enfance de Jésus dont on ne sait pas grand-chose. Comment répondre à cette intrigue ?

F. C.-T. : On le comble, on fait des apocryphes, il y en a des bons, des beaux, et puis des mauvais. On peut faire du Da Vinci Code… Nous avons horreur du vide, y compris dans le domaine spirituel. Alors, on a imaginé. On a besoin d’images, de mythologie. Mais il ne faut pas confondre les images, qui nous consolent, avec la réalité qui est nue. Dans le christianisme, il y a tout un cheminement entre le trop d’images et la nudité. Nous avons besoin de mots pour communiquer entre nous. Dans la Genèse, Adam nomme les choses, c’est l’acte créateur. Les noms sont tellement beaux. La beauté des noms, c’est la poésie et la magie !

Que peut apporter la tradition chrétienne malgré la crise profonde de l’Église ?

F. C.-T. : Ce n’est pas la première fois que l’Église traverse des crises, mais je pense que nous sommes à un point de non-retour. Ce sont presque seize siècles qui sont en question, avec des compromissions, des prétentions à posséder, à conquérir. Vous savez, à plus de 60 ans, quand on est né avec le Concile que l’on a accompagné avec enthousiasme, avec l’amour de la liturgie, c’est difficile. Nous ne pouvons pas vivre sans institution, mais elle n’épuise pas tout et ne possède pas tout. Elle n’est qu’un instrument. Benoît de Nursie, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, dans le sérieux de leur expérience, nous montrent un chemin toujours valable, celui de tâcher de vivre l’Évangile.

Comment allez-vous fêter Noël ?

F. C.-T. : Je sais que j’irai déjeuner avec des paysans, mais ça ne me coûterait pas du tout d’être entièrement seul. Ce jour-là, s’il y a de la neige qui tombe, et s’il y a le feu, ce sera un Noël royal. Sans rien, mais à l’intérieur de ce rien. À condition que cette solitude, bien sûr, soit étoilée d’amitié.

Comment mieux célébrer cette fête ?

F. C.-T. : Trouver l’occasion de s’arrêter, s’interrompre. Beaucoup de frugalité et beaucoup de silence. Faites un feu, c’est tout. Et regardez-le. Nous avons besoin d’une vie qui ne soit pas un vide, mais une capacité d’accueil.

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En aparté

♦ Ses dates

1959 Naissance à Rome.

1978 Entrée à l’École normale supérieure.

1980 Entre dans la vie monastique.

1988 Ordonné prêtre.

2004 Premier tome d’Étincelles (Ad Solem, 152 p., 16 €).

2009 Publication de sa thèse intitulée L’expérience et l’esprit de la liturgie (IVe-VIe siècles)
chez Desclée de Brouwer, enseignant à l’Institut supérieur de liturgie (Institut catholique de Paris).

2016 Cantique de l’infinistère. À travers l’Auvergne (DDB, 180 p., 16,90 €).

2021 Chroniques du temps de peste (Tallandier 175 p., 18 €).

2022Propos d’altitude (lire p. 15).

♦ Ses lectures

L’Antiquité et les grandes tragédies

« Je vis plus que je ne lis désormais. Mais j’aime beaucoup François Cheng et Marcel Légaut. Je suis surtout un homme de l’Antiquité, je relis du Sénèque, Virgile, Platon, Eschyle, Sophocle. Nos grandes tragédies (Racine) et La Bruyère, Pascal. Ça rend modeste. Mais je ne peux pas faire autrement qu’écrire, c’est dans mes gènes. »

♦ Un paysage

Le plateau du Cézallier

« Un plateau volcanique. Je ne suis pas loin de Saint-Flour, le siège épiscopal, et d’Allanche, petite ville remarquable pour ses foires à bestiaux. Je collectionne des cailloux, je lis des revues sur la géologie. Un peu comme Teilhard de Chardin que j’aime beaucoup, malgré cette mystique du progrès qui a du plomb dans l’aile aujourd’hui. »

♦ Ses musiques

Fauré, Bach, Haendel…

« Le dernier morceau du Requiem de Gabriel Fauré, In Paradisum. Que l’homme ait pu concevoir de telles merveilles m’éblouit. On s’approche là de l’Église de la beauté. Il y a aussi le Gloria de la Messe en si de Bach, cette espèce de tornade extraordinaire. Enfin le Psaume 110 Dixit Dominus de Haendel, et la plage En chemin il boira au torrent. Cette musique, contemporaine de ma traversée du Cézallier, m’émeut profondément. »

♦ Un élément

Le feu

« Parce que, comme le dit François d’Assise dans le Cantique des créatures, il est joyeux, robuste et fort. Il éclaire la nuit, il nous illumine. C’est le “Je suis venu jeter un feu sur la terre” prononcé par Jésus. Et puis c’est le foyer, le volcan, c’est la pipe que je fume… et ça fait des étincelles ! »

♦ Une citation

« Un rien imperceptible, et tout est déplacé. »

Henry de Montherlant dans Le Maître de Santiago

Togo : « Le Coup de grâce », un film inspiré de la vie politique africaine

Le Togolais Steven AF livre un drame politico-familial sur la course aveugle pour le pouvoir. Où toute ressemblance avec des situations ou personnages réels n’est pas totalement fortuite…

Par  - à Lomé
Mis à jour le 18 décembre 2022 à 12:31
 
 
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Le cinéaste togolais Steven AF. © DR.

 

À 42 ans, le cinéaste togolais Steven AF – de son vrai nom Amouzou Folligan Ayélété – a sorti son nouveau film au mois de juillet, après deux ans de tournage. Drame politico-familial orchestré dans un État fictif (le Zogbeland), Le Coup de grâce met en scène une première dame (interprétée par la comédienne togolaise Marie Dogbé) qui convoite le fauteuil présidentiel, à tel point qu’elle en vient à fomenter l’assassinat de son époux (incarné par l’acteur burkinabè Serge Henri). Déjà projeté à Lomé et à Kara, le long métrage devrait bientôt passer dans les universités togolaises. Rencontre avec le réalisateur, producteur – et businessman – Steven AF, autodidacte passionné. 

Jeune Afrique : Quand avez-vous commencé à faire du cinéma ? 

Steven AF : J’ai commencé à y travailler en 2001 et mon premier tournage remonte très exactement au 13 septembre 2002. Il y a donc tout juste vingt ans. Depuis, j’ai réalisé une série télé de neuf épisodes, Le Fruit de la passion, la série humoristique Ton pied mon pied, puis des long-métrages : Point de suture [2008], Shérifa [2013] et Solim [2016].  

Aujourd’hui, je suis scénariste, réalisateur et producteur [il a fondé et dirige la maison de production Sunlight Group], le cinéma est mon métier et je l’exerce avec beaucoup de plaisir. Mais c’est avant tout une passion, depuis mon plus jeune âge. J’aimais fréquenter les salles de cinéma et regarder des films me passionne toujours autant. J’ai aussi compris que c’était ma destinée, parce que je me suis retrouvé à en faire ma vie sans y avoir été formé… Je suis donc né pour faire du cinéma.  

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Quelles sont vos sources d’inspiration ? 

Comme la plupart des scénaristes et auteurs, je m’inspire de ce qui est autour de moi, donc de l’environnement socioculturel et économique togolais, panafricain et international. La vie des gens, leurs histoires, mais aussi les informations transmises par les médias sont autant d’idées.  

J’ai fait des films qui parlent de l’amour, du quotidien, et mon dernier, Le Coup de grâce, m’a été inspiré par la vie politique en Afrique : les questions de la succession au pouvoir, les jeux politiciens, les coups d’État…

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 Et comment choisissez-vous les acteurs ? 

On dit souvent que réaliser un bon film requiert un très bon scénario. Mais le vendre nécessite de très bons acteurs, surtout pour un film africain. Quand je démarre un projet, je commence par identifier des acteurs professionnels pour passer des auditions. Ensuite, j’organise des séances de casting afin de recruter de nouvelles actrices et de nouveaux acteurs, des gens intéressés par ce métier. Et ceux qui n’ont pas d’expérience sont encadrés. 

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Justement, Le Coup de grâce rassemble des acteurs aux profils très divers, dont quelques célébrités… 

Comme je le disais, pour vendre un film, il faut un bon casting, mais aussi des personnalités qui peuvent lui amener de l’audience. C’est le cas de King Mensah [il incarne le commissaire Mensah], qui est un grand comédien togolais. J’ai aussi choisi des acteurs comme les Ivoiriens Nastou Traoré et Michel Bohiri, ou le Burkinabè Serge Henri, qui permettent au film d’avoir une plus grande visibilité panafricaine. Tous sont des professionnels qui savent jouer, ont un potentiel artistique fou et apportent de l’audience. 

Les 30 qui font l’Afrique de demain, par Marwane Ben Yahmed

Ils se battent pour l’État de droit, la préservation de l’environnement, l’innovation et la recherche, une finance plus solidaire, l’émergence d’industries culturelles et créatives… Portrait de trente personnalités qui incarnent l’avenir du continent.

Mis à jour le 20 décembre 2022 à 10:07
 
 
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Par Marwane Ben Yahmed

Directeur de publication de Jeune Afrique.

 

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© MONTAGE JA

 

LES 30 QUI FONT L’AFRIQUE DE DEMAIN – Que retenir de cette année qui s’achève ? Dans la continuité de 2020 et de 2021, le sentiment le plus perceptible est l’inquiétude ; le constat le plus objectif, la régression. Coups d’État militaires et transitions tronquées au Mali, en Guinée, au Tchad, au Soudan et au Burkina. Propagation du jihadisme au Sahel. Guerre civile tragique en Éthiopie. Résurgence du conflit qui mine l’est de la RD Congo et menace d’embraser la région des Grands Lacs. Croissance en berne… Pis, l’Afrique est confrontée à de puissants vents contraires et à des crises dont elle n’est pas responsable : Covid-19, réchauffement climatique, guerre en Ukraine, creusement des inégalités, hausse sidérante du coût de la vie, affres d’un système financier international qui la pénalise.

Formidable résilience

Les adeptes de la méthode Coué pourront toujours évoquer cette formidable résilience qui fait que l’édifice ne s’effondre pas malgré les lézardes qui se multiplient. Ils n’auront pas tout à fait tort. Mais serrer les dents, faire le dos rond en priant de voir poindre le bout du tunnel ne fait pas office de stratégie pour en sortir, ni, surtout, pour préparer l’avenir.

À LIRERecrutement : la chasse aux talents est ouverte

L’Afrique de demain, plus moderne, plus juste et fière d’elle-même car elle exploiterait enfin de manière souveraine ses ressources inouïes et ce potentiel que tout le monde lui reconnaît, se construit aujourd’hui. Hélas ! ce n’est pas grâce à nos dirigeants, qui, dans leur grande majorité, ne brillent pas par la sagesse de leur gouvernance ou par leur vision. « Le politicien pense à la prochaine élection. L’homme d’État, à la prochaine génération », écrivait le théologien américain James Freeman Clarke. Nous avons donc affaire à des politiciens…

Carcans et plafonds de verre

En revanche, dans la plus grande discrétion – mais aussi dans le plus criant manque de reconnaissance –, de nombreux Africains s’efforcent de changer notre continent, refusant la fatalité de l’inertie. Chacun dans leur domaine, grâce à leur détermination et à leur courage, ils font bouger les lignes, secouent le cocotier, s’évertuent à briser les multiples plafonds de verre et les carcans qui freinent le progrès ou excluent des pans entiers de nos populations, en particulier les femmes et les jeunes. Ils se battent pour la justice, l’État de droit, la démocratie, la préservation de l’environnement, l’innovation et la recherche, une finance plus accessible et plus solidaire, l’émergence d’industries culturelles et créatives. Et tentent de mettre fin à la corruption, aux conservatismes en tout genre, aux systèmes politiques qui secrètent tant d’inégalités ou de gabegie.

Nous avons choisi de consacrer « l’Enquête » de ce mois, le dernier de l’année, à ces héros plus ou moins anonymes qui méritent d’être encouragés, soutenus et reconnus. Ils incarnent ce que l’Afrique a de meilleur, cette énergie et cette inventivité qui essaiment dans chacun des cinquante-quatre pays qui la composent, notamment parmi les plus jeunes d’entre nous. Espérons qu’ils susciteront de très nombreuses vocations.

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kiye2022 
 
Jeudi 15 décembre
" Approche d'un Messie attendu mais bien présent dans les témoignages des bonnes œuvres". (Une réflexion du Père Vincent KIYE, Mafr dans l'hebdomadaire de la paroisse de Nioro du Sahel, n°64) 
Textes du jour :
1ere lecture : Is 56, 1-3a.6-8
Evangile : Jn 5, 33-36
«...ce sont les œuvres que le Père m’a donné d’accomplir ; les œuvres mêmes que je fais témoignent que le Père m’a envoyé. » (Jn 5, 33-36)
Seigneur, voilà trois semaines que nous attendons que tu viennes briser les chaînes injustes dans lesquelles nous sommes liés tant par nous-mêmes que par le monde, que viennes nous libérer des injustices que les hommes de ce monde font peser sur nous, hypothetiquant notre avenir, ect.te voilà, depuis deux jours déjà, nous renvoyer au témoignage des oeuvres que tu accomplies au nom du Père. Que veux-tu nous dire concrètement ?
Bien-aimés dans le Seigneur, le moyen le plus rapide et le plus sûr pour rencontrer le Seigneur qui vient est de poser des actes bons qui témoignent à notre faveur que nous sommes de Dieu, Lui qui est le Bien par excellence. Il a passé partout en faisant le bien à toute chair, comme il nous le dit lui-même que ce sont les œuvres que le Père lui a donné d’accomplir ; les œuvres mêmes qu'il fait témoignent que le Père l’a envoyé.
La première lecture va dans le même sens, lorsque le Seigneur nous invite à observer le droit, à pratiquer la justice, car son salut approche, il vient,
et sa justice va se révéler. Cette justice se basera sur le témoignage de vie, sur le témoignage des oeuvres. Si tes œuvres témoignent en ta faveur c'est-à-dire qu'elles traduisent l'amour, la justice, la vérité, le respect de la vie et de la dignité humaine, etc; là tu es sauvé. Mais si elles témoignent contre toi, traduisant la méchanceté, la jalousie, le mensonge, l'infidélité, le manque de maîtrise de soi, la prostitution, le vol, la haine, les rivalités, la cupidité etc, cela est une preuve que tu passes un temps inutile sur cette terre et que tu ne rencontreras pas le Seigneur qui vient, lui qui n'est jamais présent là où il ya les témoignages de mauvaises oeuvres.
 Demandons la grâce de poser des bonnes œuvres qui témoignent à notre faveur, pour la gloire de Dieu et le salut du monde. Amen
Le Seigneur soit avec vous !
✍🏾 Père KIYE M. Vincent, Missionnaire d'Afrique
Paroisse de Nioro du Sahel
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Ne nous érigéons pas en obstacles au plan de Dieu sur les hommes de notre temps.
(Une réflexion du Père Vincent KIYE, Mafr dans le cadre de l'hebdomadaire de la paroisse de Nioro du Sahel du lundi 19 décembre 2022, n°65)
Textes du jour :
1ère lecture :Jg 13, 2-7.24-25a
Evangile : Lc 1, 5-25
«...il sera grand devant le Seigneur. (...) il sera rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère ; il fera revenir de nombreux fils d’Israël
au Seigneur leur Dieu ; (...) revenir le cœur des pères vers leurs enfants, ramener les rebelles à la sagesse des justes, et préparer au Seigneur un peuple bien disposé. » (Lc 1, 5-25)
Bien-aimés dans le Seigneur, comme nous pouvons le remarquer, les deux lectures de ce jour préfigurent l'annonce de la naissance de Jésus-Christ. Tant l'annonce de la naissance de Samson que celle de Jean-Baptiste ont des traits caractéristiques avec celle de Jésus. Toutes deux étant postérieures à celle de Jésus, s'avèrent des prefigures à l'annonce de la naissance de ce dernier, c'est-à-dire Jésus.
Que peut-on alors retenir des trois annonces?
Comme nous pouvons le voir, les trois annonces sont l'initiative de Dieu, le seul qui veut de la venue au monde de tout personne sur qui il a un projet ou à qui il confie une mission particulière. 
En conséquence, ayant du respect envers toute personne car tout est une histoire sacrée, c'est-à-dire voulu par Dieu pour une mission particulière. Ce respect permettra à chacun d'accomplir cette mission de Dieu en lui, la _Missio Dei_ avec le concours de la grâce de Dieu en lui. Ne nous érigéons pas en obstacles au plan de Dieu sur les hommes de notre temps. Mais accueillons-nous mutuellement comme des dons de Dieu pour le salut du monde. Amen.
Le Seigneur soit avec vous !
✍🏾 Père KIYE Mizumi Vincent, Missionnaire d'Afrique
Paroisse de Nioro du Sahel
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À la rencontre d’une jeunesse pleine d’espoir à Mayotte

Il y a un mois, le département d’outre-mer était secoué par une vague de violences. Sur l’île française de l’océan Indien, la moitié de la population a moins de 18 ans. Ces jeunes, souvent autant victimes qu’acteurs des violences, aspirent avant tout à une vie meilleure.

  • Pascal Charrier, 

 

À la rencontre d’une jeunesse pleine d’espoir à Mayotte
 
Mirna, 23 ans, originaire des Comores, a trouvé un emploi de secrétaire dans une association.DAVID LEMOR

Mamoudzou (Mayotte)

De notre envoyé spécial

 

À la rencontre d’une jeunesse pleine d’espoir à Mayotte

 

Au bout de la rue, le Dacia Duster ralentit et ses passagers tournent la tête vers le petit groupe rassemblé à côté d’une supérette. Ils observent ces jeunes adossés à un mur couvert de graffitis en une fin d’après-midi tropicale. Fazal est parmi eux et sourit : « C’est la police. » Ce Mahorais d’origine comorienne, âgé de 21 ans, a l’habitude de croiser des agents de la brigade anticriminalité à Kawéni, son village devenu une banlieue de Mamoudzou, la ville principale de Mayotte.

Surmonté par d’immenses bidonvilles, un dédale de bangas, des baraques en tôle, le quartier a été classé « prioritaire » par l’État. Le rappeur Skinny en était issu. C’est son sanglant assassinat, le 12 novembre, qui a provoqué une flambée de violence dans l’île française de l’océan Indien. Depuis, un calme précaire est revenu, mais la population du département d’outre-mer continue de subir une délinquance endémique, sur fond d’affrontements entre bandes.

Dans cette marmite bouillonnante, la jeunesse en est autant victime qu’actrice. Fazal n’a plus de téléphone. « Je me suis fait dépouiller », explique-t-il. Mais le jeune homme aux cheveux ras a lui-même été condamné pour avoir porté des coups en une autre occasion… Il arrive aussi que des membres de forces de l’ordre s’arrêtent pour simplement se prendre en photo à ses côtés. Il est devenu une petite vedette locale depuis qu’il a interprété Bruce, un brutal chef de gang, dans le film Tropique de la violence tourné à Mayotte et tiré du roman de Nathacha Appanah (1).

Pour créer une bande crédible devant les caméras, le réalisateur Manuel Schapira a recruté sur place des comédiens non professionnels dont les rôles n’étaient pas complètement de composition. Sorti en salles au printemps dernier, le long métrage a été largement diffusé dans les établissements scolaires de Mayotte. Il a touché un public de collégiens et de lycéens en mettant en scène une réalité que certains connaissent de près : la vie d’une jeunesse livrée à elle-même, le plus souvent originaire des Comores voisines.

Depuis, la fiction a été dépassée par l’actualité. Les événements de novembre ont rappelé aux métropolitains l’existence de ce 101e département, le plus pauvre de France, où des adolescents peuvent régler leurs comptes à coups de machette. Les habitants, eux, connaissaient déjà ce scénario. « La violence, ici, on grandit dedans », souligne Mario, aussi connu sous le pseudo de Myster Mariox, une figure de Kawéni, qui nous a aidés à retrouver Fazal.

Cet autodidacte volubile de 28 ans est arrivé des Comores bébé, comme tant d’autres ici. Il est fier de son quartier et ne voit pas la jeunesse comme une menace. Il en parle comme d’une force à laquelle il faut ouvrir des perspectives. « Regardez, il y a des jeunes partout, ils sont bourrés d’énergie, il faut leur offrir des structures, reprend-il. Moi, j’ai joué au foot, au basket, j’ai été délinquant, et c’est la danse qui m’a canalisé. » Il a créé un collectif de danseurs, organise des concerts et tourne des mini-séries, des clips et des documentaires, qu’il produit avec sa petite société, Ampire Production.

Mario y décrit la vie d’une génération le plus souvent bloquée dans la précarité, faute de carte d’identité établie par la République française. Avec le durcissement des lois au nom de la lutte contre l’immigration, être né à la maternité de Mamoudzou ne garantit pas d’obtenir la nationalité de Victor Hugo. « Mayotte est comme une cage, résume-t-il. À force de mettre des gens dedans, ça explose. Tout déborde, les écoles, les routes, les associations. Qu’on le veuille ou non, il y a 10 000 naissances par an. Soit on prépare l’avenir, soit Mayotte va partir en vrille. »

Sa sœur cadette, Mirna, a fait de la figuration dans Tropique de la violence. Elle a aussi joué les médiatrices pour l’équipe de tournage. « Au départ, les gens pensaient que c’étaient des policiers ou des gendarmes », raconte-t-elle. Longtemps sans papiers, elle-même a vécu dans la peur de la police, celle des frontières, la PAF. Une fois, elle a été arrêtée. Un juge l’a libérée : « Je ne me laisse jamais faire. À Mayotte, si tu ne connais pas tes droits, on te piétine et on te renvoie chez toi. »

Son chez-elle est ce bout d’Afrique demeuré français. « Je suis arrivée à 5 ans, j’ai grandi ici, j’ai étudié ici, insiste-t-elle. Aujourd’hui, j’ai 23 ans, je me sens en même temps comorienne et française. » Mirna a fini par obtenir un titre de séjour renouvelable et espère une naturalisation, alors qu’elle a trouvé un emploi de secrétaire dans une association. Elle attend un enfant pour le printemps prochain. Dans ses espoirs les plus fous, elle se verrait bien suivre à Paris une formation de comédienne. « C’est dommage qu’on n’écoute pas plus les jeunes, dit-elle. Il y en a beaucoup qui veulent juste être scolarisés et faire des stages. »

Raïssa et Mariama ont cette chance. Elles sont en terminale au lycée polyvalent de Kawéni et se lèvent à 4 heures ou 5 heures du matin pour préparer un bac professionnel en section cuisine. Les deux lycéennes ont une aspiration commune : ouvrir un restaurant en métropole, où elles ont de la famille. Et fuir cette terre insulaire où les bus scolaires se font régulièrement caillasser à cause de rivalités aux motifs parfois futiles. « Ici, il y a trop de violence », dit Raïssa. « J’en ai marre, cela me fait peur », enchaîne Mariama.

Leur camarade Amie se mêle à la conversation : « Moi, je veux être sage femme en métropole. » Elle ajoute, dans un grand sourire, qu’elle a « envie de voir la neige ». Avec leur énergie débordante, leur bonne volonté et leur futur diplôme, toutes espèrent échapper au sort de ces jeunes Comoriens qui se heurtent à un mur à leur majorité. Faute de papiers, ils n’ont pas le droit de rester à Mayotte et, même s’ils ont un titre de séjour, ils ne pourront pas s’envoler vers Brest ou Marseille. Le sésame est territorialisé.

Le lycée des trois jeunes filles est entouré de barbelés et surmonté par un bidonville. Pas de route pour y monter. Pas d’eau courante, non plus. Une dizaine de garçons sont perchés sur une butte, assis sous un manguier. Une autre jeunesse, qui n’a pas été scolarisée ou ne l’est plus. Ils ne sont pas menaçants, juste méfiants. La plupart n’ont pas de titre de séjour, et les rares hommes blancs qu’ils voient sont policiers. « C’est notre endroit pour parler entre nous, dit l’un d’entre eux. On ne fait rien de la journée, ça tourne dans nos têtes. »

Chacun a un surnom : MCK, le Roi, Petit Frère, Dresko, Mister… Pour gagner de quoi se nourrir, ils n’ont que la perspective du racket ou de petits boulots, comme remonter des bidons d’eau contre une poignée d’euros. « Tout ce qu’on aimerait, c’est une situation régulière et du travail, cela nous éviterait de vivre en bande et de foutre le bordel », assure un jeune en survêtement blanc. Il dit aussi que c’est « calme en ce moment », mais que si des gars de Majicavo attaquent, ils sauront « riposter avec force ».

Ali habite à Majicavo, de l’autre côté de la colline, mais ne veut surtout pas se mêler des affaires de ceux qu’il appelle des « bandits » : « On prend des risques pour avoir une vie meilleure, pas pour attaquer des gens. » Âgé de 18 ans, il a débarqué des Comores il y a trois ans, en kwassa-kwassa, un de ces canots motorisés qui font la périlleuse et clandestine traversée de 70 kilomètres. Comme 80 autres jeunes non scolarisés, il suit des cours de français, de mathématiques et de culture générale au centre Nyamba, ouvert par le Secours catholique.

L’exilé se rêvait prof de math. Il espère maintenant devenir électricien. « Mais on ne peut pas avoir de boulot sans avoir de papiers », soupire-t-il. « On vit en se cachant », ajoute Faïza, une autre élève du centre, qui veut devenir agente de sécurité, à défaut d’études de médecine. « On a autant peur de la PAF que des bandes », poursuit sa camarade Yvette. Le soir, personne ne sort et Ali craint toujours de traverser Kawéni pour rentrer après les cours chez sa tante : « J’ai vu des gens se faire tabasser, c’est normal d’avoir peur. Je n’ai confiance en personne. »

Les deux localités sont opposées par de vieilles guerres qui étaient au cœur des batailles rangées du mois dernier, avec leur cycle de représailles sans fin. Aux yeux des plus excités, il suffit d’habiter à la mauvaise adresse pour être perçu comme un ennemi. Dans Tropique de la violence, aucun des acteurs amateurs ne venait de Majicavo. « On avait dit à Manuel que c’était mieux », explique Elanique, un copain de Fazal, son bras droit dans le film.

L’appât du gain et la misère font le reste. « Pour un téléphone, on peut te mettre un coup de machette », rappelle Raphaël (2). Avant de devenir bénévole au Secours catholique, lui-même a été membre d’une bande et sa cicatrice au cou rappelle son passé tumultueux. « Je n’étais pas un voyou, je le suis devenu. J’ai fait beaucoup de bêtises, je me suis battu avec la police, j’ai brûlé des voitures… Tous mes amis sont en prison ou portent un bracelet électronique. » Sa propre arrestation a constitué un déclic. « Ma mère pleurait, j’ai commencé à réfléchir. Maintenant, tout ça est terminé et j’essaye d’expliquer aux jeunes qu’il faut passer à autre chose. »

Fazal, lui aussi, veut se tenir à l’écart des embrouilles : « Dans la journée je ne suis pas là, c’est mieux. » Même s’il se trouve souvent devant le mur où Manuel Schapira l’a rencontréil a avancé. En novembre, quand le Raid a été envoyé en renfort pour ramener le calme, il portait l’uniforme du régiment du service militaire adapté, un dispositif de l’armée qui forme chaque année plus de 600 Mahorais à des métiers. Après un apprentissage de maçon-carreleur, il vient de trouver un CDI.

Le Bruce de Tropique de la violence est fier de pouvoir subvenir aux besoins de sa mère et ses quatre frères et sœurs. En janvier, avec sa première paie, il se rachètera un téléphone. Il espère aussi partir un jour, à La Réunion, loin du bouillonnement de l’île qui l’a vu naître. Il y a mis les pieds pour le tournage et sa carte d’identité française l’autorise à réitérer ce voyage. En nous disant au revoir, Fazal a glissé : « Vous direz bonjour à Manuel de ma part ? » Message transmis.

(1) Le film est disponible sur MyCanal et en vidéo à la demande.

(2) Le prénom a été changé.

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