Histoire


 

 

Missionnaires d'Afrique


 
HISTOIRE

Lavigerie,
les Pères Blancs
et l’attachement à Marie

Peut-on conjuger histoire générale et piété personnelle ? Y a-t-il des relations à établir entre la dévotion mariale de Charles Lavigerie et ses études universitaires, ses engagements sociaux, ses rencontres interreligieuses et politiques, la diplomatie, son séjour à Rome et son expédition au Liban ? Lavigerie n’avait sûrement pas une religion de sacristie. Il n’a jamais aimé les catacombes. Chrétien sur la place publique, il savait vivre au milieu des arènes de l’histoire de son siècle, le XIXe. Si le Cardinal récitait son chapelet, il exprimait aussi sa dévotion à Marie en créant des oeuvres comme les Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, hommes et femmes, les basiliques d’Alger et de Jérusalem, la ‘résurrection’ de l’Église de Carthage... Toutes ces fondations, il les mettait en relation directe avec la Vierge et avec la mission en Afrique. Notre confrère Joseph Vandrisse n’a pas hésité à esquisser le cadre historique, géopolitique et théologique du XIXe siècle pour essayer de cerner la dévotion mariale de notre fondateur.
Chant du Sancta Maria - Video Sancta Maria

Le 8 décembre 1878, en la fête de l’Immaculée Conception de Marie, Mgr Charles Lavigerie - il ne sera cardinal que quatre ans plus tard - signe, de sa résidence de l’archevêché d’Alger, un décret qui reste aujourd’hui pour la Société des Missionnaires d’Afrique (les Pères Blancs) un acte fondamental. ‘Nous déclarons l’Immaculée Conception patronne de la Société des Missionnaires d’Alger sous le vocable de Notre-Dame des Missions d’Afrique’ (Cf. PÉ 2004/2, Homélie du P. François Richard -Réservé-).

Lavigerie date le décret du 8 décembre 1868, sans doute parce que le 19 octobre de cette année-là, il avait ouvert près de Notre-Dame d’Afrique, le premier noviciat des Pères Blancs. En fait, le 8 décembre 1878, il était rentré cinq mois plus tôt de trois semaines en Palestine, principalement à Jérusalem, où l’église Sainte-Anne lui avait été confiée par le gouvernement français (convention du 5 juin 1878). Le 14 septembre, quatre missionnaires quittaient Alger pour Jérusalem où ils arrivaient le 1er octobre.

Le 8 décembre, Lavigerie signait donc et faisait publier le décret qui déclare solennellement l’Immaculée Conception ‘patronne de la société des Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique d’Alger’. Par ce geste, Lavigerie signifiait avec la plus grande clarté, le lien qui unissait l’église Notre-Dame d’Afrique à Alger, à celle de Sainte-Anne de Jérusalem, l’église de Sainte-Marie-où-elle-est-née, selon son titre remontant à la plus ancienne tradition.


Pie IX (1792-1878), le Pape de l’Immaculée Conception avec qui, nommé à Rome de 1861 à 1863, Lavigerie avait établi des liens d’amitié. Bernadette Soubirous (1844-1879), la voyante de Lourdes. L’Émir d’Algérie Abd el-Kader (1807-1883) rencontré en 1860.

Mais d’où venait l’attachement de Lavigerie à Marie Immaculée ? Il est indispensable pour le comprendre - et pour saisir le lien entre Alger et Jérusalem - de tracer les grandes étapes de la vie de cette attrayante figure apostolique qui marqua au XIXème siècle, aussi bien la vie de l’Église que celle de la France.

Notre-Dame d'Afrique

Passons rapidement sur ses années de jeunesse, de sa naissance à Bayonne, le 31 octobre 1825, à son entrée au grand séminaire de philosophie à Issy-les-Moulineaux. Tout jeune, de son Béarn natal, il avait entendu parler de l’occupation d’Alger par les troupes françaises, le 7 juillet 1830, et de l’avènement de la Monarchie de juillet. Ses biographes parlent peu de la vie spirituelle et de la dévotion mariale de l’enfant et de l’adolescent. Pourtant lui-même aimera plus tard évoquer avec simplicité sa piété mariale.


Le Maréchal Mac-Mahon (1808-1898). En 1866, il proposa le siège d’Alger à Lavigerie, évêque de Nancy depuis 1863. Mgr Lavigerie (1825-1892) et un jeune Algérien rescapé de la famine de 1868. Image ancienne de Notre-Dame d’Afrique dans sa basilique d’Alger.

La première partie de sa vie d’adulte va se dérouler de 1843 à mai 1867, date de son arrivée à Alger comme archevêque. Lavigerie, ordonné prêtre le 2 juin 1849, vit, à l’époque de son premier professorat, le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851.

Une année, celle de 1854, peut être considérée comme capitale dans la vie de Lavigerie. Le Second Empire n’a alors que trois ans et la France connaît un remarquable essor économique. La ligne de train Paris-Lyon est ouverte en cette année 1854. Trois figures se détachent qui vont nous permettre de mieux cerner notre recherche nous offrant trois portraits croisés : celui du pape Pie IX d’abord ; celui du Maréchal Mac-Mahon ensuite ; et enfin celui de Lavigerie lui-même qui n’a alors que 29 ans.

Pie IX, lui, est âgé de 69 ans. Il avait été élu huit ans plus tôt et son long pontificat ira jusqu’en 1878, connaissant des situations difficiles : l’ouverture du premier concile du Vatican, la Question Romaine conclue par la prise de Rome par les forces de la ‘Nouvelle Italie’, la publication du Syllabus, etc.

Mais c’est l’époque d’un grand développement marial et missionnaire : en 1854, les missionnaires du Sacré-Coeur d’Issoudun fondent l’Église en Nouvelle-Guinée. La date importante de cette année demeurera celle du 8 décembre. Le pape publie solennellement ce jour-là la bulle Ineffabilis Deus définissant le dogme de l’Immaculée Conception. Il le fait après une longue consultation des évêques mais exclusivement sous son autorité pontificale. Il annonce en quelque sorte le dogme de l’infaillibilité de l’évêque de Rome. Plus de deux cents évêques étaient présents en la basilique Saint-Pierre. Le dogme de 1854 allait renforcer la dévotion populaire dans le catholicisme français qui s’éloigna progressivement du jansénisme.

Docteur-es-lettres et en théologie, Lavigerie est maintenant professeur d’histoire de l’Église à la Sorbonne. Dans sa vie, il gardera un goût prononcé pour l’histoire. La substance des recherches qu’il fit sur les écoles catéchuménales des premiers siècles passera dans ses Instructions aux Pères Blancs sur le catéchuménat africain. Très en contact avec les milieux intellectuels catholiques et les initiateurs du Mouvement social, il l’est aussi avec les milieux diplomatiques.

Le 27 mars de cette année, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à la Russie qui cherchait à élargir son influence au Proche-Orient. La question du partage de la Turquie était déjà à l’ordre du jour. Les alliés subissent un échec à Sébastopol, en Crimée. Les troupes françaises, sous le commandement du général Edme Patrice de Mac-Mahon, tiennent au fort de Malakoff (‘J’y suis, j’y reste’). Neuf ans plus tard, Mac-Mahon devient gouverneur de l’Algérie.


Mère Marie - Salomé
(Renée Roudaut, 3 avril 1847-18 octobre 1930) et la statue de N-D d’Afrique (N-D du Voeu) qu’elle fit ériger dans la cour de la maison-mère près d’Alger en 1885.

Destins croisés, ai-je dit. En 1856, Lavigerie est nommé premier directeur de l’Œuvre des Écoles d’Orient dont on vient de fêter à Paris, cette année, le 150e anniversaire. En 1858, du 11 février au 18 juin, ont lieu les apparitions de Marie à Lourdes : ‘Je suis l’Immaculée Conception’. Dans ses instructions et ses écrits si abondants tout au long de sa carrière, Lavigerie qui avait soutenu avec ferveur la bulle de 1854, ne fera aucune allusion à Lourdes alors que si souvent, d’Alger ou de Paris, il se rendra à Bayonne distant de 150 km de la cité mariale.


Statue de N-D d’Afrique (N-D du Voeu) (Maintenant au Généralat des Smnda à Rome)
‘Depuis la fondation de notre petite Société, que de grâces accordées par l’intermédiaire de Notre-Dame d’Afrique. L’humble barque de notre Congrégation a été menacée du naufrage et Marie l’a sauvé du péril.’ Mère Marie-Salomé première Supérieure des Smnda

En 1860, les chrétiens du Liban et de Damas ayant été massacrés (six mille en quelques jours) par les Druzes, membres d’une secte musulmane, le directeur de l’Œuvre des Écoles d’Orient décide de se rendre au Proche-Orient pour secourir les victimes. Embarqué le 30 septembre, après onze jours de navigation il visite Alexandrie, Beyrouth, Saïda (Sidon), Damas où il rencontre l’Émir Abd-el-Kader, cet Algérien musulman et mystique qui l’émeut par ses propos en faveur des chrétiens qu’il avait secourus. Avant de regagner Paris, en décembre, Lavigerie passe à Jérusalem. Visita-t-il l’église Sainte Anne, bâtie par les croisés, devenue mosquée sous Saladin puis offerte à la France, par la Sublime Porte (l’Empereur ottoman), en remerciement pour son intervention en Crimée. Lavigerie pourra dire à son retour de Palestine : ‘J’ai trouvé mon chemin de Damas’.

En 1861, il occupe au Saint-Siège le poste juridique d’auditeur de Rote. Il y reste vingt-neuf mois et découvre la dévotion des Romains à la Vierge Marie. De nouveau, les routes vont se croiser. Il peut maintenant fréquemment converser avec Pie IX qui l’apprécie, tandis que Mac Mahon, lors de son maréchalat à Nancy, suggère son nom pour le siège du diocèse. Pie IX accepte.

Lavigerie, à 38 ans, est ordonné évêque dans l’église Saint-Louis-des-Français de Rome. Le nouvel évêque va s’efforcer de concilier l’Église et le monde moderne. Il le fait durant deux ans et demi. Le 19 novembre 1866, ayant reçu, au retour d’un pèlerinage à Tours sur la tombe de saint Martin, la soudaine proposition de Mac Mahon, il accepte de suite la nomination à l’archevêché d’Alger. Mac Mahon est alors gouverneur général de l’Algérie.

La seconde partie de sa vie va maintenant commencer. Le bilan des années 1843-1867 ne permet guère de parler de la dévotion de Lavigerie à Marie. Mais lors d’une retraite aux scolastiques, à Carthage en 1884, il pourra leur dire, évoquant son passé : ‘J’ai toujours été fidèle à mes engagements de prêtre et d’évêque. C’est à ma dévotion à Marie que j’attribue cette grâce si précieuse.’


Chapelet du Cardinal. Remarquez le crâne : Et à l’heure de de notre mort !
Statue de la Vierge que le Cardinal gardait sur son bureau. Attribuée à un esclave espagnol du 16e s.
Collections de la Maison Généralice, Rome
Sainte-Anne de Jérusalem appelée aussi Sainte-Marie-où-elle-est-née.

Le Fondateur missionnaire
Le premier geste de Lavigerie, le 15 mai 1867, en débarquant à Alger est de se rendre à la cathédrale puis aussitôt au sanctuaire de Notre-Dame d’Alger qui deviendra l’actuelle basilique Notre-Dame d’Afrique. Il la consacrera en 1872.

Il est depuis longtemps sensibilisé aux questions missionnaires, que son voyage en Syrie, en 1860, avait avivées. Il pourra écrire à son maître et ami Mgr Henry Maret, penseur libéral, le 28 octobre 1868 : ‘J’ai en face de moi un continent de deux cents millions d’êtres humains’. Il veut prendre sa part, comme il le dit, à l’immense tâche de son évangélisation. Dans sa campagne pour la liberté de l’apostolat, il entre très vite en conflit avec Mac Mahon. Mais il est soutenu par Pie IX, qui, en plus de sa mission en Algérie le nomme, le 2 août 1868, délégué pour les missions du Sahara et du Soudan.

Le 19, il ouvre le premier noviciat des Pères Blancs puis, l’année suivante, celui des Soeurs Blanches, le 6 septembre. Dès lors, il confie ses oeuvres à Notre-Dame d’Afrique et insiste constamment devant les premiers Pères sur ‘la dévotion à la Sainte Vierge’. ‘Recourez à Notre Seigneur et à Notre-Dame d’Afrique’, écrit-il de Paris, le 29 juin 1875, au Père Charmetan, chargé de ses intérêts dans la capitale.

Lorsqu’il envoie en mission une caravane qui se rend à Ghadamès, il leur laisse une Instruction portant des consignes, entre autres, sur l’habit des missionnaires : ‘Ils sont libres de faire à celui qu’ils portent à Alger, les modifications du genre de celles que la règle autorise, mais je désire qu’ils ne quittent pas le rosaire (chapelet de 150 grains que les missionnaires portaient autour du cou) qui est comme le bouclier propre de notre petite Société’. En Afrique du Nord, en Afrique Occidentale et en Afrique Centrale, la mission connaît de suite un essor considérable et Lavigerie devient cardinal, le 19 mars 1882.

Les Pères Blancs iront à Jérusalem !
Pourtant, sa piété mariale et son attirance pour le Proche-Orient le poussèrent très vite à proposer à ses missionnaires d’accepter une fondation à Jérusalem même. Dans une lettre à Rome, à la Propagande, Lavigerie écrira en 1881 : ‘Il y a près de trente ans que je m’occupe des chrétiens orientaux’. Neuf ans plus tôt, il avait écrit à la même Congrégation : ‘Je suis disponible pour accepter le Patriarcat latin de Jérusalem’. Il voulait que l’Église d’Occident retrouve son âme orientale, comme le dira plus tard Jean-Paul II. Mais, en 1877, ce n’est plus le Patriarcat latin de Jérusalem qui l’attire, c’est l’église Sainte

Anne où la tradition place la naissance de l’Immaculée.
À cette époque - Léon XIII ayant succédé à Pie IX - le gouvernement français sous la Troisième République cherche à confier ce lieu à un institut religieux. Lavigerie y pense donc, mais l’opposition surviendra vite : de l’extérieur, d’abord, où plusieurs ordres religieux (Prémontrés, Franciscains, Dominicains) se proposent pour le poste. Mais Lavigerie rencontre l’opposition d’un autre secteur, chez ses propres missionnaires engagés, par vocation, pour l’Afrique. Dans le compte-rendu de la séance du Conseil Général de la Société des Pères Blancs du 24 avril 1877, nous lisons que tous les membres du conseil ‘regardaient la proposition comme opposable à notre vocation’.

La réticence des missionnaires ne plaît pas à Lavigerie qui convoque une autre réunion du Conseil trois jours plus tard. Il la préside et le secrétaire du Conseil note dans le rapport la conviction qui l’anime : ‘Sous le pontificat du glorieux pontife (il s’agit de Pie IX) qui a défini le dogme de l’Immaculée Conception, sans que nous n’ayons fait aucune démarche, on offre à notre Société naissante, qui dès son origine s’est mise sous la protection de la Vierge Marie Immaculée, le sanctuaire qui a été élevé à l’endroit même où s’est opéré le grand mystère de l’Immaculée Conception. Ne faut-il pas regarder cette offre comme un événement tout providentiel ? Et ne pas repousser à la légère une proposition qui sera pour nous un gage assuré de la protection de Marie !’

Un seul père ayant répondu négativement, le Cardinal règle de suite la question : les Pères Blancs iront à Jérusalem ! La Convention définitive entre le gouvernement français et Lavigerie avait été signée au préalable à Paris le 30 mars 1878. Le Cardinal avait donc anticipé de lui-même la décision.

Lavigerie s’embarque à Naples pour se rendre en Palestine où il passe trois semaines. Sur place, il visite Sainte-Anne et évalue ce qui reste à faire pour l’installation de quatre de ses missionnaires qui, eux, quittent Alger pour Jérusalem le 14 septembre 1878, pour y arriver le 1er octobre. La même année, une caravane s’était mise en route pour l’Afrique de l’Est, la Tanzanie, l’Ouganda...

Le 8 décembre, Lavigerie signe le décret déclarant l’Immaculée Conception, patronne de l’institut missionnaire. Deux ans plus tard, en juin 1880, les confrères de Sainte-Anne rencontrent le Patriarche grec-melkite-catholique Grégoire Youssef de passage dans la ville sainte. Celui-ci leur propose de fonder un séminaire pour la formation de jeunes se proposant de devenir prêtres célibataires à côté de leurs confrères du clergé marié autorisé dans l’Église orthodoxe et catholique au Moyen-Orient. Ils le firent jusqu’en 1967, quand la guerre des six jours et la prise de Jérusalem par Israël interdirent la libre circulation des personnes entre Jérusalem et les pays arabes.

Entre la Vierge Marie et la Société des Pères Blancs un lien intime et très fort était scellé comme il le fut entre le continent africain et l’Église de Jérusalem. Car, en Jérusalem, comme le chante le psaume 87 (86), chacun peut dire: ‘J’y suis né’.

Joseph Vandrisse

Le P. Vandrisse a servi l’Église grecque catholique au Liban de 1951 à 1974. Par la suite, à Rome comme ‘vaticaniste’, il fut jusqu’en 2002 correspondant permanent du quotidien Le Figaro. Le texte suivant a d’abord été donné aux confrères de Paris le 8 décembre 2004 et, retravaillé, présenté à la session de la Société française d’études mariales, à Lisieux, en septembre 2006. Le Cardinal, décédé à Alger le 26 novembre 1892, a été inhumé dans la primatiale de Carthage le 8 décembre suivant, jour de la fête patronale de ses missionnaires. le P. Joseph Vandrisse est décédé le 31 Mars 2010

 


Bibliographie et sources : François Renault : Charles Lavigerie, Paris, Fayard, 1992. - Xavier de Montclos : Le Cardinal Lavigerie, Paris, Le Cerf, Foi vivante, 1991. - Bulletin de l’Institut catholique de Toulouse, janvier-juin 1994 (Colloque Lavigerie , novembre 1992). - Ivan Page, Sainte-Anne de Jérusalem, historique, conditions de la fondation, Rome, Société des Missionnaires d’Afrique, 2004. - S. E. Le Cardinal Lavigerie, Instructions aux Missionnaires, Maison Carrée (Alger),1939.

 

Article paru dans le Petit Echo N° 975 2006/9

Voir aussi : * Article sur Notre-Dame d'Afrique à Alger. (Statue et Basilique)
aussi Articles sur le Cardinal et Video

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

“Il y a cent ans en Algérie”, au Palais des Raïs (Bastion 23) d’Alger

Une exposition photographique
comme témoignage centenaire

 
L’une des photos exposées ©Bendris-Oulebsir/Liberté

Cette exposition qui se tient jusqu’au 30 novembre au Bastion 23, initiée par le Centre culturel et de documentation saharienne (CCDS) de Ghardaïa, en partenariat avec le ministère de la Culture,  propose aux visiteurs un voyage dans le Sahara du XXe siècle.

Le Palais des Raïs (Bastion 23) d’Alger abrite jusqu’au 30 novembre une très belle exposition de photos plus que centenaires intitulée : “Il y a cent ans en Algérie”, initiée par le Centre culturel et de documentation saharienne (CCDS) de Ghardaïa, en partenariat avec le ministère de la Culture. Il s’agit en fait du voyage de deux pères blancs effectué dans les oasis sahariennes du 23 février au 7 juillet  1903. À cette époque, monseigneur Guérin qui était  responsable des chrétiens pour le Sahara et le père Vellard avaient décidé de parcourir à dos de chameaux ces oasis sahariennes afin de s’enquérir de la situation que vivaient ces bédouins et évaluer leurs besoins afin de leur venir en aide, aussi bien sur le plan matériel que spirituel. Ce périple humanitaire avait ainsi donné lieu à des centaines de photos décrivant la vie au Sahara, qui avaient disparu pendant de longues années  avant d’être retrouvées un jour aux archives de la maison des pères blancs à Rome. Considérant que cette richesse photographique constituait un pan important du patrimoine algérien à restituer, le Centre culturel et de documentation saharienne s’est donné comme mission de préserver ces photos en procédant à leur numérisation, pour ensuite envisager ce projet de “réalisation de sept expositions dans des villes du Sud algérien (Adrar, Djelfa, El Goléa, Ghardaïa, Laghouat, Ouargla, Touggourt), et d’une huitième à Alger au Palais des Raïs”. Et voilà donc que cette “richesse culturelle, ethnographique et patrimoniale” est donnée à voir au public algérien, du sud et du centre, pour imager et connaître un peu ces scènes de vie d’il y a plus d’un siècle. Selon Luc Feillee, bénévole et membre actif au sein du centre de Ghardaïa, présent lors du vernissage, jeudi, de cette exposition - en compagnie de père Jean-Marie Amalebondra, directeur du centre de Ghardaïa - “le périple en question  aurait permis aux deux pères blancs d’évaluer les besoins des  gens du désert et l’ouverture de nouveaux postes dans d’autres régions comme In Salah ou Adrar (…) Nos expositions dans le Sud ont été très bien reçues ; pour les plus âgés, ils ont un peu revu leur enfance à travers les paysages photographiés ; les plus jeunes étaient très surpris ; dans l’ensemble il y avait beaucoup d’émotion partout et pour nous c’était un devoir de restituer ce patrimoine à l’Algérie”, a souligné Luc Feillee. Et de renchérir : “J’ai numérisé ces photos pendant près de dix ans et j’ai dû arrêter cette numérisation pour me consacrer à ce projet de diffusion qui en était le but majeur. Nous avons  aussi  développé un site web dans lequel figure une photothèque de près de 2000 photos consultables et le prochain projet est la publication d’un livre qui est en cours de réalisation.” Il est à noter aussi que ces photos sont accompagnées de textes “tenus par le père Vellard au cours de son périple et publié par le CCD de Ghardaïa en 2001 sous le titre ‘Aux oasis sahariennes-Gourara-Touat-Tidikelt (février-juillet 1903)’”. Fort Mac Mahon, El Goléa, Laghouat, Biskra, Kabylie, Timimoun, Villages, portraits, récoltes, habits, désert, oasis… des visages et des espaces à découvrir d’un passé méconnu qui dévoile, grâce à ces photos retrouvées, quelques aspects de notre Histoire et d’un patrimoine ethnographique à faire connaître, à étudier, à analyser et à préserver…

Samira Bendris-Oulebsir

 

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Thomas Sankara: mort et renaissance d'un héros africain

Défilé à Ouagadougou à l'occasion du XXe anniversaire de l'assassinat de Thomas Sankara, le 14 octobre 2007.
© AFP PHOTO/ KAMBOU SIA
 

15 octobre 1987, disparaissait l’ancien homme fort du Burkina Faso Thomas Sankara, brutalement assassiné par un commando d’hommes armés, lors du coup d’Etat qui amena au pouvoir son frère d’armes Blaise Compaoré. Pendant les  quatre années qu’il a dirigé son pays, le célèbre capitaine au béret rouge a incarné l’idéal révolutionnaire, qui continue de faire rêver, trente ans après sa disparition, une jeunesse africaine en manque d’idéal. Devenu une idole, façon Che Guavera, synonyme d’intégrité et de justice sociale, l’homme survit dans la mémoire de la postérité grâce aux nombreux films et biographies qui lui sont consacrés. Parallèlement, des artistes de toute discipline se sont emparés de sa légende et la perpétuent.

Dans son émouvant long-métrage Capitaine Thomas Sankara composé de documents d’archives que le cinéaste suisse Christophe Cupelin a consacrés au  capitaine rebelle, on entend ce dernier déclarer à une journaliste qu’il a commis  1 000 erreurs avant d’obtenir une petite victoire et  10 000 erreurs avant d’obtenir trois ou quatre succès.

Ces trois ou quatre succès ont suffi pour faire de Thomas Sankara une figure emblématique de l’histoire africaine contemporaine. Pour l’écrivain djiboutien Abdourahman Waberi, qui vient d’écrire le script pour un projet de biopic sur celui qui fut l’homme fort d’Ouagadougou de 1983 à 1987, avant de tomber sous les balles de ses assassins, « Sankara est après Nelson Mandela, le héros le plus plébiscité par la jeunesse africaine ».

 

«  Alors que les Sassou, les Biya et autres Guelleh et Nkurunziza, avec parfois plus de 40 années de règne et zéro développement à leur actif, sont sûrs de finir dans la poubelle de l’histoire, le bref passage de Sankara à la tête de son pays, riche en réalisations sociales et orientations nouvelles, resteront longtemps dans les esprits », poursuit le romancier. Et d’ajouter : «  Même si la révolution de la gouvernance à laquelle le nom de Sankara est associé est oubliée, l’histoire se souviendra que l’homme avait su réinventer la Haute-Volta post-coloniale en le rebaptisant Burkina Faso, soit "le pays des hommes intègres". »

« La révolution, c’est le bonheur »

Arrivé au pouvoir le 4 août 1983, Thomas Sankara a marqué son époque par son souci farouche d’arracher son pays au sous-développement d’une part, et ses prises de position courageuses d’autre part, face aux puissants du monde. Il a dénoncé la chape de plomb de la dette, la marginalisation de l’Afrique, le patriarcat ou la désertification qui menace les pays du Sahel dont le Burkina. Orateur hors pair, il annonçait la couleur en octobre 1984, revendiquant du haut de la tribune des Nations unies le droit de son tout petit pays enclavé de ne plus être « l’arrière-monde de l’Occident repu ».

Bruno Jaffré est le biographe principal de Thomas Sankara. © Ed. Syllepse

Réunis dans un volume très exhaustif par Bruno Jaffré (1), principal biographe du président révolutionnaire, les discours prononcés par ce dernier dans les tribunes internationales et domestiques témoignent de la force de l’engagement du jeune capitaine trentenaire en faveur de la justice sociale, du tiers-mondisme et de la réhabilitation de l’Afrique. « La révolution, c’est le bonheur », avait-il proclamé.

Selon Jaffré, « Sankara était le dernier révolutionnaire africain », synonymes d’intégrité morale et d’ambition à la fois visionnaire et pragmatique pour les siens, les oubliés de la prospérité et du développement. Il y avait en cet homme du Gandhi et des pères fondateurs de l’Amérique moderne, dont il aurait très bien pu faire sienne la déclaration de l’indépendance affirmant le droit inaliénable de tous à « la vie, la liberté et le bonheur ». Cet idéalisme chevillé au corps explique que trente ans après la disparition de ce chef d’Etat africain pas comme les autres, sa légende continue de fasciner la jeunesse du continent.

On se souvient que c’est en scandant son nom que les jeunes Burkinabè ont manifesté dans les rues de Ouagadougou pendant les trois jours fatidiques d’octobre 2014 qui ont scellé le sort du régime contre-révolutionnaire de Blaise Compaoré, successeur de Sankara. « Leur mot d’ordre n’était autre que la fameuse « la Patrie ou la mort, nous vaincrons », le slogan par lequel se concluait l’hymne national burkinabé à l’époque de la révolution », se souvient le biographe du capitaine rebelle. Ce resurgissement du mythe Sankara est considéré par beaucoup comme une formidable revanche de la révolution sankariste sur l’Histoire. Le capitaine intrépide était persuadé, comme il l’avait déclaré une semaine avant sa mort : « On peut tuer un homme, mais pas ses idées ».

Or ce n’était pas faute d’avoir essayé. Gêné aux entournures par le bilan largement positif des années Sankara, le nouvel homme fort de Ouagadougou fera tout pour effacer les traces de la révolution, vouant aux gémonies son prédécesseur qu’il accusait d’avoir voulu liquider ses compagnons de route, dont lui-même. Il s’arrangera pour que les circonstances réelles de la mort de Sankara ne puissent jamais être élucidées, allant jusqu’à faire délivrer à sa famille un certificat de décès confirmant sa « mort naturelle  ». L’enquête judiciaire sur cette affaire est restée au point mort pendant l’ère Compaoré. Vingt ans durant, le régime empêchera les proches du capitaine disparu d’aller se recueillir sur sa tombe. En politique, la nouvelle administration promulgue la « rectification » (de la révolution), s’employant à ramener le pays dans le giron de la « Françafrique », dont Blaise Compaoré deviendra à terme un élément indispensable aux côtés de son parrain régional le patriarche ivoirien Félix Houphouët-Boigny.

Icônisation

Voici le contexte dans lequel est née la légende de celui que ses compatriotes ont affectueusement surnommé « Tom Sank ». La mort tragique du leader, jamais élucidée, y a largement contribué. « La mort transforme la vie en destin », écrivait le ministre de De Gaulle André Malraux, qui s’y connaissait en destins empêchés de s’accomplir, mais aussi en destins dégradés par l’usure du pouvoir, ayant été souvent appelés à célébrer leur installation dans le Panthéon de la mémoire collective.

Quant à ceux qui célèbrent le révolutionnaire burkinabé, ils s’appellent Fela, Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, Smockey, Sams’K Le Jah, Basic Soul, Didier Awadi, Cheikh Lô, Robin Shuffield, Christophe Cupelin, Cédric Ido, Baoui Jean Camille Ziba, Aristide Tarnagda, Serge Aimé Coulibaly, Pierre-Christophe Gam.... Venues des disciplines diverses – ils sont chanteurs, chorégraphes, designers, cinéastes, dramaturges -, ces artistes se sont emparés de la figure de Sankara et en ont fait l’icône de cette «  autre Afrique » libérée de l’emprise des grandes puissances que le capitaine appelait de tous ses vœux.

 

« Ce phénomène d’"icônisation" de Sankara a pris de l’ampleur, explique Bruno Jaffré, dans les années 2000, où on a assisté à une mutation de l’opinion par rapport à l’homme du 4 août 1983.  » Le tournant fut la célébration, en 2007, du vingtième anniversaire de l’assassinat du leader africain, lorsque des centaines de milliers de personnes se sont mobilisées pour aller accueillir sa veuve. En dédiant trois ans plus tard son Kora Award à Thomas Sankara, en pleine session de remise de prix à Ouagadougou en présence du successeur de ce dernier, le rappeur Smockey marque une nouvelle étape dans la réhabilitation du président déchu. Il n’était pas par ailleurs rare à l’époque de croiser dans les rues de la capitale des jeunes vêtus en T-shirts à l’effigie du « Che » africain, alors que son image était interdite sur les écrans de la télévision publique.

« Au fur et à mesure que le régime de Compaoré s’enfonçait dans la corruption, le clientélisme, le népotisme, poursuit Jaffré, la population s’est réfugiée dans le souvenir des acquis sociaux et économiques des années Sankara, oubliant parfois la dimension autoritaire du régime. » Et le biographe d’ajouter : « Le rappel des célèbres discours du capitaine mis en cadence par les chanteurs, tout comme les allusions dans leurs textes aux combats économiques menés avec succès sous Sankara tels que l’autosuffisance alimentaire, la construction des logements sociaux, les grandes campagnes de vaccination qui ont touché 2,5 millions de Burkinabè, ont préparé le terrain pour l’insurrection populaire de 2014. ».

Selon Antoine Glaser, observateur attentif des évolutions africaines, ce phénomène d’influence outre-tombe de Sankara s’explique aussi par la nature des combats précurseurs qu’il a menés notamment en faveur de l’écologie ou du refus du diktat des organisations monétaires internationales, « des combats en prise avec les enjeux contemporains, pas seulement en Afrique ».

Paradoxes

Morte en 1987, sa mémoire ressuscitée par les artistes au cours des années 2000, puis réinstallée au cœur du Burkina officiel par les jeunes insurgés d’octobre 2014 qui ont délogé Blaise Compaoré, la révolution sankarienne a aujourd’hui le vent en poupe dans sa patrie. Or paradoxalement, les partis politiques burkinabés qui se réclament du sankarisme demeurent minoritaires dans le pays et peinent à faire entendre leur voix, bien qu’ils aient rejoint le gouvernement issu des élections démocratiques de 2015. Un gouvernement dont les orientations semblent tout sauf révolutionnaires. Comment dans ces conditions rester fidèle à l’idéal sankariste ?

« Ce ne sont pas les partis politiques mais les organisations de la société civile qui sont les vraies héritières de la pensée radicale de Thomas Sankara, affirme Antoine Glaser. Elles ont pour nom Y’en a marre au Sénégal, Lucha au Congo, Le Black Monday Movement au Cap ou Le Balai citoyen au Burkina. A elles incombent la lourde tâche d'imagine un autre avenir. »

Créée par les militants pro-révolutionnaires, Le Balai citoyen a été le fer-de-lance de l’insurrection de 2014. Proche du gouvernement d’Ouagadougou sans en faire partie, elle se veut la « mauvaise conscience du pouvoir ». Pour son porte-parole Guy-Hervé Kam, le meilleur moyen de perpétuer la mémoire de Thomas Sankara, serait de s’assurer que l’ex-Haute-Volta demeure fidèle au nom que lui a donné ce dernier, car, affirme-t-il, « le pays des hommes intègres est plus qu’un nom. Un horizon d’attente. »

(1) Thomas Sankara: La liberté contre le destin. Discours rassemblés et présentés par Bruno Jaffré. Edition Syllepse, 480 pages, 20 euros.


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Qui a tué Sankara ? Retour sur une affaire d’État, 30 ans après… (sur le site de "Jeune Afrique")

Le 15 octobre 1987, le président burkinabè Thomas Sankara était assassiné avec douze de ses compagnons. Trente ans après, alors que le doute sur le commanditaire plane encore, le souvenir du leader de la révolution du Burkina Faso est toujours présent dans l'esprit de ses proches, comme dans celui de nombreux Burkinabè.

 

Dans la Série Historique Livret N° 17 : Le départ des Missionnaires d'Afrique du Mozambique en 1971 de Frank Nolan M.Afr.