Histoire

Turbulence et Re-définition dans la Société, 1960-1980 (PE n° 1085)

La Société au début des années 1960

Dans les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, la Société a connu une période d’expansion et de renouveau spirituel. Il y eut une grande croissance en nombre. Sur une période de dix ans (1947-1957), la Société est passée de 2.380 à 3.167 membres et, en 1965, elle comptait au délà de 3.600 membres. Beaucoup de nouvelles communautés furent fondées et de nouvelles activités lancées. La Société est devenue officiellement bilingue en 1947 et, en 1952, le généralat déménagea de Maison Carrée (Alger) à Rome. En 1957, pour la première fois de son histoire, un non français, le père Leo Volker, fut choisi comme Supérieur général.

Le Père Leo Volker

En 1962, le père Volker décrivait quelques-unes des difficultés auxquelles le Conseil général devait faire face à ce moment-là :

« Cette année, 88 prêtres seront ordonnés et 18 Frères feront leur serment perpétuel. Mais, en même temps, nous devons nous soucier de 50 vicariats et préfectures apostoliques, 13 grands séminaires, le généralat et 9 provinces et pro-provinces. Vous comprenez notre angoisse …» (Lettre circulaire n° 20. P. Leo Volker, 03.10.1962)

Tels étaient les défis de l’abondance. Il y avait beaucoup de missionnaires travaillant en Afrique : ainsi, la Tanzanie d’aujourd’hui avait deux provinces avec un total de 350 confrères ; le Burkina Faso aussi avait deux provinces et un total de 270 confrères ; l’Ouganda en avait 205, la Zambie et le Malawi 350, le Congo 300. A l’exception du Nigéria et du Mozambique, la Société œuvrait seulement dans les territoires qui lui avaient été confiés par la Propaganda Fide au temps du fondateur.

En ce temps-là, les Pères Blancs étaient «blancs» : ils portaient tous la gandoura et, à de rares exceptions, ils étaient tous européens ou nord-américains d’origine. La vie dans la Société était gouvernée par des règles très claires, telles que définies par le “Directoire”. Dans toutes les communautés de la Société les confrères prenaient leurs repas, disaient les mêmes prières et avaient leur récréation en même temps, finissant chaque journée en chantant le Sancta Maria.

Au début des années 1960, presque tout le monde pensait que la Société continuerait de suivre la ligne de la décade précédente. Mais les années 1960 devaient s’avérer être un grand tournant pour la Société. « Le vent du changement » soufflait sur presque tous les aspects de la vie. La plupart des pays africains obtenaient leur indépendance. La vie de l’Eglise subissait un changement radical avec le Concile Vatican II. Ce fut une décade de bouleversement politique et social en Europe (cf. les événements de 1968). C’était à la fois un changement de structures et de modes de pensée. Et la Société fut touchée par tous ces changements.

Indépendances africaines

La plupart des pays africains ont obtenu leur indépendance dans les dernières années 1950 et dans les années 1960. La Société avait prévu quelques-uns des changements qui auraient lieu en Afrique, mais fut surprise par la vitesse à laquelle ils se produisirent et par les dimensions de ces changements. En général, les confrères accueillirent l’indépendance d’une manière positive. Beaucoup contribuèrent positivement à la préparation de l’indépendance par leur travail dans le domaine de l’éducation et de la formation de l’élite, la création de la presse et leur souci des problèmes sociaux.

Plaque commémorative

Mais l’indépendance signifia un changement très important pour les missionnaires. Dans quelques pays, la transition vers l’indépendance fut paisible et ne causa pas de problèmes majeurs. Mais, en d’autres endroits, la transition fut pénible. Au Congo, l’indépendance fut dramatique : des confrères furent tués en 1961, 1964 et 1965. Les missionnaires furent expulsés de Guinée en 1967. Quelques confrères ont perdu la vie en Algérie. En Tunisie et en Algérie une situation radicalement différente a surgi : la plupart des chrétiens quittèrent le pays et partirent pour l’Europe (Kabyles chrétiens et colons européens) ; les confrères durent donc apprendre à vivre dans un milieu entièrement musulman. A cause de l’indépendance, les gens, dans quelques pays, devinrent plus exigeants et plus sûrs d’eux-mêmes. Il y eut un éveil de sentiments nationalistes en quelques endroits. Dans l’Eglise, ce mouvement d’indépendance s’exprima dans la volonté d’africanisation et d’authenticité. Beaucoup de pays africains passèrent par une période de rejet de tout ce qui était lié à la vieille puissance coloniale, et connurent une sensibilité accrue envers tout ce qui pouvait être perçu comme influence européenne et coloniale. Quelques missionnaires eurent des difficultés avec l’ingérence des cadres politiques et des officiels. Pour quelques missionnaires, l’Afrique n’était plus le lieu qu’ils connaissaient et ils rentrèrent en Europe. Mais la plupart ont accepté la nouvelle situation sans trop grosse difficulté.

Le Père Georges Defour et les jeunes du Mouvement Xavéri à Bukavu

Quelques domaines traditionnels administrés jusqu’alors par l’Eglise furent pris graduellement par les Etats nouvellement indépendants : écoles, hôpitaux. Quelques-uns ressentirent cela comme une perte. D’autres le virent comme un avantage.

Les méthodes pastorales changèrent. Beaucoup de groupes d’Action catholique furent créés et se sont développés au cours de cette période. On insista plus fortement sur des projets de développement car on avait une plus grande conscience de la nécessité de lutter contre le mal sous toutes ses formes.

La formation des hiérarchies locales

Comme les pays africains devenaient indépendants, l’Eglise africaine fit de même.

Jus Commissionis

(Cf. Histoire de la Société des missionnaires d’Afrique. Rome 1990, p. 53)

Jusque dans les années 50, les relations entre un Institut missionnaire et le territoire où il servait étaient réglées par le « Jus Commissionis » : un contrat entre la Propaganda Fide et l’Institut missionnaire par lequel ce dernier recevait une responsabilité spéciale au service de l’Eglise sur ce territoire. Dans l’Eglise universelle, le Jus Commissionis fut abrogé en 1969. Mais, dans les Eglises africaines où les missionnaires d’Afrique travaillaient, les hiérarchies locales furent établies dans les années 50 abrogeant ainsi, de fait, le Jus Commissionis. Les vicariats devinrent des diocèses au sens plein.

L’impact de ces changements ne se fit sentir que dans les années 60 quand les hiérarchies qui avaient été établies dans les années 50, commencèrent à être africanisées. En 1962, au début du concile, il y avait 330 évêques venant de diocèses africains mais seulement 80 d’entre eux étaient africains.

Tandis que l’africanisation aurait dû être une cause de fierté chez les missionnaires (c’était un signe qu’ils avaient réussi dans leur tâche) – et, pour l’immense majorité, il en fut ainsi – pour un petit nombre ce fut considéré comme une perte. L’africanisation des Eglises a bien signifié une certaine perte de pouvoir et de contrôle. Les choses ne se faisaient plus de la manière à laquelle les missionnaires étaient habitués. Un missionnaire a déclaré que quelques-uns se sentaient comme une mère dont la fille venait d’être mariée ! Les Instituts missionnaires n’avaient plus leurs missions. Quelques missionnaires avaient le sentiment que l’africanisation de l’Eglise était un signe que leur rôle dans l’Eglise africaine était terminé et qu’il leur fallait partir, afin de forcer les chrétiens africains à assumer leurs responsabilités et de leur permettre de les assumer.

Pays Abrogation du
Jus Commissionis
Premier
évêque africain
Les évêques africains
sont la majorité
Haute Volta
(Burkina Faso)
1955 1960 1968
Mali 1955 1962 1976
Gold Coast
(Ghana)
1950 1960 1973
Nigéria 1950 1973  
Ouganda 1953 1939 1969
Tanganyika
(Tanzanie)
1953 1951 1962
Nyassaland
(Malawi)
1959 1956 1961
Rhodésie du Nord
(Zambie)
1959 1965 1965
Zaire – R.D. Congo 1959 1960 1963
Rwanda 1959 1952 1962
Burundi 1959 1959 1962

Les premiers évêques africains furent reçus avec joie ; plus tard, des difficultés ont été éprouvées à cause de nouvelles directives pastorales (ou leur manque). Dans quelques cas, les évêques africains avaient des priorités autres que celles de leurs prédécesseurs blancs. Ceci a causé des frictions entre les régionaux et les nouveaux évêques – par exemple dans les domaines des nominations et de la gestion financière. Quelques confrères ont craint d’être mis entre les mains d’évêques africains sans être suffisamment protégés et soutenus par la Société. Des contrats furent donc prévus pour clarifier la situation nouvelle. Mais dans la réalité des situations vécues, les contrats ont eu une valeur limitée ! Le Supérieur général et ses assistants, par leurs visites et rencontres, travaillaient à apaiser ces craintes. La plupart des confrères ont réagi généreusement à la situation nouvelle.

En dépit de l’abrogation du Jus Commissionis, la Société a ressenti qu’elle avait une obligation morale envers ses diocèses et les missionnaires y sont restés. Cela a cependant ouvert la voie à de nouvelles possibilités que la Société allait assumer après le Chapitre de 1974. La Société pouvait maintenant envoyer des missionnaires vers de nouvelles régions : Nairobi (Kenya), Afrique du Sud, Tchad, Niger et le Copperbelt en Zambie.

Contribution des missionnaires d’Afrique à l’établissement de l’Eglise locale

De bien des manières, la Société a pris une part active à la construction de l’Eglise locale. Une des priorités pastorales de la Société, presque dès le début, fut l’établissement et la marche de séminaires en vue de former le clergé local. Dans les années 60, beaucoup de membres du clergé local avaient été formés dans des séminaires administrés par les Pères Blancs. Après leur ordination, beaucoup d’entre eux ont vécu et travaillé dans des communautés de Pères Blancs. Avec l’africanisation des diocèses, une des premières choses à être transmise fut la direction des séminaires diocésains. Quelques confrères restèrent comme professeurs.

le Grand séminaire de Kipalapala en construction

La Société fut active dans la formation des prêtres africains, des Sœurs et des Frères. Un exemple est l’Institut de Ggaba (Kampala, Ouganda) qui déménagea plus tard à Eldoret (Kenya). Des confrères furent impliqués dans la formation et la mise en place des Petites Communautés Chrétiennes et dans la création de syllabus d’éducation religieuse. Un bon nombre de prêtres diocésains prirent part aux sessions et retraites organisées à Jérusalem. Parallèlement à la formation du clergé local des confrères furent aussi actifs dans la fondation et la conduite de Centres de formation de catéchistes.

Relations entre la Société et les Eglises locales

Un des problèmes principaux de la Société fut de redéfinir le rapport des missionnaires à l’Eglise locale. Jusque dans les années 50, les missionnaires étaient en charge de la mission ; ils avaient fondé l’Eglise locale et l’avait organisée. Mais avec l’établissement des hiérarchies locales et avec un clergé diocésain devenant plus nombreux et prenant des postes de responsabilité, les relations entre les missionnaires et les Eglises locales subirent un changement radical.

Le Père Bob Gay

Tel fut le principal point focal des « chapitres d’aggiornamento ». Dans le rapport du Supérieur général au Chapitre de 1986, le père Bob Gay décrivit l’évolution qui eut lieu entre les années 1967 et 1980. Il écrivait : « Le développement peut être conçu comme la construction lente d’une phrase très simple : La Société des missionnaires d’Afrique est au service des Eglises locales d’Afrique ». Il écrivait encore :

« Le Chapitre de 1967 insistait sur le fait que nous sommes au service de l’Eglise locale. C’était une réaffirmation nécessaire. Nous sommes à la fin de l’ère missionnaire du Jus Commissionis et aux premières années d’une hiérarchie constituée en Afrique. Notre entière perspective de l’apostolat se devait d’être ajustée à cette vue de la mission.» (Rapport du Supérieur général. P. Bob Gay, Petit Echo 1986, p. 528.)

Le Père Théo Van Asten

Le Chapitre de 1967 a affirmé que nous sommes «au service de l’Eglise locale». Le père Théo Van Asten, guidé par Mgr Blomjous, insista sur le besoin de travailler étroitement avec et au sein des Eglises locales émergentes.

Le Chapitre de 1974 s’efforça de clarifier le service que la Société offrait à l’Eglise locale. Ce n’est pas un service inconditionnel. La Société est au service de l’Eglise locale comme Société missionnaire, mais selon son charisme propre, sa spiritualité et son mode de vie. Si la Société devait offrir un service inconditionnel à l’Eglise locale, elle pourrait s’enliser dans ces régions où elle a travaillé traditionnellement et perdre son charisme missionnaire. La Société devrait être prête à aller de l’avant et à entreprendre de nouvelles tâches. Le Chapitre de 1974, avec son insistance sur la première évangélisation, parlait de tâches d’avant-garde et pionnières. Il a défini, comme tâches prioritaires de la Société, la première évangélisation, le dialogue avec l’islam, l’évangélisation dans des situations nouvelles telles que : apostolats urbains, travail avec les migrants, communautés chrétiennes de base.

Mgr Blomjous

Le Chapitre de 1980 centra son attention sur l’identité de la Société. Quelle est l’identité de la Société au service des Eglises locales en Afrique ? Le chapitre a réaffirmé que nous sommes au service de l’apostolat dans le monde africain, plus particulièrement en Afrique. Notre projet apostolique commun est de témoigner de l’évangile, en vivre et de le proclamer au sein des peuples de l’Afrique. (Chapitre 1980, Documents n° 26) Nous nous efforçons d’obtenir cela non pas tout d’abord comme individus, mais comme communautés internationales et interraciales offertes aux Eglises locales. Il a aussi insisté sur notre charisme missionnaire avec son intérêt particulier pour le monde de l’islam et, finalement, sur ce qui constitue notre identité de missionnaires d’Afrique. (Cf. Rapport du Supérieur Général. P. Bob Gay, Petit Echo 1986, p. 529) Il a insisté sur nos tâches prioritaires : première évangélisation aux frontières de l’Eglise, autonomie des Eglises locales, dialogue avec les musulmans, travail pour la justice et le développement, animation missionnaire et service des confrères. La Société travaille au sein des Eglises locales mais, en même temps, respecte sa propre identité missionnaire.

Dans la période considérée ici, les rapports entre la Société et les Eglises locales ont changé radicalement. On peut distinguer différents moments :

Au stade initial de l’évangélisation, les missionnaires ont joué un rôle dominant. Jusqu’aux années 50 et 60 presque toutes les fonctions importantes dans l’Eglise locale étaient entre les mains de la Société.

Alors que la hiérarchie locale était établie et que le clergé local devenait plus nombreux et plus expérimenté, beaucoup de fonctions et de paroisses leur furent transmises. La Société cependant continuait à jouer un rôle signifiant. Les missionnaires étaient encore nombreux et beaucoup de paroisses étaient encore entre leurs mains.

Dans les années récentes, comme le clergé local devenait plus nombreux et que les missionnaires devenaient le petit nombre, notre présence devint de plus en plus marginale.

1. “Partir pour de bon” ou “période de transition” ?

A la rencontre de Bangkok du Conseil mondial des Eglises en 1973, on disait que les Eglises du Tiers-Monde ne deviendraient jamais adultes aussi longtemps qu’il y aurait une présence massive de représentants d’Eglises du «premier monde». L’aide financière apportée par les pays développés et les missionnaires étrangers étaient cause de dépendance. Afin que les Eglises du Tiers-Monde deviennent adultes, on proposa que les Eglises du monde développé éliminent temporairement leur aide financière et « partent ». La suggestion de « partir » provoqua un tas de discussions en différentes parties de l’Eglise catholique. On appela “moratoire” cette idée de « partir ».

Dans les milieux catholiques le “moratoire” n’a pas eu beaucoup d’influence. Il n’avait pas la faveur des évêques africains. Au contraire, ils étaient activement à la recherche de plus de missionnaires parce que, dans la plupart des diocèses, il y avait encore un manque de prêtres et de religieux. Le fait que, dans quelques pays africains, il y eut un afflux d’autres congrégations, affaiblit l’argument qu’il était temps de plier bagage et de rentrer chez soi.

Même si l’idée de moratoire n’a pas dominé la réflexion de la Société, elle a eu cependant une certaine influence. Elle a causé un sentiment de découragement chez certains. Les questions « Pourquoi sommes-nous ici ? » et « Qu’est-ce que nous y faisons ? » étaient posées. Quelques confrères ont pu trouver dans cette théorie la justification de partir pour d’autres raisons, souvent personnelles. Cela a eu des répercussions négatives sur l’animation missionnaire. Pour les missionnaires d’Afrique, c’est en Tanzanie que ce mouvement a été le plus fort.

À un niveau officiel, les évêques africains répondirent à ce débat sur le moratoire en publiant une déclaration durant le Synode des évêques à Rome. Ils rejetaient l’idée du moratoire comme étant une cassure dans les relations fraternelles entre les Églises, les plus vieilles et les plus jeunes. Ils insistaient sur le fait qu’il y a encore besoin de missionnaires, mais que la coopération entre elles devra prendre de nouvelles formes qui prendront en compte les aspirations des jeunes Églises pour plus d’autonomie et de responsabilité. Ils encouragèrent leurs propres Églises à se prendre plus en charge et ils demandaient aux Églises occidentales de faire passer leur aide par des projets gérés localement. (John Baur, 2000 ans de christianisme en Afrique, p. 314.)

En Europe et en Amérique du Nord, la notion de mission fut de plus en plus attaquée dans la presse et ailleurs. On disait que les missions avaient exporté la domination européenne et la civilisation européenne, qu’elles prolongeaient l’influence des puissances coloniales et qu’elles exportaient un modèle européen d’Eglise. On disait encore que la mission devrait cesser et que les missionnaires devraient se retirer des territoires de mission. Cette atmosphère eut pour effet de décourager quelques missionnaires. (« La société des missionnaires d’Afrique des années cinquante à aujourd’hui », J-C Ceillier, p. 1.)

Alors que l’Eglise en Afrique s’africanisait, il y eut, en certains endroits, une tension entre clergé local et clergé étranger. On avait le sentiment que le moment était venu de transmettre la responsabilité de l’Eglise au clergé local – spécialement pour les séminaires. C’était le temps de la transmission ; pour certains, ce fut un temps difficile. Il y avait de nouvelles tensions : missionnaires – évêques du pays ; missionnaires – nombre croissant de prêtres dans le clergé diocésain. Pour quelques missionnaires cela fut un temps difficile parce que l’Eglise locale n’était plus organisée comme autrefois. Quelques missionnaires eurent de mauvaises expériences et furent découragés. Ils ont vu cela comme un signe que le moment était venu de laisser l’Église d’Afrique aux Africains et de permettre au clergé africain de prendre ses responsabilités.

En certains endroits, le clergé local ressentait la présence des missionnaires comme un obstacle. Quelques évêques africains virent les missionnaires comme un mal nécessaire ! (John Baur, 2000 ans de christianisme en Afrique, p. 313) – parce qu’ils empêchaient l’inculturation. Souvent, quand le clergé local devint suffisamment nombreux et forma un groupe distinct, il y eut des tensions entre eux et les missionnaires qui étaient là depuis longtemps. Au Zaïre, cette tension était forte si bien que quelques-uns parlaient de guerre froide. Quand le clergé local eut la majorité et fut en charge, cette tension disparut. (W. Bühlmann, «The coming of the Third Church», p. 273)

Cependant il était clair qu’un certain type de mission avait fait son temps, celui d’une Eglise dominée par les missionnaires européens et les finances européennes ; une Eglise identifiée aux vieilles puissances coloniales. Dans les années 60, une nouvelle réalité émergea : une Eglise africaine où le missionnaire était au service des évêques africains et de l’Eglise africaine. Le missionnaire européen n’était plus en charge comme c’était le cas autrefois. Il était invité à entrer dans un nouveau rapport avec l’Eglise locale et à passer d’une position de maître à celle de serviteur. Pour les missionnaires qui réussirent à faire ce pas, la mission a continué avec la même urgence qu’auparavant.

Les problèmes causés par une présence missionnaire pesante dans l’Eglise locale furent résolus de différentes manières :

Beaucoup de missionnaires firent la transition et marchèrent avec leur temps.
Il y eut beaucoup de départs de l’Afrique – pour des raisons diverses. Quand je suis arrivé en Ouganda en 1974, j’ai entendu parler de tous les confrères qui avaient quitté le pays dans les quelques années précédentes ; ils étaient partis soit à cause de la difficulté de renouveler leurs permis de travail dans l’Ouganda d’Amin ou leur inhabilité à se réajuster à la situation nouvelle.

En même temps, il y eut une chute sérieuse dans le nombre de missionnaires arrivant en Afrique. A ce moment-là, les vocations en Europe avaient chuté très sérieusement.

Avec l’insistance nouvelle de pousser en avant les tâches pionnières (Chapitre de 1974), la Société a commencé à envoyer des missionnaires vers d’autres régions et de nouveaux pays : Tchad, Niger, Afrique du Sud, Soudan.

Pour la majorité, les Pères Blancs ont négocié cette transition sans problèmes majeurs. Les supérieurs majeurs ont insisté sur le besoin de travailler de pair avec le clergé africain et au sein des nouvelles Eglises locales émergentes. Le père Jean-Marie Vasseur, Supérieur général de 1974 à 1980, se dépensa à réinjecter enthousiasme et dynamisme dans la Société. Il a montré que, au lieu de partir sur la pointe des pieds, la Société était plus nécessaire que jamais. Il fit remarquer que la Société recevait plus de demandes de missionnaires de la part d’évêques africains qu’on ne pouvait en satisfaire, y compris des demandes venant d’évêques de territoires où nous ne travaillions pas.

Père Jean-Marie Vasseur

Le Concile Vatican II

Un autre domaine où le «vent du changement» soufflait fut au sein même de l’Eglise. Les années autour du concile Vatican II (1962-1965) fut un temps passionnant, un temps de questionnement et de réexamen de beaucoup d’aspects de la foi et de la vie de l’Eglise. Le but du concile était l’aggiornamento : mettre l’Eglise à jour en l’adaptant aux réalités du monde moderne.

Vatican II s’est révélé être un grand tournant dans la réflexion sur la mission. Jusqu’à ce moment-là, le but de la mission avait été de «sauver les âmes», «convertir les païens» et «établir l’Eglise». Il y avait un aspect de «mission civilisatrice» et ceci était lié jusqu’à un certain point à la colonisation. La poussée de la mission venait de l’ouest vers le Tiers-Monde, un mouvement à sens unique centralisé depuis Rome. Trois documents conciliaires (Ad Gentes, Nostra Aetate et Gaudium et Spes) ont proposé une nouvelle approche de la mission. La mission est maintenant perçue comme un partage de la mission de la Trinité et est basée non seulement sur la rédemption mais aussi sur l’incarnation. Le concile soulignait la valeur des autres religions et le respect qui leur était dû.

Il y eut un changement majeur dans l’ecclésiologie. De «extra ecclesiam nulla salus» (pas de salut hors de l’Eglise), l’Eglise s’ouvrait à l’œcuménisme et au dialogue avec les autres religions. Ce changement de théologie eut des implications pratiques considérables pour le travail missionnaire. S’éloignant d’un modèle purement hiérarchique, l’Eglise mettait l’accent désormais sur le peuple de Dieu dans lequel tous les hommes sont appelés à prendre part. L’Eglise locale revêtait maintenant une importance beaucoup plus grande.

Résultant du concile, beaucoup de changements se sont manifestés et ils sont arrivés rapidement. Un vent de démocratie et de liberté soufflait dans l’Eglise. Ceci l’amena à questionner beaucoup d’aspects de sa vie. Quoique les documents conciliaires aient été propagés rapidement, cela prit beaucoup de temps pour qu’ils soient lus et digérés. La conséquence pour certains, à brève échéance, a été la désorientation et la confusion. Quelques catholiques ne savaient plus que penser et que croire. Beaucoup de ce qu’ils avaient cru jusque-là et leurs manières de prier et de considérer le ministère semblaient être récusées et rejetées. C’est à ce moment-là que beaucoup de prêtres quittèrent le ministère ; d’autres se disaient découragés. Cependant, pour beaucoup d’autres, le concile fut comme un souffle d’air frais qu’ils accueillirent avec enthousiasme.

Pour quelques aspects de la vie et de la discipline de l’Eglise, le couvercle qui les étouffait fut enlevé. Beaucoup de choses qui avaient été réprimées, montaient maintenant à la surface. Après un long temps d’obéissance stricte à des façons de faire et de penser, le pendule a commencé à prendre une autre direction. Une grande partie de la confusion de ce temps-là était due au fait que quelques changements dans l’Eglise se firent sans préparation adéquate ; ils se matérialisèrent très rapidement et quelques-uns étaient trop radicaux. Le concile a ouvert les portes – des catholiques sont allés plus loin que ce qui était écrit dans les documents.

Les Chapitres d’ “Aggiornamento”
(1967, 1974, 1980)

Le Chapitre de 1967

La Société, comme toute autre congrégation, devait repenser tous ses buts et structures à la lumière du second concile du Vatican. Le concile avait accompli un aggiornamento de toute l’Eglise ; il était maintenant nécessaire pour la Société d’appliquer cet aggiornamento – ceci a été fait au cours de trois chapitres : 1967, 1974 et 1980.

Durant ces Chapitres dits « d’aggiornamento », toutes les structures et buts de la Société furent repensés à la lumière du concile. Il y avait tant à faire en 1967 que le Chapitre se déroula en deux sessions séparées. Le Chapitre produisit deux séries très riches de documents dans lesquels presque tous les aspects de la Société et de sa mission étaient repensés. A la différence des autres chapitres celui-là pensa qu’il était nécessaire de donner une présentation théologique pour chacun des points traités. Toutes les structures de la Société furent remises en question et beaucoup d’entre elles furent rejetées (sans être immédiatement remplacées). Voici quelques-uns des points principaux du chapitre de 1967 :

  • Le missionnaire et la Société en général sont au service des Eglises locales en Afrique.
  • L’activité missionnaire comprend à la fois l’évangélisation de ceux qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ et aussi le soin à donner aux jeunes Eglises pour qu’elles parviennent à maturité. (Chapitre 1967, n° 136.)
  • La notion d’adaptation (précurseur de l’inculturation) : il faut permettre aux jeunes Eglises africaines d’exprimer leur foi d’une manière adaptée à leur culture.
  • Un plus grand respect pour les religions non-chrétiennes – spécialement pour l’islam.
  • La vie de communauté fut réexaminée à la lumière d’idées telles que co-responsabilité et dialogue. Chaque communauté devait avoir son rythme propre. L’obéissance et les relations avec les supérieurs furent rénovées.
  • Respect et appréciation de la vocation des Frères, ouverture aux vocations africaines et conscience du besoin d’un système plus ouvert de formation.

Dans la vie de la Société le pendule virait vers un autre versant. Ce qui avait été négligé jusqu’alors était maintenant développé ; en conséquence, quelques éléments se sont perdus, au moins pour un temps. Quelques notions majeures et principes de vie intérieure commencèrent à être négligés : humilité, abnégation, renoncement, sacrifice. D’un autre côté, il y eut une plus grande insistance sur les droits et le développement de la personne individuelle et de ses capacités.

Alors que beaucoup de bonnes choses ont été dites et écrites au Chapitre, il y eut, au moins à brève échéance, un problème de mise en place des décisions. Au début, toutes les décisions ne furent pas bien comprises. Les confrères eurent la tendance de suivre les décisions qui étaient en faveur d’une plus grande liberté personnelle, tandis que les décisions qui traitaient d’une plus grande responsabilité communautaire tendaient à être laissées de côté. Tout cela apporta une grande liberté pour certains, mais une confusion pour d’autres. En certains endroits, la règle, l’horaire, les vieilles structures d’autorité disparurent. Ceux qui avaient dépendu de ces éléments se sentirent perdus.

Période de turbulence (1967 – 1974)

Les Chapitres de 1974 et 1980 continuèrent et complétèrent le travail du Chapitre de 1967. Les années 1967-1974 furent, pour certains, un temps d’incertitude et de contestation à la fois dans la Société, dans toute l’Eglise et aussi dans l’ensemble de la société. Beaucoup de confrères quittèrent la Société et la prêtrise. De 1967 à 1981, 368 prêtres quittèrent la Société : 252 furent laïcisés, 61 furent incardinés dans d’autres diocèses et 55 partirent de façon irrégulière. Ce fut un temps de transition : avant les années 1960 les missionnaires faisaient marcher les Eglises locales en Afrique ; maintenant ils étaient au service d’Eglises locales qui étaient aux mains d’évêques et de clergés locaux. Des convictions profondément ressenties et des manières de faire furent contestées – quelques-unes par le concile, d’autres par des changements de mentalité à la fois en Afrique (à cause de l’indépendance) et dans la société occidentale. Beaucoup de structures de la Société qui avaient été mises en place avant 1967 étaient rejetées mais n’avaient pas encore été remplacées par de nouvelles. Le nombre de confrères qui partaient et la chute du nombre de ceux qui entraient eurent un effet décourageant.

Pour d’autres, ces temps-là furent passionnants et exaltants. Beaucoup ont été remplis d’enthousiasme par les conséquences du Concile et des indépendance africaines. La distanciation d’avec la rigidité du vieux «directoire» ouvrit la voie à une nouvelle liberté. Pour ceux qui avaient une forte «colonne vertébrale», tout cela fut une source d’énergie. Mais pour ceux qui avaient été formés par la dure «carapace» de la règle, ce fut très déroutant.

Le Chapitre de 1974

Le Chapitre de 1974 continua le travail de celui de 1967 : il garda, adapta et modifia, quand nécessaires, les résultats du Chapitre précédent. Le Chapitre fut guidé par 3 principes :

  • La mission n’est pas finie – nous continuons.
  • La mission devrait se centrer de plus en plus sur le monde non chrétien.
  • Afin d’être fidèle à notre vocation missionnaire, nous avons besoin de formation continue et d’un approfondissement de notre vie spirituelle.

Le Chapitre clarifia le service que la Société pouvait offrir aux Eglises locales. Il présenta notre manière de vivre : communauté, attitudes apostoliques : espérance, fidélité, offrande de soi, amour et respect pour les populations avec lesquelles nous vivons et travaillons.

Après le Chapitre de 1974, la Société, sous la direction du père Jean-Marie Vasseur, continua de redécouvrir sa propre identité et son propre dynamisme après la crise des années 1960 :

  • La spiritualité ignacienne fut réaffirmée. La maison de Jérusalem fut ouverte à des retraites ignaciennes et des sessions bibliques. Des sessions sur la spiritualité ignacienne furent organisées à Dublin et Thy-le-Château pour la formation du personnel.
  • Notre charisme missionnaire fut réaffirmé. On s’écarta du service inconditionnel de l’Eglise locale pour un service de l’Eglise comme Société missionnaire ayant son charisme propre.
  • La communauté fut réaffirmée. Le Chapitre de 1974 parlait de regrouper, ramener les confrères ensemble dans le but de la vie communautaire. La chapitre de 1980 déclara que la Société était prête à mettre des communautés de missionnaires d’Afrique à la disposition des évêques, non plus des hommes individuellement. On insista à nouveau sur la règle de trois et les communautés mixtes furent découragées. On insista sur le besoin d’une vie de communauté de qualité.

Dans les dernières années 1970 et les premières de 1980, la Société ouvrit des maisons de formation en Afrique pour y accepter des vocations africaines.
Le petit livre « Notre Identité », écrit par un groupe de confrères, fut publié ainsi qu’une série de lettres circulaires écrites par des membres du Conseil général sur divers aspects du charisme et de l’esprit missionnaire d’Afrique.

La Société lança de nouvelles fondations dans des pays où elle n’avait pas été présente jusque-là : par exemple, en Afrique du Sud et dans l’Est de l’Ouganda

Le Chapitre de 1980

Le Chapitre de 1980 fut le dernier chapitre d’aggiornamento. Ce fut le chapitre de « notre identité ». Les chapitres précédents avaient déclaré que la Société était au service de l’Eglise africaine et avaient défini les modalités de ce service. Le Chapitre de 1980 sentit le besoin de souligner et de clarifier l’identité de la Société qui s’était mise au service des Eglises locales. Il développa qui nous sommes. Il insista sur le fait que nous sommes membres de communautés et sur la qualité de la vie de communauté.

Chiffres

Quand on regarde l’appartenance à la Société depuis 1960 on peut distinguer deux moments :

  • Après avoir atteint un sommet en 1967 (3621 membres), le nombre de confrères principalement d’origine européenne et nord-américaine commença à décliner ; ce déclin a continué jusqu’à aujourd’hui.
  • En même temps, le nombre de confrères africains (et de ce qu’on avait l’habitude d’appeler le «Délégation Intercontinentale») a continué à augmenter depuis l’ouverture du premier Cycle africain en 1979. Il y a maintenant presque 300 confrères africains dans la Société et ce nombre croît.

La baisse des chiffres

Jusqu’en 1967/68, le nombre de confrères dans la Société a augmenté constamment. La Société atteignit 3.618 membres en 1967. C’est une augmentation de 526 en 10 ans. Mais, dès ce moment-là, le nombre a commencé à baisser. Depuis les premières années 1980, le nombre des membres de la Société a diminué en moyenne de 50 par an, alors qu’il avait augmenté de plus de 50 par année durant les 10 années d’avant 1967.

Année
(1er janvier)
1947 1957 1967 1977 1986 1998 2006 2014
Nombre total
de confrères
2380 3169 3618 3172 2671 2096 1684 1366

Dans les années 50, un total de 980 confrères furent ordonnés et 116 Frères firent leur serment perpétuel. Dans les années 60, il y avait environ 75 ordinations et 15 serments perpétuels par an. En 1972, ce nombre était tombé à 21 ordinations et 2 serments perpétuels. Le point le plus bas fut atteint vers la mi-1980 quand une moyenne de 3 furent ordonnés par année et aucun Frère ne fit de serment perpétuel.

Dans les premières années 60, les vocations en Europe et en Amérique du Nord étaient encore nombreuses ; la Société construisait encore des séminaires en Europe. Mais à la fin de la décade, la Société les vendait parce qu’il n’y avait plus assez de vocations. En 1966, il y avait 4 scolasticats (plus de 200 étudiants). En 1974 il y en avait deux : Strasbourg (2 maisons) et Totteridge, avec un total de 50 étudiants. Le déclin sérieux des vocations commença en 1965/66. La période durant laquelle le plus petit nombre entrèrent dans la Société fut la décade des années 70. Ce ralentissement faisait partie d’un changement radical dans la société occidentale dans son ensemble. La société devenait rapidement sécularisée. Il y eut un abandon qui se généralisa de la pratique religieuse.

La baisse des chiffres est due à la chute des vocations, mais aussi au nombre de confrères quittant la Société. La pire période des départs fut 1967 – 1973 : 241 quittèrent (170 laïcisés).

Vocations africaines

Dans les années 1934 – 1980, un total de 17 Africains du Sud du Sahara devinrent prêtres dans la Société et adhérèrent comme prêtres (« Histoire de la Société des missionnaires d’Afrique », p. 24. Vocations Pères Blancs en Afrique, Piet Horsten, Petit Echo 1980, pp. 453–462). En 1934, la Congrégation pour la Propagation de la Foi publia un décret déclarant qu’on ne devait permettre à aucun Africain de se joindre à un Institut religieux durant leurs années de séminaire ou durant leurs 3 premières années de prêtrise sans une permission spéciale du St Siège, la raison en étant le besoin de développer les Eglises locales en Afrique. A un moment donné, en 1954, la Congrégation adoucit la règle mais la réimposa l’année suivante. La plupart des Africains qui réussirent à joindre la Société avaient été formés dans leurs pays d’origine et c’est seulement après leur ordination qu’ils faisaient leur noviciat et étaient acceptés dans la Société. La plupart d’entre eux ont travaillé dans leurs pays d’origine. Cet embargo officiel continua jusqu’en 1970.

Le principe d’accepter des candidats africains fut accepté au Chapitre de 1967 («XXème Chapitre», n° 368). Le concile Vatican II avait insisté sur le besoin pour chaque Eglise d’être missionnaire («Ad Gentes », 8, 20, 38). Mais cette décision ne fut pas appliquée immédiatement. Il devait n’y avoir aucune hâte à recruter. Beaucoup d’évêques qui furent consultés après le Chapitre de 1967 n’étaient pas en faveur de nous voir recruter, car eux-mêmes avaient seulement quelques vocations dans leurs grands séminaires. Le besoin primait pour les Eglises d’Afrique de devenir indépendantes.

La question des vocations africaines fut rediscutée au Chapitre de 1974. Quelques confrères africains présents au Chapitre interpellèrent la Société : «Est-ce que nous voulons des membres africains ou voulons-nous seulement manifester un intérêt de pure forme à cette idée ?» La décision d’accueillir les Africains dans la Société fut réaffirmée (Chapitre 1974, n° 168). Le but, en acceptant les Africains, était d’aider l’Eglise africaine à devenir plus missionnaire et à augmenter l’internationalité et la catholicité de la Société.

La pratique d’accepter des candidats africains fut appliquée quelques années plus tard dans les régions où les évêques étaient d’accord. Avant l’ouverture de maisons de formation en Afrique, il y eut quelques candidats africains qui entrèrent dans la Société au début des années 70.

Premier cycle à Bambumines (Zaïre)

La première maison de formation fut ouverte le 15 octobre 1978 au Zaïre à Bambumines. L’initiative en revint aux régions du Rwanda, Burundi et Zaïre. Un premier cycle fut ouvert en Tanzanie en 1980 (Kahangala), en Ouganda (Katigondo et ensuite Kisubi) en 1981. Le Centre de Première Phase du Ghana (une communauté dans le séminaire inter-diocésain de Tamale) a débuté officiellement en 1977, même s’il y avait déjà un premier candidat en 1976. Le Malawi ouvrit un Premier Cycle en 1982 et la Zambie en 1983. Les premières années des Premiers Cycles africains furent un temps d’expérimentation – les confrères devaient inventer tout un nouveau système. En quelques endroits, nos étudiants suivaient un grand séminaire local (e.g. Tamale) ; en d’autres endroits, la Société dut fournir tout le corps professoral ; ainsi à Kahangala et à Bambumines.

Première promotion de Bambumines

En 1980, avec l’ouverture de «Nouveaux projets» (qui devinrent plus tard la Délégation Intercontinentale), la Société commença de recevoir et de former des vocations provenant non seulement de l’Afrique mais aussi de sources «non-traditionnelles» : Pologne, Inde, Philippines, Mexique et Brésil. Il y a maintenant 50 confrères provenant de ces pays.

Conclusion

La période 1960-1980 a été un temps de turbulence durant lequel la Société a dû s’adapter à un monde nouveau. Au cours de ces années, la Société enracinée dans le charisme de son fondateur s’est redéfinie et la Société, telle que nous la connaissons aujourd’hui, émergea.

Dave Sullivan, M.Afr.


 

 

Missionnaires d'Afrique


 
HISTOIRE

Lavigerie,
les Pères Blancs
et l’attachement à Marie

Peut-on conjuger histoire générale et piété personnelle ? Y a-t-il des relations à établir entre la dévotion mariale de Charles Lavigerie et ses études universitaires, ses engagements sociaux, ses rencontres interreligieuses et politiques, la diplomatie, son séjour à Rome et son expédition au Liban ? Lavigerie n’avait sûrement pas une religion de sacristie. Il n’a jamais aimé les catacombes. Chrétien sur la place publique, il savait vivre au milieu des arènes de l’histoire de son siècle, le XIXe. Si le Cardinal récitait son chapelet, il exprimait aussi sa dévotion à Marie en créant des oeuvres comme les Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, hommes et femmes, les basiliques d’Alger et de Jérusalem, la ‘résurrection’ de l’Église de Carthage... Toutes ces fondations, il les mettait en relation directe avec la Vierge et avec la mission en Afrique. Notre confrère Joseph Vandrisse n’a pas hésité à esquisser le cadre historique, géopolitique et théologique du XIXe siècle pour essayer de cerner la dévotion mariale de notre fondateur.
Chant du Sancta Maria - Video Sancta Maria

Le 8 décembre 1878, en la fête de l’Immaculée Conception de Marie, Mgr Charles Lavigerie - il ne sera cardinal que quatre ans plus tard - signe, de sa résidence de l’archevêché d’Alger, un décret qui reste aujourd’hui pour la Société des Missionnaires d’Afrique (les Pères Blancs) un acte fondamental. ‘Nous déclarons l’Immaculée Conception patronne de la Société des Missionnaires d’Alger sous le vocable de Notre-Dame des Missions d’Afrique’ (Cf. PÉ 2004/2, Homélie du P. François Richard -Réservé-).

Lavigerie date le décret du 8 décembre 1868, sans doute parce que le 19 octobre de cette année-là, il avait ouvert près de Notre-Dame d’Afrique, le premier noviciat des Pères Blancs. En fait, le 8 décembre 1878, il était rentré cinq mois plus tôt de trois semaines en Palestine, principalement à Jérusalem, où l’église Sainte-Anne lui avait été confiée par le gouvernement français (convention du 5 juin 1878). Le 14 septembre, quatre missionnaires quittaient Alger pour Jérusalem où ils arrivaient le 1er octobre.

Le 8 décembre, Lavigerie signait donc et faisait publier le décret qui déclare solennellement l’Immaculée Conception ‘patronne de la société des Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique d’Alger’. Par ce geste, Lavigerie signifiait avec la plus grande clarté, le lien qui unissait l’église Notre-Dame d’Afrique à Alger, à celle de Sainte-Anne de Jérusalem, l’église de Sainte-Marie-où-elle-est-née, selon son titre remontant à la plus ancienne tradition.


Pie IX (1792-1878), le Pape de l’Immaculée Conception avec qui, nommé à Rome de 1861 à 1863, Lavigerie avait établi des liens d’amitié. Bernadette Soubirous (1844-1879), la voyante de Lourdes. L’Émir d’Algérie Abd el-Kader (1807-1883) rencontré en 1860.

Mais d’où venait l’attachement de Lavigerie à Marie Immaculée ? Il est indispensable pour le comprendre - et pour saisir le lien entre Alger et Jérusalem - de tracer les grandes étapes de la vie de cette attrayante figure apostolique qui marqua au XIXème siècle, aussi bien la vie de l’Église que celle de la France.

Notre-Dame d'Afrique

Passons rapidement sur ses années de jeunesse, de sa naissance à Bayonne, le 31 octobre 1825, à son entrée au grand séminaire de philosophie à Issy-les-Moulineaux. Tout jeune, de son Béarn natal, il avait entendu parler de l’occupation d’Alger par les troupes françaises, le 7 juillet 1830, et de l’avènement de la Monarchie de juillet. Ses biographes parlent peu de la vie spirituelle et de la dévotion mariale de l’enfant et de l’adolescent. Pourtant lui-même aimera plus tard évoquer avec simplicité sa piété mariale.


Le Maréchal Mac-Mahon (1808-1898). En 1866, il proposa le siège d’Alger à Lavigerie, évêque de Nancy depuis 1863. Mgr Lavigerie (1825-1892) et un jeune Algérien rescapé de la famine de 1868. Image ancienne de Notre-Dame d’Afrique dans sa basilique d’Alger.

La première partie de sa vie d’adulte va se dérouler de 1843 à mai 1867, date de son arrivée à Alger comme archevêque. Lavigerie, ordonné prêtre le 2 juin 1849, vit, à l’époque de son premier professorat, le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851.

Une année, celle de 1854, peut être considérée comme capitale dans la vie de Lavigerie. Le Second Empire n’a alors que trois ans et la France connaît un remarquable essor économique. La ligne de train Paris-Lyon est ouverte en cette année 1854. Trois figures se détachent qui vont nous permettre de mieux cerner notre recherche nous offrant trois portraits croisés : celui du pape Pie IX d’abord ; celui du Maréchal Mac-Mahon ensuite ; et enfin celui de Lavigerie lui-même qui n’a alors que 29 ans.

Pie IX, lui, est âgé de 69 ans. Il avait été élu huit ans plus tôt et son long pontificat ira jusqu’en 1878, connaissant des situations difficiles : l’ouverture du premier concile du Vatican, la Question Romaine conclue par la prise de Rome par les forces de la ‘Nouvelle Italie’, la publication du Syllabus, etc.

Mais c’est l’époque d’un grand développement marial et missionnaire : en 1854, les missionnaires du Sacré-Coeur d’Issoudun fondent l’Église en Nouvelle-Guinée. La date importante de cette année demeurera celle du 8 décembre. Le pape publie solennellement ce jour-là la bulle Ineffabilis Deus définissant le dogme de l’Immaculée Conception. Il le fait après une longue consultation des évêques mais exclusivement sous son autorité pontificale. Il annonce en quelque sorte le dogme de l’infaillibilité de l’évêque de Rome. Plus de deux cents évêques étaient présents en la basilique Saint-Pierre. Le dogme de 1854 allait renforcer la dévotion populaire dans le catholicisme français qui s’éloigna progressivement du jansénisme.

Docteur-es-lettres et en théologie, Lavigerie est maintenant professeur d’histoire de l’Église à la Sorbonne. Dans sa vie, il gardera un goût prononcé pour l’histoire. La substance des recherches qu’il fit sur les écoles catéchuménales des premiers siècles passera dans ses Instructions aux Pères Blancs sur le catéchuménat africain. Très en contact avec les milieux intellectuels catholiques et les initiateurs du Mouvement social, il l’est aussi avec les milieux diplomatiques.

Le 27 mars de cette année, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à la Russie qui cherchait à élargir son influence au Proche-Orient. La question du partage de la Turquie était déjà à l’ordre du jour. Les alliés subissent un échec à Sébastopol, en Crimée. Les troupes françaises, sous le commandement du général Edme Patrice de Mac-Mahon, tiennent au fort de Malakoff (‘J’y suis, j’y reste’). Neuf ans plus tard, Mac-Mahon devient gouverneur de l’Algérie.


Mère Marie - Salomé
(Renée Roudaut, 3 avril 1847-18 octobre 1930) et la statue de N-D d’Afrique (N-D du Voeu) qu’elle fit ériger dans la cour de la maison-mère près d’Alger en 1885.

Destins croisés, ai-je dit. En 1856, Lavigerie est nommé premier directeur de l’Œuvre des Écoles d’Orient dont on vient de fêter à Paris, cette année, le 150e anniversaire. En 1858, du 11 février au 18 juin, ont lieu les apparitions de Marie à Lourdes : ‘Je suis l’Immaculée Conception’. Dans ses instructions et ses écrits si abondants tout au long de sa carrière, Lavigerie qui avait soutenu avec ferveur la bulle de 1854, ne fera aucune allusion à Lourdes alors que si souvent, d’Alger ou de Paris, il se rendra à Bayonne distant de 150 km de la cité mariale.


Statue de N-D d’Afrique (N-D du Voeu) (Maintenant au Généralat des Smnda à Rome)
‘Depuis la fondation de notre petite Société, que de grâces accordées par l’intermédiaire de Notre-Dame d’Afrique. L’humble barque de notre Congrégation a été menacée du naufrage et Marie l’a sauvé du péril.’ Mère Marie-Salomé première Supérieure des Smnda

En 1860, les chrétiens du Liban et de Damas ayant été massacrés (six mille en quelques jours) par les Druzes, membres d’une secte musulmane, le directeur de l’Œuvre des Écoles d’Orient décide de se rendre au Proche-Orient pour secourir les victimes. Embarqué le 30 septembre, après onze jours de navigation il visite Alexandrie, Beyrouth, Saïda (Sidon), Damas où il rencontre l’Émir Abd-el-Kader, cet Algérien musulman et mystique qui l’émeut par ses propos en faveur des chrétiens qu’il avait secourus. Avant de regagner Paris, en décembre, Lavigerie passe à Jérusalem. Visita-t-il l’église Sainte Anne, bâtie par les croisés, devenue mosquée sous Saladin puis offerte à la France, par la Sublime Porte (l’Empereur ottoman), en remerciement pour son intervention en Crimée. Lavigerie pourra dire à son retour de Palestine : ‘J’ai trouvé mon chemin de Damas’.

En 1861, il occupe au Saint-Siège le poste juridique d’auditeur de Rote. Il y reste vingt-neuf mois et découvre la dévotion des Romains à la Vierge Marie. De nouveau, les routes vont se croiser. Il peut maintenant fréquemment converser avec Pie IX qui l’apprécie, tandis que Mac Mahon, lors de son maréchalat à Nancy, suggère son nom pour le siège du diocèse. Pie IX accepte.

Lavigerie, à 38 ans, est ordonné évêque dans l’église Saint-Louis-des-Français de Rome. Le nouvel évêque va s’efforcer de concilier l’Église et le monde moderne. Il le fait durant deux ans et demi. Le 19 novembre 1866, ayant reçu, au retour d’un pèlerinage à Tours sur la tombe de saint Martin, la soudaine proposition de Mac Mahon, il accepte de suite la nomination à l’archevêché d’Alger. Mac Mahon est alors gouverneur général de l’Algérie.

La seconde partie de sa vie va maintenant commencer. Le bilan des années 1843-1867 ne permet guère de parler de la dévotion de Lavigerie à Marie. Mais lors d’une retraite aux scolastiques, à Carthage en 1884, il pourra leur dire, évoquant son passé : ‘J’ai toujours été fidèle à mes engagements de prêtre et d’évêque. C’est à ma dévotion à Marie que j’attribue cette grâce si précieuse.’


Chapelet du Cardinal. Remarquez le crâne : Et à l’heure de de notre mort !
Statue de la Vierge que le Cardinal gardait sur son bureau. Attribuée à un esclave espagnol du 16e s.
Collections de la Maison Généralice, Rome
Sainte-Anne de Jérusalem appelée aussi Sainte-Marie-où-elle-est-née.

Le Fondateur missionnaire
Le premier geste de Lavigerie, le 15 mai 1867, en débarquant à Alger est de se rendre à la cathédrale puis aussitôt au sanctuaire de Notre-Dame d’Alger qui deviendra l’actuelle basilique Notre-Dame d’Afrique. Il la consacrera en 1872.

Il est depuis longtemps sensibilisé aux questions missionnaires, que son voyage en Syrie, en 1860, avait avivées. Il pourra écrire à son maître et ami Mgr Henry Maret, penseur libéral, le 28 octobre 1868 : ‘J’ai en face de moi un continent de deux cents millions d’êtres humains’. Il veut prendre sa part, comme il le dit, à l’immense tâche de son évangélisation. Dans sa campagne pour la liberté de l’apostolat, il entre très vite en conflit avec Mac Mahon. Mais il est soutenu par Pie IX, qui, en plus de sa mission en Algérie le nomme, le 2 août 1868, délégué pour les missions du Sahara et du Soudan.

Le 19, il ouvre le premier noviciat des Pères Blancs puis, l’année suivante, celui des Soeurs Blanches, le 6 septembre. Dès lors, il confie ses oeuvres à Notre-Dame d’Afrique et insiste constamment devant les premiers Pères sur ‘la dévotion à la Sainte Vierge’. ‘Recourez à Notre Seigneur et à Notre-Dame d’Afrique’, écrit-il de Paris, le 29 juin 1875, au Père Charmetan, chargé de ses intérêts dans la capitale.

Lorsqu’il envoie en mission une caravane qui se rend à Ghadamès, il leur laisse une Instruction portant des consignes, entre autres, sur l’habit des missionnaires : ‘Ils sont libres de faire à celui qu’ils portent à Alger, les modifications du genre de celles que la règle autorise, mais je désire qu’ils ne quittent pas le rosaire (chapelet de 150 grains que les missionnaires portaient autour du cou) qui est comme le bouclier propre de notre petite Société’. En Afrique du Nord, en Afrique Occidentale et en Afrique Centrale, la mission connaît de suite un essor considérable et Lavigerie devient cardinal, le 19 mars 1882.

Les Pères Blancs iront à Jérusalem !
Pourtant, sa piété mariale et son attirance pour le Proche-Orient le poussèrent très vite à proposer à ses missionnaires d’accepter une fondation à Jérusalem même. Dans une lettre à Rome, à la Propagande, Lavigerie écrira en 1881 : ‘Il y a près de trente ans que je m’occupe des chrétiens orientaux’. Neuf ans plus tôt, il avait écrit à la même Congrégation : ‘Je suis disponible pour accepter le Patriarcat latin de Jérusalem’. Il voulait que l’Église d’Occident retrouve son âme orientale, comme le dira plus tard Jean-Paul II. Mais, en 1877, ce n’est plus le Patriarcat latin de Jérusalem qui l’attire, c’est l’église Sainte

Anne où la tradition place la naissance de l’Immaculée.
À cette époque - Léon XIII ayant succédé à Pie IX - le gouvernement français sous la Troisième République cherche à confier ce lieu à un institut religieux. Lavigerie y pense donc, mais l’opposition surviendra vite : de l’extérieur, d’abord, où plusieurs ordres religieux (Prémontrés, Franciscains, Dominicains) se proposent pour le poste. Mais Lavigerie rencontre l’opposition d’un autre secteur, chez ses propres missionnaires engagés, par vocation, pour l’Afrique. Dans le compte-rendu de la séance du Conseil Général de la Société des Pères Blancs du 24 avril 1877, nous lisons que tous les membres du conseil ‘regardaient la proposition comme opposable à notre vocation’.

La réticence des missionnaires ne plaît pas à Lavigerie qui convoque une autre réunion du Conseil trois jours plus tard. Il la préside et le secrétaire du Conseil note dans le rapport la conviction qui l’anime : ‘Sous le pontificat du glorieux pontife (il s’agit de Pie IX) qui a défini le dogme de l’Immaculée Conception, sans que nous n’ayons fait aucune démarche, on offre à notre Société naissante, qui dès son origine s’est mise sous la protection de la Vierge Marie Immaculée, le sanctuaire qui a été élevé à l’endroit même où s’est opéré le grand mystère de l’Immaculée Conception. Ne faut-il pas regarder cette offre comme un événement tout providentiel ? Et ne pas repousser à la légère une proposition qui sera pour nous un gage assuré de la protection de Marie !’

Un seul père ayant répondu négativement, le Cardinal règle de suite la question : les Pères Blancs iront à Jérusalem ! La Convention définitive entre le gouvernement français et Lavigerie avait été signée au préalable à Paris le 30 mars 1878. Le Cardinal avait donc anticipé de lui-même la décision.

Lavigerie s’embarque à Naples pour se rendre en Palestine où il passe trois semaines. Sur place, il visite Sainte-Anne et évalue ce qui reste à faire pour l’installation de quatre de ses missionnaires qui, eux, quittent Alger pour Jérusalem le 14 septembre 1878, pour y arriver le 1er octobre. La même année, une caravane s’était mise en route pour l’Afrique de l’Est, la Tanzanie, l’Ouganda...

Le 8 décembre, Lavigerie signe le décret déclarant l’Immaculée Conception, patronne de l’institut missionnaire. Deux ans plus tard, en juin 1880, les confrères de Sainte-Anne rencontrent le Patriarche grec-melkite-catholique Grégoire Youssef de passage dans la ville sainte. Celui-ci leur propose de fonder un séminaire pour la formation de jeunes se proposant de devenir prêtres célibataires à côté de leurs confrères du clergé marié autorisé dans l’Église orthodoxe et catholique au Moyen-Orient. Ils le firent jusqu’en 1967, quand la guerre des six jours et la prise de Jérusalem par Israël interdirent la libre circulation des personnes entre Jérusalem et les pays arabes.

Entre la Vierge Marie et la Société des Pères Blancs un lien intime et très fort était scellé comme il le fut entre le continent africain et l’Église de Jérusalem. Car, en Jérusalem, comme le chante le psaume 87 (86), chacun peut dire: ‘J’y suis né’.

Joseph Vandrisse

Le P. Vandrisse a servi l’Église grecque catholique au Liban de 1951 à 1974. Par la suite, à Rome comme ‘vaticaniste’, il fut jusqu’en 2002 correspondant permanent du quotidien Le Figaro. Le texte suivant a d’abord été donné aux confrères de Paris le 8 décembre 2004 et, retravaillé, présenté à la session de la Société française d’études mariales, à Lisieux, en septembre 2006. Le Cardinal, décédé à Alger le 26 novembre 1892, a été inhumé dans la primatiale de Carthage le 8 décembre suivant, jour de la fête patronale de ses missionnaires. le P. Joseph Vandrisse est décédé le 31 Mars 2010

 


Bibliographie et sources : François Renault : Charles Lavigerie, Paris, Fayard, 1992. - Xavier de Montclos : Le Cardinal Lavigerie, Paris, Le Cerf, Foi vivante, 1991. - Bulletin de l’Institut catholique de Toulouse, janvier-juin 1994 (Colloque Lavigerie , novembre 1992). - Ivan Page, Sainte-Anne de Jérusalem, historique, conditions de la fondation, Rome, Société des Missionnaires d’Afrique, 2004. - S. E. Le Cardinal Lavigerie, Instructions aux Missionnaires, Maison Carrée (Alger),1939.

 

Article paru dans le Petit Echo N° 975 2006/9

Voir aussi : * Article sur Notre-Dame d'Afrique à Alger. (Statue et Basilique)
aussi Articles sur le Cardinal et Video

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

“Il y a cent ans en Algérie”, au Palais des Raïs (Bastion 23) d’Alger

Une exposition photographique
comme témoignage centenaire

 
L’une des photos exposées ©Bendris-Oulebsir/Liberté

Cette exposition qui se tient jusqu’au 30 novembre au Bastion 23, initiée par le Centre culturel et de documentation saharienne (CCDS) de Ghardaïa, en partenariat avec le ministère de la Culture,  propose aux visiteurs un voyage dans le Sahara du XXe siècle.

Le Palais des Raïs (Bastion 23) d’Alger abrite jusqu’au 30 novembre une très belle exposition de photos plus que centenaires intitulée : “Il y a cent ans en Algérie”, initiée par le Centre culturel et de documentation saharienne (CCDS) de Ghardaïa, en partenariat avec le ministère de la Culture. Il s’agit en fait du voyage de deux pères blancs effectué dans les oasis sahariennes du 23 février au 7 juillet  1903. À cette époque, monseigneur Guérin qui était  responsable des chrétiens pour le Sahara et le père Vellard avaient décidé de parcourir à dos de chameaux ces oasis sahariennes afin de s’enquérir de la situation que vivaient ces bédouins et évaluer leurs besoins afin de leur venir en aide, aussi bien sur le plan matériel que spirituel. Ce périple humanitaire avait ainsi donné lieu à des centaines de photos décrivant la vie au Sahara, qui avaient disparu pendant de longues années  avant d’être retrouvées un jour aux archives de la maison des pères blancs à Rome. Considérant que cette richesse photographique constituait un pan important du patrimoine algérien à restituer, le Centre culturel et de documentation saharienne s’est donné comme mission de préserver ces photos en procédant à leur numérisation, pour ensuite envisager ce projet de “réalisation de sept expositions dans des villes du Sud algérien (Adrar, Djelfa, El Goléa, Ghardaïa, Laghouat, Ouargla, Touggourt), et d’une huitième à Alger au Palais des Raïs”. Et voilà donc que cette “richesse culturelle, ethnographique et patrimoniale” est donnée à voir au public algérien, du sud et du centre, pour imager et connaître un peu ces scènes de vie d’il y a plus d’un siècle. Selon Luc Feillee, bénévole et membre actif au sein du centre de Ghardaïa, présent lors du vernissage, jeudi, de cette exposition - en compagnie de père Jean-Marie Amalebondra, directeur du centre de Ghardaïa - “le périple en question  aurait permis aux deux pères blancs d’évaluer les besoins des  gens du désert et l’ouverture de nouveaux postes dans d’autres régions comme In Salah ou Adrar (…) Nos expositions dans le Sud ont été très bien reçues ; pour les plus âgés, ils ont un peu revu leur enfance à travers les paysages photographiés ; les plus jeunes étaient très surpris ; dans l’ensemble il y avait beaucoup d’émotion partout et pour nous c’était un devoir de restituer ce patrimoine à l’Algérie”, a souligné Luc Feillee. Et de renchérir : “J’ai numérisé ces photos pendant près de dix ans et j’ai dû arrêter cette numérisation pour me consacrer à ce projet de diffusion qui en était le but majeur. Nous avons  aussi  développé un site web dans lequel figure une photothèque de près de 2000 photos consultables et le prochain projet est la publication d’un livre qui est en cours de réalisation.” Il est à noter aussi que ces photos sont accompagnées de textes “tenus par le père Vellard au cours de son périple et publié par le CCD de Ghardaïa en 2001 sous le titre ‘Aux oasis sahariennes-Gourara-Touat-Tidikelt (février-juillet 1903)’”. Fort Mac Mahon, El Goléa, Laghouat, Biskra, Kabylie, Timimoun, Villages, portraits, récoltes, habits, désert, oasis… des visages et des espaces à découvrir d’un passé méconnu qui dévoile, grâce à ces photos retrouvées, quelques aspects de notre Histoire et d’un patrimoine ethnographique à faire connaître, à étudier, à analyser et à préserver…

Samira Bendris-Oulebsir

 

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Thomas Sankara: mort et renaissance d'un héros africain

Défilé à Ouagadougou à l'occasion du XXe anniversaire de l'assassinat de Thomas Sankara, le 14 octobre 2007.
© AFP PHOTO/ KAMBOU SIA
 

15 octobre 1987, disparaissait l’ancien homme fort du Burkina Faso Thomas Sankara, brutalement assassiné par un commando d’hommes armés, lors du coup d’Etat qui amena au pouvoir son frère d’armes Blaise Compaoré. Pendant les  quatre années qu’il a dirigé son pays, le célèbre capitaine au béret rouge a incarné l’idéal révolutionnaire, qui continue de faire rêver, trente ans après sa disparition, une jeunesse africaine en manque d’idéal. Devenu une idole, façon Che Guavera, synonyme d’intégrité et de justice sociale, l’homme survit dans la mémoire de la postérité grâce aux nombreux films et biographies qui lui sont consacrés. Parallèlement, des artistes de toute discipline se sont emparés de sa légende et la perpétuent.

Dans son émouvant long-métrage Capitaine Thomas Sankara composé de documents d’archives que le cinéaste suisse Christophe Cupelin a consacrés au  capitaine rebelle, on entend ce dernier déclarer à une journaliste qu’il a commis  1 000 erreurs avant d’obtenir une petite victoire et  10 000 erreurs avant d’obtenir trois ou quatre succès.

Ces trois ou quatre succès ont suffi pour faire de Thomas Sankara une figure emblématique de l’histoire africaine contemporaine. Pour l’écrivain djiboutien Abdourahman Waberi, qui vient d’écrire le script pour un projet de biopic sur celui qui fut l’homme fort d’Ouagadougou de 1983 à 1987, avant de tomber sous les balles de ses assassins, « Sankara est après Nelson Mandela, le héros le plus plébiscité par la jeunesse africaine ».

 

«  Alors que les Sassou, les Biya et autres Guelleh et Nkurunziza, avec parfois plus de 40 années de règne et zéro développement à leur actif, sont sûrs de finir dans la poubelle de l’histoire, le bref passage de Sankara à la tête de son pays, riche en réalisations sociales et orientations nouvelles, resteront longtemps dans les esprits », poursuit le romancier. Et d’ajouter : «  Même si la révolution de la gouvernance à laquelle le nom de Sankara est associé est oubliée, l’histoire se souviendra que l’homme avait su réinventer la Haute-Volta post-coloniale en le rebaptisant Burkina Faso, soit "le pays des hommes intègres". »

« La révolution, c’est le bonheur »

Arrivé au pouvoir le 4 août 1983, Thomas Sankara a marqué son époque par son souci farouche d’arracher son pays au sous-développement d’une part, et ses prises de position courageuses d’autre part, face aux puissants du monde. Il a dénoncé la chape de plomb de la dette, la marginalisation de l’Afrique, le patriarcat ou la désertification qui menace les pays du Sahel dont le Burkina. Orateur hors pair, il annonçait la couleur en octobre 1984, revendiquant du haut de la tribune des Nations unies le droit de son tout petit pays enclavé de ne plus être « l’arrière-monde de l’Occident repu ».

Bruno Jaffré est le biographe principal de Thomas Sankara. © Ed. Syllepse

Réunis dans un volume très exhaustif par Bruno Jaffré (1), principal biographe du président révolutionnaire, les discours prononcés par ce dernier dans les tribunes internationales et domestiques témoignent de la force de l’engagement du jeune capitaine trentenaire en faveur de la justice sociale, du tiers-mondisme et de la réhabilitation de l’Afrique. « La révolution, c’est le bonheur », avait-il proclamé.

Selon Jaffré, « Sankara était le dernier révolutionnaire africain », synonymes d’intégrité morale et d’ambition à la fois visionnaire et pragmatique pour les siens, les oubliés de la prospérité et du développement. Il y avait en cet homme du Gandhi et des pères fondateurs de l’Amérique moderne, dont il aurait très bien pu faire sienne la déclaration de l’indépendance affirmant le droit inaliénable de tous à « la vie, la liberté et le bonheur ». Cet idéalisme chevillé au corps explique que trente ans après la disparition de ce chef d’Etat africain pas comme les autres, sa légende continue de fasciner la jeunesse du continent.

On se souvient que c’est en scandant son nom que les jeunes Burkinabè ont manifesté dans les rues de Ouagadougou pendant les trois jours fatidiques d’octobre 2014 qui ont scellé le sort du régime contre-révolutionnaire de Blaise Compaoré, successeur de Sankara. « Leur mot d’ordre n’était autre que la fameuse « la Patrie ou la mort, nous vaincrons », le slogan par lequel se concluait l’hymne national burkinabé à l’époque de la révolution », se souvient le biographe du capitaine rebelle. Ce resurgissement du mythe Sankara est considéré par beaucoup comme une formidable revanche de la révolution sankariste sur l’Histoire. Le capitaine intrépide était persuadé, comme il l’avait déclaré une semaine avant sa mort : « On peut tuer un homme, mais pas ses idées ».

Or ce n’était pas faute d’avoir essayé. Gêné aux entournures par le bilan largement positif des années Sankara, le nouvel homme fort de Ouagadougou fera tout pour effacer les traces de la révolution, vouant aux gémonies son prédécesseur qu’il accusait d’avoir voulu liquider ses compagnons de route, dont lui-même. Il s’arrangera pour que les circonstances réelles de la mort de Sankara ne puissent jamais être élucidées, allant jusqu’à faire délivrer à sa famille un certificat de décès confirmant sa « mort naturelle  ». L’enquête judiciaire sur cette affaire est restée au point mort pendant l’ère Compaoré. Vingt ans durant, le régime empêchera les proches du capitaine disparu d’aller se recueillir sur sa tombe. En politique, la nouvelle administration promulgue la « rectification » (de la révolution), s’employant à ramener le pays dans le giron de la « Françafrique », dont Blaise Compaoré deviendra à terme un élément indispensable aux côtés de son parrain régional le patriarche ivoirien Félix Houphouët-Boigny.

Icônisation

Voici le contexte dans lequel est née la légende de celui que ses compatriotes ont affectueusement surnommé « Tom Sank ». La mort tragique du leader, jamais élucidée, y a largement contribué. « La mort transforme la vie en destin », écrivait le ministre de De Gaulle André Malraux, qui s’y connaissait en destins empêchés de s’accomplir, mais aussi en destins dégradés par l’usure du pouvoir, ayant été souvent appelés à célébrer leur installation dans le Panthéon de la mémoire collective.

Quant à ceux qui célèbrent le révolutionnaire burkinabé, ils s’appellent Fela, Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, Smockey, Sams’K Le Jah, Basic Soul, Didier Awadi, Cheikh Lô, Robin Shuffield, Christophe Cupelin, Cédric Ido, Baoui Jean Camille Ziba, Aristide Tarnagda, Serge Aimé Coulibaly, Pierre-Christophe Gam.... Venues des disciplines diverses – ils sont chanteurs, chorégraphes, designers, cinéastes, dramaturges -, ces artistes se sont emparés de la figure de Sankara et en ont fait l’icône de cette «  autre Afrique » libérée de l’emprise des grandes puissances que le capitaine appelait de tous ses vœux.

 

« Ce phénomène d’"icônisation" de Sankara a pris de l’ampleur, explique Bruno Jaffré, dans les années 2000, où on a assisté à une mutation de l’opinion par rapport à l’homme du 4 août 1983.  » Le tournant fut la célébration, en 2007, du vingtième anniversaire de l’assassinat du leader africain, lorsque des centaines de milliers de personnes se sont mobilisées pour aller accueillir sa veuve. En dédiant trois ans plus tard son Kora Award à Thomas Sankara, en pleine session de remise de prix à Ouagadougou en présence du successeur de ce dernier, le rappeur Smockey marque une nouvelle étape dans la réhabilitation du président déchu. Il n’était pas par ailleurs rare à l’époque de croiser dans les rues de la capitale des jeunes vêtus en T-shirts à l’effigie du « Che » africain, alors que son image était interdite sur les écrans de la télévision publique.

« Au fur et à mesure que le régime de Compaoré s’enfonçait dans la corruption, le clientélisme, le népotisme, poursuit Jaffré, la population s’est réfugiée dans le souvenir des acquis sociaux et économiques des années Sankara, oubliant parfois la dimension autoritaire du régime. » Et le biographe d’ajouter : « Le rappel des célèbres discours du capitaine mis en cadence par les chanteurs, tout comme les allusions dans leurs textes aux combats économiques menés avec succès sous Sankara tels que l’autosuffisance alimentaire, la construction des logements sociaux, les grandes campagnes de vaccination qui ont touché 2,5 millions de Burkinabè, ont préparé le terrain pour l’insurrection populaire de 2014. ».

Selon Antoine Glaser, observateur attentif des évolutions africaines, ce phénomène d’influence outre-tombe de Sankara s’explique aussi par la nature des combats précurseurs qu’il a menés notamment en faveur de l’écologie ou du refus du diktat des organisations monétaires internationales, « des combats en prise avec les enjeux contemporains, pas seulement en Afrique ».

Paradoxes

Morte en 1987, sa mémoire ressuscitée par les artistes au cours des années 2000, puis réinstallée au cœur du Burkina officiel par les jeunes insurgés d’octobre 2014 qui ont délogé Blaise Compaoré, la révolution sankarienne a aujourd’hui le vent en poupe dans sa patrie. Or paradoxalement, les partis politiques burkinabés qui se réclament du sankarisme demeurent minoritaires dans le pays et peinent à faire entendre leur voix, bien qu’ils aient rejoint le gouvernement issu des élections démocratiques de 2015. Un gouvernement dont les orientations semblent tout sauf révolutionnaires. Comment dans ces conditions rester fidèle à l’idéal sankariste ?

« Ce ne sont pas les partis politiques mais les organisations de la société civile qui sont les vraies héritières de la pensée radicale de Thomas Sankara, affirme Antoine Glaser. Elles ont pour nom Y’en a marre au Sénégal, Lucha au Congo, Le Black Monday Movement au Cap ou Le Balai citoyen au Burkina. A elles incombent la lourde tâche d'imagine un autre avenir. »

Créée par les militants pro-révolutionnaires, Le Balai citoyen a été le fer-de-lance de l’insurrection de 2014. Proche du gouvernement d’Ouagadougou sans en faire partie, elle se veut la « mauvaise conscience du pouvoir ». Pour son porte-parole Guy-Hervé Kam, le meilleur moyen de perpétuer la mémoire de Thomas Sankara, serait de s’assurer que l’ex-Haute-Volta demeure fidèle au nom que lui a donné ce dernier, car, affirme-t-il, « le pays des hommes intègres est plus qu’un nom. Un horizon d’attente. »

(1) Thomas Sankara: La liberté contre le destin. Discours rassemblés et présentés par Bruno Jaffré. Edition Syllepse, 480 pages, 20 euros.


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A découvrir © RFI
 

Qui a tué Sankara ? Retour sur une affaire d’État, 30 ans après… (sur le site de "Jeune Afrique")

Le 15 octobre 1987, le président burkinabè Thomas Sankara était assassiné avec douze de ses compagnons. Trente ans après, alors que le doute sur le commanditaire plane encore, le souvenir du leader de la révolution du Burkina Faso est toujours présent dans l'esprit de ses proches, comme dans celui de nombreux Burkinabè.