Histoire

Il y a 20 ans déjà: le testament des jeunes Guinéens
morts de froid dans un avion

La lettre-testament des adolescents dénonçait guerre et misère

Les Guinéens morts de froid fuyaient un des pays les plus pauvres d’Afrique.

Cette lettre est un cri, un appel à l’aide émouvant dans sa naïveté. Il nous fait honte, à nous les privilégiés de la planète qui faisons tellement passer nos propres intérêts, nos propres envies, avant le partage avec les pauvres. Et ceci individuellement et collectivement. Bien sûr, les problèmes géopolitiques et économiques sont complexes, mais ne sommes-nous pas tous concernés par ce que vivent ceux et celles qui n’ont pas choisi à la naissance dans quel pays ils pourraient vivre ? De même que chacun de nous n’a rien mérité pour vivre dans un pays de cocagne, l’un des plus riches de la planète.

Puisse le cri de Yaguine Koita, 14 ans, et Fodé Tounkara, 15 ans, rester dans notre mémoire et notre conscience, un peu comme s’ils étaient, oui, nos propres enfants…

Lisez l’article de Frédéric Delpierre et de Véronique Kiesel dans https://www.lesoir.be/art/%252Fle-testament-des-jeunes-guineens-morts-de-froid-la-lett_t-19990804-Z0H34Y.html

Source: Le testament des jeunes Guinéens morts de froid, Philippe De Briey sur Reli-infos.

Guinée: il y a vingt ans, Fodé et Yaguine
s'envolaient pour fuir la misère

Août 1999: cet officier de la police belge montre les cartes d'identité des deux enfants. Fodé et Yaguine sont morts dans le train d'atterrissage d'un avion reliant Conakry à Bruxelles, le 2 août 1999.
© GVW / BELGA / AFP

Il y a vingt ans, la lettre de Fodé et Yaguine, adressée aux dirigeants européens, émeut le monde entier. Avec leur vocabulaire juvénile, en porte-paroles de la jeunesse guinéenne, ils dépeignent leurs difficultés mais surtout leurs rêves et espoirs d’une vie meilleure. Le 2 août 1999, les corps des deux amis sont retrouvés dans le train d’atterrissage d’un avion Conakry-Bruxelles.

C’est probablement le cœur tremblant que Fodé et Yaguine partent en direction de Gbessia, l’aéroport de Conakry à l’été 1999. Quelques jours plus tôt, dans la chambre de l’un des deux jeunes, ils imaginent une lettre. Leurs brouillons seront retrouvés plus tard par le père de l’un d’entre eux. « Je les avais surpris en train d’écrire mais je ne savais ce qu’ils faisaient », se rappelle Liman Koïta. Son fils Yaguine lui annonce qu’il va s’absenter quelques temps pour aller voir sa grand-mère en ville. Il ne reviendra jamais à la maison.

Le 2 août 1999, les cadavres des inséparables sont découverts dans le train d’atterrissage d’un avion de la Sabena, l’ancienne compagnie aérienne belge. À leurs pieds, deux certificats de naissance et une lettre, adressée aux dirigeants européens. « Messiers les membres et responsables d’Europe, c’est à votre solidarité et votre gentillesse que nous vous appelons au secours en Afrique. Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique, aidez-nous, nous avons des problèmes et quelques manques de droits de l’enfant », écrivaient-ils en date du 29 juillet 1999. Publié ensuite dans la presse internationale, cet appel au secours a ému le monde entier. Derrière leurs mots d’adolescents, un message politique fort : ils dépeignent une génération de jeunes Africains sans avenir mais avec l’espoir de venir en Europe pour apprendre et pour changer leur pays.

Vingt ans plus tard…

 

« Ça n’a pas eu d’effet. En ce moment, dans les années 1999-2000, cette lettre a fait un peu trembler les gens mais ensuite ils ont tout oublié », poursuit Liman Koïta. S’il y a vingt ans, les Guinéens étaient loin d’être les premiers à emprunter la route migratoire, depuis 2015, leur nombre ne cesse de croître. Les demandes d’asile guinéennes ont augmenté en France de 40 % en une année, de 2016 à 2017. Un an plus tard, en 2018, les ressortissants de ce pays d’Afrique de l’Ouest étaient même la première nationalité parmi les mineurs non accompagnés. Cette explosion du nombre de jeunes risquant leur vie pour atteindre l’Europe, Mohamed Camara de l’ONG Iday à Conakry, ne se l’explique pas. Il n’y a pas eu de bouleversements politiques majeurs et « la Guinée est un pays très riche : on la bauxite, l’or, le diamant. On peut cultiver, on peut faire tout ce que l’on veut. Mais c’est parce que les jeunes n’ont pas à l’esprit que c’est possible ici. (…) C’est dans l’éducation qu’il faut beaucoup plus s’impliquer. »

L’accès à l’éducation, c’était d’ailleurs le principal message de Yaguine et Fodé. « S’il n’y a rien au pays, les enfants le quittent », s’indigne encore Damaye Kourouma, la mère de Fodé. Selon la banque mondiale, le taux d’alphabétisation a très légèrement augmenté. De 20 % en 1996, seulement 32 % de la population savait lire et écrire en 2014.

Un rêve d’Europe, une source d’inspiration

La triste aventure de Fodé et Yaguine a fait le tour du monde et a animé de nombreux artistes et œuvres. En 2005, le cinéaste guinéen Gahité Fofana fait de la voisine de Yaguine la narratrice d’un conte nostalgique, dans son film Un matin bonne heure. Ce destin brisé a aussi inspiré un autre réalisateur italien, Paolo Biancini dans Il sole dentro.

Cette histoire a servi de point de départ à Hakim Bah pour écrire une fiction tragique. Dans sa pièce de théâtre À bout de sueurs, Binta quitte son mari pour aller rejoindre un autre homme, ses enfants décident de s’engouffrer dans un train d’atterrissage pour la rejoindre. « L’envie est venue de ce fait divers. Ce qui m’intéressait surtout c’était de raconter l’histoire de ces enfants en passant par la famille : le père, la mère et les voisins ou la ville », raconte l’auteur guinéen. Un autre dramaturge togolais, Kangni Alem évoque cet effroyable fait divers dans sa pièce Atterrissage.

La figure de Fodé et Yaguine apparaît également dans une pièce du chorégraphe Raimund Hoghe, Jeter son corps dans la bataille. Dansla toile Nage Icare, l’artiste Hassan Musa peint des jambes nus en contraste avec le train d’atterrissage métallique d’un avion, en référence à jeunes guinéens et aux morts en Méditerranée.Enfin, le chanteur John Legend, dans son titre populaire Show me, lors d’une campagne contre la pauvreté rend hommage à ces deux jeunes.

A Conakry, à Bruxelles ou partout sur la planète, personne ne semble avoir oublié le rêve brisé de ces adolescents de quatorze et quinze ans. Malgré tout, les Guinéens étaient, l’année dernière, 6 454 à demander l’asile à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Certainement beaucoup plus à avoir tenter le chemin du désert puis de la méditerranée en vue d’atteindre les côtes européennes. Aucune statistique ne permet d’affirmer combien d’entre eux y ont laissé leur vie.

►La lettre des deux jeunes Guinéens a été largement diffusée par les médias en août 1999

Conakry, le 29-7-99

Excellences, Messieurs les membres et responsables d'Europe,

Nous avons l'honorable plaisir et la grande confiance pour vous écrire cette lettre pour vous parler de l'objectif de notre voyage et la souffrance de nous, les enfants et jeunes d'Afrique.

Mais tout d'abord, nous vous présentons les salutations les plus délicieuses, adorables et respectées dans la vie. À cet effet, soyez notre appui et notre aide, soyez envers nous en Afrique, vous à qui faut-il demander au secours ?

Nous vous en supplions pour l'amour de votre beau continent, le sentiment de vous envers votre peuple, votre famille et surtout d'affinité et l'amour de vos enfants que vous aimez comme la vie. En plus, pour l'amour et l'amitié de notre créateur, Dieu, le Tout-Puissant, qui vous a donné toutes les bonnes expériences, richesses et pouvoirs de bien construire et bien organiser notre continent à devenir le plus beau et admirable ami les autres.

Messieurs les membres et responsables d'Europe, c'est à votre solidarité et votre gentillesse que nous vous appelons au secours en Afrique. Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique, aidez-nous, nous avons des problèmes et quelques manques de droits de l'enfant.

Au niveau des problèmes, nous avons : la guerre, la maladie, la nourriture, etc. Quant aux droits de l'enfant, c'est en Afrique, surtout en Guinée, nous avons des écoles, mais un grand manque d'éducation et d'enseignement ; sauf dans les écoles privées, qu'on peut avoir une bonne éducation et un bon enseignement, mais il faut une forte somme d'argent, et nous nos parents sont pauvres. La (?) c'est de nous nourrir, ensuite nous avons des écoles de sports telles que football, basket (?), etc.

Donc dans ce cas, nous les Africains, surtout les enfants et jeunes Africains, nous vous demandons de faire une grande organisation efficace pour l'Afrique, pour qu'il soit progressé.

Donc, si vous voyez que nous nous sacrifions et exposons notre vie, c'est parce qu'on souffre trop en Afrique et qu'on a besoin de vous pour lutter contre la pauvreté et mettre fin à la guerre en Afrique.

Néanmoins, nous voulons étudier, et nous vous demandons de nous aider à étudier pour être comme vous en Afrique.

Enfin, nous vous en supplions de nous excuser très très fort d'oser vous écrire cette lettre en tant que vous les grandes personnages à qui nous devons beaucoup de respect. Et n'oubliez pas que c'est à vous que nous devons plaigner (?) la faiblesse de notre force en Afrique.

Écrite par deux enfants guinéens : Yaguine Koïta et Fodé Tounkara.

Ebola: l'histoire d’un virus tueur, en infographie

 
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Un agent de santé congolais administre un vaccin Ebola à un homme du centre de santé Himbi à Goma,
en RDC, le 17 juillet 2019. REUTERS/Olivia Acland
 

L'épidémie d’Ebola qui frappe actuellement la RDC a été élevée au rang d'« urgence » sanitaire mondiale par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Retour sur les grandes dates de ce virus redoutable ayant fait plus de 15 000 morts depuis 1976.

Alors que le virus Ebola menace de s'étendre aux pays voisins de la République démocratique du Congo (RDC),l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a reconnu, le 17 juillet, l'épidémie de fièvre hémorragique comme une « urgence » sanitaire mondiale. Il « était temps pour le monde de prendre acte » de l’épidémie, a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, demandant à la communauté internationale de « redoubler d’efforts »Le dernier bilan de l’OMS pour cette épidémie en RDC fait état de 1 676 morts pour 2 512 cas, depuis l’été 2018. C’est la dixième épidémie qui touche le pays et la deuxième plus grave en Afrique après celle entre fin 2013 et 2016, en Afrique de l’Ouest, qui a causé plus de 11 000 morts.

Ce virus est particulièrement redoutable en raison de son « taux de létalité » très élevé : il tue en moyenne environ la moitié des personnes qu’il atteint, selon l’OMS. Aujourd’hui, Il n’existe toujours pas de vaccin ni de traitement commercialisé, seulement un vaccin expérimental, dont les résultats sont très prometteurs. Il est actuellement utilisé dans une campagne de vaccination ciblée en RDC.

De la découverte du virus en 1976 à l'« urgence » sanitaire mondiale en 2019, retour sur les grandes dates d’Ebola.

Cliquez ici pour voir l'infographie.

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Burkina Faso : Blaise Compaoré, le mal du pays

| Par et

Exilé en Côte d’Ivoire depuis 2014, l’ancien chef d’État vit confortablement mais rêve du jour où il pourra enfin rentrer chez lui, au Burkina Faso.

Enfin un peu de divertissement. Ce 31 décembre 2018, Blaise Compaoré a été invité chez son grand ami, Adama Toungara. Dans la maison cossue du conseiller d’Alassane Ouattara, à Cocody, il y a foule. Des politiques, des entrepreneurs, des copains… C’est un des lieux les plus courus du gotha ivoirien pour célébrer la nouvelle année.

Sur les tables, il y a du champagne à volonté, des petits-fours à foison : on y mange bien, on rit, certains esquissent même quelques pas de danse. L’ancien président burkinabè adore cela, la danse, surtout la rumba et le rock and roll. Il s’amuse, Chantal, sa femme, aussi. Née Terrasson de Fougères, cette Franco-Ivoirienne est à Abidjan chez elle, près de ses sœurs, qu’elle voit souvent. Mais Blaise, lui, a du mal à s’y faire.

Voilà plus de quatre ans désormais, depuis sa fuite du palais présidentiel, le 31 octobre 2014, que l’ancien président ­burkinabè se morfond. Les hauts murs blancs de la maison prêtée par Hamed Bakayoko, le ministre ivoirien de la Défense, n’ont rien en commun avec ceux de la prison de Ouagadougou dans laquelle Gilbert Diendéré, son ancien chef d’état-major particulier et son complice de toujours, est incarcéré. Pourtant, cette vie, ce n’est pas vraiment la liberté non plus.

Chute vertigineuse

« À son arrivée en Côte d’Ivoire, on voyait bien que le président était déprimé, qu’il n’allait pas bien. On lui parlait mais il était absent, dit un de ses conseillers. Quitter le pouvoir a été rude. De temps en temps, il avait même des trous de mémoire. » Blaise Compaoré ne manque de rien, bien sûr, dans cette villa moderne voisine de celles du directeur des Douanes et de l’ancien président Henri Konan Bédié – la résidence de France n’est pas loin non plus, juste au bout de la rue. Il y a une jolie piscine, de quoi faire du sport (l’ancien commando parachutiste prend soin de s’entretenir en moulinant sur son vélo d’appartement) et un petit salon pour accueillir les invités.

Les premiers temps, il était sonné, presque désorienté

« A-t-il jamais compris ce qui s’est passé ? Les premiers temps, il était sonné, presque désorienté. Nous avions pourtant été plusieurs à l’avertir que cette modification constitutionnelle était trop risquée », poursuit le conseiller. Il faut dire que la chute a été vertigineuse.

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Une manifestation à Ouagadougou, le 31 octobre 2014 (photo d'illustration). © Theo Renaut/AP/SIPA

 

En ce mois d’octobre 2014, le stratège semble avoir perdu son flair. Il n’entend pas la colère des centaines de milliers de Burkinabè dans les rues, de l’opposition et de la société civile. Quatre mandats ne lui suffisent pas, « l’homme fort de Ouaga » veut cinq ans de plus à la tête de l’État. En quelques heures, les choses dégénèrent. L’Assemblée nationale est dévorée par les flammes, qui gagnent rapidement tous les autres symboles du régime chancelant. Des innocents tombent sous les balles.

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Manifestation lors de l'insurrection d'octobre 2014, qui précipitera la chute
de Blaise Compaoré. © Théo Renaut/AP/SIPA

 

Après vingt-sept années passées au pouvoir, il n’a d’autre choix que de fuir en catastrophe dans une voiture aux vitres teintées

Après vingt-sept années passées au pouvoir, cet homme qui a fait et défait régimes et rébellions en Afrique de l’Ouest n’a d’autre choix que de fuir en catastrophe dans une voiture aux vitres teintées. Direction : une coordonnée GPS située dans le sud du pays, où un hélicoptère des forces spéciales françaises l’attend pour l’exfiltrer vers la Côte d’Ivoire. Avec lui, ses plus proches : Chantal, son frère cadet François, l’ex-président de l’Assemblée nationale, Soungalo Ouattara, et deux aides de camp. Quand les pales se mettent à tourner, comprend-il qu’il ne reverra pas sa terre natale de sitôt ?

Longtemps respecté, il est désormais vilipendé. L’homme clé des Français a été écarté, le médiateur est devenu indésirable. Sa première nuit hors du palais de Kosyam, Blaise Compaoré la passe à Yamoussoukro, dans une suite du grand hôtel construit par Félix Houphouët-Boigny (l’hôtel Président, cinglante ironie). Il est un peu « perdu », mais « soulagé qu’il n’y ait pas eu plus de dégâts et de morts à Ouaga », assure l’un de ses intimes. Pendant trois semaines, avant de pouvoir rejoindre Abidjan, cantonné dans cette capitale qui n’en est pas vraiment une, il se vide la tête en courant dans le vaste parc fleuri où les biches lui tiennent compagnie.

Taiseux, secret et prudent

En Côte d’Ivoire, Blaise Compaoré est un ami du pouvoir. Il connaît tout le monde – avant de soutenir Alassane Ouattara et d’être le parrain de Guillaume Soro et de ses rebelles, l’ancien médiateur de la crise ivoirienne était proche de Laurent Gbagbo. Mais cet hôte aussi illustre qu’encombrant est prié de rester discret. Aujourd’hui encore, les soldats du Groupement de sécurité présidentielle, en civil, sont positionnés derrière le portail, et les sorties du président sont rares. De temps en temps, il va dîner dans les restaurants huppés de la ville, comme Le Montparnasse et Le Grand Large. On l’aperçoit parfois sur la plage d’Assinie. Il s’est également rendu à Abengourou récemment, mais c’est tout.

Heureusement, il voyage un peu. Au Maroc, où il fait ses check-up médicaux et s’est fait soigner une fracture du fémur en 2015, ou au Sénégal, où il est allé l’année dernière profiter des plaisirs balnéaires de la Petite-Côte. Toujours bien mis dans ses costumes impeccablement taillés, il accueille parfois certains chefs d’État de passage avec la plus extrême discrétion. Il y a eu Faure Gnassingbé, qui a offert l’exil au Togo à certains cadres de son régime, ou récemment le Ghanéen Nana Akufo-Addo. Eux n’ont pas oublié qui avait été Blaise Compaoré.

Ses sorties sont rares. On l’aperçoit parfois dans les restaurants huppés d’Abidjan ou sur la plage d’Assinie, mais guère plus

Même aux plus illustres de ses inter­locuteurs, l’ancien président ne trahit rien de ses sentiments. Taiseux, secret et prudent, il n’a néanmoins pas pu cacher son désarroi lors de l’arrestation de son frère à l’aéroport de Roissy, en octobre 2017. Fin juin 2019, la justice française a autorisé l’extradition de François vers le Burkina Faso. Un nouveau coup de massue. « C’est désormais sa préoccupation numéro un. Il s’inquiète pour lui, pour son avenir. Quand on connaît leur relation… », raconte un homme qui les a fréquentés. Durant ces quelques jours difficiles pour le clan, Blaise Compaoré a régulièrement parlé à son cadet, même si, au téléphone, il a veillé à ne jamais rien dire d’important, vieille habitude d’un homme rompu aux renseignements et aux réseaux parallèles.

Politique un jour…

Certains de ses proches croient encore deviner nostalgie et tristesse sur son visage. « Il n’a jamais retrouvé sa vitalité d’avant », confie l’un d’eux. Mais tout de même, « Blaise » va mieux, semble-t-il. « Il est très solide dans sa tête. Il encaisse sans rien dire. Alors, quand il sourit ou qu’il est d’humeur taquine, on se dit que ça va », glisse un autre.

Remède à la déprime, il s’est replongé dans la politique burkinabè. En échange de son hospitalité, Ouattara lui avait ­pourtant demandé de ne plus y toucher. Les liens entre leurs deux pays sont trop ténus et l’histoire récente trop sensible pour se permettre le moindre écart. Le président ­ivoirien n’en ignore rien et ne veut pas gâter ses relations avec les nouveaux maîtres de Ouaga.

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Le 11 avril dernier une délégation de la CODER s'est rendue à Abidjan pour visiter l'ancien président exilé Blaise Compaoré,
ici le 29 juin 2011 à Malabo. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

 

Mais dans le salon de Blaise Compaoré, on croise les mêmes hommes qu’autrefois dans les couloirs de Kosyam. Son conseiller, Moustapha Ould Limam Chafi, ses anciens ministres Boureima Badini et Salif Kaboré, ou encore son ex-directeur de cabinet, Assimi Kouanda. Cocody est devenu une antenne du siège de son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), dont il est toujours le président d’honneur.

Il fait passer ses consignes et s’est récemment impliqué pour tenter d’apaiser les tensions entre les barons de sa formation. Ces derniers mois, Kadré Désiré Ouédraogo et Eddie Komboïgo, rivaux pour l’investiture dans la course à la présidentielle, se sont succédé à Abidjan. Il fallait obtenir l’onction du « patron » mais, comme à son habitude, le « chef » n’a rien dit de sa préférence.

La lettre à Kaboré

Rien d’étonnant à ce que, à Ouaga, Roch Marc Christian Kaboré soit convaincu que l’exilé d’Abidjan représente une menace. Il y a d’abord eu le coup d’État « le plus bête du monde » pendant la transition, en 2015. Il a été conduit par le général Gilbert Diendéré mais beaucoup y ont vu la main du président déchu. Il y a aussi ces attaques en série qui, chaque jour, répandent un peu plus l’insécurité. Depuis le premier attentat jihadiste qui a frappé la capitale burkinabè en janvier 2016, les accusations pleuvent : selon l’entourage du chef de l’État, son prédécesseur et ses réseaux dans la bande sahélienne n’y sont pas étrangers.

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Un soldat burkinabè à proximité de l'hôtel Splendid, à Ouagadougou,
après l'attaque de janvier 2016. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Plus le Burkina subit des attaques terroristes, plus les critiques se font précises

Plus le Burkina subit des attaques terroristes, plus les critiques se font précises. À plusieurs reprises, le président burkinabè a dénoncé les « liens » et même le « deal » qu’auraient passé son prédécesseur et les groupes qui harcèlent le pays. Pour Compaoré, c’en était trop. Profondément agacé, il est sorti de son silence, d’abord par un communiqué, puis par une lettre personnelle à Kaboré. Dans cette missive transmise en avril, il témoigne aussi de « sa disponibilité et de son soutien » pour aider à endiguer l’insécurité grandissante.

Au fond, il espère quitter Abidjan dès que possible. D’autant que, à l’aune d’une présidentielle très incertaine, la Côte d’Ivoire ne semble plus être le gage d’une protection sans faille : ses relations se sont compliquées avec Alassane Ouattara.

Il voit toujours le président ivoirien de temps à autre, comme plusieurs des piliers du régime

Il voit toujours le président ivoirien de temps à autre, comme plusieurs des piliers du régime, Marcel Amon Tanoh, le ministre des Affaires étrangères, ou Amadou Soumahoro, le président de ­l’Assemblée nationale – tous deux sont de vieux amis. Mais la rupture entre Ouattara et Guillaume Soro, qui considère Blaise Compaoré comme son père, a mis de la distance. Le Burkinabè a d’ailleurs tenté de réconcilier les deux hommes, en vain.

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Le chef de l’État Roch Marc Christian Kaboré, le 2 mars, à Ouagadougou. © Sophie Garcia/hanslucas.com

En coulisses, plusieurs intermédiaires s’activent discrètement pour tenter de rapprocher Blaise Compaoré de Roch Marc Christian Kaboré

Tentatives de rapprochement

En coulisses, plusieurs intermédiaires s’activent discrètement pour tenter de rapprocher Blaise Compaoré de Roch Marc Christian Kaboré, et lui permettre de rentrer au nom de l’unité et de la réconciliation nationales. « Il veut aider son pays, explique l’un de ses intimes. Quand on était ensemble avec Roch, le Burkina allait mieux. Il faut qu’on se retrouve. » Car en réalité, Compaoré ne rêve que d’une chose : retourner chez lui, à Ziniaré. « Il est prêt à faire face à la justice pourvu qu’elle soit impartiale, jure l’un de ses conseillers. Il veut aller dans son village et se reposer. Il est tellement fatigué d’Abidjan… »

Pour l’instant, le président burkinabè n’a pas souhaité répondre. Méfiant, il perçoit sans doute que le pouvoir est comme une drogue : quand on y a goûté, il est terriblement dur de s’en passer. Sait-il que dans sa fuite précipitée Blaise Compaoré a pris soin d’emmener quelques souvenirs de ses vingt-sept années de splendeur ? Il y a notamment ces stylos, qu’il a rangés dans la console du petit salon de sa villa abidjanaise. Les premiers temps, il aimait en offrir à ses visiteurs. Dessus, en lettres dorées, il est gravé « Président Blaise Compaoré ».


Revenir à Ziniaré

C’est un Compaoré, Pascal Compaoré, membre du CDP, qui est à la tête du village natal de l’ex-chef de l’État burkinabè. À Ziniaré, petite bourgade située à environ 30 kilomètres de Ouaga, l’ancien président est toujours propriétaire d’une vaste résidence et du parc qui l’entoure. Pour 500 à 1 000 F CFA, les visiteurs peuvent y voir ses animaux : lions, hippopotames, éléphants, autruches et même une chèvre à trois pattes. Très attaché à son fief, où il espère revenir vivre, Blaise Compaoré y a enterré son père et son fils, Stéphane, mort durant son enfance des suites d’une maladie.

A.S.-T.

Les premiers moines chrétiens étaient… des Égyptiens|The Conversation

Lorsque les premiers moines et les premiers anachorètes s’installent au IVe siècle dans les déserts d’Égypte, le christianisme est une religion tolérée par le pouvoir romain. Les persécutions ont cessé, les conversions se multiplient et le fameux édit de Milan, proclamé quelques années plus tôt par l’empereur Constantin, permet aux chrétiens de célébrer librement leur culte.

               
La Tentation de saint Antoine par David Teniers le Jeune. Wikipédia

Mohamed Arbi Nsiri, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

 

Telle qu’il fut prêché par les Apôtres, le christianisme, en effet, n’avait nullement pour but de conquérir le monde temporel mais de prêcher l’avènement prochain du Royaume des Cieux et la fin de l’Histoire. Comme toutes les grandes religions, c’est d’abord en modifiant profondément le rapport à l’espace et au temps que le christianisme s’est imposé à ses premiers fidèles. Pour les gentils, autrement dit les païens, vivant dans un temps cyclique où les cérémonies religieuses, les fêtes, les sacrifices recommençaient inlassablement les mêmes événements primordiaux, au sein d’un univers qui se répète, donc « éternel », le christianisme apportait la brusque, l’angoissante révélation d’un Temps qui progresse, évolue, se consume, d’un univers en devenir, et donc susceptible de « finir un jour ». L’un des thèmes que l’on retrouve fréquemment dans la bouche des premiers chrétiens n’est-il pas l’évidence et l’imminence de la fin du monde ?

On imagine mal la résonance que de telles idées pouvaient avoir sur les foules de l’époque, qu’il s’agisse des Juifs, dont la sensibilité avait été amplement préparée à cet événement depuis des générations par les prophètes bibliques et les auteurs d’Apocalypse, ou des gentils, qui y découvraient brusquement la vision insoupçonnée d’un univers soumis au Temps. Résonance d’autant plus grande qu’il ne s’agit pas d’un univers d’un simple avertissement mais de l’annonce de fin « imminente » du monde. Comment vivre, alors, dans cette crainte perpétuelle de l’anéantissement de toute chose ? Comment ne pas guetter, jour et nuit, les signes précurseurs de l’Apocalypse et surtout, puisqu’on s’attend, d’un moment à l’autre, à la fin du monde, ne pas délaisser tous les soucis, les affaires, les valeurs de ce monde ?

Un refus radical du monde

Ce climat eschatologique et exalté ne fera que s’amplifier entre le IIIe et le Ve siècle et il est très certainement à l’origine de bien des comportements excessifs tels que la vocation au martyre, l’obsession de la virginité et de l’ascèse, la fuite dans les déserts. Tous ces comportements ont entre eux pour trait essentiel d’être d’abord un « refus radical du monde », refus que l’on comprend aisément si ce monde est destiné à disparaître d’un jour à l’autre. Qu’à telle époque l’accent soit mis sur le martyr et à telle autre sur l’ascète ou l’anachorète, peu importe !

Car toute ces attitudes relèvent d’une même et totale désaffection à l’égard du monde d’ici-bas, conséquence des bouleversements, des traumatismes opérés dans les esprits par la peur, l’angoisse, l’exaltation de la fin des Temps. Le plus étrange est que ce souci d’ascèse et de virginité, né pour des motifs précis, subsistera chez certains, même lorsque ces motifs auront disparu, c’est-à-dire lorsqu’on cessera de croire à la fin imminente du monde avec la christianisation de l’Empire romain.

A l’origine : le monachisme égyptien

Pour l’Orient ancien, les textes qui relatent la vie des premiers moines sont pour la plupart des textes grecs : la « Vie d’Antoine » par l’évêque d’Alexandrie, Athanase, « l’histoire lausiaque » de Pallade de Galatie, « l’histoire des moines d’Égypte » de Rufin d’Aquilée. Les deux autres textes les plus importants : « la Vie de Paul de Thèbes » de Jérôme de Stridon, et les « Entretiens avec les moines d’Égypte » de Jean Cassien ont été écrits en latin. Mais écrire en grec signifie aussi penser en grec. Tous les textes en question, rédigés à l’intention d’un public averti parlant le grec et le latin, ont naturellement transposé dans leur propre langue les paroles, la mentalité particulière des hommes des déserts d’Égypte.

Or, ces hommes n’étaient ni Grecs ni des Latins de culture mais des Égyptiens : Antoine le Grand, Pacôme le Grand, Macaire l’Ancien, Chenouté, tous ces noms du christianisme oriental étaient des Égyptiens qui ne parlaient ni le grec ni le latin mais le copte, forme domestique de la langue égyptienne traditionnelle. Le biographe d’Antoine nous donne un petit détail concernant l’éducation de jeune Antoine qui a suscité beaucoup des discussions : « Grandissant et prenant de l’âge, il ne voulut pas apprendre les Lettres, pour éviter la compagnie des autres garçons ». Que le jeune Antoine n’ait donc pas fréquenté l’école, c’est un détail qui n’atteste peut-être pas tant chez lui une sagesse toute surnaturelle que le caractère tout chrétien de sa formation et la liaison, chez lui, primitive entre cette intégrité du christianisme et l’anachorèse, au sens étymologique.

Les lettres d’Antoine le Grand représentent également l’une des sources les plus importantes du monachisme égyptien puisqu’elles ont été rédigées en copte. Au temps de Jérôme de Stridon, ces lettres étaient déjà traduites en grec, langue dans laquelle Jérôme a pu les lire. Notons que le vocabulaire et la spiritualité de ces lettres remontent sans doute au IVe siècle.

Les documents concernant l’histoire de la congrégation pacômienne revêtent aussi une importance capitale pour retracer l’histoire des débuts du monachisme. Ces documents se présentent sous plusieurs idiomes : copte, grec, latin, syriaque et arabe. Or, Pacôme et les moines de la première génération, à part quelques rares exceptions, ne connaissaient que la langue copte et ignoraient le grec ; il semble donc assez naturel de présumer que le dossier copte est celui qui nous fournit le plus de chances de nous permettre d’atteindre directement la tradition primitive, et l’étude de l’ensemble du dossier démontre que pareille présomption est absolument fondée.

Le monachisme « extrême » de Chénouti

Pour le monachisme oriental, Chénouti est une des figures les plus étranges et les plus captivantes. Sa biographie, écrite par l’un de ses disciples, permet, mieux encore que celle d’Antoine ou de Pacôme, de suivre de près l’incroyable aventure que fut le monachisme copte : une aventure dont la vie et l’œuvre de Chénouti marquent précisément le sommet et les limites.

                  
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Ariba Chénouti (stèle découverte dans la région de Souhag)

 

Né en Haute-Égypte, dans le village de Schenalolet (aujourd’hui Geziret Shandanil), au nord d’Akhmin, en 348, ses parents sont pauvres et, très tôt, on l’envoie aux champs garder les bêtes. À l’âge de 8 ans, Chénouti choisit d’être meneur d’hommes. Le soir, une fois que les bêtes sont rentrées, il repart seul vers le champ, au lieu de revenir à la maison, et y passe de longues heures à prier.

Alors ses parents décident de laisser leur fils devenir moine. À l’âge de quatorze ans, on le mène donc chez un oncle, l’Anba B’goul, qui dirige un monastère pas très loin du village, sur la montagne d’Athribis. Le moine reçoit donc son neveu, impatient de pratiquer l’ascèse. Ascèse insensé, fanatique, pour arriver tout de suite au but, en brûlant les étapes habituelles, Chénouti représente l’exemple type du moine égyptien de la fin de l’Antiquité, cruel et dynamique.

Très inspiré des Règles de Pacôme le Grand, Chénouti y ajouta quelques principes personnels tels que l’emploi systématique de la violence pour convertir les paysans égyptiens, encore païens. Dans ses monastères, toute ascèse et même toute prière individuelles étaient interdites. Les prières se faisaient collectivement, tous les moines couchés sur le sol. Ceux-ci pratiquaient les jeûnes ensemble et portaient les mêmes vêtements noirs. Ainsi Chénouti avait eu l’intuition que l’obtention d’une psyché collective exige d’abord la formation d’un corps collectif. On ne peut expliquer autrement le soin qu’il mit, toute sa vie, à façonner le corps et l’âme de ses moines en leur imposant simultanément des exercices physiques et spirituels destinés à les unifier.

Dès l’origine, le moine est donc un chrétien qui renonce au genre de vie du commun des humains, pour en adopter un autre « plus parfait ». Il est un étranger dans le pays qu’il habite, un pérégrin, une sorte d’exilé, dont la véritable patrie est ailleurs, la patrie céleste.

Mohamed Arbi Nsiri, Doctorant en histoire ancienne, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

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