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Présidentielle en Côte d’Ivoire: fin du dépôt des candidatures


Ibrahim Coulibaly-Kuibiert, président de la Commission électorale indépendante (CEI) en Côte d'Ivoire.

Ibrahim Coulibaly-Kuibiert, président de la Commission électorale indépendante (CEI) en Côte d'Ivoire.
 ccilci.org
Texte par :RFISuivre
3 mn

En Côte d’Ivoire, les candidats à la présidentielle du 31 octobre avaient jusqu’à ce lundi 31 août, minuit, pour déposer leur dossier à la Commission électorale indépendante (CEI). Au total, une quarantaine de prétendants auront fait acte de candidature. La journée de ce lundi a été marquée par le dépôt de la candidature de deux candidats théoriquement exclus car radiés de la liste électorale, deux exilés : Laurent Gbagbo et Guillaume Soro.

Avec notre correspondant à Abidjan, Pierre Pinto

Ce lundi, c’est la délégation de la plateforme pro-Gbagbo EDS qui a ouvert le bal incessant des candidats du dernier jour à la Commission électorale.

« Ces élections doivent se dérouler dans un environnement apaisé qui nécessite la libération de tous les prisonniers politiques, civils et militaires ; le retour sur la terre de leurs ancêtres de tous les exilés politiques avec, à leur tête, le président Laurent Gbagbo. C’est le lieu, pour nous, de lancer un appel au chef de l’Etat sortant pour un dialogue franc, sincère, responsable et inclusif dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire », a déclaré Georges Armand Ouegnin, président d’EDS.

Lui aussi radié des listes électorales pour une condamnation qu’il juge politique, Guillaume Soro avait envoyé une délégation déposer son dossier. Sur le boulevard qui jouxte la CEI, pendant ce temps, des centaines de ses partisans soutiennent bruyamment leur leader : « Nous nous sommes soudés derrière lui. Nous croyons en sa parole. C’est lui seul, actuellement, qui pourra changer la situation de la Côte d’Ivoire. Personne d’autre ne peut changer ce que les Ivoiriens vivent actuellement ici ».

Fraichement investi par son parti l’UDPCI, c’est également ce lundi que Albert Toikeusse Mabri a déposé sa candidature. « Nous prions Dieu pour que tous ceux qui sont les acteurs de l’élection en Côte d’Ivoire et de l’élection présidentielle en particulier, agissent pour la transparence pour que nous nous reconnaissions dans les résultats qui sortiront des urnes », a-t-il souligné.

 

Des candidatures qui seront validées ou invalidées par le Conseil constitutionnel dont on attend la décision, dans quinze jours.

► À lire aussi: Côte d’Ivoire: les soutiens de Laurent Gbagbo déposent sa candidature pour les élections

WorldRemit, une menace grandissante pour Western Union et MoneyGram

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Mis à jour le 27 août 2020 à 20h42
Un client reçoit de l'argent via le service WorldRemit, en Ouganda

Un client reçoit de l'argent via le service WorldRemit, en Ouganda © WorldRemit

Le service de transfert d’argent vient de racheter l’américain Sendwave, actif dans six pays d’Afrique, et se pose en concurrent de plus en plus sérieux des deux géants du secteur.

Malgré la baisse des transferts d’argent entre particuliers à destination du continent pointée par la Banque mondiale et d’autres études parues récemment sur le sujet, les acteurs du secteur semblent toujours aussi confiants.

C’est du moins le cas du britannique WorldRemit, qui a annoncé le 26 août être sur le point d’acquérir Sendwave, un challenger de taille basé à Boston, qui permet d’envoyer des fonds depuis l’Amérique du Nord et l’Europe vers le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda, le Ghana, le Nigeria et le Sénégal.

L’opération, d’un montant de 500 millions de dollars, porte la valorisation de l’entreprise créée en 2014 par deux ingénieurs américains à 1,5 milliard de dollars. La transaction, qui devrait être bouclée d’ici à la fin de l’année, demeure soumise à l’approbation des autorités de régulation.

Ambitions en Afrique francophone

Pilotée sur le continent par Hassan Kimani, ex-directeur du département transferts d’argent pour Chase Bank au Kenya, la start-up qui revendique 100 000 utilisateurs partage avec son nouveau propriétaire des ambitions en Afrique francophone. Elle a d’ailleurs récemment ouvert son service au Sénégal où ses frais se chiffrent à 1 % du montant envoyé, sans pouvoir dépasser deux euros. Ailleurs, ces derniers sont gratuits.

Jusqu’ici soutenu par des investisseurs tels que Khosla Ventures, Founders Fund, Y Combinator et les cofondateurs de PayPal, le service fondé par Drew Durbin et Lincoln Quirk et dirigé depuis 2016 par Will Fogel a intéressé WorldRemit pour sa technologie qui promet des transferts de fonds « aussi simples que l’envoi d’un SMS ».

Un positionnement original alors que les nouveaux venus du secteur sur continent, comme Transferwise ou Xoom (Paypal), misent plutôt sur la sécurité des transferts et des frais peu élevés. Il est prévu que Sendwave poursuive ses activités en gardant sa marque, son management et ses effectifs. En revanche son expertise technologique devrait être intégrée dans les offres de WorldRemit.

« Au cours de la période de douze mois se terminant le 30 juin 2020, les transferts d’argent effectués via WorldRemit et Sendwave se sont élevés à environ 7,5 milliards de dollars, générant près de 280 millions de dollars de revenus. Cela représente une croissance en glissement annuel de plus de 50 % pour l’exercice clos fin juin 2020 par rapport aux revenus combinés historiques », indique WorldRemit dans un communiqué.

Faire flancher Western Union et MoneyGram

Avec 4 millions de clients et plus de 150 pays couverts, l’application britannique WorldRemit, créée en 2010, et dirigée par Breon Corcoran fait partie aux côtés de sa compatriote Transferwise des deux plus importants challengers des opérateurs historiques Western Union et MoneyGram, régulièrement tancés pour leurs frais de transaction jugés prohibitifs.

En 2019, le premier a connu un léger repli de ses revenus sur le continent (-1 % par rapport à 2018), tandis que MoneyGram, qui ne communique aucun chiffre sur la région, continue son déploiement.

L’entreprise texane a annoncé cette semaine un partenariat avec l’opérateur de télécommunications Airtel, qui ouvre la possibilité à ses 19 millions de clients de recevoir des fonds. Elle a signé dans le même temps trois autres accords avec les agrégateurs de solutions de paiement Thunes, InTouch et MFS Africa.

Assemblées annuelles de la BAD : les quatre « dossiers chauds » du prochain mandat

| Par - avec Nelly Fualdes
Mis à jour le 26 août 2020 à 13h15
Akinwumi Adesina, le 26 août 2020.

Akinwumi Adesina, le 26 août 2020. © AfDB Group

Akinwumi Adesina, seul candidat, devrait être reconduit à la tête de la BAD lors des assemblées annuelles qui s’ouvrent ce 26 août. Décryptage des quatre défis que devra relever l’institution.

« Ce sont des temps extraordinaires », souligne Akinwumi Adesina, le patron de la Banque africaine de développement (BAD) depuis mai 2015, dans sa vidéo de bienvenue à la 55e assemblée annuelle de l’institution, qui s’ouvre ce 26 août.

Pour cause de pandémie de coronavirus, ce rendez-vous phare de la banque panafricaine – qui devrait se conclure le 27 août, sauf coup de théâtre, par l’annonce de la reconduction à son poste du Nigérian, seul candidat à sa propre succession – se tient intégralement de façon virtuelle. Une première dans l’histoire de la banque depuis sa création en 1963.

Le contexte dans lequel se déroule cette réunion est lui aussi inédit alors que la crise, sanitaire et financière, provoquée par le Covid-19 met à rude épreuve les États et économies africaines. « Jamais la nécessité de renforcer la résilience économique, sociale, climatique et environnementale n’a été plus critique pour soutenir la croissance et le développement », poursuit Akinwumi Adesina dans son intervention, mettant en avant « l’allègement fiscal indispensable » apporté par la banque aux pays membres.

Après la levée de trois milliards de dollars via une « obligation sociale » en mars, la BAD a mis en place en avril un mécanisme de réponse rapide au coronavirus, qui a mobilisé 2,29 milliards de dollars au 20 août, plus d’un milliard supplémentaire devant être décaissé via le Fonds africain de développement.

Augmentation de dernière minute des droits de vote du Nigeria

Mais ce n’est pas tout. Alors que la réélection d’Adesina à un nouveau mandant de cinq ans semblait aisée, tout a en effet basculé en début d’année. Un groupe de lanceurs d’alerte internes à la banque a en fait dénoncé une « mauvaise gouvernance» au sein du groupe, pointant expressément son président et déclenchant une grave crise.

Bien que blanchi par le comité d’éthique de la BAD, puis – notamment sous la pression des États-unis – par une « revue indépendante », qui a validé le travail du comité d’éthique, Akinwumi Adesina, dont l’autoritarisme fait par ailleurs grincer des dents, est sorti fragilisé de l’affaire, tout comme l’institution, plus que jamais divisée entre partisans et critiques de son patron.


>>> À lire, notre dossier : Six mois qui ont ébranlé la BAD


Voilà le cadre dans lequel vont se tenir les échanges entre les gouverneurs de la BAD, à savoir les ministres des Finances, de l’Économie ou les gouverneurs de Banque centrale des 54 pays africains membres et des 27 autres membres non issus du continent.

Alors que pour être élu, un candidat doit obtenir une double majorité, auprès des actionnaires africains et auprès de l’ensemble des actionnaires, le Nigeria entend sécuriser la reconduction de son compatriote : le pays a fait partie des premiers à régler sa contribution à l’augmentation de capital votée en 2019, doublant presque ses droits de vote (passés de 8,5 % au 31 mars à 16,8 % au 31 juillet) pour devenir le premier actionnaire de la banque, distançant les numéro deux et trois, l’Allemagne (de 8,2 % à 7,4 %) et les États-Unis (de 6 % à 5,4 %), et tous les actionnaires africains.

Au-delà des rapports de force politiques et quelle que soit l’issue de la future élection, l’institution devra gérer quatre dossiers cruciaux pour assurer son futur.

  • Solder l’affaire Adesina

Si les conclusions de la « revue indépendante », rendues publiques le 27 juillet, ont rejoint sur l’intégralité des points le rapport du comité d’éthique, l’affaire Adesina ne semble pas pour autant terminée.

Début août, les lanceurs d’alerte, dont l’identité n’est pas connue, sont revenus à la charge. Un avocat se présentant comme leur conseil, Rishi Gulati, spécialiste en droit des organisations internationales et inscrit au barreau de l’État australien de Victoria, a envoyé un courrier à l’Ivoirienne Nialé Kaba, présidente du bureau du conseil des gouverneurs de la BAD, pour pointer les manquements du travail de la « revue indépendante » et du comité d’éthique.

Dans ce document d’une cinquantaine de pages, dont Jeune Afrique a pris connaissance, il reprend les arguments développés depuis le début de l’année par les lanceurs d’alerte et demande à nouveau une enquête indépendante et approfondie, seul moyen, selon ses clients, de régler l’affaire.

Cette insistance, sans nouveaux éléments, souligne les limites de la gestion interne des dossiers de gouvernance, malgré l’arsenal déjà prévues dans les statuts de la BAD. Et l’affaire Adesina a révélé l’existence – sinon de failles – du moins d’un malaise quant aux capacités d’action du comité d’éthique, limité statutairement, par exemple, à simple examen préliminaire des accusations des lanceurs d’alerte.

« Nous respectons le fait que le conseiller juridique général est l’expert en matière légale pour toute la banque. Cependant, les membres du comité recommandent très fortement aux gouverneurs le recours à une expertise légale indépendante s’ils attendent un rapport pertinent de l’examen préliminaire », a ainsi souligné Takuji Yano, administrateur japonais et président du comité d’éthique de la BAD, dans une communication transmise le 11 mai au conseil d’administration et à laquelle Jeune Afrique a eu accès.

Toutefois, les pressions des actionnaires non africains semblent s’être calmées. « Nous étions parmi les premiers à plaider pour une enquête indépendante. Nous sommes satisfaits du fait qu’elle ait eu lieu et de la manière dont elle a été menée, bien qu’il y ait toujours des améliorations possibles », assure ainsi le représentant d’un actionnaire étranger.

  • Réaliser l’augmentation de capital

Après la gouvernance, la santé financière de la banque est l’autre point clé. Malgré la confirmation en juin et juillet de la notation AAA de la BAD par les agences S&P et Fitch, l’institution est sous pression.

« Alors que le ratio prudentiel interne de la banque est très proche de la limite fixée à 100 %, sa capacité à continuer à décaisser à un rythme rapide est étroitement liée au versement par les actionnaires de leur part de capital libéré », a souligné Fitch en juillet. Autrement dit, la banque doit absolument réussir l’augmentation de capital – la plus importante de son histoire – approuvée en octobre 2019 si elle veut conserver sa capacité d’endettement sur les marchés internationaux et son rythme de décaissement, qui a fortement augmenté depuis 2016.

Or, selon nos informations, seuls quatre pays ont déjà réglé leur contribution financière, ce qui laisse planer une incertitude – accrue par le contexte de pandémie – sur la réalisation en temps et en heure de l’augmentation de capital.

Pour certains observateurs, la notation AAA de la BAD n’est pas non plus gravée dans le marbre. Déterminée par le capital appelable (mobilisable si besoin) de la banque, elle est liée à la notation des pays eux-mêmes (notés A- ou mieux), donc principalement des actionnaires non-africains.

« Si l’un d’entre eux décidait de ne pas participer à l’augmentation de capital ou si certains voyaient leur notation baisser en raison de la pandémie, la note de la BAD serait automatiquement dégradée, compromettant sa capacité d’endettement sur les marchés financiers », juge un membre européen de l’institution. Pour lui, plus globalement, le coronavirus joue comme un « révélateur de la politique de prêt inconsciente menée ces dernières années par la BAD », n’ayant prévu aucun tampon pour absorber une éventuelle crise.

  • Réduire le fossé avec les actionnaires non-africains

C’est un secret de polichinelle : durant le mandat d’Adesina, les relations entre actionnaires régionaux (africains) et non-régionaux (étrangers) se sont tendues. Pour preuve, la frilosité de ces derniers (entrés au capital de la banque en 1982) à s’exprimer sur la BAD. Sur la quinzaine de représentants non-africains sollicités par Jeune Afrique, la majorité n’a pas donné suite, quelques-uns ont décliné vu « la sensibilité du sujet » et les derniers se sont exprimés mais uniquement sous couvert d’anonymat.

Et si certains n’ont pas hésité à exprimé leur franc soutien à l’institution et à son président, une majorité a pointé des sujets de crispations, allant du choix des priorités à la transparence, en passant par le style du président Adesina. Ce mouvement s’explique par le renforcement du camp africain, actionnaire majoritaire de la banque (à 60 %), Adesina ayant réussi à rassembler ses membres longtemps divisés. La candidature à sa réélection a d’ailleurs reçu le soutien de l’Union africaine.

Si la primauté des actionnaires Africains à la BAD n’est remise en question par personne, les actionnaires non-régionaux – et certains Africains – tiennent à rappeler une donnée trop souvent oubliée : la BAD a besoin de ces actionnaires étrangers, qui lui permettent d’obtenir une notation AAA et donc de s’endetter.

D’autre part, ce sont également eux qui apportent la majorité du capital utilisable : les États-Unis, le Japon, le Canada, l’Allemagne et la France contribuent au budget de la banque dans une proportion bien supérieure à leur droits de vote.

« Une BAD purement africaine ne serait pas viable et ne pourrait pas assumer le rôle qu’elle joue aujourd’hui auprès des pays africains », résume une source continentale. « Sans le capital non régional, l’institution serait, au mieux, l’équivalent de la BOAD », lâche, plus directement, un interlocuteur étranger. Des déclarations qui traduisent le besoin de renouer une relation plus apaisée.

  • Recruter et pourvoir des postes

C’est un autre point sensible à la BAD : la faiblesse de la gestion des ressources humaines et la difficulté à pérenniser des compétences maison. Pendant le mandat d’Adesina, plusieurs voix se sont élevées pour critiquer le recours excessif aux consultants – 683 contrats à la fin de 2018. En 2017, le taux de vacance de postes était de 24 %.

Si ce taux était tombé à 14 % en 2018, et devait atteindre 10 % en 2019, selon les prévisions de la BAD, ces données globales traduisent mal la réalité observée au siège d’Abidjan et dans les autres bureaux de l’institution : la multiplication des postes de cadres et directeurs non pourvus ou occupés par des intérimaires – parfois de façon prolongée.

Si les explications divergent – de la difficulté de trouver des candidats qualifiés et disponibles à la durée du processus de validation des recrutements, en passant la « docilité » supposée d’employés intérimaires par rapport à des salariés installés – la BAD a besoin de stabilité pour mener à bien ses projets.

Les dernières heures d’IBK : récit exclusif de la chute du président malien

| Par 
Mis à jour le 27 août 2020 à 14h58
Des militaires fêtés par les Bamakois, le 19 août 2020.

Des militaires fêtés par les Bamakois, le 19 août 2020. © H.DIAKITE/EPA/MAXPPP

Depuis des semaines, des manifestants réclamaient sa démission, mais c’est une junte militaire qui l’a finalement obtenue : le président Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé, au soir du 18 août, qu’il quittait le pouvoir. Récit exclusif de cette journée où tout a basculé.

Longtemps, le quartier populaire de Sébénikoro, où le père d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), alors fondé de pouvoir à la banque du Mali, acquit en 1960 un terrain pour y bâtir sa résidence, a joui d’une double et contradictoire réputation. Celle de favoriser la fertilité des femmes et celle de porter malheur à la fortune de ses habitants.

En 2007, lorsque IBK fut battu pour la seconde fois à l’élection présidentielle par Amadou Toumani Touré, des proches lui conseillèrent de déménager de la villa qu’il avait héritée de son père : « Tant que tu résideras ici, tu échoueras. » C’était mal connaître celui qui s’est défini un jour comme « un Mandingue un peu lourd », ancien sorbonnard, plus porté sur la lecture de Descartes que sur celle des cauris et têtu comme un chameau. IBK s’est accroché à la parcelle paternelle et il a fini, en 2013, par être élu. Depuis, Sébénikoro s’est modernisé. La concession familiale abrite désormais, outre la villa du couple présidentiel, celles de ses fils Karim et Bouba, avec piscine et terrain de jeux pour les petits-enfants.

Vaste et hétéroclite mouvement de contestation

Ibrahim Boubacar Keïta, 75 ans, a-t-il cru trop tôt s’être débarrassé du mauvais sort ? En cette soirée du 17 août, c’est un homme épuisé par deux mois et demi de crise politique aiguë qui regagne sa chambre à coucher en compagnie de son épouse, Aminata. Ce qu’il a trop longtemps pris pour une simple contestation postélectorale issue des législatives d’avril s’est transformé en un vaste et hétéroclite mouvement de rébellion urbaine dirigé contre sa personne. « Le vieil homme tirera sa révérence en 2023 après avoir, si Dieu le veut, conduit sa patrie sur les chemins de la paix et de la prospérité », nous confiait-il il y a un an.

Mais voici que la rue et une poignée de politiciens qui, pour certains, furent ses propres ministres, exigent son départ, hic et nunc (« ici et maintenant »), comme dirait le latiniste traducteur de Lucrèce qu’il est à ses heures perdues. Alors il se raidit devant l’outrage, avant de multiplier les concessions sous la pression de ses pairs de la Cedeao, sans que pour autant l’opposition ne recule d’un iota.

Nous en sommes là en ce lundi soir : un pouvoir dans l’incapacité de proposer les termes d’un consensus acceptable aux yeux de ses adversaires, lesquels sont inaptes à établir un rapport de forces révolutionnaire comme au Burkina en 2015. Une double impuissance, dans laquelle l’État se délite comme un cachet soluble, et une situation dont on ne perçoit pas l’issue.

Le fait que ce type de blocage puisse induire le risque d’une irruption des militaires sur la scène politique n’a pas échappé aux sécurocrates de l’entourage présidentiel. Au début de juillet, le général Moussa Diawara, qui dirige la Sécurité d’État, ouvre une enquête. Plusieurs officiers « suspects » sont mis aux arrêt.

D’autres, à l’instar du colonel Malick Diaw, chef adjoint du camp militaire de Kati et ancien compagnon du capitaine putschiste Amadou Haya Sanogo en 2012, sont surveillés. Mais entre gradés, le fossé est profond, les informations remontent mal. Pour la plupart issus de la première promotion du Prytanée militaire de Kati, créé en 1981, les généraux Moussa Diawara, Dahirou Dembélé (ministre de la Défense), Abdoulaye Coulibaly (chef d’état-major général), Oumar Dao (chef d’état-major particulier du président), tous loyaux à IBK, ne s’entendent guère avec leurs cadets, le groupe des colonels de la troisième promotion, dont les Maliens découvriront les visages sur leurs écrans de télévision au soir du 18 août.

Une armée frustrée

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A POSTERIORI, C’EST VRAI QUE NOUS AURIONS DÛ PRÊTER ATTENTION À CERTAINS SIGNAUX

Ces derniers sont des hommes de terrain, à la fois produits et représentants d’une armée en grande difficulté matérielle et opérationnelle malgré les efforts du gouvernement pour l’équiper, assistée par des forces étrangères et récemment épinglée dans deux rapports de la division des droits de l’homme de l’ONU (très mal vécus dans les casernes) pour ses méthodes parfois expéditives, qualifiées de « violation des droits humains ». Bref, d’une armée frustrée, qui se sent peu « couverte » par la haute hiérarchie et par le président lui-même face aux risques de poursuites judiciaires.

Si les généraux guettent au jour le jour la grogne quasi endémique du camp Soundiata-Keïta de Kati, à 15 kilomètres de Bamako et à 5 du palais de Koulouba, un camp régulièrement agité par des revendications qui touchent à la fois aux soldes, aux règles d’avancement et aux inégalités de traitement, ni eux ni le chef de l’État ne se doutent que des colonels à peine quadragénaires à la réputation de professionnels apolitiques, tels Assimi Goïta, commandant des forces spéciales, Ismaïl Wagué, ancien pilote de MiG-21 et numéro deux de l’aviation, ou encore Sadio Camara, ex-commandant du camp de Kati revenu au début d’août en permission d’un stage en Russie, se préparent à passer à l’action. Encore moins que la Garde présidentielle elle-même est infiltrée par les mutins.

« A posteriori, c’est vrai que nous aurions dû prêter attention à certains signaux, confie un proche d’IBK. La Garde avait été renforcée ces dernières semaines par des éléments que nous ne connaissions pas et qui semblaient épier nos allées et venues. Il y avait parfois des querelles entre ses anciens et ses nouveaux membres, au point que, le 14 août, le président avait limogé le chef de sa sécurité, le lieutenant-colonel Ibrahim Touré, à qui il reprochait ce désordre. » Pourtant, IBK ne s’inquiète pas outre mesure. Fatigué, amaigri, il a décidé de s’envoler pour Abou Dhabi le 20 août, afin de s’y soumettre à un contrôle médical repoussé depuis deux mois. Nul, au sein de son entourage sécuritaire, ne le met en garde contre le risque d’un renversement en son absence.

Mardi 18 août au matin, alors que le camp de Kati et celui de la Garde nationale, à N’Tomikorobougou, se sont soulevés dans la nuit, le ministre de la Défense et le chef d’état-major général ont la surprise d’être arrêtés dans le bureau du premier, par celui-là même qu’ils venaient d’appeler pour mater la rébellion : le colonel Goïta et son bataillon des forces spéciales. À la mi-journée, le chef d’état-major particulier d’IBK, le général Dao, téléphone au commandant du détachement blindé de la Garde républicaine et lui ordonne de sortir ses véhicules afin de désencercler la résidence de Sébénikoro, entourée par une foule de Bamakois hostiles accourus dès l’annonce de la tentative de coup d’État en cours à la radio et sur les réseaux sociaux.

Le commandant refuse d’intervenir, et, lorsque des éléments cagoulés des forces spéciales, appuyés par deux BRDM (blindés de reconnaissance de fabrication russe), se présentent vers 16 h 30 devant la résidence, le mince cordon de protection n’oppose aucune résistance. Seuls deux ou trois soldats, promptement assommés à coups de crosse, tentent de faire front. Se trouvent alors à l’intérieur du complexe, outre le président et son épouse, ses deux fils Karim et Bouba, le Premier ministre, Boubou Cissé, ainsi qu’une quinzaine de gardes du corps et d’employés de maison.

Toute résistance inutile

Selon un témoin, les mutins se montrent « courtois et polis » avec le chef de l’État. « Certains baissent la tête en signe de respect. »

Selon un témoin, les mutins se montrent « courtois et polis » avec le chef de l’État. « Certains baissent la tête en signe de respect. » © capture bfm tv

 

Ibrahim Boubacar Keïta, qui a immédiatement compris que toute résistance était inutile, intime aux membres de sa sécurité rapprochée de déposer les armes. Les chefs des mutins, dont on ignore l’identité, leurs visages étant dissimulés, se montrent, au regard d’un témoin, « courtois et polis. Certains baissent la tête en signe de respect ». Tout au moins avec IBK. Boubou Cissé, « tête de turc » bien malgré lui du mouvement de contestation populaire, reçoit des quolibets et quelques menaces de la part de soldats excités. Mais aucune violence.

À 17 heures, un convoi de Toyota Land Cruisers noir et crème entourés de transports de troupes quitte Sébénikoro sous la pluie, au milieu d’une foule de civils en liesse et sous le crépitement des tirs de joie. Direction le camp de Kati, où, pendant trois jours et avant d’être déplacé à au moins deux reprises, IBK, son ex-Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, le ministre de l’Économie et des Finances, Abdoulaye Daffé, et d’autres détenus de marque seront logés dans le même bâtiment. Faute de place, la brochette de généraux dormira sur des tapis à même le sol.

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SACHANT QU’IL NE TARDERAIT PAS À ÊTRE ARRÊTÉ, KARIM KEÏTA A DÉCIDÉ D’ENTRER DANS LA CLANDESTINITÉ

En cet après-midi du 18 août et alors que le convoi emprunte la RN1 en direction de Kati, Bamako est le théâtre de pillages souvent ciblés. Le cabinet d’avocats, l’hôtel et le domicile du ministre de la Justice, Kassoum Tapo, sont la proie de bandes de jeunes qui y mettent le feu. La villa du directeur général du PMU est vandalisée ainsi qu’une annexe du ministère de l’Économie et des Finances et une demi-­douzaine de stations d’essence. Des ministres sont braqués par des militaires qui exigent de l’argent en échange d’une aléatoire protection.

Mais c’est une vaste villa louée par Karim Keïta, ainsi que celle de son frère cadet Bouba, qui subissent le plus de dégâts. Elles sont entièrement désossées par des centaines de pillards venus de tous les quartiers de Bamako, qui n’hésitent pas à se filmer avec leur butin : télévisions, climatiseurs, jouets pour enfants, bouteilles de champagne… À Sébénikoro, rien n’a été touché : les forces spéciales ont bouclé la concession, d’où Karim a disparu. Sachant qu’il ne tarderait pas à être arrêté, tant sa personne cristallise l’animosité d’une partie de l’opinion, le député de Bamako et ancien président de la Commission de défense de l’Assemblée nationale a décidé d’entrer dans la clandestinité, tout comme Moussa Diawara, celui-là même qui menait l’enquête sur les intentions putschistes de début juillet (à l’heure où ces lignes sont écrites, tous deux sont encore en fuite).

Perquisitions en série

En ces premiers jours d’après-coup d’État, alors qu’IBK a été contraint de démissionner et que la Cedeao agite la menace de sanctions, mettre la main sur le fils aîné du président est une quasi-obsession pour la junte. Les domiciles de ses proches et de ses amis sont perquisitionnés, et, le samedi 22 dans la nuit, une escouade d’officiers et de soldats investit brusquement la concession de Sébénikoro.

Les colonels Diaw et Koné, qui dirigent l’opération, restent à l’extérieur tandis que le commandant Fousseyni Ba, de la Garde républicaine, se fait remettre les clés de la villa qu’occupait Karim Keïta. S’ensuivent une fouille en règle et un interrogatoire musclé du garde du corps de ce dernier, Lassine Sanogo, que les militaires embarquent, non sans avoir proféré des menaces : « Soit vous nous dites où se cache Karim, soit on revient pour tout casser. »

De son balcon, l’ex-première dame, Aminata Keïta née Maïga, observe la scène sans émotion apparente. Ce qui la préoccupe, c’est la santé de son mari, les médicaments qu’elle lui fait parvenir via des intermédiaires et, surtout, le fait de pouvoir lui parler au téléphone. Il lui faudra pour cela attendre le 24 août, six jours après le putsch.

Le colonel Assimi Goïta, chef du Comité national du salut du peuple (CNSP).

Le colonel Assimi Goïta, chef du Comité national du salut du peuple (CNSP). © Daou B. Emmanuel

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CETTE QUATRIÈME PRISE DU POUVOIR PAR LES PRÉTORIENS DANS L’HISTOIRE DU MALI INDÉPENDANT RESSEMBLE DÉCIDÉMENT BEAUCOUP AUX AUTRES

Reviennent aussi en sa mémoire des images similaires, vieilles d’un demi-siècle : alors jeune étudiante, elle avait assisté en direct à l’arrestation de son père, Attaher Maïga, ministre des Finances de Modibo Keïta, lors du coup d’État de novembre 1968 qui renversa ce dernier. Le cauchemar se répète, et cette quatrième prise du pouvoir par les prétoriens dans l’histoire du Mali indépendant ressemble décidément beaucoup aux autres, jusque dans l’appellation que la junte s’est donnée : un « comité » de plus, après ceux de 2012, de 1991 et de 1968. Seule différence : au lieutenant Moussa Traoré, au commandant Toumani Touré et au capitaine Sanogo succède depuis le 18 août un colonel, Assimi Goïta. Les décennies passent et les putschistes montent en grade.

Lorsqu’il reçoit, le 22 août, dans sa résidence étroitement surveillée de Kati, l’émissaire de la Cedeao, Goodluck Jonathan, IBK confirme sa reddition politique. Il se dit « dégoûté » et aspire à se reposer chez lui, avant de se rendre à Abou Dhabi pour ses contrôles médicaux. La célérité avec laquelle la France a pris acte de sa démission, sans même poser la question des conditions qui y ont présidé, ne l’a pas surpris.

« Tricard » à Paris

Il se sait « tricard » à Paris et il en veut à Emmanuel Macron de lui avoir imposé jusqu’au bout le maintien du technocrate Boubou Cissé à la primature alors que l’imam Dicko faisait du limogeage de celui-ci la condition d’une reprise des négociations. Il en veut surtout au ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. « Tu me critiques et me déstabilises, après tout ce que j’ai fait pour toi ! » lui avait-il dit, tout de colère froide, en présence de Macron, lors du sommet de l’Union africaine à Nouakchott, en juillet 2018.

Ce sentimental n’a en réalité jamais admis que la France, pour laquelle son grand-père est mort lors de la bataille de Verdun, puisse n’avoir pour boussole que ses propres intérêts – en l’occurrence, le maintien de l’opération Barkhane et la crainte d’un effondrement de l’État malien. « La France a envers les Keïta une dette de sang », m’avait-il un jour confié, avant d’ajouter : « Je crois qu’IBK dérange. Voilà un homme singulier, qui ne parle pas le français petit nègre et qui n’est pas fâché avec le subjonctif. Un homme au nationalisme sourcilleux à qui répugne tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’Afrique. »

Reste que ce n’est pas la France qui a balayé le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, mais l’armée malienne et une opposition dont on ignore encore si elle aura servi d’« idiot utile » aux militaires ou si, au contraire, ces derniers auront tiré pour elle les marrons du feu – la première hypothèse demeurant pour l’instant, hélas, la plus probable. Je me souviens d’un entretien, en 2014, avec IBK, un an après son élection. Il s’était fixé un objectif : reconstruire un pays sinistré par une bonne décennie de gabegie et de délitement progressif, au point d’y perdre son identité, son intégrité et une part de sa légitimité. Déjà, il devait faire face aux accusations : lenteur, autosatisfaction, népotisme, soupçons de corruption.

Il y avait répondu à sa manière pateline et subjonctive, avec ce débit de mitraillette à bille et cette politesse cardinalice de la langue française qui, sous ces latitudes et depuis la mort de Senghor, n’appartient qu’à lui, mais dont les circonvolutions échappent à la majorité de ses compatriotes au risque de passer pour une forme d’arrogance.

Puis il m’avait convié à déjeuner dans une pièce sombre de la résidence de Sébénikoro, alors en plein chantier d’agrandissement, en compagnie du chanteur Salif Keïta, devenu depuis l’un de ses farouches contempteurs mais qui, à l’époque, ne tarissait pas d’éloges sur lui, et d’un ancien collaborateur de JA devenu ministre de la Communication, Mahamadou Camara, aussi brillant qu’ambitieux.

Sur la table du salon, au milieu d’un empilement de livres et de dossiers, traînait l’exemplaire d’un chef-d’œuvre d’Albert Camus, qu’il avait, me dit-il, lu et relu une dizaine de fois depuis des lustres : La Chute. Un tel titre, dans un tel quartier avec la réputation ambiguë que l’on sait, n’était-ce pas vouloir narguer les génies du fleuve ?